Nous vous présentons ci-dessous le dossier de l’Evènement consacré au 22 eme anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara paru en octobre 2009.
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Qui dort dans la tombe de Sankara ?
C’est fait, le Comité justice pour Thomas Sankara a introduit auprès du tribunal de grande instance de Ouagadougou, le 16 octobre dernier, une requête afin d’expertiser le corps qui se trouve dans la tombe considérée, jusque là, comme étant celle de Sankara. La requête des ayants droits du défunt président vise à attester de façon irréfutable que c’est bien le corps de ce dernier qui y gît. Cette préoccupation n’est pas nouvelle, mais c’est la première fois que l’Etat burkinabè devra en répondre devant la justice.
Depuis le 15 Octobre 1987, la famille de Sankara a maintes fois exigé des preuves qui attestent que c’est effectivement Sankara qui dort dans sa prétendue tombe. Après le coup d’Etat qui a coûté la vie à l’ancien président, lui et douze de ses compagnons été enterrés nuitamment et précipitamment, selon de nombreux témoins, dans le cimetière du quartier périphérique Dagnöen de Ouagadougou. Ils auraient été enterrés dans des puisards creusés à la hâte par les prisonniers de la maison d’arrêt de Ouagadougou à la lumière des Jeeps de l’armée. Les corps ont été recouverts de monticule de terre sur lesquelles des bouts de papier, accrochés à des morceaux de bois, indiquaient l’identité de celui qui y gisait. La famille Sankara a toujours indiqué que c’était là des conditions qui ne permettaient pas de certifier l’identité des défunts.
Au lendemain du coup d’Etat, la veuve du président, Mariam Sankara, avait demandé, sans l’obtenir des nouvelles autorités du pays, la possibilité de donner une vraie sépulture à son époux. Les deux parents de Sankara (son père et sa mère) ont attendu, leur vie durant, le droit de s’acquitter du devoir de sépulture envers leur fils, sans jamais y parvenir.
Ayant épuisé toutes les voix de recours au Burkina Faso, les conseils de la famille Sankara avaient adressé une communication plainte au comité des droits de l’homme de l’ONU, en 2003, afin d’obtenir “la reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille“. En mars 2006, le comité de l’ONU a examiné cette plainte et dans ses constatations avait reconnu que “le refus d’indiquer officiellement le lieu de la dépouille de Sankara à sa famille constituait “un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et de ses fils“.
Le gouvernement a répondu officiellement à ces constatations de l’ONU en juin 2006 et s’est engagé ” à prendre toutes les mesures pour donner une suite aux recommandations du comité des droits de l’homme“. En droite ligne de ces engagements, le gouvernement légalise en quelque sorte, le lieu de sépulture déjà connu et qui accueille chaque 15 Octobre les célébrations des partisans de Sankara.
Une réponse qui ne satisfait pas les ayants droit de l’ancien président burkinabè qui affirment que d’un point de vue légal, c’est insuffisant. Il exige du gouvernement qu’il atteste que c’est bien Sankara qui a été inhumé dans cette tombe, autrement ce serait l’officialisation d’une voie de fait.
En saisissant la justice burkinabè, le comité international veut contraindre le gouvernement à procéder à l’exhumation du corps qui se trouve dans la tombe pour attester que c’est bien le corps de Sankara.
Saisi le 16 octobre, la justice burkinabè n’avait pas encore réagi.
Mais incontestablement, cette nouvelle procédure va embarrasser un peu plus le gouvernement burkinabè. Il ne peut pas ne pas y donner une suite favorable, parce qu’autrement, il persisterait dans la commission du crime “de traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et de ses fils”, crime pour lequel il avait été épinglé par le comité des droits de l’homme de l’ONU.
Mais plus encombrant encore, cette procédure arrive au moment où dans la médiation en Guinée, le président Compaoré doit exiger de la junte de Dadis Camara de ne pas continuer à séquestrer les corps des victimes, comme l’en accusent les organisations des droits humains.
L’affaire Sankara, comme on le voit, ne finit pas d’empoisonner le règne de Blaise Compaoré. Les Burkinabè sont attentifs des réponses que la justice burkinabè réservera à cette requête. L’ancien président continue de bénéficier d’une réelle sympathie au sein de la population, malgré la détermination de ses tombeurs à le faire oublier.
NAB
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Blaise Compaoré et le 4 Août
Qui a fait quoi le 4 Août 1983 ? Depuis le 20ème anniversaire « de la renaissance démocratique », c’est plutôt la vérité des vainqueurs du 15 Octobre qui s’écrit en lettre d’or. Blaise Compaoré est considéré comme le principal artisan de l’avènement de la révolution. Au début, il était l’un des artisans clés d’un scénario apparemment calé comme du papier à musique. L’hagiographie du « 15 Octobre » en fait l’unique artisan de la réussite du 4 Août. En arrière plan, un rôle sur mesure pour François Compaoré, son frère cadet.
Un proverbe kassena dit que : « Si tu encenses l’ancien chef, le nouveau t’affamera ». Cette sagesse semble avoir été bien assimilée par les témoins et autres historiens d’un nouveau genre à Pô en octobre 2007. En effet, lors des festivités des « 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré », ses compagnons ont allégué qu’il était l’acteur unique du triomphe de la Révolution avec le soutien décisif de François Compaoré, son frère cadet. La nouvelle historiographie semble viser deux choses au moins. Rendre moins douloureux les tragiques événements du 15 Octobre et légitimer les prétentions que l’on attribue à François Compaoré de vouloir succéder à son frère aîné.
Parmi les chantres de cette historiographie, Mahamadi Kouanda de l’inter CDR pendant la Révolution. Ancien député CDP. Il ronge son frein dans une opposition stérile à Simon Compaoré qu’il espère détrôner un jour. Pour les témoins et les acteurs vivants de la période de la révolution, Kouanda tronque les faits sur le rôle réel de Blaise Compaoré au niveau du ROC et puis dans le déroulement des événements qui ont conduit au 4 Août. Selon ces sources qui contestent la vision des choses de Kouanda, Blaise Compaoré doit son admission et sa progression dans le ROC à l’enthousiasme de Sankara. A posteriori, ils pensent même que cette faiblesse de Sankara pour Blaise n’a pas porté chance au mouvement.
Processus de réécriture
C’est là où la révolution est née en 1983 que le processus de falsification de son avènement a été entamé. Lors de la célébration des « vingt ans de démocratie avec Blaise Compaoré », une escouade d’historiens et de témoins oculaires a été convoyée à Pô pour l’apostasie. Le cours devait être dispensé à un public de jeunes. Ceux qui n’ont pas vécu, pour la plupart, la révolution. Il fallait corriger dans ces esprits juvéniles les vérités tronquées de l’opinion publique et des livres d’histoire.
Mais cette apostasie peut difficilement prendre, en raison de la proximité des événements. Sankara est mort le 15 Octobre 1987. Mais des acteurs clés sont encore vivants. Voilà pour l’histoire, le déroulé qui a conduit au 4 Août 1983.
Le 17 Mai 1983, à l’aube, les chars de Jean Claude Kamboulé encerclent le domicile du capitaine Thomas Sankara, alors Premier ministre du Conseil du Salut du peuple (CSP1) et celui du secrétaire permanent du CSP, Jean Baptiste Boukary Lingani. Thomas Sankara arrive à joindre par téléphone la femme d’un de ses camarades membre de l’Union des luttes communistes reconstruite (ULCR) et l’enjoint de dire à un des chefs de la même organisation qu’on est en train de vouloir l’arrêter. La femme se débat comme elle peut, pour toucher ce dernier. Immédiatement, il prend le chemin de Pô, une localité située à une centaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou.
Arrivé à Pô au Centre national d’entraînement commando (CNEC), il trouve un soldat du nom de Hyacinthe Kafando sur une CT. Il se renseigne auprès de lui pour savoir qui est l’intérimaire du Commandant qu’il savait en déplacement à Bobo-Dioulasso pour un meeting. Tibo Ouédraogo, à l’époque lieutenant, assurait l’intérim. L’émissaire venu de Ouagadougou s’en va le voir et lui annonce que le capitaine Thomas Sankara et le commandant Lingani sont mis aux arrêts. Le lieutenant Ouédraogo fait sonner le rassemblement et met la troupe en alerte. Ce n’est que plus tard que Blaise Compaoré, par la prouesse de son chauffeur, le regretté Hamidou Maïga, arrive à rejoindre par des chemins détournés la capitale du Nahouri. Dans la soirée de l’arrestation de Sankara et de Lingani, au camp Guillaume Ouédraogo, avant que le capitaine Compaoré ne revienne de Bobo-Dioulasso, une douzaine de commandos y étaient retranchés avec à leur tête le capitaine Henri Zongo, le lieutenant Boukary Kaboré qui deviendra plus tard, commandant du bataillon d’intervention aéroporté et commandant de la 3è région militaire et le lieutenant Gilbert Diendéré. Ils s’opposaient eux aussi à l’arrestation de leurs camarades.
Blaise Compaoré n’a été qu’un des élément dans un ensemble qui a participé activement à la réussite de la chute du régime du médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo alias JBO. Les soldats fidèles à Sankara font de Pô un refuge, les jeunes s’enrôlent dans l’armée rebelle et le triomphe du 4 Août s’organise autour de Sigué Askia Vincent, Tibo Ouédraogo et le journaliste malien du périodique Afrique-Asie Mohamed Maïga. Par la permission de son directeur, Simon Mallé, Maïga reste des semaines avec Blaise Compaoré et rapporte les échos de la résistance dans les colonnes de son journal. Une bonne partie des jeunes de Pô étaient habitués à sa silhouette frêle jouant souvent à la belotte avec le chef rebelle Blaise Compaoré dans sa résidence de Tamoina.
La Ligue patriotique pour le développement (LIPAD), un appendice du parti Africain de l’Indépendance (PAI) a été aussi aux avants postes. Ses militants servent d’éclaireurs aux commandos venus de Pô dans la nuit du 4 Août 1983, pendant la coupure de l’électricité et des lignes téléphoniques.
La jeunesse de Pô n’est pas en reste, elle a soutenu, à bout de bras les révolutionnaires du 4 Août en servant comme sentinelle au CNEC pendant que les commandos marchaient victorieusement sur la capitale. Autres apports, ce sont les officiers qui, pour des raisons de proximité avec Sankara, avaient été mutés de la capitale. Le lieutenant Hien Kilimité aujourd’hui colonel et gouverneur de la région de l’Est en est un exemple vivant. Il avait été affecté à l’époque des faits à Ouahigouya comme adjoint du capitaine Karim Lompo. Ce dernier étant de formation moniteur de sport avait moins d’aptitude pour le commandement. C’est à Kilmité Hien qu’il est revenu d’organiser la résistance.
La jeunesse scolaire et estudiantine a été aussi le fer de lance de la révolution. Les marches des 20, 21 et 22 mai 1983 ont produit un effet catalyseur dans la libération de Sankara et de ses compagnons. Pour beaucoup d’acteurs de la Révolution, réduire le triomphe du 4 Août 1983 à la seule action de Blaise Compaoré et dire qu’il a servi le pouvoir sur un plateau d’or à Thomas Sankara, c’est méconnaître un pan entier de l’Histoire du Burkina. Le ROC est l’ancêtre des cercles anti- impérialistes dans l’armée. La Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France (FEANF) à travers une partie de sa section voltaïque de l’époque, l’Union générale des étudiants voltaïque (UGEV) a joué aussi un rôle prépondérant par les cadres qu’elle a formés.
Merneptah Noufou Zougmoré
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Célébration du 15 Les sankaristes étaient encore présents à Dagnöen
Devenu un rituel, chaque 15 Octobre, les sankaristes à l’unisson vont s’incliner au cimetière de Dagnöen à la mémoire du capitaine Thomas Sankara et ses 12 compagnons tombés sous les balles assassines de leurs frères d’armes le jeudi 15 octobre 1987. Cette année encore, ils n’ont pas dérogé à la règle, les militants étaient encore nombreux au cimetière pour le dépôt des gerbes de fleurs et pour écouter les différentes interventions émanant des organisations sankaristes. On a d’abord entonné l’hymne national, le ditanyè, forgé au temps de la révolution. Et puis ce fut le symbolique moment de fleurissement des tombes. Le gotha sankariste était là au grand complet avec les associations de la société civile de cette obédience.
Enfin est venu le moment de prendre la parole. Et la belle unanimité a retrouvé ses lézards. C’est le parti de Bénéwendé qui a essuyé les tirs groupés des autres. Le Front des forces sociales (FFS), le Conseil national de la renaissance/ Mouvement sankariste (CNR/MS) et l’Union des partis sankaristes (UPS) ont commis un unique porte parole, Romain Conombo, pour dire tout le bien qu’ils pensaient de “l’élan hégémoniste” du parti de Bénéwendé. Voici en substance l’amabilité des camarades : “Si au début de la rectification, venir au cimetière était une défiance à l’ordre répressif du capitaine Blaise Compaoré, les célébrations seront au début de l’ère de démocratie des moments d’affirmation de l’idéal, de retrouvailles et d’engagement renouvelés. Mais force est de constater qu’au fil du temps, venir au cimetière de Dagnöen a des relents d’humiliation et de débâcle au sein de la grande famille sankariste et pour cause : la célébration de plus en plus conflictuelle au sein de la famille sankariste. Point n’est besoin de rappeler que notre héros national repose à Dagnöen et que pour l’occasion, le lieu et la date sont une propriété de tous les sankaristes sans exclusive. Alors pourquoi nous donner en spectacle parce que des élans hégémonistes et exclusionnistes habitent certains d’entre nous.”
Bénéwendé a encaissé l’uppercut sans broncher. Il a du faire sien le proverbe moaga : “le chef c’est la poubelle faite pour recevoir tous les immondices”. Surtout qu’il se présentait pour la première fois à Dagnöen avec son nouveau titre de chef de l’opposition. En chef, Bénéwendé a fait le choix de parler de ce qui les unit. Il s’est davantage appesanti sur les acquis du Comité international justice pour Thomas Sankara (CIJS). Cette structure a obtenu de l’ONU, l’injonction au gouvernement burkinabè de faire toute la lumière sur l’assassinat de Thomas Sankara. Maintenant il s’agit d’accompagner cette injonction par de nouvelles requêtes. La plus urgente à conduire est l’expertise de la tombe du président du CNR. Et Bénéwendé d’informer ses camarades qu’il a introduit une requête dans ce sens auprès des instances habilitées. Après une esquisse aussi magistrale, les autres n’ont eu d’autre choix que de rengainer leur carquois pour de prochaines explications “plus appropriées”. Chez les Sankaristes, c’est la bagarre des chiens. A chaque fois qu’ils se voient, c’est GRRRR !!!! Curieux n’est-ce pas pour des gens qui ont enseigné longtemps qu’il fallait savoir distinguer les contradictions principales des contradictions secondaires.
MNZ
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Assassinat de Thomas Sankara Ce que l’on sait des circonstances et des acteurs
Que sait-il passé le 15 octobre 1987 aux environs de 16h dans l’enceinte du siège du Conseil de l’Entente ? Vingt et deux ans après les événements, il est encore difficile de se faire une opinion définitive sur les circonstances exactes du drame qui a emporté le président Sankara et douze de ses compagnons. Ce qui est certain, c’est que la thèse de l’accident et du complot de 20h ne fait plus foi devant les multiples témoignages enregistrés depuis lors.
Au lendemain de la mort du président Sankara et de ses douze compagnons, le nouveau pouvoir dirigé par Blaise Compaoré avait accrédité dans l’opinion nationale et internationale la thèse de l’accident pour se dédouaner. Les médias nationaux et les émissaires du régime à l’étranger ont rivalisé d’ardeur pour expliquer à leurs publics respectifs que Blaise Compaoré n’y est pour rien dans la mort de son « ami et frère d’arme ». C’est juste un incident qui aurait mal tourné entre Sankara et les soldats venus pour l’arrêter avant qu’il ne commette « l’irréparable », à savoir l’arrestation et la liquidation de Blaise, Lingani et Zongo au cours de la réunion de 20h de l’OMR (organisation militaire révolutionnaire). Les partisans de Blaise se sont longtemps accrochés à ces deux éléments et jusqu’aujourd’hui, on en trouve qui feignent d’y croire encore.
Mort par « accident »
Sur le déroulement de l’opération, voici ce que les deux principaux acteurs du drame ont raconté quelques jours après le 15 Octobre. Contrairement à ce qui l’on croit, le premier à parler des circonstances du drame, ce n’est pas Gilbert Diendéré, à l’époque lieutenant et surtout l’adjoint du capitaine Blaise Compaoré au Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô. Celui qui donna publiquement la version officielle, c’est Blaise Compaoré lui-même dans le journal Jeune Afrique du 4 novembre 1987 : « Les soldats qui partaient pour l’arrêter ont été obligés de faire usage de leurs armes lorsque Thomas et sa garde personnelle ont ouvert le feu sur eux… Les soldats ont pris eux-mêmes cette initiative quand ils ont été contactés pour participer à notre arrestation et à notre élimination. »
Plus tard dans le livre de Ludo Martens « Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè », il décrit comment il a passé l’après midi du 15 Octobre : « L’après-midi du 15 octobre, j’étais chez moi au salon avec Salif Diallo, lorsque vers 16h je croyais entendre le bruit de détonations. Je suis sorti et j’ai demandé aux gardes s’ils avaient entendu des coups de feu. Ils ont dit non et je suis rentré. Mais ensuite j’entendais clairement les tirs, je pensais qu’ils venaient du côté de la présidence et qu’ils s’approchaient. J’ai pris mon arme et Salif Diallo et moi, nous nous sommes planqués contre le mur de l’autre côté du goudron. Les gardes nous ont fait rentrer. Vers 16h30, Mariam Sankara m’a téléphoné pour savoir ce qui se passait. J’ai dit que j’allais vérifier et que je la rappellerais. Ensuite, Lengani a appelé et nous avons décidé d’aller voir ensemble. Il est arrivé chez moi et il a téléphoné aux différentes unités pour les mettre en alerte. A 17h enfin, j’ai eu le standard de Conseil. Je l’entendais mal. Il m’a dit qu’il se cachait sous le bureau et que Sankara et d’autres camarades étaient morts. Lengani et moi, nous nous sommes rendus au Conseil et nous avons vu les cadavres. J’étais vraiment très dégouté. Un soldat m’a dit : il voulait vous tuer à vingt heures, alors nous avons décidé de l’arrêter. »
Dans le même livre, Gilbert Diendéré se veut plus précis que son patron : « Nous savions que Sankara avait une réunion au Conseil à seize heures et nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas… Peu après seize heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant la porte du pavillon ; une deuxième voiture de la garde est allée stationner un peu plus loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Il tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique, à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle. Des personnes qui l’attendaient à l’intérieur du bâtiment sont venues à sa rencontre ; d’autres sont sorties quand elles ont entendu des coups de feu. Parmi ceux qui sont tombés, il y avait Patrice Zagré, un homme avec qui nous avons beaucoup travaillé et dont tout le monde a regretté la mort. Les gardes de corps de Sankara dans la deuxième voiture n’avaient pas réagi ; ils ont simplement été désarmés. »
Cette version des faits a donc permis d’accréditer la thèse de l’accident. L’intention n’était pas de tuer, mais d’arrêter Sankara. S’il y a eu la tuerie, c’est par la faute de Sankara qui a ouvert le premier le feu. Les soldats qui étaient venus pour l’arrêter ont riposté par légitime défense. Dans cette construction des faits par Blaise et son adjoint, on peut remarquer une petite divergence. Le premier affirme que « Thomas et sa garde personnelle ont ouvert le feu » sur leurs soldats tandis que le second soutient que les gardes de corps de Sankara n’ont pas réagi, qu’ils ont même été désarmés, donc sortis vivant de la fusillade. Tous les deux soutiennent aussi que Sankara a tiré sur leurs hommes. Blaise ne dit pas le nombre de victimes qu’ils ont subi, mais Diendéré dira qu’ils ont enregistré une victime sans préciser son identité. C’est par après que dans les écrits des partisans du régime, on rectifiera le tir de Sankara non pas sur « un des nôtres », à savoir les soldats venus pour l’arrêter, mais sur un gendarme venu déposer du courrier. Dans la version officielle, il y a donc deux éléments fondamentaux qui se dégagent : Sankara serait l’instigateur de la fusillade et il aurait par ce fait tué un innocent. Tout le reste découle de son acte. Il serait donc responsable de sa mort et de celle des douze autres. Dans le livre de Ludo Martens qui fait la part belle à cette version, on n’a nulle part donné la parole à Lingani ou à Henri Zongo pour confirmer ou infirmer cette narration. Ils ne sont jamais cités directement, mais toujours par d’autres personnes. Peut-être qu’ils ont refusé de témoigner, ignorant tout du déroulement du coup.
Un traquenard minitieusement préparé
D’autres témoignages battent en brèche la version d’un « malheureux accident ». Le correspondant de RFI à Abidjan, Stephen Smits, a été le premier journaliste à relater les faits après quelques recoupements qui contredisent la version donnée par Blaise et ses partisans. Pour lui, Sankara est tombé dans un traquenard minitieusement préparé où on ne lui a laissé aucune chance de sortie. Il conclut son enquête en affirmant que Sankara a été froidement abattu par les hommes de Blaise. Au lendemain de la diffusion de son reportage, il a été sommé de quitter le territoire burkinabè.
D’autres enquêtes viendront corroborer celle du journaliste français. Dans la presse écrite, les premières versions de l’assassinat de Sankara ont été rapportées essentiellement par Sennen Andriamirado d’abord dans des articles dans Jeune Afrique de novembre 1987 puis dans son ouvrage publié un peu plus tard sous le titre « Il s’appelait Sankara ». Des hommes en arme sont arrivés sur les lieux. Sankara venait de commencer une réunion avec ses collaborateurs qui devaient constituer une espèce de super secrétariat d’un nouveau Conseil National de la Révolution. Des soldats sont entrés et ont tiré sur les présents. Les sources de Sennen Andriamirando proviennent essentiellement d’Harouna Traoré, présenté comme le seul rescapé parmi les collaborateurs de Sankara qui assistaient à la réunion.
Mais c’est Valère Somé, s’appuyant sur les versions antérieures en les enrichissant par d’autres sources, qui sera plus explicite sur le déroulement des faits. Dans son livre, « Sankara, l’espoir assassiné », on peut lire ceci : « Il était environ 16h 15 mn lorsque la Peugeot 205 noire présidentielle se gara devant le pavillon » Haute-Volta« du Conseil de l’Entente, suivie d’une voiture blanche de marque japonaise dont les occupants étaient quelques gardes du corps du Président. Le Président descendit de sa voiture et entra dans le pavillon où l’attendait tout le personnel nouvellement choisi pour faire partie du Secrétariat de la présidence du CNR qui se réunissait une fois par semaine. A peine la réunion venait-elle de commencer, qu’une autre voiture, une Peugeot 504, pénétra dans l’enceinte du Conseil de l’Entente et se dirigea tout droit vers la voiture présidentielle. Le Caporal Maïga (l’un des gardes du corps de Blaise Compaoré) en descendit pour braquer le Sergent Der Somda, chauffeur du PF. Au même moment, une Galante bleue, conduite par le Sergent Yacinthe Kafando (l’aide de Camp de Blaise Compaoré), pénétra en trombe dans l’enceinte, et fonça droit sur le pavillon »Haute Volta« . Le gendarme Soré et le soldat de 1ère classe, Ouédraogo Noufou, avant qu’ils ne réalisent ce qui leur arrivait, furent écrasés contre le mur du pavillon. Au même moment, le Caporal Maïga abattait à bout portant le Sergent Der Somda. Dans la foulée, les assaillants descendus des deux voitures déclenchaient un feu nourri sur tous ceux qui se tenaient debout aux alentours du pavillon où le Président du CNR était en réunion avec son secrétariat. A l’intérieur, les premiers instants de surprise passés, tout le monde se précipita derrière les fauteuils pour y trouver refuge. Se ravisant, le Président Thomas Sankara se leva, poussa un soupir et s’apprêta à se rendre en s’adressant à ses collaborateurs : »Ne vous en faites pas, c’est à moi qu’ils en veulent.”
Les mains en l’air, tenant son revolver de parade, il franchit le seuil de la porte et s’engagea dans le couloir à la rencontre des assaillants. Le Sergent Yacinthe Kafando et le Caporal Nadié se trouvèrent face à face avec le Président du Faso, le braquant avec leur Kalachnikov. Une première décharge lâchée par le Caporal Nadié atteint le Président Thomas Sankara à l’épaule. Malgré la blessure, il réussit à se replier dans le couloir. Il essaye d’ouvrir la porte du premier bureau, mais ses occupants se sont enfermés à clef au bruit des tirs.
Nul ne saura ce qui s’est passé dans la tête du Président du Faso pour qu’il revienne sur ses pas et reçoive la mort des mains de ses assassins. Une seconde balle l’atteint au front. Il chancelle, se retrouve sur les genoux : pendant quelques secondes, puis s’écroule sans avoir pu, ni dire un mot à ses tueurs, ni faire un geste quelconque qui prouve qu’il avait, l’intention de se défendre.
De tous ceux qui étaient avec le Président Thomas Sankara ce jour-là, un seul a miraculeusement échappé à la boucherie : Alouna Traoré. Et il soutient que le Capitaine Gilbert Diendéré n’était pas au nombre des assaillants. Celui-ci ne fera son apparition que beaucoup plus tard. Un autre témoignage concordant affirme que c’est le Capitaine Diendéré qui est intervenu pour arrêter le massacre gratuit. Après avoir constaté la mort du Président Thomas Sankara, il se serait réfugié dans la pièce du Conseil de l’Entente pour s’effondrer en pleurs. C’est par la suite qu’il se serait ressaisi afin de s’investir pour limiter les dégâts. C’est dire qu’il persiste des zones d’ombres sur les circonstances de l’assassinat du Président Thomas Sankara.”
Les preuves se font attendre
Sur le complot de 20h, en novembre 1987, répondant à la question de Jeune Afrique sur les preuves qu’il avait que Sankara cherchait à se débarrasser de lui, Blaise répondait en ces termes : « Nous sommes en train de rassembler certains éléments de preuves ». Deux décennies après, le pouvoir peine toujours à donner le moindre indice de début de preuve. Pourtant, ses partisans continuent à répéter que « c’était Sankara ou lui » comme dans un film western. C’était donc à qui tirait le premier et Blaise fut le plus rapide. A supposer que cette version soit crédible, elle viendrait tout simplement faciliter la tâche à la justice qui n’a plus d’effort à faire quant à l’identité des assassins. Les récents témoignages des Libériens facilitent davantage la tâche aux juges. Tous disent avoir reçu leur feu vert de Blaise Compaoré pour « se débarrasser de Thomas Sankara », condition à satisfaire pour l’aboutissement de leur projet de formation en Libye.
Idrissa Barry
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Les explications du 15 Octobre 1987
Dans le mémorandum du Front Populaire sur les événements du 15 octobre 1987, les actions du Président Thomas Sankara sont peintes en noir. Sa gestion du pouvoir est qualifiée de militariste avec des élans messianiques : “une conception militariste du pouvoir s’est également développé de paire avec la déviation autocratique. La mise en œuvre de cette conception qui est une négation par excellence d’une réelle démocratie populaire est apparue aux yeux des tenants de la tendance autocratique comme la seule de leur règne. Contesté et mis en minorité au sein du CNR, rejetés par les organisations politiques membres du CNR qui avaient définitivement démasqué l’esprit anti-organisationnel du président, isolé du peuple qui avait fini par se lasser de son exhibitionnisme creux et infantile, le président et ses partisans militaires comme civils développèrent des vues et des pratiques militaristes.” Sankara est traité de renégat. On l’accuse de détournement parce qu’on a retrouvé une valise avec 80 millions de f cfa chez lui. Pour les rédacteurs du mémorandum, Sankara préparait un complot, le 15 octobre à 20 heures contre Blaise Compaoré. Les partisans de ce dernier, informés, ont pris les devants. Pour étayer cette accusation, le mémorandum donne les “preuves” suivantes : Talata Eugène Dondassé, ministre des Finances et proche de Sankara est arrivé à son bureau dans la matinée du 15 octobre avec une arme. Un autre ministre proche de Sankara, notamment,. Juste Tiémtoré, ministre de l’Information aurait affirmé, au moment où les armes crépitaient aux environs de 16 heures, que “c’est le camarade président qui règle ses comptes avec des imbéciles”.
Toutes ces charges n’ont pas produits les effets escomptés et Blaise Compaoré, dans sa première adresse à la nation, le 19 octobre, a été contraint de tempérer les dénigrements. Il dit de Sankara qu’il était un révolutionnaire qui s’est trompé et qu’il mérite une sépulture digne de son rang. Mais cela n’a pas empêché le regretté Albert Salfo Balima, l’auteur de Légendes et Histoires des Peuples du Burkina Faso, livre préfacé par Blaise Compaoré, d’arguer que dès le 5 août, juste quelques heures après la prise du pouvoir, le capitaine Blaise Compaoré arrivé au Conseil de l’Entente, le siège du CNR, est fouillé par Askia Vincent Sigué. Pour l’auteur, cela était un mauvais signe. Mais les contradictions des organisations membres du CNR n’ont pas arrangé les choses. Avant la formation du premier gouvernement, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) et l’Union des luttes communiste reconstruite (ULCR) s’étripent pour des postes ministériels. Le PAI ne fera d’ailleurs qu’une année dans le gouvernement et dans les instances du CNR.
En moins d’une année, le PAI, parti emblématique du mouvement communiste burkinabè, est exclu et ses responsables humiliés. Ces derniers ne pardonneront jamais à Sankara, en témoigne le livre de Adama Touré, Une vie de militant. Entre temps ont rejoint le CNR, le Groupe des communistes burkinabè (GCB), l’Union des communistes burkinabè (UCB), l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) et les orthodoxes de l’ULCR qui ont ressuscité l’ULC. Ces nouveaux extrémistes du marxisme exacerbent la crise. Le CNR fait la cour au Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) qui refuse.
Mais certains militants de ce parti sont débauchés. Ces nouveaux convertis, selon Valère Somé, intensifient la crise et occasionne une méfiance terrible entre Sankara et Blaise. Valère cite les frères Palm. Dans son livre intitulé Thomas Sankara, Espoir assassiné, Valère dit ceci : “Thomas Sankara avait mis son ami Blaise Compaoré en garde sur le fait que, Palm par ses intrigues, pouvait semer la zizanie entre nous. Nous faisons alors le point et étions parvenu à éviter la rupture du fait des manigances dudit capitaine. Ce dernier, selon toujours Valère, était d’ailleurs venu m’alerter sur un prétendu projet d’homicide dirigé contre ma personne et dont le Président du Faso aurait été l’instigateur. C’était au mois de juin 1985. ”
La crise est au paroxysme et le Président Sankara s’en ouvre à un de ses amis de longue date, le malien Lancina Sidibé. Dans la tristesse, soutient Bruno Jaffré dans son ouvrage [1], le Président et son ami malien qu’il a connu à Madagascar pendant ses études “verse des larmes”. Le Président du CNR, pour beaucoup d’observateurs, a été victime d’un complot extérieur mais la guéguerre entre organisations de gauche empêtrées dans des conflits dogmatiques a aggravé la crise au sein de l’instance dirigeante de la révolution. Blaise Compaoré en habile manœuvrier en a tiré profit. Quant à l’armée, elle n’était pas en mesure de servir de rempart à la révolution comme au Venezuela, il y a quelques années. Bruno Jaffré comparant ce pays au Burkina Faso cite Hugo Chavez : “Comme je l’ai toujours dit, cette Révolution a deux piliers : le peuple et les forces armées. Il y a deux ans (NDLR : l’interview a été réalisé en 2004) quand on disait que le Venezuela allait connaître la même destinée que celle de Chili en 1973, nous avons dit que la Révolution d’Allende était une révolution désarmée et que notre Révolution était pacifique mais non désarmé ” L’auteur conclut qu’ “au Burkina, l’assassinat de Sankara signait la fin de la Révolution. Au Venezuela , Chavez personnifie de plus en plus la révolution qu’il dirige, comme Sankara le faisait à son époque. C’est donc en réalité deux débats qui méritent d’être approfondis à la lumière de ces deux Révolutions, la place de l’armée dans un processus révolutionnaire, et la place et le rôle de son leader.”
Merneptah Noufou Zougmoré
1 Biographie de Thomas Sankara, La Patrie ou la mort…
Nouvelle édition revue et augmentée
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Blaise Compaoré et le cercle anti- impérialisme de l’armée
Dans les années 1970, un groupe de jeunes officiers venant des écoles militaires et ayant suivi leurs formations de base au Prytanie militaire de Kadiogo (PMK) décident de créer un cercle de réflexion. Ils réfléchissent aux conditions difficiles des troupes et à la misère endémique du peuple voltaïque. Le groupe s’organise autour de Thomas Sankara. Cette prise de conscience n’est pas le fait du hasard. Au PMK, un enseignant d’Histoire-Géographie, un certain Adama Touré dit Lénine y est pour beaucoup. Cet enseignant pas comme les autres, à travers ses cours, indiquait les moyens à mettre en œuvre pour l’émancipation de la Haute-Volta. Ces élèves pétris de ces idées révolutionnaires se retrouvent après le PMK pour continuer l’enseignement du maître et réfléchir sur la façon de l’implémenter.
Le cercle de réflexion se transforme par la suite en une organisation clandestine anti- impérialiste. Des réunions sont tenues dans la clandestinité, des noms de codes sont donnés aux animateurs et le leader naturel est bien Thomas Sankara. En 1978, celui-ci se rend au Maroc pour un stage et fait la connaissance de Blaise Compaoré. Ils se lient d’amitié et deviennent des confidents. Quand ils rentrent au pays, Thomas Sankara présente son ami au groupe. Il assure qu’il répond de lui et vice-versa. Blaise n’ayant pas fait le PMK s’est retrouvé dans ce cercle comme un intrus. Dans les cercles anti- impérialistes, il y avait un cheminement imposé aux adhérents, mais grâce au futur président du CNR, Blaise en a été dispensé. Cette marque d’estime que Sankara vouait à Blaise Compaoré transparaît plusieurs années après dans une longue interview qu’il a accordé au journaliste Mohamed Maïga de Afrique Asie, le 25 août 1983 après la prise du pouvoir. Voici ce que Sankara disait à propos de Blaise Compaoré : “Je savais que le siège était levé autour du capitaine Henri Zongo et de ses hommes. Ils étaient donc en vie. Je savais aussi que le commandant Lingani était détenu à Dori. Je n’avais en revanche, aucune nouvelle du capitaine Blaise Compaoré. Les autorités ne parlaient pas de lui, j’étais donc fondé à interpréter ce silence comme un aveu d’assassinat.
J’avoue avoir été moralement atteint, d’autant plus qu’au même moment, des civils étaient arrêtés à mon nom. Surtout je ne supportais pas être sans nouvelle du capitaine Blaise”.
MNZ
Source : l’Evènement N° 174 du 20 octobre 2009 voir à l’adresse http://www.evenement-bf.net/pages/dossier_1_174.htm