Rawlings /Sankara, le sens d’une amitié historique

F. Daabôl

 

Dans le film documentaire intitulé “Sankara l’homme intègre”, un homme parle avec une voix forte et puissante. Assis confortablement dans un fauteuil, le visage grave et la chevelure blanchie, il explique ce qu’il a retenu de celui qui fut considéré comme l’un de ses meilleurs amis : le capitaine Thomas Sankara, l’ancien chef d’Etat burkinabè. Lui, c’est Jerry John Rawlings, l’ex-président ghanéen.

Entre 1983 et 1987, l’axe Ouagadougou-Accra était l’un des plus solides. Notamment, en termes de convergence idéologique. Mais plus encore à travers la personnalité de leurs deux chefs d’Etat. Lesquels donnaient l’impression d’être sortis du même moule : celui de la conscience dénonciatrice et revendicatrice.

Depuis la discipline militaire jusqu’à la conception du bien public et sa gestion, en passant par la lutte contre les injustices sociales. L’un et l’autre poussent alors leur pays respectifs sur le terrain des grands travaux, sans pour autant renoncer à leur engagement personnel sur la scène internationale.

Amoureux des joutes oratoires, on les retrouve en divers endroits de la planète, prêts à brocarder

le système “impérialiste” et ses méfaits. Assurément, ces deux-là  avaient tout pour s’entendre, comme dirait l’autre. Aux moments chauds de la crise au sein du CNR, le chef de l’Etat ghanéen aurait ainsi, manifesté une attention particulière pour l’actualité de son voisin. N’hésitant pas à s’impliquer personnellement, en faisant savoir à certains acteurs en présence, la position qui était la sienne.

C’est ainsi qu’il mit son ami Sankara au courant des informations qui étaient en sa possession. Celles-ci n’étaient d’ailleurs pas en sa faveur. Selon plusieurs sources, “J.J” aurait même conseillé à son frère d’arme de prendre ses distances par rapport à la situation. Et au besoin, de venir s’installer au Ghana. Le capitaine burkinabè, dit-on, déclina gentiment l’offre qui lui était faite : selon toute vraisemblance, il n’avait pas l’intention de se dérober à ses responsabilités. Là, était peut-être la différence majeure entre les révolutions ghanéenne et burkinabè.

Et cela, Rawlings le percevait un peu mieux que ses interlocuteurs burkinabè.

En clair, si au Ghana la révolution avait une seule tête, au Burkina, ce n’était plus le cas depuis un certain temps. De divergence en opposition, de contradiction en contestation, l’entreprise avait fini par se vider de son contenu. Du coup, le cap n’était plus maintenu et le navire allait inévitablement  à veau l’eau. Ce n’est pas pour rien en tout cas, que quelques-uns parmi les rescapés du 15octobre  1987 songèrent au Ghana voisin pour se réfugier. Ceux qui auront la chance d’y parvenir à temps n’eurent aucune crainte pour leur sécurité. Ils étaient en lieu sûr. D’ailleurs, Rawlings est parmi les premiers chefs d’Etat africains à condamner fermement et sans réserve, l’assassinat de Thomas Sankara. Thomas Sankara et Jerry Rawlings ont contribué de par leur grande amitié, à faire rayonner le visage de l’Afrique.

En dépit des tentatives du nouveau pouvoir en place pour un rapprochement, l’un des “captain of flying” les plus connus et les plus médiatisés, se refusera à tout contact.

Ce n’est que ces dernières années seulement qu’il accepta finalement, et non sans contraintes, de franchir à nouveau la frontière. On l’a ainsi vu lors de la dernière prestation de serment de Blaise Compaoré, après la réélection de ce dernier en novembre 2005. Dans un garde- à- vous impeccable, il n’hésita pas à rendre les honneurs, comme il sied à un officier de son rang. Ce qui ne signifie en rien qu’il ait changé de position. Bien au contraire. Ses dernières déclarations concernant son refus de s’afficher aux côtés de John Kufuor à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance du Ghana en sont une parfaite illustration.

Dans un message rendu public par son service de presse à Accra, Rawlings a rappelé que ses convictions morales ne lui permettraient pas de transiger avec certains principes. Sur le plan matériel et financier, il a aussi refusé la proposition du gouvernement ghanéen de le réintégrer dans ses droits d’ancien chef d’Etat. En particulier sur le plan protocolaire. Depuis quatre ans en effet, l’actuel pouvoir a décidé purement et simplement de lui retirer tous les avantages attachés à son statut d’ancien chef d’Etat. Ceci, en réponse à ses critiques virulentes sur l’actuel régime en place. Ce refus d’accepter quelque avantage que ce soit a été confirmé par l’entourage de Rawlings.

Notamment par son épouse, pourtant restée jusque-là, en réserve du débat. De retour d’un récent séjour en Libye, l’ex-homme fort du Ghana a même refusé d’emprunter le salon d’honneur de l’aéroport. Toute chose qui témoigne des relations particulièrement difficiles qu’il entretient avec son successeur. Mais en fait, qui est ce capitaine atypique ?

Jeremiah Rawlings John est de deux ans, l’aîné du capitaine Sankara : de source officielle, il est né le 22 juin 1947 à Accra, d’un père écossais et d’une mère ghanéenne.

C’est une erreur de transcription qui lui aurait fait prendre le nom de Jerry. Ce qui n’enleva rien aux qualités physiques et morales du jeune homme.

Inscrit dans la “Ghana Air force” en 1967, il se montre d’une aptitude particulière dans l’apprentissage des rudiments nécessaires à sa formation.

Laquelle le hisse parmi les meilleurs soldats de sa génération, dit-on. Deux ans plus tard, il est promu officier pilote. Mais c’est surtout en 1979 qu’il se révèle à ses compatriotes. Arrêté avec six autres compagnons pour tentative de coup d’Etat, l’officier qui n’a que 22 ans mais déjà beaucoup de caractère, attend le jour du procès pour dresser publiquement le réquisitoire d’un régime qu’il considère comme la source de toutes les misères des Ghanéens ;  sa notoriété est toute faite. A tel point qu’on oublierait qu’en 1982, à Ouagadougou, un jeune officier burkinabè suivra quasiment le même exemple en démissionnant avec fracas de son poste de ministre, afin de ne pas collaborer avec des “dirigeants qui bâillonnent leur peuple”. Le parallèle, avouons-le, est tout simplement saisissant! Car l’on retrouve dans les  deux itinéraires, quasiment les mêmes éléments de base. Toujours est-il qu’en 1981, Jerry Rawlings prend le pouvoir une première fois. Fidèle à sa foi catholique, il met en avant les souffrances du peuple que la corruption des dirigeants n’arrive pas à enrayer.

Ne se sent-il pas suffisamment prêt pour exercer la charge suprême? Ou alors est-il simplement animé par la volonté de servir? Toujours est-il qu’il remet les manettes entre les mains des civils, avant de les reprendre quelques temps après. Il est atterré, dit-il, par la gestion des dirigeants de l’époque : une gestion qu’il juge peu vertueuse. Ce sera le début d’une reprise en main qui conduira le pays de Kwame N’Krumah, le chantre du panafricanisme, jusqu’au multipartisme en 1992. Elu la même année pour un mandat de 4ans, Rawlings, qui n’a rien perdu de son imposante stature, est réélu en 1996.

Après N’krumah “l’osagyegfo”, Joseph Arthur Ankrah, Nii Amoa Ollennu, Edward Addo, Ignatius Acheampong, Fred Akutto, Rawlings1, et Hilla Lumann, Rawlings est à nouveau aux commandes de l’ancienne Gold coast. Au terme de son second mandat, c’est l’un de ses plus farouches adversaires qui lui succèdera à la présidence de la république : il s’agit de John Kufuor.

F. Daabôl

Source : Le Libérateur N°45 du 05 au 19 déc. 2007

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