Fiche technique

Documentaire, France, couleur 2 x 30 mn,

Réalisateur : Yohan Malka

Images : Fred Guiro

Son : Jo Hemmen

Montage : Nicolas Dumont

Graphiste : Mathieu Stole

Fixeur : Aboubakar Sanga

Production : BrutX 

Le film est visible sur la plateforme brutX à https://bit.ly/3IIm24K


La bande annonce


Présentation du réalisateur

Yohan Malka est un  journaliste indépendant depuis 15 ans ( France 2, Canal +, arte … ) . Il a travaillé dans de nombreux pays, au Brésil, Afrique du Sud, Hongrie, États-Unis, Zimbabwe, Argentine et bénéficie surtout d’une longue expérience de reporter. C’est son premier documentaire.


Nos commentaires

Voilà un film qui tranche avec tous les documentaires sortis jusqu’ici sur Thomas Sankara et la Révolution  (voir nos présentations à http://www.thomassankara.net/category/francais/analyses/documentaires/).

BrutX qui en a assuré la production est présenté par wikipédia comme « principalement destiné aux jeunes ». Le réalisateur Yohan Malka que nous avons rencontré nous avait clairement confirmé quel était le public cible de son projet, la jeunesse. Ce positionnement va impacter fortement la construction et le style du film.

Quelque soit leur âge, les autres réalisateurs, documentaristes plus ou moins expérimentés, qui ont réalisé les films précédents, s’ils avaient sans doute aussi l’objectif de toucher aussi les jeunes sont restés dans une forme que nous nous permettons de qualifier, bien maladroitement de plus ou moins classique. Ce qui d’ailleurs n’a rien de péjoratif.

De gauche à droite Fred Guiro, Yohan Malka, Aboubakar Sanga, JO Hemmen

Yohan Malka construit son film, en toute liberté, y compris dans sa forme, pour toucher les jeunes. A mi chemin entre l’agit-prop (NDLR c’est ainsi qu’on appelait les films militants de propagande, un mot de ma génération mais qui ne signifie sans doute pas grande chose à la jeunesse d’aujourd’hui), le documentaire ou le reportage. Les interviews dominent sous des formes assez différentes. Scènes de rue pour capter des paroles de jeunes croisés sur le chemin, interviews classiques de Burkinabè dirigeants de la Révolution à l’époque, de jeunes noirs de France donnant leur perception de la portée de l’action et des paroles de Thomas Sankara, ou mise en situation pour recueillir les impressions de personnes visionnant des discours de Thomas Sankara.

Le rythme est assez soutenu. Le film est en permanence entrecoupé de mots d’ordre ou slogans peints par des graphistes qui s’affichent sur tout l’écran, en illustrant les propos de ceux qui parlent de Sankara qui réussit « à capter l’attention par la puissance du message qu‘il diffusait ».

Christophe Cupelin dans son film Capitaine Sankara, faisait de même en interrompant les successions d’images d’archives, par l’image d’une machine à écrire qui écrivait les mots d’ordre. Mais ici leurs apparitions donnent un peu le tourni. Inondant régulièrement l’écran de gros caractères, les propos paraissent plus mordants, commentés par des jeunes d’aujourd’hui. « En terme de punchline, je préfère Sankara à Bouba » affirme Yali Sankara, un jeune rappeur revenant régulièrement à l’écran.  Cette façon d’écrire le documentaire donne toute son importance aux verbes de Sankara. Nous, membres de l’équipe du site thomassankara.net , n’en finissons pas d’ailleurs, ce qui est remarquable de dénicher régulièrement et de mettre en ligne de nouveaux discours ou nouvelles interviews, tous et toutes toujours riches en formules politiques, provocations verbales ou expressions humoristiques.

Le verbe n’est-il pas le moyen d’expression privilégié des rappeurs ? Au Burkina, c’est Smockey, vedette du rap dans son pays, véritable expert des tournures de phrase imagées  qui vient prendre le relai de Yali. Au premier rang des combattants contre le régime de Blaise Compaoré, utilisant la musique pour conscientiser la jeunesse avec son compère d’alors le reaggeaman Sams’K Le Jah, absent du Burkina lors du tournage. Dans la même veine on découvre le groupe de graffeurs dirigé par Sié Palanfo en train de peindre sur un mur un portrait de Sankara sous titré par « DEFENSE D’OUBLIER ».  Tout un programme pour la jeunesse de ce pays. Il a tellement dessiné Sankara sur les murs qu’il connait chaque détail de son visage. Il goute la plaisir de cette liberté retrouvée après cette longue période où la figure de Sankara ne pouvait être impunément dessinée sur les murs.

Ce que disent ces jeunes, plus si jeunes que ça tout de même, prouvent s’il en était besoin, combien son discours leur parlent. Puisqu’il n’est plus vivant pour nous commenter ce qu’il fait ou ce qu’il pense, il nous reste donc son verbe qui non seulement apparait encore souvent très actuel mais très probablement essentiel dans sa popularité actuelle.

Sankara a pris le pouvoir à 33 ans et s’est fait assassiné à 37. La plupart de ses collaborateurs, les ministres, les dirigeants politiques de la révolution étaient de cette génération. Au Burkina si la proportion des jeunes était moins importante dans les années 1980 du fait de la baisse de la mortalité infantile depuis, on l’évalue aujourd’hui à environ 65% par rapport à l’ensemble de la population. Ce sont eux qui ont constitué l’essentiel des foules qui ont par dizaine de milliers, envahi les rues fin octobre 2014 obtenant rapidement sa fuite, exfiltré par l’armée française.

Liz Gomis jeune réalisatrice, explique combien l’existence de Thomas est crucial pour la jeunesse d’origine africaine. Enfin cette jeunesse en mal de héros en a trouvé un et de taille. « Jusqu’ici on n’avait qu’ici on n’avait qu’une version de l’histoire », par exemple « il a remis à zéro toutes mes référence sur le féminisme ».  Car outre les jeunes, la Révoluktion s’est aussi essentiellement appuyé sur les femmes. En écho la toute jeune Sibilla Ouedraogo, filmée lors de scènes d’éducation sexuelle et de sensibilisation à la contraception qu’elle anime avec d’autres jeunes filles se couvrant les cheveux, explique : « Thomas a dit qu’on ne peut pas changer les choses sans une dose de folie. Pour moi, porter le voilé et parler de sexualité c’est ma dose de folie » !

Thomas Sankara, jeune président, se n’est pas trompé en s’appuyant sur la jeunesse, et sur les femmes. C’est parmi cette population que se cachait cette puissante énergie inexploitée, sinon pour rester cantonner dans la sphère domestique pour les femmes, qui va tant apporter à la Révolution et déplacer des montagnes. Car c’est bien comme qu’on pu être réalisé des multiples chantiers que n’a cessé d’impulser Thomas Sankara. Rien n’aurait pu être réalisé sans cette puissante énergie qui s’est levé grâce au verbe de Sankara mais aussi par l’exemple qu’il donnait de courage, de probité, d’intégrité et de travail.

Interview à Ivry (France 94) devant la fresque réalisée par Vince

La moité des intervenants sont jeunes, surtout ceux qui interviennent en France, les autres ayant été interviewés au Burkina choisi parmi d’anciens collaborateurs de Thomas Sankara. Germaine Pitroipa, qui fut dirigeant d’une des provinces, (Haut Commissaire) et Fidel Kientéga un de ses proches conseillers à la présidence se laissent aller à leurs émotions devant caméra, démontrant l’affection qu’il suscitait autour de lui. On regrette de voir ici Basile Guissou prendre tant de place. Il a certes été membre du Conseil de la Révolution et l’a payé dans sa chair en se faisant torturé après la mort de Thomas Sankara. Mais il n’a pas tardé à rejoindre le pouvoir de Blaise Compaoré et donc à cautionner toutes les dérives répressives de ce régime comme le développement de la corruption. Mieux il s’est fait le théoricien du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Certes il semble bien parler de Thomas Sankara. Mais, lorsqu’après un long passage sur l’assassinat de Thomas Sankara qui charge comme il se doit Blaise Compaoré et son hypocrisie, il semble se plaindre que l’on veuille aujourd’hui passer l’éponge et « certains racontent qu’on veut s’entendre »… Lui qui a passé l’éponge depuis plus de 25 ans, et s’est entendu avec les assassins de Thomas Sankara sans beaucoup d’état d’âme, on regrette que lui soit donné la parole aussi longuement, sans rappeler son itinéraire.

Alouna Traoré, le seul survivant du massacre du 15 octobre, est filmé sur les lieux du drame, décrivant en détail ce qui s’est passé ce jour là. C’est une première depuis l’ouverture des locaux du Conseil de l’Entente où s’est déroulé l’assassinat.

Les archives judicieusement choisies permettent de voir Thomas Sankara en action. Ce serait dommage de s’en priver tant il est à l’aise devant les caméras. Les scènes cocasses lorsqu’il va à la rencontre des lycéens sont déjà été largement exploitées, mais pertinentes dans la construction du film et pour la nouvelle génération qui ne les connaissent pas. D’autres sont connues, mais d’autre non, notamment les images de la journée « des maris au marché ». Quelques belles photos, dont certaines inconnues jusqu’ici illustrent agréablement encore le film. Un choix quelque peu différentes des images très fortes, choisies de la joute verbale entre Thomas Sankara et Mitterrand à Ouagaoudou, en novembre, un peu différentes de celles choisies dans d’autres documentaires, permettent de saisir le visage faussement impassible, en réalité décomposé, de François Mitterrand lorsque Sankara déclare : “Nous n’avons pas compris que des tueurs comme Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la France, si belle et si propre. Ils l’ont tâchée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang.

Les jeunes interviewés tout au long du film constituent en quelque sorte des médiateurs entre la pensée et l’action de Thomas Sankara et les jeunes de France. Une partie d’entre eux cependant ? Cela nous donne des paroles à entendre comme «ce n’est que lorsqu’on parle de l’esclavage en histoire que l’on parle des noirs en histoire au lycée », une parle forte, ou faire entendre aux jeunes blancs qui n’ont bien sûr pas ce ressenti.

Mais pourtant la critique essentielle que l’on peut faire à ce documentaire, c’est de ne donner ici la parole qu’à des jeunes noirs et noires. Sans doute font-ils de Thomas Sankara leur héros. Mais la portée de Thomas Sankara est universelle. Car depuis déjà de très nombreuses années, c’est bien au-delà des différences de couleur et d’origine que rayonne la pensée de Thomas Sankara. Assez rapidement par exemple, le mouvement altermondaliste en a fait l’icône de la lutte contre le remboursement des dettes illégitimes et les institutions financières. Sans parler du précurseur qu’il était déjà en matière de lutte pour la défense de l’environnement, comme de la libération de la femme en le mouvement altermondialiste.  Yohan Malka questionné là-dessus l’a reconnu et le regrette aujourd’hui semble-il.

Bruno Jaffré

2 COMMENTAIRES

  1. Ney Zaabré,
    Juste pour vous signaler que la vidéo que vous pointez là (https://youtu.be/H9l0NuWwz0Y = sorte de bande annonce – si c’est bien ce que je pense) n’est plus disponible.
    Il se trouve que j’en avais moi aussi besoin pour faire une annonce de la projectionqu’on prévoit le 23 novembre qui vient, à 20h, au café associatif “Le Schmilblick” situé à Montrouge (94 av. Henri Ginoux). Ce en présence de Yohan Malka, le réalisateur, et aussi de Bruno (Jaffré).

    En remplacement pour ma part j’ai fait usage de cette vidéo-là (© TV5 Monde)
    ===> https://www.youtube.com/watch?v=7mgSyxmL3-I
    Elle contient l’extrait genre bande-annonce qui sauf erreur était dans votre url initiale, et aussi une interview de l’auteur, concernant notamment le côté très précurseur de cette période sankariste…

    Solidairement,
    Olivier M

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