Fidel Kientega nous a envoyé ce témoignage qu’il a écrit après avoir été sollicité pour parler de Sankara. Il est actuellement Secrétaire aux relations extérieures de l’UNIR/PS et député à l’Assemblée nationale au Burkina Faso. Rappelons que Fidel Kientega était l’un des proches collaborateurs de Thomas Sankara, à la présidence pendant la révolution.
Thomas SANKARA est né le 21 décembre 1949, il aurait donc eu 60 ans à la fin de l’année qui vient de s’écouler. L’anniversaire de sa naissance vient d’être commémoré avec recueillement, mais surtout avec ferveur il y a quelques semaines, les 19, 20, 21 décembre par les sankaristes et sa famille avec un certains nombres de manifestations dont des conférences et des expositions sur la vie de l’illustre disparu.
Ses parents :
– Sa mère, Marguerite SANKARA née KINDA est décédée le 06 mars 2000 (quasiment à la date du 08 mars, journée internationale de la femme pour la libération de laquelle il est mondialement reconnu aujourd’hui que Thomas SANKARA a été un précurseur visionnaire. Plus d’une personne ont noté cette coïncidence. Pour notre part, nous l’avions retenu comme un symbole, un dernier hommage que sa mère, éplorée et n’ayant jamais fait le deuil de son fils enterré un soir à la sauvette par des bagnards, lui rend au moment de quitter ce monde).
– Son père, Joseph SANKARA, ancien combattant de la 2nde Guerre mondiale est décédé le 04 août 2007, date anniversaire du déclenchement de la révolution ayant porté Thomas SANKARA au pouvoir le 04 août 1983. Autre coïncidence dont nous avons pensé qu’il ne peut pas y avoir plus grand et plus fort hommage de la part de son père pour ce fils dont la vie de météorite et le sacrifice suprême donne toute la mesure de l’abnégation et la grandeur.
La politique et la vision de Thomas SANKARA pour le développement du Burkina Faso et de l’Afrique ont été essentiellement marquées par deux axes cardinaux :
Sur le double plan moral et mental (base sine qua none de toute émergence pour un peuple) : Thomas SANKARA a inlassablement et avec application et pédagogie tout en donnant lui-même l’exemple de courage, de dignité, de fierté, d’originalité et de créativité, travaillé à la réhabilitation de l’homme noir que l’on a complexé depuis des siècles en le soumettant par le fer et par le sang. L’homme noir dont on a dit ‘‘qu’il ne parle pas de langue mais du vernaculaire, qu’il n’a ni culture ni religion car il pactise avec Satan en adorant non pas Dieu mais des divinités et que dans tous les cas, il est si noir que Dieu n’a pas pu mettre une âme en lui etc.’’ Celui qui a été vendu à tous les vents, au Levant et à l’Occident (en référence à l’esclavagisme arabe et à la traite négrière vers les Amériques, celui dont on a dit qu’il n’a ni inventé la poudre ni la boussole ou qu’il n’a laissé aucun vestige ni monument à l’histoire, pour qu’enfin il brises ses chaînes. Qu’il s’affranchisse et se libère du doute et de la psychologie de vaincu semés en lui. Qu’il reprenne confiance en lui-même comme un peuple égal aux autres, ni pire ni meilleur qu’un autre.
C’est dans l’esprit de ce grand et noble dessein qu’il a créé l’Institut des Peuples Noirs (IPN), creuset de retrouvailles, de réflexion, de fusion et de renaissance des noirs de tous les continents dans leurs différences et dans leur complémentarité. C’est dans cet esprit qu’il parcouru tous les cinq continents pour exprimer et manifester de façon concrète et vibrante la solidarité de la Révolution burkinabé avec les peuples en lutte d’Afrique et d’ailleurs pour leur liberté et leur dignité : soutien à l’ANC avec un don symbolique d’armes, passeport diplomatique à Thabo M’Béki en alors en exil à Nairobi et qui était de tous les périples du Président Thomas SANKARA pour dénoncer le régime inique d’Afrique du Sud avec la complicité de l’Occident.
Soutien à la SWAPO, à la RASD, au MPLA, au FRELIMO, à l’OLP. Organisation à Ouagadougou des journées anti-apartheid, tenue d’un colloque d’hommages à Steve Biko et à Ernesto Che Guevara, dénonciation du blocus de Cuba ou de la répression des indépendantistes kanaks de Nlle Calédonie en passant par sa célèbre confrontation avec le Président François MITTERAND qui fera couler encore longtemps encre et salive et j’en oublie. Ses phrases célèbres que ‘‘celui qui aime son peuple aime aussi les autres peuples’’ ou sa supplique de ‘‘consommer ce que l’on produit et de produire ce que l’on consomme’’, sa déclaration qui a tant fait peur dans les pays voisins, disant que la Révolution burkinabé était à la disposition de tous les autres peuples, ses prises de position pour une unité africaine véritable et agissante, son fameux discours à l’OUA contre la dette, son discours sur l’aide qui doit ‘’aider à tuer l’aide’’ et bien d’autres sont la preuve que l’homme ne destinait pas son action seulement au Burkina Faso, mais aussi à l’Afrique et à l’Humanité entière.
Sur le plan de l’engagement concret et fort de cette confiance en soi qu’il a su redonner à son peuple, Thomas SANKARA a su tout aussi naturellement le remettre au travail dans l’enthousiasme et la ferveur populaires pour qu’il prenne en main son propre destin. Ainsi, des chantiers multiformes pour la maîtrise de l’eau avec la construction de retenues d’eau villageoises, de dispensaires, d’écoles, de routes et de chemins de fer, de plantation d’arbres à grande échelle sur investissement humain etc. ont été engagés.
Concomitamment, il a lancé la restauration des valeurs culturelles africaines et redonné du lustre au mode vestimentaire traditionnel, donnant ainsi du travail de filature, de tissage et de confection aux artisans locaux, particulièrement aux femmes qui étaient dotées de métiers à tisser. Par ailleurs, il a engagé la moralisation de la société, particulièrement de l’administration en prenant des mesures associant toutes les composantes sociales. Et de fait, le message du Président Thomas SANKARA vers l’Afrique et le monde était passé cinq sur cinq car il était devenu en un temps record une icône vivante et une source d’inspiration et d’espoir pour les jeunesses africaines.
Après sa mise à mort scélérate et déloyale le 15 octobre 1987, les assassins de Thomas SANKARA, conscients de l’énormité de leur acte et de l’hébétement dans lequel ils ont plongé les burkinabé, même ceux qui ne partageaient pas les thèses révolutionnaires, ont déversé grossièretés et mensonges sur lui en même temps qu’ils ont recouru à des professionnels de la communication pour développer des stratégies de salissure et d’effacement de sa mémoire et le faire oublier par son peuple qui lui rendait bien son engagement parce que ‘‘lui au moins faisait ce qu’il disait et disait ce qu’il faisait’’ entendait-on régulièrement dans la rue à Ouagadougou. Mais bien au contraire, à mesure que le temps passait, surtout au regard du renoncement aux valeurs de travail, de dignité et de justice sociale de ces nouvelles autorités à Ouagadougou visiblement sous le joug de donneurs d’ordres étrangers, l’image de candeur, de don de soi et d’amour pour son peuple laissée le Président du CNR, mue comme par une poussée irrépressible, est remontée en surface. Aujourd’hui, Thomas SANKARA est plus porté et célébré par les jeunes qui n’étaient pas nés de son vivant et qui donc ne l’ont pas connu. Ses posters sont dans les salons et son effigie collée sur les portefeuilles, les mobylettes, les taxis et véhicules de transport etc. Ses discours sur support audio et vidéo sont l’objet de tous les piratages et de tous les trafics. Confirmant ainsi une fois de plus la justesse de cet autre cri qu’il avait lancé suite à une explosion à la place de la Révolution, que des esprits mal intentionnés ont provoqué dans le but sans doute de créer un mouvement de panique : « tuez Thomas SANKARA et il en naîtra demain des milliers d’autres ».
Bref il y aurait tellement de choses sur Thomas SANKARA, qu’il eût fallu un livre.
Salutations amicales,
Meng-Néré Fidèle KIENTEGA
Député à l’Assemblée nationale, Secrétaire aux relations extérieures de l’UNIR/PS