Il a été témoin des événements à Pô, depuis l’arrivée de Thomas Sankara en 1976 jusqu’à l’avènement de la Révolution d’août 1983. Lui, c’est Apérika Gomgnimbou, agriculteur de son état. Il nous livre dans cet interview, tous ses souvenirs par rapport à l’engagement de la jeunesse et de la population de Pô, en général, aux côtés des acteurs de la Révolution.

“Le Pays” : Dites-nous, dans quelles conditions les premiers acteurs de la Révolution sont arrivés à Pô et comment les avez-vous connus ?

Apékira Gomgnimbou : Je ne sais comment parler de l’arrivée des premiers acteurs de la Révolution à Pô. Mais j’évoquerai plutôt, l’arrivée de Thomas Sankara et ses hommes pour l’ouverture du Centre national d’entraînement commando (CNEC) à Pô, ensuite la vie de ses militaires au sein de la population de Pô jusqu’à l’avènement du Conseil du salut du peuple (CSP1), puis l’arrestation de Sankara et l’arrivée de Blaise Compaoré à Pô, la résistance menée par ce dernier pour la libération de Sankara avant de parler de la Révolution.

On vous écoute selon votre logique alors !

C’est en 1976 que Thomas Sankara est arrivé à Pô avec 30 militaires pour créer le CNEC. Et c’est le service actuel de l’environnement de Pô qui leur a servi de premier poste de commandement ainsi que de logement. Thomas Sankara, les populations l’appelaient lieutenant pendant que les militaires l’appelaient sous-lieutenant. Lorsqu’ils se sont établis, Sankara a tout de suite commencé à travailler à l’intégration entre militaires et civils. Les militaires se signalaient lors de chaque événement heureux comme malheureux qui survenait dans nos familles. Lorsqu’il s’était agi de construire le Centre populaire et de loisirs, Sankara déléguait une dizaine de ses hommes aux côtés de la jeunesse afin de les y épauler.

On retiendra aussi qu’à l’époque, Pô n’étant pas animé, Sankara créa l’orchestre les “Missiles band” et les jeunes étaient autorisés à faire des séances d’entraînement avec les militaires. Chaque semaine, c’était l’effervescence autour de cet orchestre. Ce sont là des actions que Sankara et ses hommes ont pu entreprendre à leur arrivée à Pô afin de marquer leur intégration.

Après cette intégration réussie, Sankara était allé en formation avec certains de ses hommes au Maroc. Mais, un événement malheureux s’était produit entre eux. Une grosse bagarre a éclaté entre eux à cause d’une altercation entre un jeune charretier qui revenait du champ et des militaires qui l’avaient tabassé. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est que la soeur du jeune homme l’avait défendu et était parvenue à fracturer le bras d’un des militaires.
C’est alors que les autres militaires ont organisé dans la soirée, une véritable chasse à l’homme à travers toute la ville. La population ayant été sévèrement matraquée, s’est révoltée par la suite. Ce fut le premier couac entre militaires et civils à Pô. C’était en 1978. Sankara étant en stage, c’est le défunt président Saye Zerbo qui avait la responsabilité hiérarchique du détachement de Pô. Venu donc s’imprégner de la situation, il donna finalement raison aux militaires. Ce qui a provoqué le courroux d’un patriarche du nom de Ayipiou Yaguibou qui a ordonné à la population de déserter le lieu de la rencontre tout en demandant aux siens de vider les militaires de leurs concessions. Ce qui a été fait au cours de la nuit. Et chacun s’était muni de son arc, prêt à l’affrontement. Sankara ayant appris cela, a écourté son séjour pour se rendre à Pô et a finalement pris une sanction à l’encontre de ses hommes. Quelque temps après, il a organisé la réconciliation entre les militaires et la jeunesse. Ce qui a même valu à la place publique de Pô, le nom de “Place Némaro” à savoir, place de l’entente, de la réconciliation. Depuis ce temps, la jeunesse, voire la population de Pô, a porté Sankara dans son coeur. Il y a aussi une autre anecdote en rapport avec les relations entre militaires et population.

Quelle est cette anecdote ?

Dans mon quartier natal, derrière la SONABEL/Pô, il y avait un puits appelé “puits de l’UNESCO”. A l’époque, il n’y avait pas d’eau courante à Pô. Les populations, y compris les militaires, se ravitaillaient à partir de ce puits. Mais lorsque les militaires y trouvaient les femmes, ils forçaient le passage pour se servir les premiers. Les vieux du quartier dont mon propre père se sont rebellés et ont fait une délégation pour aller expliquer le problème à Thomas Sankara. C’est alors qu’il est venu sur les lieux avec les militaires pour leur faire savoir qu’ils doivent dorénavant se mettre en rang et attendre leur tour pour se servir. Là encore, la population l’a applaudi. Surtout que cet incident l’a amené à promettre une situation meilleure dans l’approvisionnement en eau potable dès qu’il rentrerait à Ouagadougou. Quelque temps après, vers fin 1978, l’ONEA a été implanté à Pô et ce, grâce à Sankara.

Il semble que le coup d’Etat qui a occasionné la Révolution a été préparé à partir de Pô. Qu’est-ce que vous en savez ?

En tant que civil, je ne saurai être dans le secret des dieux pour savoir comment le coup a été préparé. Tout ce que je sais, c’est que lorsque Sankara a été nommé secrétaire d’Etat à l’Information sous le régime du CMRPN, il a réuni la jeunesse de Pô dont je faisais partie et nous a dit ceci : “Je n’y vais pas pour longtemps. Je ne peux pas servir dans un régime félon mais des pressions ont été faites sur moi. Je vais y aller mais il faut vous tranquilliser parce que ce que j’ai entamé avec vous va se poursuivre car l’homme qui va me remplacer est un grand ami et se nomme Blaise Compaoré…”. Aussi a-t-il fait savoir qu’il avait au maximum 6 mois à passer dans le poste qu’on lui avait confié. Plus tard, il est venu présenter Blaise Compaoré à la jeunesse. Blaise n’était pas présent dans les mouvements de jeunesse comme Sankara parce qu’il venait d’arriver. Mais les militaires ont su garder la même dynamique avec les populations comme au temps de Thomas. Le 7 novembre 1982, lorsqu’il y a eu le Conseil du salut du peuple (CSP), nous pensions que l’homme de la situation s’appellerait Thomas Sankara. Mais à notre surprise, c’est Jean Baptiste Ouédraogo qui en fit la proclamation. Peu importe, le mouvement militaire que nous avons vu à Pô nous a confortés. La jeunesse dont je faisais partie avait commencé à s’intéresser à la politique. Un jour, l’on a appris l’arrestation de Thomas Sankara. Et c’était la consternation totale à Pô. A un moment, on a vu les militaires se mouvoir avec à leur tête, Blaise Compaoré qui se préparaient à aller libérer Sankara. La jeunesse a approuvé cette décision. Blaise tenait des réunions nocturnes avec le bureau des jeunes. Nous étions totalement acquis à leur cause. Et il fut un moment où le pouvoir en place avait envoyé des émissaires à Pô afin de demander aux notables de démobiliser la jeunesse autour des militaires. Notre défunt chef, Charles Yaguibou, a convié les jeunes à une rencontre pour faire le point de son entrevue avec les tenants du pouvoir d’alors. Le chef, n’ayant pas réussi à faire fléchir les jeunes, a convié les responsables de cette jeunesse déterminée à une rencontre. Une rencontre au cours de laquelle les notables et lui, ont convenu d’accompagner les jeunes dans leur entreprise.

Toutefois, ils ont demandé aux jeunes de faire venir leur ami Blaise au palais afin qu’il vienne les éclairer davantage sur la situation. Un jeune à l’époque, Aby Gomgnimbou, actuellement transporteur et ami de Blaise Compaoré, est allé le remorquer pour le conduire au palais du chef. Son arrivée a tout clarifié. Je me souviens toujours de ce que Blaise a dit aux vieux, je le cite : “Si Pô n’attaque pas Ouagadougou, Ouagadougou n’attaquera jamais Pô et Pô ne sera jamais Faya-Largeau” (NDLR : localité du Tchad). Ce qui a donné du tonus à la jeunesse et a conforté le chef et sa suite qui ont demandé aux jeunes de jouer leur partition aux côtés de leurs amis militaires car eux aussi (le chef et ses notables) joueraient la leur. Et le chef a dit : “Vous ne serez pas déçus car à partir de ce moment, nous sommes avec vous”. C’est ainsi que tout Pô s’est engagé derrière la résistance de Blaise. A la libération de Sankara, le poste de commandement avait aménagé dans les locaux de l’actuelle inspection primaire de Pô II (NDLR : le bâtiment était d’abord le 1er dispensaire de Pô puis après la préfecture et la mairie). C’est à cet endroit que les gens sont allés accueillir Sankara et Blaise triomphalement. Voilà un peu les événements pendant les CSP1 et 2, ensuite, l’engagement de Sankara aux côtés de la population, de la jeunesse surtout et l’adhésion de la jeunesse à la cause de Sankara et Blaise jusqu’à l’avènement du 4-Août.

Parlons maintenant de l’avènement du 4-Août. Qu’avez-vous vu ce jour à Pô ?

Depuis que le climat était devenu malsain au sein du CSP et que Sankara avait été libéré, les politiciens avisés savaient que quelque chose se tramait. Nous, jeunes à l’époque qui commencions à faire nos pas en politique, écoutions les commentaires de part et d’autre. Et on se disait qu’il fallait que quelque chose se passe. Jusqu’à un certain 4 août 1983 au petit matin, nous constations que la préfecture, la gendarmerie, la police, la poste étaient occupées par des militaires portant des bandeaux rouges à l’épaulette. Nous avions compris que quelque chose se passait. Jusqu’à 14h, on a vu une cohorte de militaires quitter le CNEC à vive allure pour se diriger au siège de l’entreprise canadienne “Lavalais” qui construisait la route (NDLR : la base en question est l’espace du pied-à-terre du président Compaoré aujourd’hui sur la route Pô-Tiébélé).

Quand les soldats sont montés dans les camions de cette entreprise, les jeunes se sont tout de suite mobilisés pour voir les militaires faire leur descente sur Ouagadougou. Après, les gens étaient collés à leurs postes radios. Et autour de 21 h, il y a eu silence radio. Peu après, nous avons entendu la voix de Thomas Sankara qui disait : “Peuple voltaïque, le capitaine Thomas Sankara vous parle encore…”

Nous avons jeté nos postes et avons commencé à jubiler jusqu’au petit matin. Trois jours après, Blaise est revenu à Pô avec ses gars et nous l’avons accueilli en héros. Un grand meeting a été organisé afin de féliciter nos hommes pour leur héroïsme. Voilà un peu comment nous avons vécu la chose. Bref, la Révolution a peut-être surpris le reste des Burkinabè mais pas les Pôlais. Peut-être que Pô ne savait pas que le coup s’appellerait Révolution mais le changement ne nous a pas surpris. On a été acteurs et témoins, on s’est vraiment engagés. Que Pô soit considérée comme le bastion de la Révolution n’est donc pas fortuit. Si la population et la jeunesse surtout ne s’étaient pas engagées aux côtés de Sankara et Blaise, les choses ne seraient sans doute pas ainsi. Pô a joué un rôle historique dans la Révolution burkinabè.

Qu’est-ce que la Révolution a pu apporter à Pô ?

Si vous me permettez, je vais reformuler votre question en parlant plutôt de ce qu’on a empêché à la Révolution d’offrir à Pô. Car, qu’est-ce que la Révolution n’aurait pas pu donner à Pô ! En terme d’infrastructures, la Révolution était venue donner à tout le pays et sauf à Pô. Les cités du 4-Août sont un exemple palpable. C’est la première oeuvre infrastructurelle que la Révolution a apportée à toutes les communes. Pô est restée en rade. En 1985, Kadhafi est venu en visite à Pô pendant la Révolution. Il avait été décidé de la construction d’un grand aéroport à Pô. Aujourd’hui, où en est-on avec ce projet ? On a donc empêché la Révolution de donner à Pô. Ce n’est pas la Révolution qui n’a pas voulu donner à Pô.

Propos recueillis par Dayang-ne-Wendé D. SILGA et Nouffou ZONGA

Source : Quotidien le Pays du 4 aout 2009 www.lepays.bf

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