(…) (𝗔𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿, 𝗷𝗲 𝗻𝗲 𝗹’𝗮𝗶 𝗽𝗮𝘀 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗻𝗶 𝗱𝗲 𝗽𝗿𝗲́𝘀 𝗻𝗶 𝗱𝗲 𝗹𝗼𝗶𝗻, 𝗻𝗶 𝗲𝗻 𝗽𝗲𝗻𝘀𝗲́𝗲𝘀, 𝗻𝗶 𝗲𝗻 𝗮𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝟭𝟵𝟴𝟳 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂 (𝗹𝗮 𝗽𝗿𝗲́𝗰𝗶𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗻’𝗲𝘀𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗶𝗻𝘂𝘁𝗶𝗹𝗲), 𝗷’𝗮𝗶 𝘁𝗼𝘂𝘁 𝘀𝗶𝗺𝗽𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘃𝗲́𝗰𝘂 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲𝗿𝗻𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗼𝗻𝘁 𝗽𝗿𝗲́𝗰𝗲́𝗱𝗲́ 𝗹’𝗮𝘁𝘁𝗮𝗾𝘂𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗹’𝗼𝗻𝘁 𝘀𝘂𝗶𝘃𝗶.
𝗦𝗮𝗻𝘀 𝗱𝗼𝘂𝘁𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝘁𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗴𝗻𝗮𝗴𝗲𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝘃𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗮𝘂𝗿𝗮𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗽𝘂 ê𝘁𝗿𝗲 𝗳𝗮𝗶𝘁𝘀 𝗽𝗮𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝘂𝗿𝘃𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝗱𝗿𝗮𝗺𝗲. 𝗝𝗲 𝗻‘𝗮𝗶 𝗽𝗮𝘀 𝗰𝗵𝗲𝗿𝗰𝗵𝗲𝗿 𝗮̀ 𝗺𝗲𝘂𝗯𝗹𝗲𝗿 𝗺𝗼𝗻 𝗿𝗲́𝗰𝗶𝘁 𝗲𝗻 𝗹𝗲𝘀 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗿𝗼𝗴𝗲𝗮𝗻𝘁. 𝗝𝗲 𝗜’𝗮𝗶 𝘃𝗼𝘂𝗹𝘂. 𝗦𝗮𝗻𝘀 𝗮𝘃𝗼𝗶𝗿 𝗮𝘀𝘀𝗶𝘀𝘁𝗲́ 𝗮𝘂𝘅 𝘁𝘂𝗲𝗿𝗶𝗲𝘀, 𝗷’𝗮𝗶 𝗽𝘂 𝗺𝗲𝘀𝘂𝗿𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗶𝗺𝗲𝗻𝘀𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗱𝗲 𝗜’𝗵𝗼𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿 𝗲𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗯ê𝘁𝗶𝘀𝗲 𝗰𝗲 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂.
𝗕𝗲𝗮𝘂𝗰𝗼𝘂𝗽 𝗱𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗿𝗲𝘀𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗲𝗻 𝘀𝘂𝘀𝗽𝗲𝗻𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀. 𝗘́𝘁𝗮𝗶𝘁-𝗶𝗹 𝗻𝗲́𝗰𝗲𝘀𝘀𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗱‘𝗮𝘁𝘁𝗮𝗾𝘂𝗲𝗿 𝗹𝗮 𝘃𝗶𝗹𝗹𝗲 ? 𝗬 𝗮-𝘁-𝗶𝗹 𝗲𝘂 𝗰𝗼𝗺𝗯𝗮𝘁𝘀 ? 𝗣𝗼𝘂𝗿𝗾𝘂𝗼𝗶 𝗮-𝘁-𝗼𝗻 𝗲𝘅𝗲́𝗰𝘂𝘁𝗲́ 𝘀𝗼𝗺𝗺𝗮𝗶𝗿𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘁𝗼𝘂𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗷𝗲𝘂𝗻𝗲𝘀 𝗼𝗳𝗳𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗱𝗼𝗻𝘁 𝗹𝗲 𝘀𝗲𝘂𝗹 𝗺𝗮𝗹𝗵𝗲𝘂𝗿 𝗮 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗱‘ê𝘁𝗿𝗲 𝗮𝗳𝗳𝗲𝗰𝘁𝗲́𝘀 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗼𝗿𝗱𝗿𝗲𝘀 𝗱’𝘂𝗻 𝗼𝗳𝗳𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿 𝘀𝘂𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗾𝘂𝗶 𝗻‘𝗮𝘃𝗮𝗶𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗰𝗮𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗲́ 𝗹𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝟭𝟱 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝗹’𝗮𝘃𝗮𝗶𝘁 𝗳𝗮𝗶𝘁 𝘀𝗮𝘃𝗼𝗶𝗿 𝗮̀ 𝗵𝗮𝘂𝘁𝗲 𝘃𝗼𝗶𝘅 ? 𝗤𝘂𝗲𝗹 𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗹𝗮 𝗣𝗿𝗲𝘀𝘀𝗲 𝗮-𝘁𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗿𝗲́𝗲𝗹𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗷𝗼𝘂𝗲́ ?
𝗠𝗼𝗻 𝗮𝗺𝗯𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗻’𝗲𝘀𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲 𝘀𝗮𝗶𝗴𝗻𝗲𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝗰𝗶𝗰𝗮𝘁𝗿𝗶𝗰𝗲𝘀 𝗮̀ 𝗽𝗲𝗶𝗻𝗲 𝗳𝗲𝗿𝗺𝗲́𝗲𝘀. 𝗝𝗲 𝗻𝗲 𝗰𝘂𝗹𝗽𝗮𝗯𝗶𝗹𝗶𝘀𝗲 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲. 𝗘𝘁 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗮𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗰𝗲𝘀 𝗱𝗼𝘂𝗹𝗼𝘂𝗿𝗲𝘂𝘅 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀, 𝗷𝗲 𝘀𝗼𝘂𝗵𝗮𝗶𝘁𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝗿𝗮𝗽𝗽𝗲𝗹𝗲𝗿 𝗮𝘂𝘅 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿𝘀 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗮𝗶𝗻 𝗲𝘁 𝘀𝗼𝘂𝗹𝗶𝗴𝗻𝗲𝗿 𝗮̀ 𝘁𝗼𝘂𝘀, 𝗹𝗲 𝗿ôle 𝗱𝗲 𝗹’𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝗱𝗲𝘃𝗼𝗻𝘀 être 𝗳𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗲𝘁 𝗰𝗮𝗽𝗮𝗯𝗹𝗲𝘀 𝗱‘𝗮𝘀𝘀𝘂𝗺𝗲𝗿 𝗰𝗵𝗮𝗰𝘂𝗻 𝗱𝗲 𝗻𝗼𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗲𝘃𝗮𝗻𝘁 𝗜’𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲. 𝗧𝗼𝘂𝘁 𝗹𝗲 𝗴𝗲́𝗻𝗶𝗲 𝗲𝘁 𝘁𝗼𝘂𝘁𝗲 𝗹’𝗶𝗻𝘁𝗲𝗹𝗹𝗶𝗴𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘀𝗶𝘀𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗮̀ 𝗲́𝘃𝗶𝘁𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗼𝗻𝘁 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗮𝘂𝗿𝗼𝗻𝘀 𝗵𝗼𝗻𝘁𝗲 𝗼𝘂 𝗽𝗲𝘂𝗿 𝗱’𝗲𝗻 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗲𝗿 𝗱𝗲𝘃𝗮𝗻𝘁 “𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲.
𝗟𝗲 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝟭𝟵𝟴𝟳 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂, 𝗼𝗻 𝗮 𝘁𝘂𝗲́ 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗽𝗹𝗮𝗶𝘀𝗶𝗿 𝗱𝘂 𝘀𝗮𝗻𝗴. 𝗟𝗲 𝘀𝗮𝗻𝗴. 𝗟𝗲 𝘀𝗮𝗻𝗴 𝗱𝗲𝘀 𝗮𝘂𝘁𝗿𝗲𝘀, 𝗷𝗮𝗱𝗶𝘀 𝗮𝗺𝗶𝘀 𝗲𝘁 𝗽𝗮𝗿𝗲𝗻𝘁𝘀, 𝘃𝗲𝗿𝘀𝗲́ 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝘂𝗻𝗲 𝗶𝗱𝗶𝗼𝘁𝗲 𝗽𝗮𝗿𝗰𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗱𝗲 𝗴𝗹𝗼𝗿𝗶𝗼𝗹𝗲. 𝗕êt𝗶𝘀𝗲 !
En octobre 1987 nous tournions “notre film” (“Ma fille ne sera pas excisée“) à Koudougou, précisément à Doulou à une vingtaine de kilomètres de la ville. Lorsqu‘après Ies événements du 15 octobre la Brigade d’Intervention aéroporté (BIA) commandée par Boukary Kaboré dit Ie Lion entra en rébellion, il fallait demander des autorisations de sorties pour quitter la ville. Ce que nous faisions. Ce fut mon premier contact avec Boukary bien que je le connaisse de nom depuis le Cameroun.
La ville bruissait de cette dramatique situation d’état de siège. Tous avaient conscience qu’une bataille entre les éléments du BIA et les forces qui viendront de Ouagadougou et de Bobo ne laisserait que des ruines et des morts. La tension montait de jour en jour au sein de la population. Les propos les plus amers étaient tenus à l’endroit du Lion : “Il veut se battre, soit, mais qu’il amène ses hommes dans son village à Poa… Il n’est pas de Koudougou, qu’il laisse notre ville en paix…”
Même ceux qui le soutenaient ne voulaient pas de combats dans la ville : ” Je veux qu’il venge Tom Sank, mais c’est à Ouaga qu’il doit aller se battre”, nous disait un jeune. (Voire ! Tous les accès conduisant à la capitale étaient bloqués). Une très forte pression psychologique s’exerçait sur le Lion et ses hommes dans cette ville de Koudougou.
Le 23 octobre sur les coups de 8 heures nous étions au BIA pour une autorisation de sortie. Mais le Lion depuis un certain moment passe plus de temps chez lui qu’au bureau. Il nous reçoit ce jour à domicile. Son téléphone n‘arrête pas de sonner. Le dernier coup de fil qu’il reçoit avant de décrocher le téléphone le rend rageur : “Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je laisse chacun avec sa conscience ! Faites comme vous voulez !
– C‘est qui ?
– Les salauds de Dédougou qui me racontent des histoires”.
Un jeune homme en survêtement de sport rouge à bandes blanches, affalé sur le divan, le regard vide et triste venait de lui poser la question. J’apprendrai plus tard que c’était le lieutenant Kéré (Paix a son âme).
“Attendez-vous dehors !“, nous dit-il. Nous attendrons toute la journée. Le lendemain je reviens le voir toujours à domicile. Pendant que j’attends dehors j’entame une conversation avec son garde de corps et un de ses soldats. Je comprends que la situation est désespérée pour eux. Ils avaient tous le moral très bas. Deux de mes amis de passage viennent grossir notre cercle : Bernard et Arsène.
Le garde de corps de Boukary raconte : “Les vieux sont venus ici avec les fétiches hier, et la nuit un gros serpent boa est venu pleurer dans la cour du capitaine. Ici c’est dangereux...”. Nous restons interloqués. Le narrateur prend son collègue à témoin. Tous deux nous indiquent l’itinéraire du reptile mystérieux. Je leur fais comprendre que la présence d’un tel reptile s’explique à cause de la proximité du cimetière municipal dont le mur est séparé de la maison du Lion par une simple rue. Rien n’y fait. Ils lient tout à la présence des fétiches. Le Lion viendra se joindre à nous. Il confirmera la venue du reptile dans sa cour. Il évoque longuement la situation. M’explique la situation qui prévalait au sein du Conseil National de la Révolution (CNR), la solution qu’il a préconisée pour résoudre la crise. Il me pose une question comme un leit-motiv: “Comment on peut tuer des gens comme ça ?” Plus il explique, plus il s’énerve. Je reviens sur cette histoire du serpent. Il reconfirme la nouvelle, mais passe vite à la guerre de Noël avec le Mali, il vante le mérite de ses jeunes officiers, loue leur courage.
J’insiste à nouveau sur la venue de ce serpent qui semble les terroriser plus que l’apparition des forces adverses. J’avais vu juste en insistant. Le Lion me dis : “Dis-moi honnêtement ce que tu penses de la situation. Actuellement c’est grave, avec ces vieux qui sont venus“.
-Tu ne vas pas te fâcher, demandais-je.
– Non ! Puisque c’est moi qui te le demande.
Je lus la sincérité dans ses yeux. Aussi je risque : “Tu veux mon avis, toi et les autres vous êtes tous pareils. Pendant que les populations souffrent vous voulez leur imposer une guerre civile. À quoi cela va-t-il aboutir, une tuerie inutile. Vous allez tuer ces jeunes pour le pouvoir...”
– C’est vrai, tu as raison. Moi j’ai dit hier aux vieux que je laisse tomber. Moi je ne veux même plus l’armée, je préfère aller cultiver que d‘être dans cette merde. Figure-toi que si je voulais la guerre, je n‘attendrais pas que l’on vienne m’assiéger. Je peux rentrer à Ouaga en plein jour. Moi je laisse tomber. J’ai dit aux vieux qui sont allés à Ouaga de me garantir la liberté et la vie. Chez moi c’est fini”.
Un de ses informateurs arrive et le tire de côté pour un bref entretien. Il revient hilare et nous lance:
“Il paraît que quand on dit à Ouaga, le Lion arrive les militaires deviennent des douaniers. Ils retournent leur béret“.
Notre conversation dure plus de deux heures au même endroit (dehors).
Je reviens le voir le 25 octobre. Nous sommes à la dernière séquence du film et des policiers ou des gendarmes doivent intervenir pour arrêter les exciseuses. Des hommes en tenue nous suffisent. Il me demande de voir le lieutenant Ky Bertoa (Paix à son âme) que j’ai connu à Yaoundé. Lui, son chauffeur et un autre militaire nous accompagnent sur le plateau de tournage à Doulou le 26 soir. Ils étaient moins gais et moins enthousiastes que la veille.
Je plaisante et rappelle les bons souvenirs de Yaoundé, les amis (es) que nous y avions eus. Il finit par dire : “Les informations que nous avons ne sont pas bonnes”. Je leur explique que les patriarches de la ville avaient amené des fétiches chez Ie Lion pour lui interdire de tirer un seul coup de feu dans la ville. Notre acteur principal le chef de Doulou, président de l’UNAB (Union nationale des anciens du Burkina) de Koudougou et d’autres vieux étaient partis à Ouagadougou. On dit qu’ils vont remettre la reddition du Lion qui ne demande qu’une seule chose : la vie sauve.
Ky Bertoa et ses soldats restent de marbre. Il me répète l’air affligé : “Les informations ne sont pas bonnes”. ll était vers 18 heures quand nous nous quittons ce 26 octobre. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin de bonne heure car la scène se passe à l’aube. Nous attendrons en vain. Cachés par le mil non encore récolté, nous n’avons pas vu passer les véhicules militaires fonçant sur Koudougou. Puis ce furent les coups de canons et de mitrailleuses. Les premiers réfugiés avec ou sans baluchons fuyant la ville nous narrent une situation apocalyptique.
A les entendre il reste très peu de survivants dans la ville. Nous rentrons dans la ville vers 14 heures. Les tirs avaient cessé. J’ai vu le Lion au volant. Dans mon quartier il y a un mort, un ami d’enfance : Yaméogo Zourègma Mathias, maçon de son état. Un obus I’a tué net ce matin pendant qu’il prenait sa calebassée de dolo avant de regagner son chantier. La radio nationale avait pourtant annoncé qu’il n’y avait pas de victime parmi la population civile. Mathias a trouvé la mort au moins à cinq kilomètres du BIA. Je parcours la ville avec un petit appareil photographique. Mais je ne trouve rien à photographier. Apparemment les obus tirés ne visaient pas le BIA. Seule la maison de Boukary était criblée de balles. Le comble est que le propriétaire du bâtiment faisait partie de la délégation de I’UNAB de Koudougou. Il aurait eu le temps d’évacuer sa famille m’a-t-on dit.
Le lendemain 28 octobre commencent les récits du carnage dans la ville. Un vendeur de buvette me raconte : “Ils sont arrivés chez moi tard la nuit. Ils ont tapé et j’ai ouvert, ils m’ont demandé de leur servir de la bière. Pendant que je servais j’ai remarqué les taches de sang sur leurs vêtements et leurs chaussures. L’envie m’est venue de jeter un coup d’œil dans leur véhicule dehors. J’ai vu des corps déchiquetés et entassés comme des objets dans le véhicule. J’ai refusé de prendre leur argent dès qu’ils ont fini de boire. J’ai fermé la buvette définitivement pour oublier ce que j’ai vu...”
La plus macabre histoire fut celle des brûlés de Kiogo à sept kilomètres de la ville. Selon des témoignages concordants dans la ville, le 28 octobre, la plupart des soldats et officiers du BIA sont allés se rendre, ou tout simplement sont restés chez eux, attendant que l’on vienne les chercher. Ils furent froidement abattus. Des corps furent brûlés à la paille à Kiogo avant d’être sommairement ensevelis.
Mon ami Ky Bertoa qui roulait à tombeau ouvert vers son village aurait fait un accident avec la jeep.
Il aurait eu le bras cassé mais aurait réussi à rejoindre son village. Il fut retrouvé. Il aurait été exécuté devant ses parents malgré ses supplications et ses larmes.
Je n‘ai pas eu un seul exemple de soldat tombé à Koudougou Ies armes à la main en se battant ; peut-être cela a-t-il existé. Mais je n’en ai pas entendu parler. Combien ont-ils été tués ? Pourquoi ont-ils été tués ?
À la veille du 6e anniversaire de ce massacre odieux nous n’avons pas mis la main dans la poubelle de l’Histoire pour rien : nous souhaitons que les uns et les autres s’interrogent sur ces morts, morts tout juste pour nourrir une terre qu’ils auraient pu protéger et défendre.
Devant les récits de carnage ma grand-mère me dira les larmes aux yeux : “C’est ainsi que ton petit frère (NDLR : soldat) fait pour gagner son argent ? Désormais qu’il le garde. Je n’en veux plus…”.
Je souhaite que les uns et les autres comprennent ce que peut engendrer la violence gratuite des États d’exception, la lutte féroce et inhumaine pour le pouvoir. Le pouvoir pour le pouvoir.
S‘il y avait eu bataille à Koudougou la population aurait payé un très lourd tribut, sans doute.
Il demeure une question essentielle : pourquoi a-t-on attaqué ? Simple opération dissuasive pour le reste de l’armée ? Sans doute. Mais qui a ordonné ces exécutions sommaires de ces jeunes officiers et soldats ?
Sidwaya titrait cinq colonnes à la une : “Koudougou libéré des griffes du Lion”. Les “héros de la bataille” étalaient leurs photos à longueur de colonnes, gonflés à bloc et très heureux d’avoir pu massacrer des hommes qui ne se défendaient pas. Comme ce fut vraiment étrange cet événement historique couronnant la fin d’un octobre noir, le plus sanglant de notre histoire.
Machinalement on répète en pareilles circonstances : plus jamais ça ! Mais sachons que les nations peuvent mourir et être enterrées comme les hommes. Leur linceul se nomme amnésie, leur cercueil crimes impunis. Puisse cet exemple au moins servir et faire comprendre que les vrais héros ne tuent pas, ils protègent. Seuls les fauves massacrent. Eux seuls aiment le sang.
Henri SEBGO pseudonyme de Norbert ZONGO
Source : L’indépendant N°13 du 26 octobre 1993 https://www.facebook.com/ouedraogo.souleymane.Basic.Soul/posts