BURKINA-FASO – VINGT ANS APRÈS, LE MYTHE DU PRÉSIDENT VIT ENCORE

Sankara, la confiance des gens

Son règne aura été très court. Pourtant le passage au pouvoir du capitaine Thomas Sankara entre 1983 et 1987 aura suffi à le mettre pour beaucoup dans le panthéon des champions de l’indépendance africaine comme Patrice Lumumba, ou N’Krumah. Aujourd’hui, deux partis sankaristes perpétuent l’héritage dans un pays dominé par le président Blaise Campaoré, responsable de l’assassinat du leader burkinabé en octobre 1987 et encore hôte plein de bonne volonté du récent du sommet de la Francophonie. On dit même à Ouagadougou que le président a décidé de construire un monument au héros national par souscription privée. Belle ironie de l’histoire ! Il faut dire que cette disparition brutale faisait plaisir à l’époque à beaucoup de monde, aussi bien à la France de Chirac et de Mitterand ou la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, du fait que la révolution burkinabé s’avérait trop indépendante et non-alignée (voir son discours de 1983 au sommet des chefs d’Etats de ces pays à New Delhi) dans un continent africain soumis à la vague de néocolonialisme

Quel bilan tirer de la révolution sankariste ? Pour Raoul Ouedraogo, militant dans un Comité de défense de la révolution (CDR) et aujourd’hui sociologue à Genève, le mérite fondamental de cette révolution a été de créer une véritable conscience d’un Etat national, une structure jusque-là vue comme l’outil de domination des colonisateurs. “Avec Sankara, les gens ont pu se rendre compte que l’Etat, cela pouvait être eux et pour eux. Et non simplement l’objet de fraudes et de tricheries. On sent encore aujourd’hui chez les Burkinabés qu’ils ont connu une véritable révolution nationale. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas dans beaucoup d’autres pays africains”.

Impliquer les femmes dans ce processus, lutter contre les hiérarchies coutumières d’ethnie majoritaire (celle des Mossis, qui représentent plus de la moitié de la population) a été le préalable nécessaire pour un programme qui s’affiche dès 1985 sous deux perspectives : la création d’une “économie populaire” et celle d’une démocratie de base.

Première étape. Dans un des pays les plus pauvres du monde et sahélien au nord, le mot d’ordre a été la lutte contre la misère (à travers des programmes d’alphabétisation ou lutte conter la mortalité enfantine et contre les maladies endémiques) et le développement accéléré des forces de production. Un exemple avec le secteur du coton, dont le Burkina est un des gros producteurs. Au-delà de la production, le gouvernement Sankara a tout fait pour asseoir les capacités de transformation du secteur industriel cotonnier, alors qu’il était notoirement sous-employé, fonctionnant au 15% de ses capacités.

But : favoriser l’autonomie et l’autofinancement avec un mot d’ordre : “L’aide internationale doit d’abord à servir à se passer de l’aide”. Dans cette logique, différents projets sont lancés, comme la “bataille du rail”, devant permettre au Burkina de convoyer du manganèse depuis le nord ou l’irrigation de périmètres comme celui de Faso Fani ou Sourou. “Consommons ce que nous produisons. Produisons ce que nous consommons” devient l’étape nécessaire de ce développement économique autocentré, basé sur une culture de chasse au gaspi, de lutte contre la corruption et de rejet du luxe.

L’autre grand apport est lié au souffle de démocratie participative qu’a apporté le régime, bien avant les expériences de Porto Alegre. “Avec Sankara, les gens ont pris confiance en eux-mêmes, ils ne se laissent plus faire et aujourd’hui l’initiative continue à partir des femmes, des villageois , de tout le monde”. Avec la création d’institutions politiques nouvelles, basées sur des assemblées populaires. D’abord les conseils régionaux (au-dessus des conseils de village). Au nombre de 30 pour les 30 régions du pays, ces conseils pratiquaient une démocratie de base rigoureuse. Chaque membre de chaque conseil pouvait, à n’importe quel moment, être révoqué par l’assemblée qui l’avait élu.

Deuxième pierre de l’édifice, les Comités de défense de la révolution (CDR), calqués sur le modèle cubain. Ceux-ci regroupaient l’avant-garde la plus politiquement consciente, chargée d’expliquer les valeurs nouvelles de la révolution. Pour Raoul Ouedraogo, qui en a été membre, ces structures ont su toujours éviter les pièges d’une dérive autoritaire et sont toujours restés des instruments d’éducation des masses.

 Joël Depommier


 

Voir aussi La victoire des vaincus, Jean Ziegler, Le seuil, Points actuel

Source:   gauchebdo (Suisse) N° 51 – 52 décembre 2004  http://www.gauchebdo.ch

 

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