L’interview que nous publions ci-dessous, importante dans la mesure où elle est longue et aborde de nombreux sujets, est le fruit d’une collaboration engagée déjà depuis quelque temps avec le groupe Archives Burkina de facebook (voir https://www.facebook.com/groups/2500194143638843). Elle consiste notamment à échanger des documents sur la Révolution burkinabé ou parfois des tuyaux de toute sorte.

Notre site n’avait publié qu’un extrait de cette interview dès septembre 2005, mais très court faute d’avoir pu récupérer le journal Ivoire Dimanche du 5 juillet 1987 d’où elle était issue. Pathé Tidiane du groupe archives Burkina a réussi a récupérer récemment d’autres passages de cette interview qu’il a retranscrits. Et l’équipe du site a fini par mettre la main sur toutes les photos des pages d’Ivoire dimanche consacrés à cette interview. Ilas Ouedraogo et Rasmané Denné, de l’équipe du site, ont procédé à la retranscription des derniers passages manquants et remis en forme l’intégrale de l’interview que nous pouvons désormais vous restituer dans son intégralité.

La rédaction


Thomas Sankara, le président qui respecte les feux rouges

Le 14 juin. lorsque j’accède au bureau du capitaine Thomas Sankara. le doute m’envahit. J’ai des doutes à cause de l’état des lieux: le petit salon où il nous reçoit est en bambou sans vernis. Un petit abat-jour, également en bambou est blotti dans un coin. Les rideaux
sont en cotonnade épaisse, de même que le revêtement du dossier des fauteuils. Je doute un peu de l’identité de interlocuteur lorsqu’il m’interpelle de son bureau en bois laqué : “Asseyez-vous, j’ arrive tout de suite ». S’asseoir, mais où et comment? Le confrère de l’équipe _ membre de l’équipe de la presse présidentielle _ qui assure, pour la circonstance le protocole m’invite à prendre place n’importe où. Je doute également que le Chef de l’État burkinabé aura vraiment le temps de répondre aux trente questions que j’ai inscrites sur
mon bloc-notes.
II arrive… Et le doute cède la place au trac. On n’a pas le privilège d’interviewer un Chef d’État tous les jours de semaine. Je règle donc ma voix sur la gamme officielle. Elle tremblote. Je suis le sur que le PF (Président du Faso} se dit intérieurement : “Pourquoi tremble-t-il ?” car à l’allure et, peut-être, en réalité, je fais un peu plus “ancien” que lui (pour employer un terme à la mode à Ouagadougou).
Après le premier round, je suis largement mené aux points… A la vérité, au jeu de l’éloquence, l’interlocuteur est nettement plus “balèze» que moi. Il a un débit rapide, Possède l’esprit d’à propos. A la répartie facile. Manie l’humour avec aisance. A du souffle à revendre.
Cavale du “je» au “nous” sans répit.
Son langage est parfois Vert, parfois rouge. Souvent, plus vert que rouge. Donc, changement tactique : je mise maintenant sur la causticité des question. J’attends secrètement le moment où il dira : “Mais quelles sont ces questions impertinentes, je refuse de parler… Sortez de mon bureau”. Mais l’homme ne se départit pas de sa sérénité. Il sourit. Rit S’esclaffa même. Me prend à témoin. Me tape sur les genoux pour me convaincre. Attention  il ne faut pas se laisser emballer par ce discours trop raide; trop clair, trop direct. Qui est aux antipodes des discours politiques sinueux, ambigus ou ambivalents. Avec plus de non-dit que de dit.
Je trouve la parade en me disant : “Après tout, tous les hommes politiques parlent la même langue, la langue d’Oesope“..
Au bout d’une heure et demie, je tousse un peu. L’air frais du climatiseur m’arrive directement dans le dos. Le PF appelle le confrère de la presse présidentielle : “Allez éteindre le climatiseur ! C’est interdit, en principe. Je l’avais allumé juste pour vous faire plaisir“. Que d’honneur !
Le PF est obligé de se lever lui-même parce que le confrère n’arrive pas à trouver le bouton. Il est habillé d’une tunique en “faso dan fani” surélevé d’un tee-shirt Lacoste. La paire de “boot” marron est bien cirée. Le pantalon bleu en coton est un peu froissé. Le capitaine porte chevelure courte et est fraichement rasé. C’est ça le sens du métier. Il écrase la distance qui nous sépare du climatiseur en deux foulées. Ce n’est pas un record. Il fait mieux habituellement, en bon sportif polyvalent :  footballeur, handballeur, jogger, yogi… Son physique d’athlète est là pour le confirmer.
14 heures précises. Toutes les questions sont épuisées. Je sors du bureau en compagnie du PF. Les gardes “claquent” dans l’allée. Quelques minutes après, il saute dans une Land Rover verte. Nous le suivons à une distance respectable. II s’arrête au premier feu rouge comme tout le monde. Tiens Ça me surprend. Il a un penchant pour le rouge. Révolution oblige.
D. Bailly


M. Thomas Sankara, le Chef de l’Etat burkinabè, nous a reçu le 14 juin, dans son Palais de la Présidence du Faso. Pendant deux heures d’horloge, de 12 heures à 14 heures,le PF (comme on l’appelle chez lui) a répondu, sans se dérober à toutes les questions que nous brulions de lui poser.

T.S. : Et Moussa (le chroniqueur d’I.D.) ? Il n’est pas venu ?

I.D. : Non, camarade président.

T.S. : Il n’a pas reçu d’ordre de mission ?

I.D. : Il était occupé, camarade président.

T.S. : Dommage, j’aurais aimé le connaitre.

I.D. : Ce n’est que partie remise.

T.S. : Alors, je vous écoute…

I.D. : Buvez-vous ? Fumez-vous ?

T.S.  : Je ne fume pas Je bois de l’eau et du lait.

I.D. : Pas d’alcool ?

T.S. : Jamais d’alcool.

I.D. : Par principe révolutionnaire ou par dépit ?

T.S. : J’ai cessé de boire l’alcool à l’âge de huit ans Depuis cet âge, j’ai pris la décision et je l’ai tenue Je ne m’en porte pas moins bien pour autant.

I.D. : Déjà très tôt, vous vous été imposé des contraintes pour des lendemains…

T.S. : (rires)… Oui, je me suis imposé des contraintes assez tôt. Et comme l’habitude est une seconde nature, je n’arrive plus à comprendre ceux qui courent après l’alcool. Peut-être qu’ils ne me comprennent pas, eux non plus.

Interview Ivoire Dimanche
Interview Ivoire Dimanche

I.D. : Comment situez-vous la révolution burkinabè dans l’immense panoplie des courants révolutionnaires existant à travers le monde ?

 T.S. : La révolution est une composante du mouvement de l’humanité vers la transformation. Ce qui est une exigence scientifique et historique. Mais la révolution burkinabè tient aussi d’une variante de ce mouvement, avec ses spécificités et ses nuances.

Car il faut dire tout de suite que la révolution burkinabè n’est la copie d’aucune autre révolution. Certes, nous appliquons les principes scientifiques qui régissent toutes les révolutions. Mais la révolution burkinabè n’est pas la réplique des autres révolutions.

(Et) les révolutions à venir ne seront pas la copie de la burkinabè. Lénine disait : « Chacun ira à la révolution par la voie qui lui est appropriée ». Nous sommes dans la révolution par la voie qui est mieux adaptée à notre environnement et à notre sociologie.

I.D. : Diverses expériences politiques montrent çà et là en Afrique, que la voie militaire n’est pas une panacée. En quoi la révolution burkinabè se distingue t’elle des autres révolutions militaires.

T.S: Je suis d’accord avec ceux qui disent que le pouvoir militaire n’est pas une panacée. En effet, la tentation est facile, lorsqu’il y a un chaos social, de recourir à l’armée comme seul milieu ou le salut national peut encore être perçu comme une exigence et une nécessité de lutte.

Ce n’est pas mauvais qu’il puisse exister un corps de cette nature. Mais nous ne considérons pas que l’armée puisse être la solution par excellence. Car l’armée sans le peuple n’est pas l’armée.

Et l’armée avec le peuple n’est pas l’armée si elle se cantonne dans l’ostracisme ou dans un milieu isolé. Il faut que les murs des casernes tombent…

Il faut que les militaires découvrent que l’ordre social qu’on demande de protéger est un ordre qui les réprime ou réprime le peuple. Nous disons qu’un militaire sans formation politique et idéologique est un criminel en puissance, à la merci du pouvoir oppressif en place.

Le pouvoir burkinabè n’est pas un pouvoir militaire. On rencontre autant de civils que de militaires dans le gouvernement. Et les militaires qui sont dans le gouvernement se considèrent d’abord comme éléments du peuple. Le peuple a défini son ennemi à l’intérieur comme à l‘extérieur du Burkina Faso : C’est l’impérialisme. C’est contre lui qu’il faut lutter. Dans cette lutte, c’est la position de chacun qui importe. Si vous êtes dans le camp du peuple, peu importe la tenue que vous portez et le milieu professionnel auquel vous appartenez. Il en est de même si vous êtes contre le peuple.

Au demeurant, le pouvoir burkinabè n’est pas un pouvoir militaire.

C’est un pouvoir révolutionnaire qui fait appel à des hommes de tous les milieux. II ne prend pour seul critère que la position par rapport au peuple et la position de classe.

I.D. : A priori, un coup d’État militaire apparait comme une procuration arrachée au peuple. C’est comme si le gardien de votre maison se tournait un jour vers vous et vous intimait l’ordre d’abandonner votre domicile à son profit, au nom d’une certaine « révolution ».

T.S. : Nous ne sommes pas dans un coup d’État militaire au Burkina Faso dans le sens d’une conspiration de quelques militaires gradés qui se rebellent, prennent les armes et renversent le pouvoir constitutionnel en place.

Ici nous vivions une situation de crise qui durait depuis un mois. Il a fallu alors choisir son camp. D’un côté, le pouvoir en place avec ses alliés et militaires. De l’autre, tous ceux (civils et militaires qui étaient contre ce pouvoir.)

Évidemment, dans une épreuve de force de ce genre, on a besoin d’armes. Et l’action militaire joue un rôle important. Cette action militaire est généralement plus aisée pour les militaires dans la mesure où elle relève de leur profession.

Mais par-dessus tout, ‘est la position vis à vis du peuple et la position de classe qui importaient. Du reste, les militaires qui sont rentrés à Ouagadougou pour prendre le pouvoir n’étaient pas plus nombreux.

Alors, s’il ne s’était agi qu’une simple question de rapport de force militaire, ils auraient té perdants. En réalité, le peuple s’est mobilisé spontanément avant que les militaires n’arrivent.

Ce n’était donc pas un coup d’État militaire. Nous avons arraché le pouvoir au régime en place, malgré l’aide de ses alliés nationaux et étrangers. Car, nous étions menacés d’invasion par d’autres armées, d’autres pouvoirs.

I.D. : D’autres armées, d’autres pouvoirs. Pouvez-vous être plus précis ?

T.S. : Juste après le 17 mai 1983, lorsque certains camarades ont été arrêtés et emprisonnés, le pouvoir en place a fait appel à des régimes autour de nous. Même le Secrétaire général de l’ANAD (Accord de Non-Agression et de Défense des pays de la CEAO et du Togo) est venu ici, à plusieurs reprises.

Nous savons aussi que des puissances extra-africaines ont été impliquées pour lutter contre la « menace libyenne ». Naturellement, présentée sous cet angle, la chose paraissait acceptable, parce que personne (Burkinabè ou non) ne pourra jamais admettre que son pays soit envahi par un autre.

Donc, dès qu’on a cité la Libye, il y a eu des réactions subjectives, compréhensibles du reste… Mais à la vérité, nous avons découvert des plans qui impliquaient des États voisins.

Il y était prévu d’envahir la base de Po, de neutraliser certains éléments et d’en éliminer d’autres…

I.D. : Revenons à la révolution. Peut-on vraiment être révolutionnaire dans un pays aussi que le vôtre ?

T.S. : Oui, surtout dans un pays aussi pauvre que le mien

I.D. : Or, certains penseurs disent que la révolution dans les pays pauvres, notamment Africains, sera alimentaire ou elle ne sera pas. Qu’en pensez-vous ?

T.S. : Ce sont des visions sentimentalistes de la révolutionnaire n’est pas qu’alimentaire car qu’est-ce que l’aliment ? C’est le produit d’un travail…

Nous n’arrivons à produire suffisamment pour nous nourrir parce que nos terres de plus en plus pauvre n’arrive à être régénérer et parce que nous ne sommes pas bien organisés. Pour bien nous organiser, nous devons lutter contre les règles qui régissent la vie aujourd’hui ; nous devons briser le carcan des méthodes archaïques pour acquérir la bonne technologie et toutes les méthodes modernes…Regardez le coton chez nous, le café et le cacao chez vous : des milliards ont été consacrés à l’étude ces produits parce qu’ils sont exportés. En revanche, la banane, le manioc et le riz n’ont jamais fait l’objet d’autant d’attentions, parce qu’ils n’intéressent pas les autres…

Est-ce que le producteur ivoirien de maïs est aussi assuré d’écouler son produit que le sont les éleveurs Hollandais de vache ou les producteurs Français de blé ? Donc, que l’on commence la révolution par le côté alimentaire ou par autre chose, dans tous les cas, l’essentiel est qu’il faut poser les problèmes des rapports entre les éléments de la société. A qui profitent telle ou telle politique

I.D. : Vous parlez de peuple, de rapport de force entre les éléments de la société. Pourtant, les syndicats contestent de plus en plus votre régime. A preuve, la récente arrestation de M. Soumane Touré, secrétaire général de la confédération syndicale burkinabè. Vous savez, par ailleurs, que, dans le passé, les syndicats ont constitué un pouvoir réel au Burkina Faso.

T.S. : Les syndicats ont constitué, de par le passé, un pouvoir réel. C’est vrai. J’en sais quelque chose parce que… (Il n’achève pas sa phrase).

Mais, pour nous, il s’agit de savoir réellement qui conteste le pouvoir. Nous faisons une claire distinction entre des éléments d’une direction syndicale qui peuvent s’opposer au pouvoir et le reste des travailleurs.

Ceux qui contestent le pouvoir, ce sont quelques dirigeants. Je dis bien : quelques dirigeants. Bien sûr, je les comprends parce que, dans la situation actuelle, dans le développement des mouvements révolutionnaire en Afrique, nous allons avoir essentiellement la petite bourgeoisie intellectuelle comme élément animateur de nos révolutions… Or, il faut que les intérêts de cette petite bourgeoisie concordent avec ceux du peuple. Il y a ceux (des petits bourgeois Intellectuels) qui acceptent de se mettre à la même vitesse que le peuple, il y a ceux qui refusent de changer…

Ainsi donc, avant longtemps, vous verrez de jeunes intellectuels tenir des propos engagés (ils ne sont pas forcément démagogues parce qu’ils peuvent être sincères dans leurs propos) mais ils ne comprennent pas jusqu’où peut porter l’exigence de la transformation…

Ici, au Burkina, quand quelques personnes engagent une grève pour l’augmentation de leur salaire, nous admettons la sincérité de ces personnes qui parlent même au nom du peuple. Mais ces personnes oublient que les salaires de 300.000 F CFA que quelques-uns touchent, représentent le salaire de 200 à 700 personnes au maximum. Le reste du peuple au nom duquel ils prétendent parler, n’arrive pas à réunir dans l’année 25.000 F… Alors, augmenter de 25.000 F CFA un salaire de 300.000 F, une telle exigence ne peut pas représenter un combat légitime pour le reste du peuple.

Touré Soumane est un syndicaliste bien connu dans notre pays. Je la connais personnellement mais j’éviterai, ici, de dire tout ce que j’ai eu à faire pour lui depuis qu’il va en prison…

I.D. : Ce n’est donc pas la première fois ?

  1. S. : Cela fait longtemps qu’il va en prison. Et chaque fois, il en est sorti grâce à moi…

Si Touré Soumane avait aussi raison que cela, pourquoi le peuple ne s’est-il pas soulevé pour le soutenir ?… Les syndicalistes auraient dû organiser une grève… Enfin, il ne faut pas s’inquiéter, il y a des individus qui se mettent en travers de la révolution et la révolution s’occupe d’eux. C’est tout.

I.D. : Et les Intellectuels, les cadres qui fuient le Burkina Faso ? Le HCR (le Haut-Commissariat des Réfugié) en a dénombrés un certain nombre.

T.S. : C’est normal qu’ils fuient. Je suis officiers : je gagnais un certain salaire dans l’armée d’avant ; j’ai perdu ce salaire à cause de la révolution ; et si je n’étais pas engagé dans la révolution, moi aussi j’allais fuir. Je sais que, grâce à ce que je perds aujourd’hui, à ce que d’autres camarades perdent, nous avons construit 7500 postes de santé primaire pour les paysans ; Nous avons plus de 12000 classes ; le taux de scolarisation est passé de 10 à 20% ; nous avons construit des routes, des barrages, des logements, etc. Il y a donc un choix à faire : ou bien on continue de consacrer plus de 60% du budget 25000 fonctionnaires (c’est de 0,3% de la population), on bien on décide de regarder le reste de la masse…

Il appartient du gouvernement de savoir pour qui il travaille. Les gens fuient parce que le pays leur impose de nouvelles conditions de vie auxquelles ils ne sont pas habitués. Je le comprends, mais qu’ils comprennent aussi que nous avons choisi de servir le peuple.

Par ailleurs, je reconnais que le HCR fait œuvre utile en les aidant. Mais je lui demande aussi de considérer les gens qui souffrent et les enfants squelettiques au ventre ballonnés dont on nous montre des photos partout et qui sont des millions ici. Il faut qu’un pouvoir s’occupe enfin d’eux.

Quand on demande à ceux qui mangent du pain et du beurre, de perdre le beurre afin que d’autres aient au moins quelques croutes (de pain), je ne vois pas comment ce combat eut être critiquable.

I.D. : Vous avez purgé la fonction publique d’un certain nombre de cadres (ingénieurs, magistrats, etc.). Cette saignée ne peut-elle pas être préjudiciable à la bonne marche de la révolution, lorsqu’on sait que dans les pays en développement, les cadres compétents et qualifiés ne sont pas légion.

T.S. : Que préférez-vous ? Un cadre nanti de grands diplômes qui ne sert pas le peuple ou un cadre aux compétences techniques limitées mais qui est dévoué aux peuples ? Un cadre qui n’est pas dévoué à son peuple est un cadre inutile, sinon nuisible…Il ne faut pas avoir le culte du diplôme parce que le diplôme tout seul ne peut rien faire…

Le diplôme ne doit pas être une décoration qui élève celui qui l’a acquis au niveau du ciel.

Ce n’est pas un mépris des intellectuels. Bien au contraire, nous avons besoin des intellectuels.

Mais nous ne voulons pas de mauvais intellectuels, c’est-à-dire ceux qui ne pensent qu’à eux, ceux qui refusent d’aller dans leurs villages parce qu’ils ont honte de leurs parents…

Un intellectuel qui ne connait pas les réalités de son pays et qui connait mieux la vie de New York, à Paris, à Londres…qu’à Bouaflé ou je ne sais quel village Ivoirien, cet intellectuel-là est inutile, voire dangereux. C’est un assistant technique qui travaille seulement dans son pays, alors que son esprit se trouve ailleurs…

I.D. : Votre désir de voir le pouvoir le pouvoir descendre jusqu’à la base vous a amener à créer le CNR (Comités de Défense de la Révolution) omnipotent et omniprésents. La concentration du pouvoir entre les mains des CDR ne risque-t-elle pas, à terme, de nuire, par des exactions, à l’image de la révolution, voire de déborder-si ce n’est se saborder le pouvoir central ?

T.S. : Les CNR ne sont pas omnipotents. D’ailleurs, nous en avons sanctionnés pas mal…C’est vrai que les CNR exercent le pouvoir populaire. Il existe un fossé profond entre ceux qui sont habitués ils malheureusement très nombreux à la concentration du pouvoir entre les mains des gens désignés par les élections, le coup d’État…et ceux qui sont habitués au pouvoir populaire…

Au Burkina Faso, les gens commencent à s’habituer au pouvoir populaire. Celui-ci à ses règlent qui choquent, parce qu’elles sont nouvelles. Mais sans les CDR, nous n’aurions jamais pu faire ce que nous avons fait. Partout où il y aura la révolution, il y aura un pouvoir populaire qu’on appelle CDR ici ou ailleurs.

I.D. : Plus d’un million du Burkinabè vivent en Côte d’Ivoire. Les considérez-vous comme une armée au service de la révolution.

T.S. : Non et non. Je les considère comme les burkinabè qui, s’ils sont suffisamment imprégnés des idéaux de la révolution, pourront bien la servir. Bien servir la révolution, c’est servir la Burkina Faso en respectant la Cote d’Ivoire et les Ivoiriens. Servir la révolution, c’est montrer aux Ivoiriens que la révolution c’est l’amour entre les peuples du monde entier. Ainsi donc, nos compatriotes qui sont en Côte d’Ivoire doivent s’engager à la bâtir en se disant qu’ils servent un peuple éternel. Le peuple Ivoirien, traversera la nuit des temps.

I.D. : Dans la région ouest-Africaine quel est le chef d’État que vous admirez le plus ?

T.S. : …Je voudrais vous demander de ne pas répondre parce que je ne voudrais pas classer les chefs d’État. D’ailleurs, mon appréciation subjective n’est pas importante. Le fait que j’admire un chef d’Etat n’a aucune espèce d’importance. Qu’est-ce que son peuple pense de lui ? Qu’est-ce que mon peuple pense de lui ? C’est le plus important. Si mon peuple pense que tel ou tel chef d’Etat est bien, cela doit s’imposer à moi.

I.D. : Où en êtes-vous avec la politique d’intégration entre le Burkina Faso et le Ghana de Jerry Rawlings ?

T.S. : Notre politique d’intégration avance à grands pas. Elle est entrain de surmonter les difficultés les plus évidentes : le problème de la langue, le problème des structures, le problème économique, etc.

Nous découvrons aussi des nouvelles difficultés qui seront vaincues. Nous avons des textes qui sont en préparation.

Mais le plus important est que Burkinabè et Ghanéens aient conscience qu’il faut cette intégration.

Ce n’est pas une affaire entre deux personnes…

I.D. : comment justifiez-vous votre récente décision de protéger le marché Burkinabè contre les denrées en provenance des provenances des pays limitrophes ? Ce qui semble, à priori, contraire à l’esprit de la CEAO (communauté économique de l’Afrique de l’Ouest).

T.S. 🙁Rires) …Mon approche ressemble à celle des autres.

I.D. : C’est-à-dire.

T.S. : C’est-à-dire que je protège le marché Burkinabè, comme les autres protègent leurs marchés. Convaincu que nous pouvons conquérir le marché des autres…nous devons au moins organiser notre propre marché. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes contre les produits des autres. Nous voulons simplement que les Burkinabè vivent de leurs propres moyens. En effet, les produits qui viennent de la Cote d’Ivoire sont très appréciés des Burkinabè. Personnellement, je les apprécie beaucoup. Mais est ce que la majorité des Burkinabè ont les moyens de se les procurer Non. Alors, si la Cote d’Ivoire est prête à baisser les prix de ses produits pour qu’ils soient à la portée de tous les Burkinabè alors, je n’y vois aucun inconvénient. Mais je sais par ailleurs, que la Cote d’Ivoire ne peut le faire parce que les producteurs ont dépensé beaucoup d’argent pour arriver à ces résultats et ils veulent en gagner plus pour recommencer. Ils sont obligés de les vendre à des prix auxquels seuls les nantis Burkinabè peuvent accéder…

Dans ces conditions, il vaut mieux que nous mettions les Burkinabè sur le même pied d’égalité. C’est pourquoi nous avons pris cette décision, en attendant de voir nos moyens s’accroitre.

Mais si la Côte d’Ivoire produit de la banane, des ananas et d’autres produits qui intéressent les Burkinabè, pourquoi la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ne s’entendraient-ils pas pour ne consommer que les fruits produits par eux-mêmes ? Pourquoi la Côte d’Ivoire n’accepterait-elle pas la viande du Burkina Faso, rien que la viande du Burkina Faso pour que, nous aussi, nous n’achetions rien que des produits venant de la Côte d’Ivoire ? Vous êtes habitués en costume…

I.D. : C’est parce que je venais vous voir…

T.S. : Merci pour cette marque de courtoisie…Mais ce tissu que vous portez n’est pas fabriqué en Côte d’Ivoire… Le président Houphouët a eu raison de se lever contre les prix bas des matières premières. Mais si les gens ne veulent plus acheter nous matières premières, consommons-les. Si la Cote d’Ivoire ne décidais de ne porter rien que la cotonnade Burkinabè, je serais d’accord pour ne consommer que le café ou le cacao venant de Côte d’Ivoire. Ce serait bien non ? Qu’en pensez-vous ?

I.D. : Ce serait bien, peut-être.

T.S. : (Rire)…Malheureusement, ce sont les produits non-ivoirien et non-Burkinabè qui nous gênent…

Vous avez assez de moyens en Côte d’Ivoire pour faire une chaine de montage de véhicule. Et si tous les Africains se mettaient d’accord pour n’acheter que les voitures fabriquées en Côte d’Ivoire, cela donnerait beaucoup d’emplois aux ivoiriens…Combien de tonne de fromage importez-vous en Côte d’Ivoire par an ? Nous pouvons produire ces fromages ici, au Burkina Faso, avec du lait…

Vous produisez du champagne d’ananas… C’est excellent, je félicite les ivoiriens qui ont eu cette idée. Mais si tous les Africains décidaient de n’acheter que le champagne Ivoirien, les autres fabricants de champagne ne le permettraient jamais… Entendons-nous, consommons nos produits entre nous et vous verrez que les choses iront très bien.

I.D. : Vous venez de rompre un long bail avec la Côte d’Ivoire au niveau de la RAN (Régie Abidjan-Niger). On vous accuse aussi de jouer le trouble fait à l’intérieur d’air Afrique. Quelle est, finalement, votre conception de la communication inter-Etats qui, à notre avis, est aussi un facteur de développement ?

T.S. : Ah, non… Je n’ai pas rompu le bail avec la Cote d’Ivoire. Au contraire, c’est la Côte d’Ivoire qui m’a envoyé un ministre pour m’annoncer la séparation. C’est la Côte d’Ivoire qui a pris l’initiative ; donc, nous ne pouvions pas refuser. Bien au contraire, nous avons toujours souhaité que la RAN existe (sous son ancienne forme) … En outre, au niveau d’Air Afrique, nous ne troublons rien.

I.D. : Et pourtant, vous avez accepté l’installation du Point-Mulhouse à Ouagadougou. Et, au dernier sommet de Niamey(Niger) il semble que vous étiez le seul à vous être opposé à la décision des autres chefs d’État de confier à la Côte d’Ivoire la mission de sauver la multinationale.

T.S. : (Rires, rires). Combien d’États y va-t-il dans Air Afrique ?

I.D. : C’est une colle, camarade président ?

T.S. : D’accord… mais si vous faites le compte, vous verrez…avec le Point – Air, Ouaga-Paris coute moins cher que Ouaga-Dakar (par Air Afrique), Est-ce normal ? Par quel moyen le Point-Air arrive-t-il à faire en sorte que le voyage par avion coute moins cher ? C’est par une volonté de démocratisation. Bien sûr qu’il défend aussi ses intérêts…

Combien de fois Air Afrique a-t-elle cassé les prix à cause du Point-Air ? Cela ne vous plait-il pas de voyager vite et moins cher nous souhaitons que Ouaga-Paris, par avion, revienne au même prix qu’un taxi Plateau-Vridi. Nous préférons les avions gbaca, pourvu qu’ils soient sécurisants et arrivent à l’heure.

Et puis le Burkina Faso est très mal desservi, combien de compagnies avons-nous ici ? A Abidjan, vous avez raison de ne pas vous plaindre parce que vous avez beaucoup de compagnies. D’ici, pour aller à Paris, nous sommes souvent obligés d‘aller prendre l’avion à Abidjan… Il faut donc que quelqu’un nous résolve ce problème. Vous ne connaissez pas le problème de l’enclavement. Vous le connaissiez, je suis sûr que vous feriez comme nous, sinon pire que nous …

Cependant, si Air-Afrique est d’accord pour qu’il ait tous les jours un vol à partir de Ouaga vers toutes les destinations pour baisser ses prix, tant mieux. Au Burkina Faso, les ministres ne voyagent qu’une classe économique. C’est n’est pas parce que nous ignorons l’existence de la première classe dans les avions, mais nous n’en avons pas les moyens. Alors, si nous trouvons une classe plus économique que la classe économique d’Air-Afrique, nous la prenons. Nous faisons voyager nos ministres par le Point-Air parce qu’il est plus économique.  Moi-même, je l’ai déjà pris pour aller à Addis Abeba. C’est vraiment économique pour notre pays qui pauvre.

I.D. : Vous avez des rapports privilégiés avec le chef de l’État Libyen. Quel est votre apport dans le processus de réconciliation qui s’amorce au Tchad ?

T.S. : Le problème du Tchad me peine beaucoup en tant qu’Africain et en tant qu’homme, tout simplement. Je suis vraiment peiné de savoir qu’un pays Africains a des problèmes. Ensuite, lorsqu’un foyer de tension nait quelque part, il y’a toujours des risques qu’il se propage pour embrasser toute la région. Si on peut donc l’arrêter, il le faire vite.

Nous avons estimé qu’il était de notre devoir, vu les rapports que nous avons avec Kadhafi, de lui tenir un certains langages. Je vous demande comprendre que ne veuille pas trop m’entendre sur ce que j’ai eu à lui dire. Il faut simplement savoir que, si nos relations avec Kadhafi peuvent être utiles à l’Afrique, nous n’hésiterons jamais à les exploiter. C’est ce que nous avons essayé de faire. Nous avons profité de la présence ici (à Ouagadougou) de Goukouni Weddeye et d’Acheik ibn Oumar pour parler aux dirigeants actuels du Tchad. Contrairement à ce qui se dit dans la presse, nous n’avons pas essayé de réconcilier Goukouni et Acheik… Notre objectif a été de rassurer les autorités Tchadiennes et Libyennes. Sur ce point, nous avons été très satisfaits. Malheureusement, ce sont des choses qu’il ne faut pas clamer sur les toits…Et comme notre but n’était pas d’œuvrer

Ivoire Dimanche N°856 du 5 juillet 1987

I.D. : L’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) est en panne. Quels sont vos commentaires ?

T.S. : Où est la panne ?

I.D. : Les États ne paient plus leurs contributions Le règlement du conflit tchadien a échappé à l’OUA Le plan d’action de Lagos est resté enfermé dans les tiroirs.

T.S. : Je ne sais pas si l’OUA marchait mieux avant. Je ne le crois pas. Nous sommes donc en face d’une panne continue. Elle le restera tant que ne sera pas résolu le problème de l’unité.

I.D. : comment le résoudre ?

T.S. : Il faut que nous parlions le même langage. Il faut que nous sachions que les peuples africains ont besoin de cette unité. Il n’existe pas de frontière entre les peuples ; ils ignorent les passeports et les cartes d’identité.

Nous, les dirigeants, nous devons le comprendre pour descendre au niveau des masses… Nous devons comprendre que nos États ont été morcelés pour que nous soyons dominés. Ce n’est pas pour rien que des puissances étrangères imposent à des Africains de voter pour tel ou tel candidat…

C’est parce que nous sommes manipulés de l’extérieur. C’est parce que nous ne voulons pas dénoncer tout ce qui nous divise. C’est l’impérialisme.

Nous n’arrivons plus à payer les contributions à l’OUA parce que nous n’avons pas assez d’argent.

A la limite, on pourrait encore sacrifier quelques réceptions pour avoir de quoi payer l’OUA. Mais il faudrait aussi qu’on réduise le budget de l’organisation pour que n’ayons plus beaucoup à payer…

Par-dessus tout, il faut savoir que l’Unité Africaine, c’est d’abord la lutte contre ce qui nous divise et qui vient de l’extérieur. L’on dit chez nous que l’eau ne pourrît jamais. Elle commence à pourrir quand un corps étranger y tombe.

L’Afrique était une mais c’est un corps étranger qui l’a divisée. Donc entre nous, nous devons combattre les ennemis de classe, les bourgeois qui veulent nous exploiter.

I.D. : Que pensez-vous de la condamnation de Bokassa ?

T.S. : Si cela s’était passé au Burkina, j’aurais su ce que j’allais faire. Mais la décision appartient au peuple centrafricain, et je ne sais pas ce qu’il va décider. Dans tous les cas, Bokassa a posé des actes dont nous avons tous honte, en tant qu’Africains.

Mais quand Bokassa les faisait, il y avait des gens derrière lui. Ils l’ont encouragé. Ces gens-là étaient Centrafricains et non-Centrafricains. C’est eux qu’il faut juger. Qu’on condamne Bokassa, qu’on l’exécute ou non, c’est un problème à part.

Mais ceux qui étaient derrière lui, pourquoi n’ont-ils pas été jugés ? Pourquoi n’ont-ils pas été condamnés au même titre que lui ? Ce n’est pas Bokassa lui-même qui a exploité le diamant, qui l’a taillé et qui l’a posé sur sa tête pour se couronner empereur.

C’est quelqu’un qui a fabriqué la couronne. C’est un avion qui l’a transportée. Des gouvernements ont envoyé des représentants pour applaudir Bokassa au moment de son couronnement. Ou sont tous ces gens aujourd’hui ? Ils sont co-responsables de tout ce qu’ils lui ont fait faire ou tout ce qu’il n’a pas refusé de faire….

Si le peuple centrafricain n’a pas la clairvoyance de les condamner aussi, demain, il y aura un autre Bokassa sous une autre forme en Centrafrique, au Burkina Faso ou ailleurs.

I.D. : Quel est le niveau de la dette burkinabè?

T.S. : Bon an mal an, nous payons 19 milliards de FCFA. C’est très faible mais nous estimons que c’est déjà beaucoup trop pour nous. Mais la meilleure de ne pas avoir du problème avec la dette c’est de ne pas s’endetter.IL faut minorer le style de vie et les consommations qu’on nous propose…

I.D. : Que conseillez-vous alors aux pays qui sont très endettés ?

T.S. : Je les conseille de ne pas payer. Ce n’est pas normal de payer la dette. Et, pour ne pas payer, il faut que, nous soyons ensemble, parce que nous ne pouvons résister isolement.

Nous disons de ne pas payer la dette parce que ceux qui nous la réclament sont ceux-la-même qui nous ont encouragé à la contracter. Ils nous ont envoyé des conseillers et des assistants techniques…

La dette doit-être considérée comme un jeu dans un casino pour la loterie.

C’est bien quand vous gagnez ; et quand vous perdez, tant pis pour vous. Jusqu’à présentiels(Blancs) gagnaient, ils n’ont rien dit. Ils n’ont même pas pensé à créer une caisse particulière pour le jour ou le problème de paiement de la dette se poserait. Maintenant qu’ils perdent, ils doivent aussi accepter les règles du jeu.

En tous cas, si nous acceptons de payer la dette, il faudra aussi que nous revenions très loin en arrière, nous verrons qui doit payer à qui. Le président Houphouët a dit ne pas payer, donc nous sommes d’accord avec lui…

I.D. : Vous voulez réunir à Ouagadougou un congrès mondial des prostitués. Qu’est-ce qu’il peut motiver pareille décision de la part d’un chef d’état ?

T.S. : C’est l’amour du peuple…Les prostitués sont des victimes des inégalités sociales…

Ainsi, pour lutter contre la prostitution, nous estimons qu’il faut lutter contre les bourgeois (que vous appelez grotos en côte d’ivoire) c’est parce que ces gens-là paient pour la prostitution que des femmes sont obligées de se prostituer.

Lutter contre la prostitution, c’est lutter contre tous ces gens qui gagent leurs vies malhonnêtement en étant proxénète aux vendeurs de drogue. Ceux-là qui gagnent l’argent sans travailler…

La prostitution est un phénomène très vaste. Elle oblige les hommes devenir irresponsables. Il y a des hommes qui préfèrent aller chez les prostitués parce que les relations sexuelles y sont sans conséquence : pas de grossesse, pas d’enfant dont il faut s’occuper. Ces hommes refusent d’assumer tout ce qu’implique l’amour, la déresponsabilisation vient aussi du fait que les hommes sont souvent déçus par l’amour ; alors ils ne font plus confiance aux femmes et se tournent vers les prostitués…

C’est pour toutes ces raisons que nous voulons réunir toutes les prostituées du monde. Nous allons parler avec elles de la prostitution, sans honte, sans réserve. Et on verra qu’elles n sont pas du tout contente de leurs conditions…On dit que la prostitution est le plus vieux métier du monde, mais si nous nous mettons ensemble pour lutter contre elle, nous en viendrons à bout. Comment des francs les gens sont-ils en train de dépenser pour lutter contre le SIDA ? Beaucoup d’argent. Mais le SIDA, c’est la maladie des riches. Ce sont ceux qui ont une vie sexuelle perverse qui ont créé le SIDA…

L’obésité, les crises cardiaques, le sida…n’attrapent que les riches.

I.D. : Moi je suis obèse pourtant je ne suis pas riche.

T.S. 🙁rires) …Vous n’êtes pas obèse. Vous avez une forte corpulence…

I.D. : Ensuite, quand vous dîtes que le sida est la maladie des riches, cette approche ne parait pas très scientifique, parce que tous ceux qui meurent du sida en Afrique ou tailleurs ne sont pas des riches.

T.S. : Le sida existe à cause des riches. C’est pourquoi, les blancs s’empressent de crier que le sida vient d’Afrique parce que, pour eux, tous ce qui est mauvais doit venir d’Afrique.

I.D. : Avec tout ce que vous dites sur les prostituées, il semble évident que vous avez une conception généreuse de l’émancipation de la femme. Est ce qu’il peut arriver un jour, que vous formiez un gouvernement constitué rien que de femmes ?

T.S. : je le souhaite.

I.D. : Quels sont les obstacles ? Vous êtes Chef d’État…

T.S. : Il faut des femmes compétentes qui ont confiance en elles-mêmes. Aujourd’hui, nous avons cinq femmes parmi les membres du gouvernement. Elles occupent des postes ou elles ne font pas que de la coloration…

Nous avons des femmes Haut-Commissaire (préfets), nous avons des femmes dans l’armée… Nous sommes même entrain de former des femmes pilotes… pour que toutes les femmes sachent qu’une femme peut faire décoller un avion, partir et revenir….

A la vérité, comment peut-on envisager le développement d’un pays en mettant de côté la moitié de la population ? Les femmes représentent 52% de la population burkinabè. Ne pas les intégrer au développement, c’est essayer de travailler avec quatre doigts sur dix…

I.D. : C’est donc à juste titre qu’on dit que vous charmez les femmes ?

T.S. : Je ne peux pas répondre à cette question parce que je ne charme personne.

I.D. : Vous avez décidé d’officialiser le « Faso dan fani ». Révolution ou soif d’authenticité ?

T.S: Non… Ce n’est pas une soif d’authenticité, parce qu’il existe des bêtises authentiques. Nous l’avons fait parce que nous voulons le développement de notre pays.

Notre pays produit beaucoup de coton et si nous ne pouvons pas le vendre à l’étranger pour gagner de l’argent, il vaut mieux que nous le consommions…

I.D. : Ouagadougou abritera bientôt l’Institut des Peuples noirs. Aujourd’hui, « Peuples noirs » fait problème. A la limite, sortie de la bouche d’un chef d’État, elle pourrait référer au négrisme de François Duvalier.

T.S. : Nous voulons éviter tous ces écueils, parce que nous ne voulons pas engager un combat raciste. Nous voulons amener les Noirs à se définir pour s’unir… Nous voulons amener Noirs et Blancs à parler franchement de tout ce qui leur est commun ou de tout ce qui fait leurs différences pour finalement arriver à la conclusion qu’ils sont égaux. L’IPN (institut des peuples Noirs) sera donc animé par des Noirs et des non-Noirs…

I.D. : Footballeurs, jogger, arbitre de football, guitariste, Yogi…Vous donnez l’image d’un président anticonformiste. Cela tient-il d’une conception particulière de la vie ?

T.S. : Je pense qu’on est ne peut être utile dans la vie que si on essaie de maitriser les différents éléments autour de soi…Et si on essaie de se maitriser soi-même. Un homme qui ne se maitrise pas ne se fournira pas le maximum de ses compétences. Chacun de nous est un paquet d’énergie, d’intelligence, d’intuition. Nous ne pouvons réussir que si arrivons à nous maitriser…Je considère le sport comme un des exercices qui peut permettre à l’homme de se forger un caractère et de se maitriser…Le sport développe la confiance en soi et montre à l’homme qu’il acerbe, des limites mais qu’il peut les reculer continuellement

I.D. : S’il vous était demandé de faire votre portrait que diriez-vous en quelques mots ?

T.S. : Il est difficile d’être à l’étage et de se voir passer dans la rue… Il y a généralement trois images de l’homme : on est ce qu’on pense être. On est ce que les autres hommes pensent que nous sommes, et on est ce qu’on est.

L’idéal est que ces trois images se superposent nettement. Parfois je pense que je suis plus ce que je suis ou moins que ce que je suis. Alors il m’est difficile de me définir sans que les autres ne me définissent.

I.D. : Alors quel homme voudriez-vous que vos camarades burkinabè et l’ensemble des Africains de vous, un jour ?

T.S. : je souhaite qu’ils gardent de moi l’image d’un homme qui a mené une vie utile pour tous. Je ne voudrais pas été un homme qui s’est battu pour lui-même, mais un homme qui s’est battu pour tous les autres et avec les autres pour gagner avec eux.

C’est l’image idéale que je souhaite qu’on garde de moi. Je dois donc travailler pour perdre mes défauts et gagner plus de qualités.

I.D. : J’en ai fini, camarade président… Avez-vous autre chose à ajouter ?

T.S. : Je voudrais d’abord féliciter votre journal, Ivoire Dimanche. C’est un journal de bonne facture qui se présente très bien. Je le dis en tant que lecteur.

On y trouve des rubriques et des articles d’utilité pratique. En ce sens-là, vous faites œuvre utile. Je ne dis pas que tout est parfait dans le journal. Il y a des choses critiquables et des choses qui peuvent être améliorées.

Je souhaite qu’Ivoire Dimanche rapproche davantage les peuples africains en parlant aussi des autres pays. Je souhaite qu’il ouvre d’autres perspectives dans la lutte que nous devons engager pour réussir… Au fait, que devient M’Bemba ?

I.D. : M’Bemba ?

T.S. : Celui qui est parti d’ici pour aller jouer chez vous.

I.D. : Ah ! Touré M’Bemba… Il est là.

T.S. : Vous donne-t-il satisfaction ?

I.D. : Oui, il marque beaucoup de buts.

T.S: Nous avons beaucoup de sportifs qui sont passés par le Burkina pour aller jouer en Côte d’Ivoire. C’est positif. Cela nous amène à mieux nous connaitre, à mieux nous estimer et à mieux nous aimer.

Je saisis donc l’occasion que vous m’offrez pour souligner que le peuple burkinabè et le peuple ivoirien sont des peuples frères. Et tout ce qui peut les rapprocher doit être préservé (…)

I.D. : merci, camarade président.

T.S. : J’espère que vous reviendrez une autre fois.

I.D. : Surement…

T.S. : Oui, je voudrais aussi dire que votre journal n’est pas distribué ici parce que le distributeur ne paie pas les propriétaires des journaux. C’est ainsi qu’Africa International a arrêté de lui donner ses journaux. Mais il s’est trouvé que les gens ont dit que c’est nous qui l’avons censuré. Nous n’avons jamais censuré de journaux depuis que le Burkina existe. Nous autorisons tous les journaux, même ceux qui nous critiquent.

Propos recueillis par D. Bailly le 14 juin 1987

Photos : Denis Yapo

Publié dans le N°856 du 5 juillet 1987 de l’hebdomadaire Ivoire Dimanche

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