La commémoration du 33 anniversaire de l’assassinat du Président Thomas Sankara a connu un cachet particulier cette année. Loin des années où elle n’était que l’affaire de quelques irréductibles sankaristes et autres « aigris » opposants au régime Compaoré, le 15 Octobre est devenu une affaire nationale depuis la chute du Président Blaise Compaoré. Loin des souvenirs des rassemblements populeux au cimetière de Dagnoën, cette année, c’était une commémoration en mode VIP, Very Important Person. Et pour cause, c’est le Président Kaboré en personne qui était le grand maitre de la commémoration. Une présence qui a tout l’air d’une curiosité.

« Sankara revival ». C’est maintenant que le nom du festival qu’organise Sams’K Le Jah trouve tout son sens. Sankara renait et il renait même dans les esprits qui ont été les plus répulsifs à sa personne et à ses idéaux. Des sankaristes nouveaux ont poussé comme des champignons pour venir gonfler les rangs des admirateurs et défenseurs de Thomas Sankara.

Parmi ces sankaristes qui se découvrent ou se révèlent tard, il y a les anciens admirateurs et défenseur de l’ex-président Blaise Compaoré. Si au cours de la Transition en 2015, on peut au regard de la nature du régime non partisan comprendre et justifier l’intérêt des premières autorités nationale pour le 15 Octobre et pour le dossier Sankara, ce n’est pas le cas avec l’accession de Roch au pouvoir. Certains actes des “nouvelles“ autorités ont de quoi intriguer plus d’une personne. Que le Président Kaboré fasse tout ce qui est du ressort de l’État pour que la justice se fasse enfin dans l’affaire Thomas Sankara, c’est exactement dans son rôle et c’est ce qui est attendu de lui dans ses fonctions de Président du Faso, garant de la justice. Mais de là qu’il se retrouve à porter ostentatoirement le deuil de Sankara plus de 30 ans après son assassinat, c’est vraiment trop tard et cela donne à réfléchir sur la personnalité qu’on a en face. Ce 15 Octobre 2020 a été le 15 Octobre de l’assassinat de Sankara certes mais il aura été surtout le 15 Octobre de Roch Kaboré. Le Président du Faso pour se rallier aux « orphelins » de Sankara n’a pas fait dans les détails.

C’est en personne que le Chef a porté la commémoration de cette journée. Il s’est rendu avec son Premier ministre Christophe Dabiré au Conseil de l’Entente ou pousse le Mémorial Thomas Sankara et y a déposé une gerbe de fleurs au pied du monument du Président Sankara. Qui l’eût cru ?! Lui, Roch Marc Christian Kaboré, précédemment patron du Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP) et Président de l’Assemblée nationale sous Blaise Compaoré, aujourd’hui sankariste de premier rang à la tête de la commémoration de l’assassinat de Thomas Sankara.

La commémoration de ce 33 anniversaire de l’assassinat de Sankara a d’abord fait l’objet d’une communication orale en conseil des ministres par le ministre d’État, ministre en charge de l’administration territoriale. Et c’est le même conseil des ministres du 14 octobre qui apprenait à l’opinion que « cette commémoration sera marquée par un dépôt de gerbe de fleurs par Son Excellence Monsieur Roch Marc Christian KABORE, Président du Faso, sur le site du mémorial Thomas SANKARA ».

Un certain Norbert Michel Tiendrébéogo et tous les sankaristes qui ont épuisé leur carquois et fini par rejoindre leur idole dans le monde invisible n’en croiront pas à leurs yeux. Après avoir déposé son bouquet de fleurs au pied de la stèle de Sankara, le Président Roch s’est livré à une déclaration d’amour au défunt Président du Conseil national de la révolution. « Les héros on ne peut jamais effacer leurs noms. On a beau gommer, ils sont toujours dans l’esprit et le cœur des peuples » a déclaré le Président Kaboré en parlant de Thomas Sankara. Cette déclaration est en effet un aveu, un aveu de culpabilité. C’est encore un mea culpa de Roch Kaboré après avoir reconnu en 2014 qu’il avait eu tort de soutenir que l’article 37 de la constitution qui limitait le nombre de mandats présidentiels était anti-démocratique.

Blaise n’a pas pu “saccager” la mémoire de Sankara tout seul

Jusqu’à une date très récente, Roch Marc Christian Kaboré était de l’autre côté de l’Histoire avec ceux qui ont oeuvré pour « gommer » le président Sankara de l’esprit et du coeur des Burkinabè. Durant des années, ils ont inlassablement et ingénieusement (très souvent même grossièrement aussi) consentis d’importantes énergies et des moyens divers pour détruire la mémoire du Président Thomas Sankara. S’il est vrai que c’est Blaise Compaoré qui a assassiné Sankara, il est aussi vrai que sans ses soutiens et autres courtisans qui lui ont prêté allégeance les jours et années qui suivi son crime, l’assassinat de Sankara ne serait pas resté aussi longtemps impuni. Aussi vrai que ce n’est pas Blaise qui a appuyé sur la détente le 15 Octobre 1987, ce n’est pas lui et encore moins lui tout seul qui a traqué plus d’un quart de siècle durant, les sankaristes et sapé tous leurs efforts de rendre hommage et justice au Président Thomas Sankara.

L’illustration la plus aboutie de la complicité et de la responsabilité de ceux qui étaient au service de Blaise dont Roch Kaboré, c’est ce qu’ils ont fait vivre aux sankaristes aux yeux du monde entier en 2007. En Synergie, le CDP sous la houlette de son président Roch Kaboré, la commune de Ouagadougou sous le commandement de Simon Compaoré et le Gouvernement (sous Tertius Zongo) avaient mené l’offensive contre la commémoration des 20 ans de l’assassinat de Thomas Sankara. Pendant que les sankaristes avaient prévu de marquer d’une pierre blanche la commémoration ces 20 ans, le 15 octobre 2007 fut une des plus tristes commémorations de l’assassinat de Sankara. Elle sera assombrie par le festoiement des Blaisistes qui célébraient avec faste les « 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré ». Un évènement sorti du chapeau des pro-Blaise pour faire écran à la célébration des 20 ans de l’assassinat de Sankara qui s’annonçait grandiose. Des espaces publics ont été refusés aux sankaristes et réquisitionnés pour célébrer Blaise Compaoré et sans aucune empathie avec la douleur de ceux qui voulaient se rappeler et se recueillir ce 15 Octobre 2007.

Roch pourra toujours se fondre dans la masse de tous ceux qui obéissaient au doigt et à l’œil de Blaise Compaoré, mais les hautes fonctions qu’il occupait à la tête de l’État et au sein du parti présidentiel le particularisent et font de lui un acteur pleinement conscient et délibérément responsable des torts portés à la mémoire de Sankara et à ses héritiers qui ont souffert le martyre. Les Sankaristes d’abord clandestins aux premières années de la « Rectification » ont vécu par la suite des années d’ostracisme sévère sous Compaoré jusqu’en 2014.

Hier Blaisiste certifié, aujourd’hui sankariste, c’est surement là le vrai Label de Roch Kaboré qui sait bien se mettre à la couleur du temps qu’il fait. Cette attitude très facilement changeante est de nature à faire douter de la profondeur des actes. La fidélité avec laquelle Roch a servi Blaise sagement avant de le renier, non pas de son propre grès mais sur invitation insistante de Salif Diallo, ne nous renseigne en rien sur les convictions réelles de celui-ci.

Aujourd’hui sankariste, demain Roch pourra toujours retrouver son ancienne couleur. Son acte du 15 Octobre vaut surtout pour la communication et les retombées politiques de ce geste. En décidant de se joindre aux sankaristes pour commémorer le 15 Octobre, il satisfait d’abord à une attente de ses alliés sankaristes de l’UNIRP/PS qui pourraient être fâchés légitimement parce qu’ayant l’impression d’avoir noué une alliance politique avec un parti qui affiche très peu sinon pas du tout son côté sankariste. Cette apparition peut être vue comme une victoire de l’UNIR/PS qui marque sa présence au sein de l’Exécutif et cela à la veille de la campagne électorale. Et c’est justement cette campagne qui est la deuxième raison qui amène Roch au pied du monument de Sankara. En s’y rendant, il se fait d’abord une visibilité politique utile en ces temps de compétition élection mais mieux, il espère toucher les cœurs de ces millions de Burkinabè et donc des électeurs qui n’ont que Sankara comme modèle d’homme politique. Voilà pourquoi il était important pour Roch de se montrer sous son jour sankariste. Ainsi, dans le meilleur des cas, il fait de la communication politique, dans le pire des cas, il fait montre d’une personnalité qui vogue au gré des situations.

Cédric Kalissani

Source : Mutations n°206 du 15 au 31 octobre 2020

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