Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. Nous les mettrons en ligne petit à petit dans l’ordre chronologique où ils ont été publiés.

Cet article paru 11 avril 1983 est un extrait du discours de Thomas Sankara au sommet des Non Alignés du 7 au 12 mars 1983 à New Dehli. Vous trouverez l’intégralité du texte de ce discours ainsi que la version audio à https://www.thomassankara.net/discours-prononce-au-sommet-des-non-alignes-de-new-delhi-en-mars-1983/

Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Joagni Paré, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction du site thomassankara.net


Les chefs d’Etat et de gouvernement, les observateurs et journalistes présents au sommet de New Delhi (du 7 au 13 mars dernier) attendaient avec intérêt le discours du Premier ministre de la Haute-Volta. Certains ont été irrités ou déçus; d’autres, au contraire, satisfaits sinon enthousiastes. Les premiers parce qu’ils espéraient entendre une voix à laquelle ils étaient habitués : celle d’un pays qui a longtemps vécu dans le giron néo-colonial. Les seconds parce que ce discours de Thomas Sankara venait leur apporter la confirmation que la Haute-Volta émergeait enfin d’un passé de servitude, de suivisme et de domination. “Nous, peuple de Haute-Volta !” Cette acclamation de Thomas Sankara a fait chaud aux cœurs non seulement des Voltaïques, mais de tous les Africains, de tous les peuples du tiers monde. Elle exprime bien que l’ère de la confusion et de la résignation est révolue. Que ce peuple, sous la conduite du Comité du salut public, est debout, que les menaces et les pressions ne le feront pas reculer et qu’il apportera, avec plus d’efficacité, sa contribution à la concrétisation des principes du non-alignement. Significatif est donc le discours de Thomas Sankara dont voici de larges extraits.

Durant les trois années pendant lesquelles il a eu à diriger notre mouvement, le président Fidel Castro a fait preuve de qualités hors pair, ce qui a renforcé notre dignité et notre crédibilité […] Je salue également les nouveaux membres du Mouvement, à savoir les Bahamas, la Colombie, la Barbade. Leur admission au sein des Non-Alignés sera sans aucun doute un apport fécondant pour la consolidation de notre lutte commune.

Après les concertations préliminaires de la conférence de Bandoung qui affirma, avec éclat, à la face du monde et par la voix des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples coloniaux, donnant ensuite le signal décisif de l’ébranlement et de l’effondrement généralisé de l’odieux système colonial, le Mouvement des non-alignés est né voici maintenant vingt-deux ans, à Belgrade, à l’initiative de ses pères fondateurs qui ont pour noms Nehru, Sukarno, Nasser, Tito, des héros de l’humanité dont l’histoire gardera éternellement la marque profonde. D’autres, après eux, ont joué un rôle dynamique pour valoriser notre mouvement, lui éviter la sclérose que l’impérialisme et le néo-colonialisme affolés tentaient de lui imposer par le chantage économique et politique. Permettez-moi de ne citer que Kwame Nkrumah et Houari Boumediene, dont nous nous souviendrons toujours avec un profond respect. Du premier sommet de Belgrade, en 1961, au deuxième du Caire en 1964, de celui de Lusaka, en 1970, à celui d’Alger en 1973, de celui de Colombo, en 1976, à celui de La Havane en 1979 et maintenant à celui de New Delhi, notre mouvement n’a cessé de confirmer et d’étendre son audience, de se préciser et de s’affirmer dans le monde.

A travers ses objectifs et ses nobles idéaux comme une force de paix, une force de raison, comme enfin la conscience profonde et courageuse d’un monde que l’impérialisme voudrait voir éternellement soumis à sa domination, à ses pillages et à ses massacres aveugles […], le Mouvement des non-alignés s’est voulu tout d’abord une force représentant l’aspiration profonde de nos pays à la liberté, à l’indépendance et à la paix face au bloc hostile en présence ; comme une force affirmant notre droit d’États et de peuples souverains à choisir librement et sans inféodation nos propres voies pour le progrès […], à choisir librement nos amis dans le monde, sur la base de leur attitude concrète devant l’aspiration de nos peuples à la libération du joug colonial, néo-colonial ou raciste ; à l’indépendance, à la sécurité, à la paix et au progrès économique et social. Contrairement à l’interprétation restrictive et simpliste que l’impérialisme veut nous imposer comme définition du non-alignement, celui-là n’a rien à voir avec une équidistance arithmétique des deux blocs qui dominent le monde, ou un « équilibrisme » ridicule de traumatisés entre ces deux blocs. Toutes choses qui n’ont manifestement aucun sens et nient en fait notre liberté d’apprécier souverainement, et en toute indépendance, les attitudes et agissement des uns et des autres dans le monde. Nous ne pourrons jamais mettre sur un pied d’égalité celui qui opprime un peuple, le pille et le massacre quand il lutte pour sa libération, et celui qui aide, de façon désintéressée et constante, ce même peuple dans sa lutte de libération. Nous ne pouvons nous tenir à égale distance de celui qui arme, fortifie, soutient diplomatiquement et politiquement une clique raciste qui assassine froidement et depuis des décennies tout un peuple, et de celui qui aide ce peuple à mettre fin au même régime raciste. […] Nous ne pouvons mettre sur un pied d’égalité, nous tenir à égale distance d’une part de ceux qui soutiennent, par tous leurs puissants moyens économiques, des régimes et des gouvernements qui n’ont d’autres obsessions que de soumettre, terroriser tous les pays autour d’eux (y compris par l’agression militaire directe, les assassinats organisés par leurs services secrets) et d’autre part ceux qui apportent un soutien concret à ces pays agressés pour assurer, sur leur sol, leur défense et leur sécurité. Bien sûr, le Mouvement des non-alignés n’est pas une puissance militaire, et c’est heureux ainsi, même si cela lui vaut la dérision de certaines puissances chez qui la force tout court prime le droit des peuples et à la dignité et à l’indépendance. Notre mouvement est avant tout une force morale qui rassemble des pays divers par leur position géographique, leur étendue, leur population, leur économie et les systèmes sociaux dont ils se sont dotés. […]

Pour promouvoir la démocratisation des rapports internationaux fondés sur l’égalité des droits et des obligations en lieu et place des rapports internationaux actuels, injustes et illégaux; pour promouvoir, enfin, le progrès des pays et des peuples en lieu et place de l’appauvrissement continu des pays pauvres et de l’enrichissement sur leur dos des plus riches, […] notre mouvement ne doit jamais abandonner ses efforts persévérant pour ramener ses membres à respecter l’un de nos grands principes qui est de rechercher, dans la négociation et par les moyens pacifiques, la solution des divergences et des conflits pouvant surgir entre eux, et qui sont du reste bien souvent suscités ou aiguisés par les manœuvres de l’impérialisme. C’est pourquoi, non seulement nous déplorons la guerre fratricide engagée depuis plus de deux ans entre l’Irak et l’Iran […], mais nous appelons les dirigeants de ces deux pays à accepter la médiation du Mouvement des non-alignés pour une paix juste, honorable et rapide. De même, pensons-nous, notre mouvement ne peut accepter le rôle d’observateur muet et passif qu’on cherche à lui imposer — comme au reste du monde — dans ce conflit du Proche-Orient […] où les manœuvres combinées de l’impérialisme et du sionisme ont réussi, non seulement à expulser de sa patrie le peuple palestinien, mais aussi, à la suite d’agressions barbares successives, à réaliser et à maintenir l’occupation militaire et l’annexion de vastes territoires de plusieurs pays arabes membres de notre mouvement.

Récemment encore, il y a moins d’un ans le gouvernement d’Israël, publiquement encouragé par celui des États-Unis, a envahi avec son armée, malgré la condamnation unanime des peuples du monde entier, l’État du Liban et soumis la capitale Beyrouth à la destruction impitoyable par ses énormes moyens militaires, terrestres, maritimes et aériens, malgré l’héroïque résistance de la ville et des Palestiniens sous la direction de l’O.L.P. Malgré le cessez-le-feu obtenu par la communauté internationale, le gouvernement israélien a permis les massacres inqualifiables de Sabra et de Chatila, dont les responsables méritent d’être poursuivis pour crime contre l’humanité. Il s’obstine encore à refuser de retirer du Liban les troupes d’agression. Partout où les peuples se lèvent pour réclamer leur libération et leur indépendance, l’impérialisme intervient grossièrement pour armer leurs ennemis, allumer la guerre et organiser leur massacre, se dressant ainsi activement contre la paix et contre la liberté des peuples. Il en est ainsi au Nicaragua, où, pour tenter d’effacer la victoire du peuple nicaraguayen, l’impérialisme dresse contre lui des bandes armées et des gouvernements de pays voisins qu’il manipule. Au Salvador, le même scénario a pour objectif d’enrayer l’avance du mouvement de libération nationale […].

Nous saluons aussi l’appui constant apporté par le Mouvement des non-alignés à la lutte du peuple de Namibie pour sa libération sous la conduite de son unique représentant légitime, la S.W.A.P.O., à la lutte du peuple noir d’Afrique du Sud contre l’odieux système raciste d’exploitation qu’est l’apartheid, au droit à l’autodétermination indépendante du peuple sahraoui, à la réunification pacifique de la Corée, débarrassée des troupes étrangères qui occupent son sol depuis trente ans. Promouvoir la démocratisation des rapports internationaux, c’est tout simplement accorder ces rapports institués à une époque de plus en plus révolue avec la situation actuelle de notre monde. C’est prendre en compte le fait indéniable de l’émergence sur la scène internationale des peuples colonisés ou assujettis, mais qui, tout naturellement, aspirent au progrès et au bien-être, à être maîtres des ressources de leur sol et de leur sous-sol afin qu’elles servent en premier lieu à satisfaire leurs propres besoins, participer, avec des droits et des obligations égaux, au développement des échanges internationaux de toutes natures, économiques, commerciaux mais aussi technologiques et culturels. Nos pays ne veulent plus de l’ordre économique ancien, bâti sur la suprématie incontestée et le diktat du plus fort, organisé autour des échanges à sens unique, injustes entre nos matières premières, produits de base ou à peine élaborés contre leurs produits manufacturés, leur technologie, leur mode de vie. […]

Nous devons donc poursuivre avec persévérance notre action en dépit des obstacles et des échecs momentanés en recherchant constamment à renforcer notre cohésion, car la paix, l’indépendance des peuples et la démocratisation des rapports internationaux pour le progrès global de l’humanité méritent que nous leur consacrions tous nos efforts, toute notre intelligence et tout notre courage, particulièrement à cette époque où le gigantisme des arsenaux nucléaires fait planer sur le genre humain la menace permanente de sa folle autodestruction. Dans notre monde en proie à de multiples convulsions, la recherche constante de la paix doit être l’impératif majeur de notre mouvement, car sans la paix, aucun des objectifs que nous poursuivons ne pourra être atteint. Dans ces conditions, par exemple, comment ne pas encourager et soutenir les efforts inlassables déployés par la République démocratique de Madagascar et d’autres, pour faire de l’océan Indien une zone de paix, c’est-à-dire une zone plus humaine, pour le bonheur des peuples riverains. […]

Le non-alignement n’a rien à voir avec un équilibrisme’ ridicule de traumatisés entre deux blocs”

Pour nous, peuple de Haute-Volta, sous la direction du Conseil du salut du peuple, le non-alignement doit être compris d’abord comme notre autonomie permanente de décision, comme la non-ingérence dans les affaires intérieures des États ; mais nous ne confondons cependant pas le non-alignement avec la complicité ou la passivité devant les crimes de l’impérialisme contre l’indépendance et la liberté des peuples ; ni la non-ingérence avec l’aveuglement devant les crimes des forces réactionnaires contre la liberté de leurs peuples et le respect de leurs droits. Notre appartenance au Mouvement des non-alignés nous ordonne, parmi nos nombreuses tâches, de barrer la route à toutes les forces qui ambitionnent d’aligner notre peuple. L’Afrique du Sud est de celles-là. Le non-alignement responsable nous interdit de nous taire lorsqu’on assassine des hommes, des femmes et des enfants qui n’ont commis d’autres crimes que celui de penser à la notion, si lointaine pour eux, de liberté. Depuis le 7 novembre 1982, au nom des justes et progressistes principes que le Conseil du salut du peuple a tracés en prenant le pouvoir, le peuple voltaïque se sent plus proche de tous ceux qui luttent pour la justice, la liberté et la démocratie. […] Le peuple de Haute-Volta vit dans sa chair les cruautés que subissent des hommes géographiquement loin de lui, mais désormais si proches par la détermination commune à dénoncer le racisme, cette autre forme de fascisme.

Nous voulons dire à tous ceux qui sont victimes des harcèlements des bandits d’Afrique du Sud que nous épousons totalement leur lutte. Nous saluons les forces populaires du Mozambique et de l’Angola qui repoussent victorieusement les hordes que les sinistres impénitents de Pretoria continuent encore de leur envoyer. Notre mouvement a déjà condamné l’Afrique du Sud, et il doit continuer de le faire. […]

A quand la condamnation réelle de tous ceux qui, dans l’ombre comme au grand jour, apportent à Pretoria soutien financier, économique, diplomatique et militaire ? […]

Extraits choisis par Mohamed Maïga

Source : Afrique Asie N°293 du 11 avril 1983

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