Thomas Sankara, un avant gardiste célébré du Chiapas à Ouagadougou

BURKINA FASO – Une Caravane internationale dédiée au révolutionnaire burkinabé assassiné en 1987 sera lundi à Genève. L’occasion de rappeler l’actualité de son combat.

Il y a vingt ans le révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara était renversé et assassiné par les hommes de main de l’actuel chef de l’Etat Blaise Compaoré. Au pouvoir entre 1982 et 1987, ce militaire socialiste avait entrepris de profondes réformes politiques et sociales, qui ont marqué l’esprit de nombreux Africains épris de justice et d’indépendance. Du 8 septembre au 15 octobre, date anniversaire de sa mort, une Caravane internationale Thomas Sankara parcourt le monde pour commémorer sa mémoire et réclamer que toute la lumière soit faite sur sa disparition. Les caravaniers feront étape à Genève lundi 24 septembre, pour une riche journée de débat et de culture1, dont le moment phare sera une table ronde réunissant notamment la sociologue Blandine Sankara, soeur cadette de l’ancien président, et le rapporteur onusien Jean Ziegler, qui fut l’un de ses soutiens internationaux.

Pas d’idéalisation

Tout naturellement, les organisateurs ont placé l’événement sous le signe de l’actualité du message sankariste. C’est du coeur rebelle du Chiapas mexicain qu’est partie la caravane tricontinentale attendue avec impatience par les Burkinabés. Car si les idéaux communistes ont passé de mode à Ouagadougou, «le combat de Thomas Sankara demeure cher au coeur de la jeunesse», témoigne Lamissa Ouattara, étudiant burkinabé à Genève. Avec un pointe d’ironie, Le Journal du Jeudi de Ouagadougou affirmait il y a peu que «100% des Burkinabés sont sankaristes». Une célébration unanime et paradoxale au moment où beaucoup d’Africains perçoivent les idéaux sankaristes comme «plus difficiles à réaliser que jamais», selon l’étudiant burkinabé Sanwe Medard Kienou.
Faut-il y voir l’effet d’une mémoire chancelante? Pas forcément: «Tout ne fût pas rose durant la révolution», admet volontiers Lamissa Ouattara. Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, le capitaine Sankara n’hésitera pas à faire emprisonner certains opposants, notamment syndicaux. Soumis aux pressions des classes favorisées et des chefferies traditionnelles, le régime avait aussi institué des Comités de défense de la révolution pour «encadrer» la population. La mémoire de leurs excès n’a pas été effacée par le temps.

Volontarisme

Mais si elle n’idéalise pas la figure du révolutionnaire, la jeune génération burkinabé n’en révère pas moins l’esprit d’indépendance et le courage du capitaine Sankara. «Beaucoup de jeunes qui n’étaient pas nés parlent avec nostalgie de cette époque révolutionnaire», assure Blandine Sankara. Elle insiste sur cette notion: «Je n’aime que l’on fasse porter l’entier – les réussites et les erreurs – sur les épaules de mon frère. C’était une lutte collective, populaire qui a marqué les esprits.»
Dans un Burkina gangrené par la corruption et le mal-développement, l’image de probité de Thomas Sankara explique pourtant bonne part de sa popularité. De même que son culot: le jeune capitaine devenu président à 33 ans agit comme un puissant aiguillon dans chacune des luttes sociales qui secouent le pays. Personne n’a oublié les campagnes sanitaires, éducatives et environnementales, menées en à peine cinq ans à la tête d’un des pays les plus pauvres de la planète.
Volontariste, Sankara n’hésitait pas à explorer toutes les pistes. A une époque où l’écologie était considérée comme une lubie pour riches, il lança une ambitieuse politique de reboisement des confins du Sahel et s’offrit les service du fameux agronome français René Dumont. «On ne peut qu’être frappé par l’avant-gardisme dont il faisait preuve. Imaginez son combat contre l’excision, il y a de cela plus de vingt ans!» souligne Mme Sankara. «Il n’y a pas de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée», écrivit le leader burkinabé2.

Nationaliste internationaliste

Dans la même veine, Thomas Sankara est vu aujourd’hui comme l’un des pères de l’altermondialisme. Célèbre pour ses diatribes contre le néocolonialisme (lire ci-dessous), il avait pris ses distances avec les puissances tutélaires, qu’elles soient financières ou politiques. Une autonomie qui lui valut l’inimitié de la France mitterrandienne.
Sankara avait fait siens les préceptes du «développement autocentré» de l’économiste égyptien Samir Amin, où le soutien à la production et à la consommation nationales constitue la matrice du progrès social et économique. Il y ajoutait une touche paysanne et populaire propre à la réalité africaine.
Aujourd’hui, un tel programme anti-impérialiste le rapprocherait d’un Hugo Chávez ou d’un Evo Morales. Plus qu’un «Che africain», tel qu’on le présente parfois, Thomas Sankara était un nationaliste d’ouverture. «Qui aime son peuple, aime les autres peuples», disait-il. Le peuple burkinabé, lui, continue à l’aimer.I
Note : 1 Caravane Thomas Sankara à la Maison des associations (15, Savoises, 1205 Genève). 16 h: projection de L’homme intègre et Sacrifices pour une révolution. 18 h 30: «Nous verrons bien», Théâtre Granit de Belfort, avec Odile Sankara, puis « Mitterrand et Sankara», Théâtre Amandiers, avec Odile Sankara, Moussa Sanou et Philippe Massa. 20 h 30: Conférence-débat avec la sociologue Blandine Sankara, le journaliste Jean-Philippe Rapp, le rapporteur onusien Jean Ziegler et Me Dieudonné Nkounkou, membre du Comité Justice pour Thomas Sankara. Modération: Jean Rossiaud. Entrée libre. Avec le soutien de la Ville de Genève.

BENITO PEREZ
Le courrier (Suisse)
2 L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, éditions Pathfinder.

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