Thomas Sankara [1949-1987], l’Eternelle valeur de l’exemple
Akam Akamayong (15/10/2007)
Thomas Sankara, le charismatique président du Burkina Faso du 04 Août 1983 au 15 octobre 1987, date de son assassinat par son ami et toujours président burkinabé [en 2007], est certainement avec Nelson Mandela la figure politique africaine la plus marquante des années 80, suivant les prestigieux devanciers N’krumah, Sékou Touré, Lumumba, Nyerere et autres. Habité par un idéal révolutionnaire communicatif tenu dans une irréversible volonté de rupture, de justice et de liquidation des rapports de domination, Thomas Sankara a conquis une audience largement au de là de l’Afrique par une puissante vision du monde et une force de persuasion aux idéaux de progrès universel, sans jamais faire l’impasse sur l’état de son pays, de son Afrique, du peuple dont il se disait issu et porte-parole.
Celui qui se voulait la voix des Indiens, des Africains, des Femmes, des Esclaves et des Opprimés a légué un inimitable style politique assorti de réflexions inoubliables. Ses discours son restés gravés dans les mémoires de ceux qui, épris d’un réel renouveau dans le rapport du capitalisme aux peuples extra-occidentaux, n’ont cessé d’appeler de leurs vœux, dans un élan quelque fois messianique, l’avènement d’une figure qui incarnerait enfin les combats de tous pour tous.
A l’occasion du 20ème anniversaire de sa mort, quelques extraits de ses discours permettront de poursuivre un travail de deuil, de mémoire et d’espoir plus impérieux que simplement nécessaires, dans un faux village planétaire où les prédations démultipliées se sont obligées les plus médiatiques philosophes et intellectuels, donnant bonne conscience à une rapacité pulsionnelle aiguisée par les lucratives et vulnérables sociétés du globe. Eventrées, violées, investies au pas de charge au cri de libéralisme, libéralisme, libéralisme !
Sankara restera par dessus tout par la suprême valeur de l’exemple, celle qui fait défaut aujourd’hui aux combattants de la liberté dans le paysage politique africain. Les dinosaures, les vieux, les anciens ont réussi à durer, à trop durer, savent-ils encore pourquoi ? Hier adulés ou loués pour les besoins de la cause clanique ou sincèrement dans l’espoir de voir des changements prochains, les anciennes gardes sont honnies et le savent, bannies de l’estime et de la dignité des leurs et plus encore de leurs alliés occidentaux. Les pays qui s’enfoncent dans les misères n’offrent même pas la possibilité de jouir en toute quiétude des biens mal acquis qui font par ailleurs l’objet récent de l’intérêt des appareils judiciaires occidentaux. Il reste alors celui qui avait parlé, … et qui avait dit vrai. Impasse est faite sur les «papa» des peuples, les «mama» autoproclamées, la force de l’exemple résonne à jamais. Les erreurs sont oubliées, tout un chacun a pu juger de leur bonne foi, et du parti pris de l’action réformatrice, révolutionnaire.
A bientôt Sankara tes idées ne pourront ne pas servir, il y avait en elles tellement de vérité et tellement de volonté d’apaiser les souffrances de tous. En passant en revue quelques une des phrases restées célèbres les contemporains revivifient désormais quotidiennement l’esprit d’un très haut parmi les grands fils de l’Afrique, vraie, généreuse, courageuse, sans début ni fin.
A propos de la justice, on retiendra de Sankara parmi d’autres réflexions fulgurantes :
” Tant qu’il y aura l’oppression et l’exploitation, il y aura toujours deux justices et deux démocraties : celle des oppresseurs et celle des opprimés, celle des exploiteurs et celle des exploités. La justice sous la révolution démocratique et populaire sera toujours celle des opprimés et des exploités contre la justice néo-coloniale d’hier, qui était celle des oppresseurs et des exploiteurs. ” 3 janvier 1984, ouverture des 1ères assises des Tribunaux Populaires de la Révolution.
Sur la condition féminine et les rapports de genre :
” Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées.” 8 mars 1987, Ouagadougou
Thomas Sankara s’illustra à plusieurs reprises, au grand agacement de ses homologues africains occupés à accompagner le pillage capitaliste des ressources continentales, par ses propos cinglants contre le néo-colonialisme. Rupture, le mot fut lâché :
” Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain. Fonder l’espoir. ” A un journaliste américain.
Doté d’une grande lucidité sociologique qui allait lui valoir des inimitiés de la part d’oligarques africains, il dénonça le mimétisme et l’aliénation culturelle encore tenaces, caractéristiques des pesanteurs des sociétés post ou néo-colonisées :
” La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins.” A un journaliste américain.
Liberté, dignité, lutte, des thèmes récurrents:
” L’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste […] doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières. D’autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs. ” Août 1984, Conférence de presse.
Aussi incisif envers l’apathie des oppressés qu’à l’endroit des oppresseurs, se moquant des préséances et des sempiternelles obséquiosités, Sankara n’hésita ni à faire la leçon au très craint président français, Mitterand, ni à critiquer la coopération ou ce qui s’en réclamait :
” Nous n’avons pas compris comment ils [Jonas Savimbi de l’Angola et Pieter Botha d’Afrique du Sud, pro Apartheid] ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en portent l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours. ” Novembre 1986, discours fait à François Mitterrand, en visite à Ouagadougou.
Dans le même discours, et de la même veine :
” Parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, nous nous sommes jurés de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre le moindre déni de justice. “
La remise en question des privautés, habitudes, relations de copinages franco-africains occupait une place de choix dans les positions de Sankara, la dette notamment fut abordée dans l’optique qui triompherait plus tard, celle de l’abolition :
Vous parlez beaucoup, souvent, de la dette, du développement de nos pays, des difficultés que nous rencontrons dans des forums internationaux. (…) Nous vous demandons de continuer à le faire, parce que, aujourd’hui, nous sommes victimes des erreurs, des inconséquences des autres, L’on veut nous faire payer doublement des actes pour lesquels nous n’avons pas été engagés. Ils nous ont été conseillés et octroyés dans des conditions que nous ne connaissons plus. Sauf qu’aujourd’hui, nous devons subir et subir. Mais pour nous, ces questions ne se résoudront jamais par des incantations, des jérémiades, des supplications et des discours…
Toujours à l’adresse d’un Mitterrand pourtant familier, y compris en France, d’une déférence frisant parfois l’idolâtrie, le révolutionnaire lançait à un homologue qu’il traitait d’égal à égal :
Parlant de la coopération entre la France (…) et le Burkina Faso, (…) nous ne demandons pas, comme cela a été le cas déjà, que les autorités françaises viennent s’acoquiner avec des autorités burkinabè, africaines, et que seulement quelques années plus tard, I’opinion française, à travers sa presse se répande en condamnations de ce qui s’appelait aide, mais qui n’était que calvaire, supplice pour les peuples…
Cette pensée révolutionnaire, cette incarnation d’une indomptable volonté de rupture, cette démocratisation des pratiques du pouvoir africain, ce charisme politique ont à jamais marqué les jeunesses africaines, leur fournissant au milieu d’un désert politique, une figure qui devait avec le temps, même disparue, ne pas ternir au contraire se bonifier. Jurant d’avec un paysage occupé par les clientèles politiciennes sans commune mesure avec les enjeux du vivre-ensemble, de l’émancipation, de la liberté des peuples dominés, Sankara, avec un à-propos dévastateur, n’épargnait pas ceux pour qui il était parti en guerre :
… l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère… Extrait de discours à l’ONU, 1984.
Première parution 16/10/2003, modifiée
Akam Akamayong
Source : http://www.afrikara.com