Publié le 11 décembre 2013 sur le site du quotidien Sidwaya sidwaya.bf

Opposant, Sankariste, Secrétaire général du gouvernement sous le régime du Conseil national de la révolution (CNR), ministre en charge de l’Action sociale, puis de l’Intégration dans les années 2000, candidat à l’élection présidentielle de 2005, le fondateur du Mouvement pour la tolérance et le progrès (MTP), Nayabtigoungou Congo Kaboré parle peu ces derniers temps. A la faveur du 53e anniversaire de l’Indépendance, celui qui a côtoyé les quatre chefs historiques de la Révolution et dont la fonction lui permettait d’être dans le secret des grandes décisions, lève le voile sur le changement de nom du pays, Haute-Volta, en Burkina Faso.

Sidwaya (S.) : Dans quelles circonstances la Haute-Volta est devenue Burkina Faso le 4 août 1984 ?

Nayabtigoungou Congo Kaboré (N.C.K.) : On ne peut pas parler d’indépendance sans se souvenir de ce grand homme qui vient de mourir, Nelson Mandela, notre père à tous, parce qu’il a été symbole africain de la lutte des indépendances, la lutte contre la colonisation. Je me souviens que dans le premier gouvernement de Nelson Mandela, après sa libération en 1990, sa femme Winnie, alors ministre, est venue au Burkina Faso sous le Front populaire, pour dire merci au peuple burkinabè, au président Blaise Compaoré, parce que la révolution burkinabè était considérée par le président Mandela. Je présente toutes mes condoléances à la famille Mandela et à tous les révolutionnaires, présents comme passés. Depuis qu’on parle de la célébration des indépendances, on n’a pas expliqué comment notre pays a quitté le nom Haute-Volta pour devenir Burkina Faso. Il y a une personne qui peut le dire, c’est Blaise Compaoré. Mais elle ne le dit pas. C’est grâce à Blaise Compaoré qu’on parle aujourd’hui du Burkina Faso.

S. : Comment le changement de nom s’est déroulé concrètement ?

N.C.K. : Sous la Révolution, les quatre chefs historiques à savoir Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukary Lingani et Henri Zongo se consultaient. Mais surtout, le capitaine Thomas Sankara ne posait pas certains actes en plein conseil des ministres quand Blaise Compaoré était présent, sans se pencher à sa gauche où celui-ci était assis. Toujours à gauche, après le capitaine Compaoré, était assis le commandant Jean-Baptiste Boukary Lingani. Moi j’étais assis à droite avec à la suite, le capitaine Henri Zongo et Ernest Nongma Ouédraogo, le ministre de l’Administration territoriale. Lorsque la question des différentes appellations au niveau des provinces s’était posée, j’ai été mandaté par Blaise Compaoré avec le secrétaire général des Comités de défense de la révolution (CDR), Pierre Ouédraogo, et sous la présidence du ministre de la promotion économique, Henri Zongo, pour y réfléchir. Nous nous sommes enfermés de 7h30 à 19h30 pour essayer de trouver des noms pour les nouvelles provinces qui venaient d’être créées. On était passé de 18 ou 20 provinces à 30. En conseil des ministres, on avait déjà discuté et chacun cherchait un nom. Le SG du gouvernement n’intervenait que sur demande express du président Thomas Sankara. Il y avait différentes propositions avec le PAI de Arba Diallo, Philippe Ouédraogo, Ibrahim Koné, Emmanuel Dadjoari et l’ULC de Basile Guissou, Eugène Dondassé, et Train Raymond Poda, le ministre de la Justice. Alors, j’ai demandé à parler pour proposer qu’avant de donner les noms aux zones déjà définies avec les leurs chefs-lieux, il fallait qu’on voie si historiquement, géographiquement et linguistiquement, la majorité des habitants se reconnaissent.

S. : Quelles sont les propositions de noms de provinces qui ont été faites ?

N.C.K. : Henri Zongo qui est originaire du chef-lieu Boulsa a baptisé la province « Namentenga », et a dit que Koupéla dépend, dans la tradition, de Boulsa donc sa province devait s’appeler « Kouritenga ». Arrivé à Tenkodogo, j’avais déjà un nom sacré, la province de « Kuilbalé », du nom du marigot fétiche de la chefferie de la zone. Mais mon directeur des affaires historiques et contentieuses, Ousmane Lingani, à qui j’avais demandé comment on appelait terre des Bissa (regroupant Garango et Zabré) m’avait suggéré « Bissakou ». Quand j’ai proposé ce nom en conseil des ministres, le commandant Jean Baptiste Boukary Lingani a souligné que les Bissa et les Mossi ont toujours été ensemble et il ne fallait pas créer la séparation. C’est en ce moment que j’ai donné le nom de Boulgou, le nom de la montagne sacrée de Garango que j’avais visité avec l’abbé Emmanuel Gampiné. A Kaya, on a préféré nommé la province Sanmatenga au lieu de « Tansablaga » du nom de la montagne sacrée qui s’y trouve. A Pô, le débat ne se posait pas, puisque les capitaines Thomas Sankara et Blaise Compaoré connaissaient la zone et ont tout naturellement proposé Nahouri, le nom du Pic. A Bobo, il fallait choisir entre Houet et « Dafra ». Les ressortissants on proposé, en majorité, le Houet. A Gaoua où Thomas Sankara avait résidé, il y avait les propositions de Poni, le nom du fleuve, et « Bafudji », le nom d’une montagne sacrée. C’est Train Raymond Poda qui a beaucoup plus milité pour le nom Poni en avançant la légende de la reine Pokou et Adama Touré a appuyé. Concernant Koudougou, comme j’avais fréquenté le collège « Moukassa », j’avais proposé de baptiser cette province « Burkina », du nom d’un quartier de la ville, etc.

S. : Il y a donc eu de vifs débats ?

N.C.K. : On était confronté à plusieurs propositions, en effet. Basile Guissou et Adama Touré proposaient « République du Faso ». C’est ce jour que j’ai su que Basile Guissou avait beaucoup plus vécu à Bobo-Dioulasso. Issa Tiendrébéogo proposait « République du Moogho ». Arba Diallo, l’actuel maire de Dori, proposait « Léédymè » qui voulait certainement dire « le pays des ancêtres » en langue fulfuldé. Je me suis alors penché vers Thomas Sankara pour plaisanter, qu’on ne pouvait pas dire que nous sommes un pays de « femmes, hommes », comme pourraient le penser les anglophones en référence à « Lady, Men ». Il s’est alors penché vers Blaise Compaoré, ils ont causé et tout le monde a ri dans la salle. Il a demandé mon avis et j’ai relevé que pour l’appellation du pays, il faut tenir compte de l’histoire, de la géographie et de la population. Historiquement, on ne peut pas parler du pays sans faire référence au Moogho qui s’étend sur la plus grande partie du territoire et compte plusieurs siècles de civilisation. En plus, la langue mooré était parlée par plus de 60% de la population. Mais donner le nom Moogho allait créer une sorte de ségrégation car il y a d’autres ethnies importantes. Les noms « République du Faso » et « Léédymè » allaient également créer une sorte de ségrégation. Et j’ai dit qu’il faut que l’appellation du pays révèle ce que nous sommes en tant que révolutionnaires. C’est là que Blaise Compaoré m’a interpellé. J’ai demandé comment on définit en langue nationale un révolutionnaire. Tout le monde a cherché. Certains ont dit « Burkina ». Et feu Emmanuel Dadjoari, alors ministre de l’Education nationale a dit que chez eux les Gourmatché, effectivement Burkina signifie un homme d’honneur, un bourgeois, quelqu’un qui se suffit, lui-même. Et Blaise Compaoré a soutenu que c’est alors un homme intègre. C’est là que Thomas Sankara a posé la question à Blaise Compaoré qui a affirmé que c’est ce nom qu’il faut prendre. C’est Blaise Compaoré qui a donc décidé de nommer le pays, Burkina qui définit un homme d’honneur qui défend sa famille et sa patrie, un révolutionnaire.

S. : Cette décision n’a-t-elle pas créé des frustrations ?

N.C.K. : Il faut reconnaître que certaines personnes étaient frustrées, parce que leurs propositions n’avaient pas été prises en compte. C’est ainsi que lorsque nous sommes revenus d’une visite officielle en Roumanie avant la première célébration de l’avènement de la révolution, le 4 août 1984, Thomas Sankara a trouvé une solution pour contenter les dioulaphones de l’Ouest avec le nom « Faso » qui signifie « patrie, terre des ancêtres ». Il a aussi contenté les peuls de l’ensemble sahélien, en ajoutant le suffixe « bè » qui veut dire en fulfuldé « habitants de », à Burkina, pour former Burkinabè qui est invariable, ce qui satisfait le groupe de Arba Diallo. L’astuce a donc été trouvée pour prendre en compte les trois grandes régions du pays. Il faut reconnaître aussi que c’est Arba Diallo, lui-même, qui avait proposé Séno pour nommer la province du chef-lieu de Dori, et Soum pour la province du chef-lieu de Djibo. Pour Sebba, c’est feu Boubacar Hama, alors ministre du Commerce, qui a proposé de nommer la province Yagha. Il fallait donc enlever le nom Burkina à la province du chef-lieu de Koudougou pour rebaptiser le pays. J’ai alors proposé Boulkiemdé pour la province. C’est le nom du fleuve sacré qui traverse le quartier Burkina de la ville. Ouagadougou avait d’abord comme nom de province, Oubritenga parce que c’était la contrée de Naaba Oubri. J’ai proposé Kadiogo du nom de la rivière où le Moogho Naaba faisait des sacrifices, un nettoyage annuel, « pour enlever tout ce qui est mauvais pour son pays », en mooré « Kaag-yooko ». On a alors baptisé la province du chef-lieu de Ziniaré, Oubritenga. Le débat ne se posait plus, puisque c’est là-bas qu’est enterré Naaba Oubri.

S. : Burkina Faso est donc un nom entier ?

N.C.K. : Les chefs historiques de la révolution se sont concertés et ont voulu éviter les tiraillements. C’est ainsi qu’ils ont décidé que le nom du pays n’était pas simplement Burkina, ni encore Faso, mais le nom était Burkina Faso, « patrie, terre des hommes Intègres », Blaise Compaoré peut le témoigner. Aujourd’hui, des gens emploient les diminutifs Burkina ou Faso pour désigner le pays, sans que cela ne dérange quelqu’un. Mais le nom du pays est Burkina Faso.

S. : Quelle analyse faites-vous de la célébration tournante de la fête nationale dans les régions ?

N.C.K. : Dans nos traditions, des responsables coutumiers et religieux des différentes régions célèbrent chaque année des fêtes. En outre, des pays comme la France célèbrent depuis longtemps sa fête nationale le 14 juillet, et les Etats-Unis, le 4 juillet. Il était aussi juste que nous ayons notre 11-décembre. C’est une question d’unité nationale et la célébration tournante est une très bonne chose. Car, elle permet le développement des villes choisies à travers des milliards de FCFA d’investissements de l’Etat. Les fils de la localité contribuent également à travers la construction de villas et d’autres réalisations. C’est pourquoi à l’époque, nous avons fait en sorte que les différentes appellations des provinces permettent aux ressortissants de s’y attacher. Je ne calcule pas la célébration en coût de milliards, mais je dis que dans le principe, on doit le faire.

S. : Certains parlent de « gens de Ouagadougou » qui viennent faire la fête et repartent

N.C.K. : Je ne vois pas les choses ainsi. Je vois plutôt ce que gagne la région hôte en termes d’investissements tels que les infrastructures, les routes et en termes de rassemblement des fils de la zone. Il y a eu un moment dans la révolution où nous critiquions le président ivoirien, Félix Houphouët Boigny qui, chaque fois qu’il nommait un ministre, lui allouait des fonds pour construire une résidence digne de recevoir le président. Le ministre était obligé de construire et ne pouvait pas détourner ces fonds car il ne savait pas quand est-ce que le président pouvait le surprendre. Houphouët ne partait pas, mais les villageois savaient qu’il y avait une maison digne de recevoir une personnalité de marque. Je pense que c’est dans ce sens que la célébration tournante de la fête nationale au Burkina Faso est une très bonne initiative.

S. : Que vous inspire le thème, « civisme et cohésion sociale, fondamentaux d’un développement durable » ?

N.C.K. : Chacun de nous souhaite la paix. Lorsque nous voyons ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger, ce qui se passe actuellement en Centrafrique, nous savourons la paix dans notre pays. Pour conforter cette paix, il faut qu’il y ait de l’espoir pour tout le monde. C’est quand il n’y a pas d’espoir pour quelqu’un qui a tout perdu et n’a plus rien à gagner qu’il est capable du pire. Il faut que cette paix que nous voulions pour les riches, pour les anciens soit aussi pour les pauvres et les jeunes. Si les jeunes n’ont pas leur intérêt, c’est eux qui peuvent troubler l’ordre public. Ceux qui sont dans la misère peuvent s’en prendre aux riches. Il faut beaucoup plus de justice sociale pour garantir la paix.

S. : Avez-vous quelque chose sur le cœur ?

N.C.K. : Il y a des actes qui ont été posés après le 15 octobre 1987. Quand j’observe le président Blaise Compaoré et ses actes, je sais qui il est. Blaise Compaoré est un homme de principes. Si tu jures avec lui sur quelque chose, il ne faut y déroger. Même s’il y a le feu ou le déluge, il te restera solidaire. Mais, si tu le trahis, il va te traquer jusqu’à tes derniers retranchements. C’est pour dire que quand on est chef, il faut avoir des principes, et c’est ce qu’il est. Ils sont deux et parlent peu, lui et le général Gilbert Diendéré. Ce sont des personnes qui ont le sens de l’honneur et le sens de la parole donnée. J’ai travaillé particulièrement avec les quatre chefs historiques depuis le début de la Révolution en 1983 jusqu’au 15 octobre 1987. Je m’étais fais une idée, rester équidistant d’eux, si bien que quand les quatre ne s’entendaient pas et qu’il y avait deux camps, ils m’appelaient pour les départager. Je sais de quoi je parle, mais tout ne peut pas se dire. Ils ont eu confiance en moi et je ne me suis jamais mêlé de leurs affaires personnelles ou privées. Les Sankaristes doivent mettre de l’eau dans leur vin sur certains points par rapport à Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Ils ne connaissent pas Sankara mieux que Blaise Compaoré. Il faut apporter un témoignage qui permette à ceux qui peuvent démentir de le faire pendant qu’ils sont toujours là. Si vous vous taisez, pour parler après leur départ, vous devenez un menteur potentiel puisque vous n’aurez pas de contradicteurs.

Interview réalisée par Bachirou NANA

Source : www.sidwaya.bf

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