Publié dans le quotidien l’Observateur du Mardi, 16 Octobre 2012

S’il est un homme de médias qui, dans sa vie professionnelle, a eu à côtoyer le président Thomas Sankara, mais qui n’a pas eu pour autant à donner publiquement sa compréhension des évènements du 15 octobre 1987, c’est certainement Jean-Paul Hilaire. Aujourd’hui, c’est chose faite puisque samedi dernier nous l’avons rencontré pour parler du 15 octobre 1987. Présentement directeur de Publi-Express, une agence de conseil en Communication, notre interlocuteur du jour était, au lendemain de la révolution, en service à l’Agence d’information du Burkina et mieux, sur le plan politique, il était le président des CDR de Radio Bobo et de la presse écrite. C’est justement ces évènements et leur dénouement sanglant au cours de cette soirée des longs couteaux qui l’ont poussé à quitter la Fonction publique…

Question : Vous étiez à l’époque parmi les rares hommes de médias proches du président Sankara. Que gardez-vous de l’homme ?

Jean Paul Hilaire : Je garde du président Sankara le souvenir d’un homme de dossiers qui enchaînait les réunions après de longues journées de travail. Ce fut aussi un excellent orateur, s’exprimant en français et bien souvent en mooré, quand il était à l’étranger, ajoutant ainsi une touche de convivialité à chaque rencontre avec lui. C’était un homme d’une grande simplicité et très cultivé. Tous ceux qui l’ont fréquenté ont pu se rendre compte qu’il se passionnait pour la lecture et la musique. On se souvient de ses prestations avec l’orchestre «Le Tout à coup jazz» à la Maison du peuple et surtout les «Missiles Band de Pô». Il connaissait aussi bien le répertoire d’Atimbo que celui de Billie Holiday en passant par tous les grands standards de la variété africaine et internationale.

Au fait, comment l’avez-vous connu ?

Jean Paul Hilaire : Vous savez qu’il a été secrétaire d’Etat à l’information de 1981 à 1982, donc notre ministre de tutelle puisque j’étais à la Radiodiffusion nationale à cette époque.

Fin août 1984, je suis affecté à l’Agence d’information du Burkina et désigné pour accompagner en Libye le président du Faso, invité de marque des festivités entrant dans le cadre de la commémoration de l’anniversaire de la révolution d’El Fateh du 1er septembre. J’ai pu mesurer à cette occasion l’aura du président Sankara auprès de la presse internationale alors que la révolution n’avait qu’une année d’existence. Quant au président Kadhafi, il n’avait pas lésiné sur les moyens : avion spécial et paquebot de croisière avaient été réservés à la délégation burkinabè quand le président lui-même était reçu comme une rock star.

Quelle conception avait-il de la presse ?

Jean Paul Hilaire : Le président Sankara m’avait associé à un projet de création d’une radio et d’une télé à vocation militante afin de permettre à la radiodiffusion et à la télévision nationales de mieux se consacrer à leur mission de service public. C’est dire toute l’importance qu’il accordait à l’émergence d’une presse plurielle, convaincu qu’il était que sans la presse, tout projet de développement était voué à l’échec. C’est pourquoi il s’était entouré d’un certain nombre de professionnels bénévoles afin de renforcer indirectement les effectifs de la presse présidentielle. Nos multiples rencontres avec lui témoignent de sa proximité avec les journalistes. A titre d’exemple, je ne retiendrai que cette assemblée générale avec tous les travailleurs des médias publics. Il tenait à nous informer personnellement ce jour-là de sa décision d’affecter à la maternité de l’hôpital Yalagdo le montant de nos indemnités de code vestimentaire pour l’achat de médicaments. L’objectif de la rencontre était de prévenir toute démobilisation de notre part si d’aventure la mesure était incomprise. Face aux modestes ressources du pays, il dit avoir été souvent contraint de recourir à de sévères arbitrages. «La sécurité et la presse, avait-t-il martelé, sont les deux mamelles à même de garantir la survie de la révolution». L’un de nos patrons que je ne nommerai pas, prit alors la parole pour remercier le président pour cette marque de considération témoignée aux organes de presse.

Il en profitera pour se féliciter au passage de l’arrivée des journalistes révolutionnaires dont la contribution décisive avait relevé le niveau de nos émissions selon les nouvelles directives de la révolution. Le président reprit la parole pour faire remarquer à l’intervenant que les journalistes révolutionnaires étaient eux-mêmes des apprenants et par conséquent ne seraient pas en mesure d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit. Silence dans la salle, tout le monde avait compris qu’il y avait des révolutions dans la révolution.

Avez-vous vu venir les événements sanglants du 15 octobre ?

Jean Paul Hilaire : Les événements oui, le sang, non. Je dois avouer que j’en avais eu vent par un jeune confrère de Sidwaya, aujourd’hui disparu. Quelques semaines avant le 15 octobre 1987, en route pour Yamoussokro en Côte d’ivoire, il est venu à l’AIB me faire ses adieux en me conseillant de me mettre à l’abri, la météo politique annonçant une tempête de tous les dangers. Du reste, comme vous le savez, la crise ayant précédé ces événements avait profondément divisé les travailleurs de la presse nationale et laissait entrevoir des remous au sommet de l’Etat. En gros, on savait que ça n’allait pas, mais on était bien loin d’imaginer une telle boucherie.

Est-ce ce sanglant dénouement qui vous a poussé à quitter la Fonction publique ?

Jean Paul Hilaire : Oui parce que j’ai été choqué par la barbarie avec laquelle les gens ont été massacrés alors qu’ils étaient en réunion. J’aurais pu être là puisque j’ai moi aussi participé à plusieurs réunions avec le président. Il faut noter que sur le plan de la communication, la gestion de ces événements douloureux avait été catastrophique et aujourd’hui, on en paye encore le prix. Vous savez qu’à l’époque, notre rôle à l’AIB siège était de soigner l’image de marque du Burkina à l’extérieur. En ma qualité de journaliste en charge du service commercial, j’étais donc en première ligne aux côtés du directeur et du redchef. Il n’y avait pas Internet à cette époque. L’information sur le Burkina était donc exclusivement ventilée par l’AIB, notamment vers les agences internationales via la PANA et les missions diplomatiques du Burkina à l’étranger.

Arrivent les événements du 15-octobre où le président du Faso en compagnie de collaborateurs civils, est abattu par des éléments de sa propre garde et vilipendé sur les antennes de la radio nationale. Et cela se passe au pays d’hommes et de femmes réputés intègres ! Comment voulez-vous traiter une telle actualité en tant que journaliste mais surtout militant de la révolution ? Je rappelle que j’ai été élu président du CDR de la radio et de la presse écrite à Bobo et ensuite délégué CDR à l’information et à la propagande du secteur 11 de Ouagadougou. Sans compter que j’étais également membre du CRES, le Conseil révolutionnaire, économique et social. Tout ça pour rien ! Surtout, ne me parlez pas de révolution qui mange ses enfants. C’est vrai que le communisme, auquel il est souvent fait référence, est un système intrinsèquement totalitaire qui engendre la violence, mais le communisme ne peut servir de justification à toutes les barbaries. L’histoire nous enseigne que Jésus Christ faisait le bien autour de lui, ce qui le rendit populaire. Il était adulé et vénéré par des foules entières qui le suivaient partout. Malgré tout, il sera crucifié. Rassurez-moi, Jésus a-t-il été communiste ?

Si Sankara était toujours vivant, qu’aurait été le Burkina d’aujourd’hui ?

Jean Paul Hilaire : Très franchement, je ne le sais pas. C’est difficile à dire, ceci, d’autant plus qu’avec le président Sankara tout était orienté vers le culte de la performance. Il aurait certainement fait beaucoup de choses mais quoi ? Je ne saurai le dire. Par contre, c’est sûr et certain que s’il avait été là, l’intégrité serait aujourd’hui une valeur de référence au Burkina et le respect des biens de l’Etat, une réalité.

En février 1987, devant la Commission du peuple chargée de la prévention contre la corruption, il avait été le premier avant les membres du gouvernement à faire publiquement la déclaration de ses biens. C’est ainsi que la grande majorité des Burkinabè ont appris avec étonnement qu’il avait reversé au budget de l’Etat des centaines de millions et des voitures de grandes marques au Parc automobile de l’Etat alors que tous ces biens lui avaient été offerts à titre personnel ainsi qu’à son épouse. En visite officielle au Gabon, le président Bongo lui avait demandé qu’est-ce qu’il pouvait bien lui offrir pour lui faire plaisir. Il a répondu : «Une guitare». Le président Bongo fit livrer une batterie d’instruments de musique et voilà comment ont été créés «Les Petits chanteurs aux poings levés» et «Les Colombes de la révolution».

Entretien réalisé par Boureima Diallo

Source : http://www.lobservateur.bf

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