Sankara, l’homme qui a réhabilité les voltaïques

Tous les articles et témoignages qui suivent sont extraits du numéro spécial de l’Evènement d’octobre 2007 voir à l’adresse http://www.evenement-bf.net/pages/sank_4.htm

Edouard Ouédraogo, président du GERDDES-Burkina1, directeur de publication de L’Observateur paalga : "C’est Sankara qui a mis le Burkina sur orbite"

Je ne suis pas un révolutionnaire, je ne suis pas sankariste, je ne partageais donc pas l’idéologie du Conseil national de la Révolution. Mais je reconnais que c’est Thomas Sankara qui a mis le Burkina Faso sur orbite. Avant lui, le Voltaïque était certes, travailleur, discipliné, mais il était surtout quelqu’un de complexé, il avait mal à son identité. Sankara a donné au citoyen burkinabè une confiance en lui-même que le Voltaïque n’avait pas. Pour moi, ce seul élément vaut tout le reste. Cette fierté d’être Burkinabè est incommensurable. Les jeunes ne peuvent pas mesurer ce que je dis. Il faut vivre la période avant la Révolution pour comprendre cela, surtout pour nos compatriotes vivant à l’extérieur. L’histoire de notre pays qui a vu le territoire national démantelé et partagé entre plusieurs pays limitrophes explique en partie la crise identitaire du Voltaïque. Le colonisateur ne nous a pas fait la part belle. Créée au dernier moment, démantelée par la suite, la colonie de la Haute Volta a toujours servi les autres. Cela n’a pas permis de sédimenter de manière profonde le sentiment national. Avec son tempérament particulier, Sankara a réussi à réveiller ce sentiment patriotique.
Sankara est passé comme une espèce de météorite. Dans l’histoire des peuples, des phénomènes comme ça, on en secrète tous les 50 ans ou 100 ans. Il est venu à une période donnée et peut-être que l’évolution de notre pays voulait que ce fût lui. Il a posé des actes, il a marqué l’histoire. La Révolution qu’il a dirigée a posé des actes positifs et négatifs, des hommes en ont souffert, d’autres sont morts. Mais tout cela appartient à notre histoire et il faut l’assumer. J’ai eu l’impression que Sankara était marqué par le sentiment qu’il n’en avait pas pour longtemps. Je ne veux pas tomber dans le mysticisme, mais le rythme auquel il a imprimé la marche du pays indiquait qu’il était conscient qu’il n’allait pas durer. Je me demande si le mythe allait se ternir s’il avait vécu plus longtemps. Mais c’est de cette façon que Sankara est rentré dans l’histoire. Ce 20è anniversaire du 15 Octobre, au lieu de donner lieu à des polémiques, devrait, à mon avis, amener les uns et les autres à se retrouver pour voir ce qui n’a pas marché il y a 20 ans et jeter les bases de leur réconciliation. Sankaristes et ceux qui soutiennent Blaise étaient tous ensemble dans le CNR. Eux seuls peuvent nous dire ce qui n’a pas marché et qui a abouti au 15 Octobre. En prenant du recul, on aurait espéré qu’ils allaient s’asseoir ensemble pour discuter et nous permettre d’avancer. Malheureusement, les positions restent tranchées de part et d’autre


Halidou Ouédraogo, président du MBDHP* : "Sankara recevait les lettres de créances des ambassadeurs dans les villages"

Thomas Sankara avait une grande idée de son pays. Il se disait qu’il n’y a pas de petit pays, tous les pays se valent. C’est pourquoi il mettait beaucoup d’abnégation pour représenter honorablement le pays à l’extérieur. On l’a vu au sommet de Vittel (France) en 1983 refuser d’être accueilli par un conseiller du président Mittérrand. Par son attitude, il exigeait en réalité plus d’égard pour son pays. Il ne craignait pas d’enfreindre aux protocoles établis. C’est ainsi qu’il recevait les lettres de créances des ambassadeurs dans les villages. Je me rappelle qu’il a reçu l’ambassadeur américain sous un baobab. Pour lui, c’est cette réalité que les diplomates doivent percevoir.
Je note également que Sankara était un internationaliste. Il soutenait des causes justes en Afrique et dans le monde. Au sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il a offert 10 fusils au Congrès national africain (ANC) pour exiger, en réalité, plus de soutien des pays africains aux combattants contre l’apartheid en Afrique du Sud. Au Proche-Orient, Sankara a dit : Israël d’accord, mais les Palestiniens d’abord. Sur la scène internationale, aux Nations unies, en 1984, il a demandé que l’on reforme l’ONU. Pour lui, le droit de veto détenu par les cinq grandes puissances ne se justifie pas et doit prendre fin. A défaut de cela, l’Afrique doit y être représenté car c’est le seul continent absent dans ce Conseil. Vous voyez que plus de 20 ans après, le débat est posé. Sankara était un visionnaire. Prenez la question du coton. Il demandait aux Burkinabè de porter le Faso dan fani. Il voulait qu’on absorbe notre coton par la transformation sur place. Il prônait cette politique avant que le problème des subventions ne devienne très préoccupant pour nos producteurs. Sur l’environnement également, Sankara est apparu comme un visionnaire avec ses trois luttes (lutte contre les feux de brousse, la coupe abusive des arbres, la divagation des animaux). Il a fallu un jeune militaire avec sa fougue pour réaliser tout cela n

*MBDHP : Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples.


Me Appolinaire Kyelem : "Il a redonné confiance aux Burkinabè"

Pour moi, le Burkina Faso actuel existe grâce à Thomas Sankara. Avant l’avènement de Sankara, il n’y avait presque rien. Le pays était à dépecer et à revendre comme en 1932. Il n’y avait aucune vie économique susceptible de tenir un pays debout. C’est dans un état de délabrement total que Sankara a pris le pouvoir. Avec son courage et son abnégation, il a placé le Burkina Faso sur orbite, très haut en Afrique. Regardez, rien qu’à Ouagadougou, ce qui a été fait. Qu’était Ouagadougou avant Thomas Sankara ? Si vous aviez connu le quartier des 1200 Logements avant Sankara ou celui de la cité An 2, et pleins d’autres quartiers, c’étaient des ordures. Si c’était pas Sankara, qui pouvait déguerpir les commerçants et construire le grand marché de Ouaga ? Si Ouagadougou est ce qu’il est aujourd’hui, c’est grâce à Thomas Sankara. Il avait fait le plan général d’électrification du Burkina Faso depuis 1986. Actuellement, on essaie tout simplement d’exécuter, tant bien que mal, ce qui avait été programmé par Sankara. Mais le plus important, c’est la prise de conscience que cet homme a donné aux Burkinabè. Il a apporté la confiance en soi et le dynamisme. Si vous voyez que maintenant, on a des opérateurs économiques, des jeunes cadres entrepreneurs qui ne craignent pas de prendre des risques, c’est l’œuvre de Thomas Sankara qui a redonné confiance aux Burkinabè. Allez-y en Côte d’Ivoire à côté et admirez la différence qu’il y a entre la perception qu’on avait du Voltaïque et celle qu’on a du Burkinabè. La différence est très énorme. Dans les autres pays, c’est pareil. Le Voltaïque était rejeté, vu comme quelqu’un sans personnalité. Mais aujourd’hui, qui ose défier le Burkinabè ? Ce changement, c’est Sankara qui l’a inspiré et porté.
Sa politique, bien qu’anti-impérialiste faisait l’affaire des impérialistes. Eh oui ! Les impérialistes ne l’ont pas su à temps. Puisque Sankara faisait une politique d’investissement qui demande beaucoup de matériaux que le Burkina ne produit pas. L’impérialisme ne réalisait pas qu’en construisant son pays, Sankara faisait son affaire. Il fallait donc importer. Sankara a donné du dynamisme à ce secteur et bien d’autres. D’une façon ou d’une autre , l’esprit qu’il a donné continue de vivre au Burkina Faso et ailleurs. En tous les cas, il a montré qu’on peut faire autrement. Nous qui étions en France à l’époque pour nos études, il nous a redonné confiance. On avait de l’aura auprès de nos frères africains et de nombreux Français. On avait des amis français qui étaient plus préoccupés par le sort de la Révolution burkinabè plus que des Burkinabè eux-mêmes. Après analyse, je pense que la Révolution est venue plus tôt. Elle manquait réellement de cadres pour aller plus loin. Si Rawling a réussi au Ghana, c’est parce que Krumah a préparé le terrain pour lui, en formant beaucoup de cadres prêts à servir. Sankara n’a pas eu cela. Malgré ce handicap, j’estime qu’il a fait beaucoup pour ce pays. Il est entré positivement dans l’Histoire et seuls les grands esprits y entrent. Ces esprits traversent l’Histoire. Ce n’est pas le pouvoir qui leur confère cette qualité. Sinon des philosophes comme Socrate, un va-nu-pied, Epithète, Platon, Rousseau n’auraient pas traverser des siècles jusqu’à nous. Ils continuent de nous éclairer. Savez-vous qui régnait en Grèce quand vivait Socrate, connaissez-vous le nom du chef de l’Etat français contemporain de Jean-Jacques Rousseau ? L’Histoire ne les a pas retenus. C’est vous dire que seuls les grands esprits traversent les siècles et pour l’éternité. Et Sankara est un grand esprit, il va traverser les siècles pour l’éternité. Tout comme Lumumba qui n’a fait que 2 mois au pouvoir, Karl Marx qui n’a jamais géré le pouvoir, Ghandi en Inde, Che Guevara, Jean Jaurès et bien d’autres, on se souviendra de Sankara dans 100 ans et plus. La preuve, 20 ans après, on continue de parler de lui. Il y a eu d’autres chefs d’Etat qui sont morts après lui, mais qui se souvient d’eux. Les Mobutu, Houphouët et autres sont évoqués sporadiquement


Député Etienne Traoré : "Sankara était un vrai patriote"

 Je retiens premièrement que c’est avec Thomas Sankara que notre pays a pris une allure internationale. Le nom du pays a connu une visibilité internationale avec lui. Notre image a été rehaussée. Deuxièmement, Ouagadougou a mérité son titre de capitale grâce à la Révolution. Beaucoup d’infrastructures ont été réalisées : routes, bâtiments, feux tricolores. Cela n’est pas rien par rapport à ce qui existait. Troisièmement, Sankara était un vrai patriote. Il aimait son peuple. Il allait partout, régulièrement à l’intérieur du pays pour voir et sentir les réalités. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Blaise Compaoré ne s’intéresse aux campagnes que pendant les élections. Même quand il y a une catastrophe, ce n’est pas son problème. Il ne s’intéresse qu’à son fauteuil. Or, Sankara aimait son peuple. Il faudrait qu’on revienne sur ce patriotisme, sinon on n’ira pas loin. Je constate simplement que le pouvoir est assis sur la corruption. Le Premier ministre fait de beaux discours, mais il n’ira pas loin. S’il est vraiment sincère, il ne fera pas deux ans, à l’instar d’Ousmane Ouédraogo de la BCEAO venu de Dakar pour occuper le poste de ministre de l’Economie et des Finances dans les années 1990. Le pouvoir de Blaise repose sur la corruption des élites, des opérateurs économiques, des chefs traditionnels, etc. Le système actuel vit de la corruption. Sans elle, il ne peut pas tenir


Basile Guissou, (ancien ministre de Sankara, aujourd’hui membre du parti au pouvoir) : "Sankara était un homme de foi et de convictions"

Avec la Révolution, nous sommes passés de la Haute Volta néocoloniale sous traité à partir de Yamoussoukro par le pro consul français dans la sous région à un nouveau statut d’Etat qui s’assume et qui s’appelle le Burkina Faso. Un pays qui n’est plus sous la tutelle de personne et qui s’exprime en toute indépendance sur le plan international. La Révolution était un processus d’éveil des consciences amenant le Burkinabè à avoir une identité et à croire à ses propres capacités à prendre son destin en charge, en produisant ses richesses et en essayant d’assurer le minimum pour tous afin que nous cessions d’être rangé parmi les pays mendiants. Pour moi, l’acquis le plus important, c’est d’avoir travaillé à faire comprendre aux Burkinabé qu’il peut prendre son destin en main et améliorer ses conditions, en produisant ses richesses par un travail organisé et planifié. Voilà ce que je peux dire de fondamental par rapport à l’acquis de 1983.à 1987. Bien sûr, comme tout processus révolutionnaire, il avait son chef. Notre chef, c’était Thomas Sankara. J’ai été son ministre pendant quatre ans. Je crois que beaucoup de choses ont été dites. On peut retenir simplement que c’est un homme de foi et de convictions, déterminé, patriote sincère. J’ai travaillé avec un homme qui allait au bout de ses convictions et de ses passions. Je garde de lui cette image.


Sankara, notre fierté à l’extérieur

 

 Ramata Soré

Source :  L’Evènement Spécial 15 octobre 2007 http://www.evenement-bf.net/pages/sank_4.htm

"Ah, tu viens du Burkina Faso, le pays de Thomas Sankara. Tu peux revenir ici quand tu veux", me lance un policier à l’aéroport international de Maputo, au Mozambique, en juillet 2006 lorsqu’il me prend mon passeport. J’y étais à l’occasion de la remise du Prix CNN. A Berlin, dans un marché à ciel ouvert, je rencontre un couple mixte, l’homme est Ghanéen, la femme Finlandaise. Le monsieur me demande d’où je viens. "Burkina Faso ", répondis-je. "Le pays de Thomas Sankara", s’écrie-il avec un air enthousiaste.
Au Ghana, un pays voisin au Burkina Faso, existe toujours la plaque qui indique "la place Thomas Sankara". Toujours dans ce pays anglophone, je rencontre un Libérien, il me demande d’où je viens. Je lui dis "Burkina Faso". Il renchérit, "Votre président, c’est bien celui qui a tué Thomas Sankara ?" Que pouvais-je lui répondre. Il semblait avoir son idée là-dessus.
Ces anecdotes montrent tout simplement que la renommée de Sankara dépasse largement les frontières nationales et africaines. L’homme est très apprécié. On fait référence à ses œuvres tant pour le Burkina que pour l’Afrique. On évoque son assassinat et là, c’est parfois la colère que l’on montre. Certaines personnes vous en veulent pour son assassinat. Quelque part, je me dis que ces gens n’ont pas tort. Les Burkinabè, en faisant peu de choses pour la perpétuation de sa mémoire, contribuent d’une façon ou d’une autre, à l’assassiner davantage, lui qui a tout donné à ce pays. C’est à l’étranger que ce travail de mémoire trouve sa source et sa vitalité. La preuve, en 2006, le Forum social mondial de Bamako au Mali organise un Camp international de la jeunesse Thomas Sankara. Les altermondialistes venus des quatre coins du monde ont pu connaître davantage l’homme, son œuvre et ses idées. Ils ont vu à quel point Sankara peut être considéré comme un précurseur de l’altermondialisme.
Le Camp se voulait un espace de débat sur les questions concernant la jeunesse et les peuples en résistance, sur un partage d’expériences et de connaissances en matière d’actions citoyennes et de valorisation de l’identité de l’Africain. Aussi le Camp international de la jeunesse Thomas Sankara se voulait panafricaniste, comme l’était l’homme, porteur d’espoir, comme son combat l’a été…
Outre ce camp, de par le monde entier, Thomas Sankara est célébré à travers de nombreuses activités, actions ou conférences: c’est le cas en Italie en février 2007. Aux Iles Canaries, un séminaire traite de la problématique de Sankara, un espoir pour l’Afrique.
Ce 15 Octobre 2007, Thomas Sankara est grandiosement célébré. Gageons que les autres années, il en soit ainsi. Certes nul n’est prophète chez soi ; mais Sankara peut l’être dans son pays.

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