Thomas Sankara : L’officier politique
Le capitaine Thomas Sankara, l’icône de la jeunesse africaine, a eu un parcours pas comme les autres. Officier très cultivé, son souci majeur était de sortir son peuple de l’ornière. Pour les prises de position contre l’oligarchie militaire de l’époque, il eut maille à partir d’abord avec les colonels du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), les conservateurs du Conseil du salut du peuple (CSP) et les boulimiques du Conseil national de la révolution (CNR). C’est cette dernière catégorie de dignitaires qui conduit depuis 20 ans la destinée d’une nation appelée Burkina Faso.
Source : Libérateur N°41 du 05 au 20 octobre 2007 13
"Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance ", disait le capitaine Thomas Sankara sous le Conseil national de la révolution (CNR). Le parcours de ce jeune officier traduit la pensée qui est émise dans cette citation. Nous sommes en 1966, au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), l’école de formation de l’élite militaire de l’époque. Sankara tombe sur un enseignant du nom d’Adama Touré dit Lénine. Ce dernier, dans ses cours, va influencer les idées du futur officier. Professeur d’histoiregéographie, M.Touré était également un des animateurs d’un groupuscule communiste et d’une formation politique clandestine dénommée Parti africain de l’indépendance (PAI). Ayant déjà une prédisposition pour des idées progressistes, le professeur marxiste ne sera qu’un encadreur pour le futur capitaine, dont les actions politiques défrayeront la chronique des années plus tard. Dans l’itinéraire qui le conduira au pouvoir le 4 août 1983, le même Adama Touré en sera l’un des acteurs. Mais leurs chemins ne tarderont pas à diverger. Ministre de l’Information dans le premier gouvernement du CNR, lui et ses camarades du PAI seront remerciés après une année de gestion commune du pouvoir avec son ancien élève du PMK.
Mais avant l’épisode du CNR, Sankara est sollicité par les colonels du 25 novembre 1980 pour faire partie de leur gouvernement. Il décline l’offre. Mais un des colonels, Félix Tiemtarboum, avec qui il était familier, le supplie d’accepter en attendant qu’on trouve un remplaçant. Il accepte le compromis mais demeure le même dans ses agissements. Le nouveau secrétaire d’Etat à l’information qu’il était, venait aux rencontres hebdomadaires des ministres avec son vélo de course et se déplaçait avec sa jeep. Il ne manquait pas de répéter qu’il était militaire.
Sankara, l’officier austère
Sa familiarité avec le vélo et la jeep au détriment d’une voiture rutilante ne relevait, pour lui, que d’une habitude de soldat. Il attendra en vain son successeur à la tête de l’Information. Le 12 avril 1982, Sankara finit par perdre patience et se décide de démissionner. Il le fait en plein séminaire international sur le cinéma organisé à Ouagadougou. Devant un parterre de journalistes, il déclara qu’il était démissionnaire et assena une phrase assassine pour les tenants du pouvoir de l’époque : " malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple".
Une lettre de démission fut rédigée et envoyée au président du CMRPN. " J’ai l’honneur de vous rendre compte que je démissionne du gouvernement et du Comité militaire de redressement pour le progrès national et de toutes les instances du CMRPN. Engagé à mon corps défendant dans le régime que vous avez instauré depuis le coup d’Etat du 25 novembre 1980, j’ai régulièrement et constamment exprimé en toute clarté que je me démarque de cette action politique.
Et ce, parce que la forme du pouvoir pour conduire le redressement national ne pouvait servir que les intérêts d’une minorité. A la veille du conseil des Forces armées voltaïques, instance souveraine du mouvement du 25 novembre 1980 que vous avez convoqué pour le 15 avril, je me dois de rappeler que le CMRPN ne saurait ignorer que tout pouvoir a nécessairement un contenu de classe. " Après cette démission tonitruante, le capitaine Thomas Sankara va subir le courroux des colonels. Il est arrêté, dégradé et incarcéré à Dédougou. Deux de ses compagnons claquent également la porte : il s’agit du capitaine Blaise Compaoré et du capitaine Henri Zongo. Ils sont aussi dégradés et déportés l’un à Fara et l’autre à Ouahigouya. Une ligne de fracture était née entre les jeunes officiers " progressistes " et les colonels dont la plupart étaient des produits de l’armée coloniale. Mais n’oublions pas que le capitaine Thomas Sankara, en plus d’être militaire, est doté d’une culture politique au-dessus de la moyenne. De ce fait, c’était un meneur d’hommes. Premier commandant du Centre national d’entraînement commando de Pô (CNEC), ses éléments, jusqu’aujourd’hui, ne tarissent pas d’éloges sur son exemplarité et sa bravoure dans la conduite des hommes. Même ses ennemis dans la hiérarchie militaire ne lui dénient pas cela.
L’armée de masse
Sous son commandement, il établira un lien de fraternité entre les militaires et la population de Pô. A ses heures creuses, Sankara et ses hommes investissaient les champs des hommes âgés et leur donnaient des coups de mains en sarclant ou en labourant leurs terres. Le patron des commandos de Pô ne s’étant pas entendu avec les colonels et mis en quarantaine par ces derniers, se retrouve au centre de l’avènement du coup d’Etat du 7 novembre 1982. Un putsch organisé par des sous-officiers et des hommes de rang. Dans des tractations pour choisir celui qui allait présider à la destinée de l’Etat, chaque camp penche pour son homme. Le capitaine Jean Claude Kamboulé et l’intendant Désiré Dabiré jettent leurs dévolus sur le colonel Yorian Gabriel Somé, alors chef d’Etat-major sous le précédent régime. Le 2e candidat, l’intendant militaire, le général Tiémoko Marc Garango, est le choix du commandant Fidèle Guebré et la 3e candidature est celle du médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo (JBO), soutenue par le commandant Harouna Tarnagda et le capitaine Karim Lompo. JBO est accepté par l’aile progressiste. Le motif, il n’est pas loin d’être un novice politique, même s’il n’est pas marxiste, c’est un nationaliste reconnu de tous. Le capitaine Thomas Sankara, lui, est nommé Premier ministre. Le Conseil du salut du peuple (CSP) se dote d’une structure exécutive dénommée secrétariat permanent du CSP.
Le 17 mai, conspiration impérialiste
Le colonel Yorian Gabriel Somé est maintenu à son poste de chef d’Etat-major. Mais des dissensions ne tardent pas à survenir. Après quelques mois de gestion commune, les clivages sont nés entre les clans de Gabriel Yorian Somé et le groupe de Sankara. Le 17 mai 1983, très tôt le matin, les chars du capitaine Jean Claude Kamboulé, alors commandant du groupement blindé et neveu du chef d’Etat -major prennent position à proximité du domicile du Premier ministre Thomas Sankara. Il est arrêté. Au même moment, chez le commandant Jean Baptiste Boukary Lingani, les mêmes manèges se produisent. Il est lui aussi pris dans le filet. C’est le capitaine Henri Zongo, le lieutenant Boukary Kaboré et le lieutenant Gilbert Diendéré avec une dizaine de commandos qui opposèrent une résistance à l’intérieur du camp Guillaume Ouédraogo.
Malheureusement pour les conspirateurs du 17 Mai, le capitaine Blaise Compaoré n’étant pas encore revenu de Bobo, ils n’ont pas encore pu mettre la main sur lui. Son chauffeur Hamidou Maïga apprend la nouvelle en ville et informe aussitôt Blaise. Il put s’échapper avec son patron pour rejoindre sa base à Pô. Ils organisent une résistance avec l’aide de quelques fidèles (civils comme militaires), à Ouaga. Les groupuscules de gauche comme la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD), une émanation du PAI, et l’Union des luttes communistes (ULC) ont le temps de mobiliser élèves et étudiants pour des manifestations de rue les 20, 21 et 22 mai. L’objectif était la libération de Sankara et de Lingani détenus l’un à Ouahigouya et l’autre à Dori. Le pouvoir de JBO durcit le ton en procédant à l’arrestation des présumés meneurs des manifestations de rue. Ainsi, Adama Touré, Soumane Touré, Etienne Traoré, Issouf Sambo Bâ, Mohamane Bonkoungou, et Ibrahima Koné sont arrêtés. C’est dans ce climat délétère accompagné de la première explosion de la poudrière que le 4 Août 1983 survient avec plein d’espoir. Espoir qui ne durera que 4 ans.
Merneptah Noufou Zougmoré