Issaka Herman Traoré

 

Le contenu de cet article constitue l’intervention de Issaka Herman Traoré qu’il a présentée durant le symposium organisé à Ouagadougou en octobre 2007 à l’occasion de la commémoration du 20eme anniversaire de la mort de Thomas Sankara. Issaka était un membre actif du comité d’organisation de cet anniversaire.

 

L’organisation des nations unies (ONU) l’héritière de la société des nations (SDN), a été créée en 1945 avec de nobles objectifs. Si l’idée de faire en sorte qu’il n’y ait plus de guerre mondiale est à louer même de nos jours, il faut cependant convenir que l’ONU n’est pas exempte de toute critique. C’est dans cet état d’esprit que le défunt président le capitaine Thomas Sankara, compte parmi les hommes d’Etats qui ont condamné publiquement et ceci en assemblée générale de l’ONU, certains travers de cette organisation mondiale aux objectifs louables.

Dans cette communication, nous aborderons tour à tour la domination des puissances mondiales à travers deux organes et pouvoirs de l’ONU que sont: le conseil de sécurité et le droit de véto.

Notre exposé s’attellera à faire ressortir d’une part l’aspect non démocratique du conseil de sécurité de part sa composition et ses attributions. Et d’autre part le caractère inique, inéquitable, non éthique et illégal du droit de véto.

 

I. Le conseil de sécurité

« Consterné par la destruction causée par les moyens de guerre modernes, telle que celle observée en Europe entre 1914 et 1918, le président Woodrow Wilson contribua à la création de la Société des Nations (SDN). Il estimait que la guerre était principalement le résultat de trois éléments,’ la course aux armements, des régimes non démocratiques et surtout le déséquilibre du pouvoir entre États qu’il considérait comme fondamentalement instable» (M. Gary Ostrower, La création de l’organisation des nations unies, http://usinfo.state.gov/fr/Archive/2005/Sep/06-625256.html)

Donc depuis la création de la SDN, ces pères fondateurs comme le président Wilson avait énuméré entre autres causes premières des guerres mondiales: « …. surtout le déséquilibre du pouvoir entre Etats qu’il considérait comme fondamentalement instable… ». D’où donc est venue l’idée du conseil de sécurité avec ses 5 membres permanents. L’on pourrait dire que l’humanité entière doit la prouesse de l’existence du conseil de sécurité actuel au président Américain Franklin Roosvelt, c’est ce que ressort l’historien Gary Ostrower en ces termes :

«……. Déçus du fait que la SDN n’avait pas réussi à empêcher le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le président Roosevelt et ses alliés au sein du département d’État insistèrent pour que l’organisation qui prendrait la suite de la SDN déférât aux grandes puissances, qu’il appelait « les quatre gendarmes» (les États-Unis, l’Union soviétique, la Grande-Bretagne et la Chine). Pour sa part, le secrétaire d’État de l’époque, Cordell Hull, soulignait la nécessité de l’égalité économique plus que celle de la force armée pour maintenir la paix, mais son influence resta faible. »

Le conseil de sécurité donc est l’organe d’exécution de l’ONU qui a pour rôle de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationale, selon les missions qui lui sont assignées dans la charte de l’ONU à l’article 24 de la charte des Nations Unies. Le hic du conseil de sécurité c’est que depuis la guerre de 14-18 le président Wilson avait déjà fait ressortir le déséquilibre de pouvoir entre les Etats qui était une des sources de conflits. Les nouveaux théoriciens de la paix et de la sécurité internationale parmi lesquels RoosEvelt ont certainement dû avoir une autre lecture de cette paix au point d’instituer le conseil de sécurité pour l’ONU. Selon leur entendement il suffit que quelques puissances aient plus ou moins la même puissance économique ou militaire au sein de ce conseil, et le problème est résolu. C’est de là qu’est né la fameuse idée des « gendarmes du monde» au départ trois (USA,GB, Russie) qui devait plus tard s’élargir aux cinquième larrons la France et la Chine. «Elle fut, dès l’origine, composée de cinq membres permanents, les États-Unis d’Amérique, l’Union soviétique, le Royaume Uni, la France et la République de Chine, à la fois, pour les trois premiers parce que ce sont les principaux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, et pour les cinq, parce que représentant à ce moment-là la majorité de la population mondiale (en comptant les empires coloniaux), chacun à-peu-près à égalité. Le jargon onusien utilise les acronymes P5 et P3 pour parler respectivement des 5 membres permanents du Conseil de sécurité (Permanent Five) et des 3 membres permanents occidentaux (États-Unis, France et Royaume-Uni). » (Source Wikipedia)

Le conseil fût donc créé sur la base des vainqueurs de la 2ème guerre mondiale et des grands empires coloniaux au nombre desquels la France et la Chine. Les trois premiers ayant vaincu les nazis s’estimaient dans leur droit et assez puissants vis-à-vis de n’importe quel autre pays; tandis que les deux derniers au regard du nombre des populations de leurs empires coloniaux s’estimaient assez représentatifs pour siéger au conseil de sécurité.

Pour une organisation comme l’ONU qui entend regrouper toute l’humanité en passant par tous les pays, donner plus de pouvoirs à quelque quatre ou cinq pays n’est ni plus ni moins qu’un moyen de recréer des frustrations qui pourront aboutir à des situations comme celles de 1914-1918.

A ce propos le défunt président Thomas Sankara au cours de son allocution à la 39ème session de l’assemblée générale de l’ONU, disait:

« … .Nous adoptons en conséquence, les propositions faîtes à cette fin par le Secrétaire Général, pour sortir l’Organisation des nombreuses impasses, soigneusement entretenues par le jeu des grandes puissances afin de la discréditer aux yeux de l’opinion publique. . .. »

Le conseil de sécurité de part sa composition et son fonctionnement fait plus le jeu des grandes puissances dans la défense de leurs intérêts, qu’elle ne fait le jeu des populations du monde entier dont les pays composent l’ONU. C’est en cela que Sankara parle du jeu des grandes puissances qui discrédite l’ONU aux yeux de l’opinion publique mondiale, tout simplement parce que par un hasard historique la direction du monde leur est revenu. Ce hasard historique étant bien entendu la victoire de la deuxième guerre mondiale et la colonisation des autres pays. Si les vainqueurs peuvent s’enorgueillir, les colonisateurs n’ont aucune fierté, ni aucun mérite au point de s’en prévaloir pour occuper un poste au sein du conseil de sécurité. Dans un cas comme dans l’autre aucun des deux groupes n’a droit à ces places, si tant est que la volonté première était de rechercher des espaces internationaux de garantir la paix et la sécurité mondiale.

De plus en plus des voix s’élèvent au sein de l’ONU pour décrier le statut de membres permanents conférés à certains pays, particulièrement la Chine et la France qui ont été acceptés à cause de leur population mondiale de l’époque. Ces pays étaient de grands empires coloniaux, et avec la décolonisation et les indépendances, ce critère devient caduc pour expliquer leur présence au sein du conseil de sécurité. Le seul critère qui les maintient au sein du conseil est sans aucun doute leur puissance économique ou militaire. Sur cette base aucun des cinq membres permanents, ne devraient siéger au conseil, dans la mesure où la configuration géopolitique, économique et militaire de nos jours n’est plus la même qu’à la fm de la deuxième guerre mondiale. Pis pour des pays dont la majorité se prévaut de la démocratie à l’occidentale, ramener le droit d’être membre permanent à la puissance économique ou militaire est purement et simplement anti-démocratique.

Mieux, les attributions exactes et les modalités d’action du Conseil sont précisées dans le chapitre V (Conseil de sécurité), article 26, dans les chapitres VI (Règlement pacifique des différends) et VII (Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression), et dans certains articles du chapitre VIII (Accords régionaux).

Mais les grandes puissances toutes tendances confondues violent ces dispositions statutaires du conseil de sécurité très régulièrement. Du problème de la Palestine, l’apartheid en Afrique du Sud, le génocide Rwandais en passant par la guerre en Irak, le conseil de sécurité a prouvé qu’il servait plus les intérêts des grandes puissances qui le compose qu’il n’œuvre véritablement pour une paix & sécurité mondiale.

Ainsi la majorité des pays membres de l’ONU continue de participer aux activités de cette institution, malgré cette injustice. C’est ce que Thomas Sankara avait résumé en ces termes: «Monsieur le Président, Si j’ai accepté de me présenter devant cette illustre assemblée pour y prendre la parole, c’est parce que malgré les critiques qui lui sont adressées par certains grands contributeurs, les Nations Unies demeurent la tribune idéale pour nos revendications, le lieu obligé de la légitimité des pays sans voix» (Source: Discours Sankara à l’ONU)

Conscients de leur impuissance face au système injuste et anti-démocratique, les autres pays membres de l’ONU, ont fini par faire de l’institution mondiale une tribune où ils peuvent exprimer leurs problèmes, même si ces derniers sont tournés en dérision ou juste bon pour amuser la galerie le temps d’un discours.

 

II. Le droit de véto

Selon la définition de l’encyclopédie libre Wikipedia: «Le droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies est un droit accordé uniquement aux cinq membres permanents du Conseil qui leur permet de bloquer toute résolution ou décision, quelle que soit l’opinion majoritaire au Conseil. Les cinq membres permanents exercent ce droit quand ils votent négativement. Une abstention ou une absence n’est pas considérée comme un veto ».

Peu importe ce que pense la majorité, les voix des cinq membres permanents même prises individuellement priment sur le reste. Pourtant la démocratie à l’occidentale nous enseigne que la démocratie, est l’expression des idées, des opinions de la majorité ou des choix de la majorité. Quand l’on sait que le conseil de sécurité est l’organe exécutif de l’Organisation des Nations Unies, on ne peut que conclure que l’ONU est une dictature aux mains de soi-disant démocrates.

C’est pour fustiger cette attitude que Thomas Sankara au cours de son célèbre discours à l’assemblée générale de l’ONU proposait une refondation de l’ONU en commençant par le droit de véto, il disait à ce propos: « Nous proposons également que les structures des Nations Unies soient repensées et que soit mis fin à ce scandale que constitue le droit de veto. Bien sûr, les effets pervers de son usage abusif sont atténués par la vigilance de certains de ses détenteurs. Cependant, rien ne justifie ce droit: ni la taille des pays qui le détiennent ni les richesses de ces derniers.

Si l’argument développé pour justifier une telle iniquité est le prix payé au cours de la guerre mondiale, que ces nations, qui se sont arrogés ces droits, sachent que nous aussi nous avons chacun un oncle ou un père qui, à l’instar de milliers d’autres innocents arrachés au Tiers Monde pour défendre les droits bafoués par les hordes hitlériennes, porte lui aussi dans sa chair les meurtrissures des balles nazies. Que cesse donc l’arrogance des grands qui ne perdent aucune occasion pour remettre en cause le droit des peuples. L’absence de l’Afrique du Club de ceux qui détiennent le droit      de veto est une injustice qui doit cesser. »

(Source: Discours de Sankara à l’ONU voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0285 )

Depuis la création de l’ONU, le droit de véto a été utilisé par tous les cinq pays membres. La répartition de cette utilisation du droit de véto à la date de février 2007 est la suivante:

Fin février 2007, le veto a été utilisé 261 fois avec, par ordre d’importance:

123 fois par l’Union soviétique/Russie;

82 fois par les États-Unis;

32 fois par le Royaume-Uni;

18 fois par la France;

6 fois par la Chine (dont 1 fois par Taïwan lorsqu’il occupait le siège de la Chine au Conseil de sécurité).

….Fin février 2007, le veto a été utilisé 261 fois avec, par ordre chronologique:

1945-1955: 83 fois;

1956-1965: 31 fois;

1966-1975: 33 fois;

1976-1985: 60 fois;

1986-1995: 37 fois;

1996-2005: 13 fois;

2006-2007: 4 fois

Il faut toutefois noter que depuis la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis battent le record d’utilisation du droit de véto au conseil de sécurité de l’ONU.

Des pays comme la France qui doivent leurs statuts de pays membres grâce à leur puissance coloniale, ont naturellement utilisé le droit de véto pour refuser l’indépendance à certaines de leurs colonies. C’est ainsi qu’elle l’a utilisé en 1976 sur la question de l’indépendance des Comores, quand l’île de Mayotte resta sous souveraineté française grâce à un référendum local.

En réplique à cette situation, Sankara dans son allocution à la 39ème générale de l’assemblée générale des nations unies disait: « Monsieur le Président, Je ne voudrais pas trop m’étendre sur la question de Mayotte et des îles de l’Archipel malgache. Lorsque les choses sont claires, lorsque les principes sont évidents, point n’est besoin d’élaborer. Mayotte appartient aux Comores. Les îles de l’archipel sont malgaches. » (Source: Discours de Sankara à l’ONU)

Si la France et la Grande-Bretagne sont connues pour avoir utilisé le droit de véto sur des questions relatives à leurs anciennes colonies (Comores pour la France, Rhodésie pour la Grande Bretagne). Les Etats-Unis quant à eux sont réputés pour l’utilisation de leur véto pour tout ce qui concerne Israël, la première fois remontant en 1972 depuis laquelle date, ce pays utilise régulièrement le droit de véto pour protéger Israël des sanctions onusiennes.

Toujours dans son discours à l’ONU, Sankara dénonçait l’utilisation abusive du droit de véto par les USA pour protéger Israël en ces termes: « …Mais la recherche de la paix va de pair avec l’application ferme du droit des pays à l’indépendance, des peuples à la liberté et des nations à l’existence autonome. Sur ce point, le palmarès le plus pitoyable, le plus lamentable oui, le plus lamentable_est détenu au Moyen Orient en termes d’arrogance, d’insolence et d’incroyable entêtement par un petit pays, Israël, qui, depuis, plus de vingt ans, avec l’inqualifiable complicité de son puissant protecteur les Etats-Unis, continue à défier la communauté internationale…» (Source: Discours Sankara à l’ONU).

En analysant le droit de véto dans le fond et dans les motivations de son application depuis la création de l’organisation des nations unies, l’on se rend compte que majoritairement toutes les fois qu’il a été utilisé, c’était pour défendre les intérêts des grandes puissances. Mieux, l’on pourrait dire que son utilisation sert plutôt à démontrer la suprématie de ces grandes puissances mondiales sur les autres qui forment l’organisation mondiale qu’est l’ONU. Des exemples peuvent être cités à profusion dont la plus récente est l’invasion du Liban par Israël en 2006.

Depuis octobre 1984, date de la 39ème session de l’assemblée générale de l’ONU, au cours de laquelle Sankara demandait de repenser le système de fonctionnement de l’ONU à travers ses instances et surtout le droit de véto. Force est de constater que rien n’a été fait dans ce sens, pire la domination des cinq gendarmes évolue d’années en années au sein de l’ONU, au détriment de la paix et de la sécurité mondiale.

 

Conclusion

En janvier 1942 les représentants de la Chine, de la Russie, de la Grande Bretagne et des USA se réunissent à Washington sous la conduite de Roosvelt et signent la Déclaration des Nations Unies. Cette déclaration va donner naissance à l’ONU en 1945 qui a pour mission d’assurer la paix et la sécurité mondiale.

Avec d’aussi nobles objectifs et les séquelles des deux guerres mondiales aussi vivaces dans les mémoires, l’humanité entière s’est mise à rêver d’une paix et d’une sécurité à l’échelle de la planète. Mais avec les organes mis en place et les pouvoirs qui leurs sont conférés, l’ONU loin d’être un catalyseur de paix universel, se transformera très vite en un outil à puissance mondiale entre les mains de quelques puissances mondiales qui dictent leur desiderata au reste de la planète.

Les principaux outils de cette domination sont: le conseil de sécurité avec ces 5 membres permanents, et le droit de véto dont disposent les membres permanents pour bloquer les décisions du conseil de sécurité pour toute question qui n’est pas d’ordre procédural.

Aussi bien dans les critères d’éligibilité de membres permanents que dans le pouvoir de véto, le reste de l’humanité s’est fait embarquer dans un navire dont les seuls maîtres à bord demeurent les membres permanents. Ces derniers utilisant avec astuce leur puissance économique ou militaire impose leur volonté et vision politique au reste du monde.

Même sans avoir pu changer cet état des choses de son vivant, il faut reconnaître ce mérite au défunt président Thomas Sankara d’avoir décrié le système et proposé une refondation de l’ONU pour éviter qu’une minorité ne s’accapare de pouvoirs par un hasard historique pour imposer leur désir à toute la planète. Il faut également lui reconnaître le mérite d’avoir dit haut que le droit de véto est une iniquité qui doit cesser, dans la mesure où rien ne justifie ce droit.

Vingt quatre ans après son allocution à la 39ème session de l’ONU, le constat qui se dégage est qu’avec le conseil de sécurité dans sa forme actuelle et le pouvoir du droit de véto, l’ONU ressemble beaucoup plus à une dictature universelle. Une dictature de 5 puissances mondiales, dont quelques unes se vantent d’être les chantres de la démocratie.

Avec l’évolution actuelle du monde et ce principe de la démocratie à l’occidentale, il est plus que nécessaire que l’ONU intègre dans tous ses organes et modes de fonctionnement le slogan: un pays, une voix.

Issaka Herman Traoré

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