par Daouda Coulibaly & Jacques Zanga Dubus
Si Blaise Compaoré, l’homme fort du Burkina Faso un quart de siècle durant, fort d’avoir fait tuer son meilleur ami, avait écouté cette belle phrase dont se souviennent les révolutionnaires, les grands révolutionnaires, il n’aurait pas, en “valet local de l’impérialisme néocolonial français”, fait de Thomas Sankara un martyr.
Certains prétendent que c’est Sankara qui aurait “choisi” de devenir martyr, en ne laissant pas d’autre choix à Blaise Compaoré que de le tuer, car l’emprisonner “aurait”, de l’avis de ceux-là, créé un soulèvement populaire pour sa libération. Ainsi, par stratégie, pour entrer dans l’histoire par la grande porte, quand il aurait compris que la révolution n’avait pas d’avenir… mais cette thèse de non-avenir de la révolution n’a pu sortir que de cerveaux de contre-révolutionnaires, ce que Sankara n’était pas, alors nous ne lui accordons aucun crédit.
En déduire cependant que la révolution aurait continué sur sa lancée relèverait de la politique fiction. Mais ce qui assurément n’en est pas, et l’ultralibéralisme économique, la corruption, le déficit d’intégrité, le retour à la misère, bref toute la gabegie dont les années Compaoré témoignent, c’est qu’on sait désormais, sans aucun doute, qui a trahi la révolution.
La déclaration du Front populaire, le 15 octobre 1987, affirme (comme de nombreux détracteurs de Thomas Sankara le font encore, même après la fuite en 2014 du faux “camarade”, du traître en amitié et en révolution, le Blaiso comme il s’est plu à être représenté pour les élections de 2005, en Indiana Jones africain, en aventurier d’une arche nommée Faso qu’il a entraînée sur la voie du naufrage, dans la droite ligne du slogan Après moi le déluge, jusqu’à même oser quitter le navire, comme un rat !), cette infâme déclaration du Front populaire affirme que Thomas Sankara, traître à la révolution, était aussi un autocrate.
S’il l’avait été, il aurait fait arrêter Blaise Compaoré, comme beaucoup lui ont conseillé de le faire, conscients du complot qui se tramait. Mais il a refusé.
S’il l’avait été, il aurait imposé le projet d’école révolutionnaire, décisif pour une modification radicale de la société burkinabè sur le long terme, projet si ambitieux qu’on est en droit de se demander si toutes les ruses n’ont pas été mises en branle pour le faire échouer : des rumeurs parlent en effet de faux rapports affirmant le rejet du projet par les populations, mais avant cela il est plus que vraisemblable que certains coûts aient été trafiqués (un zéro ajouté par-ci par-là) pour rendre le projet scandaleux aux yeux d’une des populations les plus pauvres de la planète, tant certains coûts présentés le sont, scandaleux : un mini-ordinateur à 8,5 millions de francs CFA (13.000 € !), construction d’une salle informatique (pour un mini-ordinateur) à 30 millions de francs CFA (45.700 €, c’est au Burkina Faso le prix d’une belle villa en province), équipement des ateliers d’un seul lycée d’enseignement professionnel pour plus de 250 millions de francs CFA (380.000 €), qui pouvait accepter cela ?
Le principe de surfacturation des coûts est ensuite devenu la règle sous le régime Compaoré, mais il est impensable que Thomas Sankara ait cautionné une telle pratique, surtout pour un projet qui lui tenait tant à cœur, et qui représentait pour la révolution la garantie de sa pérennité, par une rupture radicale et sans retour possible, pour un développement endogène du Faso.
Au Burkina Faso, la toute première institution, celle qui a toujours mérité le plus d’attention de la part des gouvernements successifs depuis la prétendue indépendance, c’est la pauvreté (et non pour la réduire, mais la préserver, quel qu’en soit le prix, pour que les aides abondent). Le seul homme politique qui se soit opposé à ce funeste “destin” est Thomas Sankara, et après sa mort tout est rentré “dans l’ordre”, la pauvreté est redevenue la première institution du pays.
La deuxième institution, pour servir la première, est le sous-développement. Beaucoup d’efforts sont déployés pour garantir sa pérennité, derrière les efforts apparents pour le vaincre.
La problématique de ce constat affligeant est simple, et trouve sa résolution dans une loi universelle dite “d’équilibre” : les pays riches prétendent venir en aide aux pays pauvres, mais cela ne pourrait se faire qu’à la condition qu’ils acceptent de s’appauvrir. Or, ils font tout pour s’enrichir, ce qui ne peut se faire qu’à la condition que les pays pauvres s’appauvrissent, et c’est ce qui se passe.
Prétendre vouloir inverser cette “résolution” engage nécessairement des révolutions, des ruptures radicales.
Si Nietzsche était le penseur antichristianisme par excellence, et il l’était, Thomas Sankara était un grand penseur anti-impérialiste. Il faut l’approcher sans l’idolâtrer, comme il conseillait lui-même, une semaine avant de tomber sous les rafales de balles, d’approcher Che Guevara.
C’est davantage l’esprit de Thomas Sankara que les balles ont visé, plutôt que son image. Sa photo est partout dans les esprits, et sa silhouette est l’une des plus familières au Faso. Faisons donc en sorte que nous puissions mieux connaître Thomas Sankara. Approchons donc Thomas Sankara. “Approchons-le non pas comme nous le ferions d’un dieu, non pas comme nous le ferions de cette idée, de cette image au-dessus des hommes, mais faisons-le avec le sentiment que nous allons vers un frère qui nous parle, et à qui nous pouvons également parler.”.
S’approcher de Thomas Sankara par ses discours, mais aussi les conférences de presse ou interviews qu’il a données, c’est découvrir que ce visionnaire possédait sa pensée (il n’avait besoin ni de prompteur ni de souffleur), et qu’elle le possédait, lui donnait la force d’œuvrer à sa transmission par l’exemple ; et c’est aussi aller à la rencontre d’une mine d’idées pour organiser toute lutte, qu’elles soit féministe, écologique, sociale, économique, et surtout de prise en main de son propre destin, individuel ou collectif.
Daouda Coulibaly & Jacques Zanga Dubus
Source : http://bayiri.com/opinions/ne-tirez-pas-on-ne-tue-pas-les-idees.html