de Saglba Yaméogo

Bimensuel Mutations N°15 du 15 octobre 2012

Une série de documents a été éditée pour expliquer les événements du 15 octobre 1987. Le Mémorandum fait partie de la littérature que le Front Populaire avait à l’époque proposée à l’opinion. Nous vous en faisons l’économie.

Aux environs de 18 h, après l’assassinat du Président Sankara le 15 octobre 1987, la voix d’un certain lieutenant Oumar Traoré sonne à la radio nationale comme un clairon. Il débite une ire contre la personne du capitaine Sankara. Il traite le Président du Conseil national de la Révolution (CNR) de traître qui a infiltré la Révolution pour mieux l’étouffer de l’intérieur. Constatant le peu d’enthousiasme face au coup d’Etat, les nouveaux maîtres adoptent un ton plus réservé. Mais l’entreprise de sape à la mémoire de Sankara continue. On dit avoir trouvé 80 millions dans sa maison. A la Radio nationale, le Front populaire s’attache pour sa propagande les services d’un sergent de la Base aérienne, Marcel Wangrawa, grand orateur en langue mooré. Il accable le régime Sankara de tous les maux. Dans la foulée, les Assises sur le bilan des 4 années de la Révolution est en train d’être préparé.

L’organisateur en chef n’est autre que Moïse Nignan Traoré, ex- directeur de l’Union révolutionnaire des Banques (UREBA), transfuge de l’Union des luttes communistes reconstruite (ULCR) de Valère Somé. Après son départ de l’ULCR, il crée l’ULC flamme avec Alain Zoubga, Simon Compaoré, Kader Cissé… et participent activement à
l’avènement du Front Populaire.

Deux documents de la période sont illustratifs du diagnostic fait par les anti-Sankara. Le document ayant sanctionné les assises bilan des 4 ans de la Révolution et le fameux Mémorandum sur les événements du 15 octobre 1987, publié en mars 1988. Dans ce Mémorandum, le Président Thomas Sankara est accusé de conspiration contre les trois autres chefs historiques de la Révolution, à savoir Blaise Compaoré, Henri Zongo et Jean Baptiste Lingani. Un complot qui aurait été démasqué d’où l’anticipation de la fusillade du Conseil de l’Entente le même jour au environ de 16 heures.

Le complot de 20 heures

Les « Rectificateurs » du 15 Octobre allèguent dans le mémorandum que : « Le spectre de la guerre civile était menaçant ; le Président du CNR était manifestement l’initiateur principal de ce
complot sordide ourdi contre l’ensemble du peuple, des révolutionnaires conséquents dont notamment la fraction saine de
l’Armée. Il attendait faire du rendez-vous de 20 heures un moment décisif dans les annales de son autocratie. C’est bien conscient de la vive tension qui opposait, après leur assemblée générale jeudi matin, des éléments de la sécurité du palais et ceux du Conseil, que le Président entreprit de respecter son calendrier de manière innocente et inoffensive pour ne pas attiré de soupçons quant à son projet. La convocation (comme prévu) de la réunion du secrétariat permanent du CNR le 15 octobre 1987 à 16 heures sous sa présidence n’était donc en fait qu’une banale mesure de sécurité destinée à voiler le complot de 20 heures et un moyen pour ses hommes de main de vérifier dans la discrétion, son dispositif de guerre au siège du Conseil national de la Révolution.
»

Le document assure que les militaires pro-Blaise, sachant que leur chef allait tomber dans une embuscade, ont pris le devant. Ils attribuent par ailleurs à Askia Vincent Sigué, patron de la FIMATS (Force d’intervention du ministère de l’administration territoriale et de la sécurité) le rôle de double meurtrier. Il allait, selon les rédacteurs, assassiner Blaise Compaoré et les deux chefs historiques et attendre le 20 octobre pour s’occuper de Thomas Sankara.

Eugène Dondassé et son arme

La conviction que se font les justificateurs du forfait du 15 Octobre est que : « Les ambitions du mercenaire Sigué Vincent était moins
courtoises à l’endroit du Président du CNR, son maître, dont il avait
programmé l’éviction et l’assassinat le 20 octobre 1987, soit 5 jours après l’exécution conjointe de leur complot. En effet, depuis son retour de Cuba, ce mercenaire se préparait fiévreusement à assurer la direction de l’Etat. Pour cela, il prenait des cours assidus en économie politique
.» D’autres arguments avancés et qui sont à la limite insensés pour les acteurs de l’époque, c’est le fait qu’on ait accusé le regretté Eugène Dondassé d’avoir porté une arme le 15
octobre dans la matinée à son bureau du Ministère des Finances. Il
en a été de même pour Fidèle Toé, ancien ministre du Travail et de la
Fonction publique. Pourtant, assure certains acteurs de l’époque,
presque tous les responsables politiques possédaient des armes
pour leur sécurité. Les rectificateurs disent en outre que pendant que les armes crépitaient, Juste Tiemtoré, alors Ministre de l’Information, aurait dit aux agents de la présidence : « n’ayez pas peur, c’est le camarade Président qui règle ses comptes avec des imbéciles. » Le Mémorandum met également en cause le chef de corps de ETIR de Kamboinsin, le capitaine Michel Koama tué par
Gaspard Somé le 15 octobre au moment où on assassinait Thomas
Sankara. Les rectificateurs disent que le capitaine Koama aurait reçu
quelques jours avant le 15 octobre, 1 million de francs CFA de la
présidence pour mettre en marche son arsenal de guerre. Il s’agissait, selon le document de l’achat, des batteries pour les engins blindés AML 90. Dans cette même plaquette dont sont consignées les prétendues motivations qui ont engendré l’hécatombe du 15 octobre, il est dit que : « Devant ces préparatifs, le capitaine Henri Zongo alerté entre en contact téléphonique avec
le lieutenant Elisée Sanogo, adjoint de l’ETIR (ndlr de Koama Michel)
pour s’inquiéter de la situation. Celui-ci répond qu’il peut passer le
voir à l’ETIR s’il veut plus d’information et que dans tous les cas, ils se verraient au siège du CNR dans la soirée. Quelle arrogance et quelle suffisance à l’endroit d’un supérieur hiérarchique.
»

On prête aux partisans de Thomas Sankara de la Base aérienne d’avoir préparé des avions militaires SIAI MARCHETTI. La mission des pilotes commis à la tâche était d’empêcher toute avancée des éléments du Centre national d’entraînement commando de Pô sur Ouaga. Ce camp était dirigé par le commandant de la 5ème région qui n’était autre que Blaise Compaoré. Le 2 octobre 1987 à
Tenkodogo, pendant le meeting de célébration du Discours
d’orientation politique (DOP), l’étudiant Jonas Somé, devenu militaire après les événements du 15 Octobre, mort depuis peu en RD Congo suite à un crash d’avion, homme de main de Blaise Compaoré, prend la parole au nom de la jeunesse et fustige le processus révolutionnaire qui serait en train de faire une déviation droitière. Les justificateurs du 15 Octobre disent qu’on l’a contraint après à faire son autocritique. La presse locale, selon toujours le mémorandum, était dans le collimateur du Président du CNR.

Gabriel Tamini, journaliste à la solde de Blaise Compaoré. Les journalistes Gabriel Tamini, Patrice Gessongo, Issaka Lingani…se mettent à la disposition du courant déstabilisateur du CNR. On peut vérifier les écrits de ceux qui étaient à Sidwaya ou à Carrefour Africain dans les archives. Il est dit dans le mémorandum que le
Président du Faso tenta vainement de sanctionner des journalistes
contre l’avis des autres chefs historiques. Ces journalistes, assurent-ils, avaient commis : «le crime… d’avoir osé porter au grand jour, la trahison des objectifs de la Révolution par l’aile droitière du processus et cela à la lumière du DOP et des discours du
premier moment de la Révolution.
»

Quant à l’exacerbation de la crise, le mémorandum l’impute à la phrase non moins célèbre de Ernest Nongma Ouédraogo, en son temps ministre l’Administration territoriale et de la sécurité : «
Pendant longtemps, nous-nous sommes occupés de nos ennemis ; maintenant, nous allons nous occuper de nos amis. »

Sankara est traité de misogyne dans la première déclaration lue par
Oumar Traoré. Plus tard, le mémorandum enfonce le clou : « Le secrétariat général national des CDR avait transformé l’Union des femmes du Burkina (UFB) en une de ses annexes qu’il étouffait. Les militantes de l’UFB étaient réduites à des tâches domestiques lors des assises des structures populaires, à l’accueil des hôtes, à l’organisation des retraites au flambeau et des soirées dansantes. Au niveau du CNR, on ne se souvenait de la question de la femme qu’à la veille du 8 Mars et cela uniquement dans le discours. » La réalité pour ceux qui ont vécu l’époque tranche avec le discours des vainqueurs du 15 octobre 1987.

La politique extérieure du CNR est qualifiée d’aventuriste par les nouveaux maîtres: « Sur le plan sousrégional, le CNR pratiquait une politique aventuriste de provocation en lieu et place d’une politique de bon voisinage.» le mémorandum continue : «Vis-à-vis des révolutionnaires amis, la direction du CNR se comportait en donneur de leçon. La Révolution burkinabè est pure et dure et doit constituer l’avant-garde du mouvement révolutionnaire mondiale ! L’on se souvient de la polémique qui s’est instauré entre le président du CNR et le Président du FRELIMO, Samora Machel, sur les accords de N’Komati parce que le Président du CNR s’était érigé en donneur de leçons au lieu d’agir en camarade procédant à un échange d’expériences. Il en fut de même de ses ingérences grossières dans les affaires intérieures du parti éthiopien. » Le capitaine Thomas Sankara a été traîné dans la boue par les partisans dits de la ligne dure de la Révolution. On l’a traité de déviationniste. 25 ans après, le bilan est sans encombre. L’Histoire réhabilite le visionnaire et les rédacteurs du Mémorandum n’osent même plus le commenter en public. L’histoire s’est chargée de retablir chacun dans ses vraies positions pour laisser apparaitre au grand jour les véritables desseins des uns et des autres.

Saglba Yaméogo

Source : Bimensuel Mutations N°15 du 15 octobre 2012

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