28 fevrier 2008: Manifestations contre le vie chere, les violences gagnent Ougadougou

revue de presse

Le Pays du 29 fevrier http://www.lepays.bf

MANIFESTATIONS CONTRE LA VIE CHERE 
Ouagadougou entre casse et pillage

Etablissements scolaires, marchés, boutiques, magasins fermés par-ci, pneus brûlés sur des voies publiques, panneaux arrachés, feux tricolores détruits par-là. Tel était le décor que présentait la ville de Ouagadougou dans la journée du jeudi 28 février 2008. C’est une manifestation qui entrait dans le cadre de la lutte contre la vie chère.

Un peu plus d’une semaine après la manifestation suivie de casses à Bobo Dioulasso le mercredi 20 février 2008 et dans d’autres localités du Burkina, ce fut au tour de la capitale, Ouagadougou, de prendre le relais le jeudi 28 février dernier. Au commencement, on avait parlé d’une marche, puis il était question, en lieu et place, d’une opération ville morte, pendant que les autorités faisaient savoir qu’il n’en serait rien du tout et que chacun pouvait vaquer à ses occupations en toute quiétude. Mais c’est tout un autre spectacle que la ville de Ouagadougou a présenté dans certaines zones au cours de la journée du jeudi 28 février dernier. En effet, si des stations d’essence ont ouvert tôt dans la matinée, elles ont dû se raviser par la suite en fermant compte tenu de l’évolution de la manifestation.
A première vue, certains lieux de la ville respectaient bien le mot d’ordre de ville morte. Ainsi, sur l’avenue de l’UEMOA, les boutiques, ateliers de couture, kiosques, restaurants, agences de voyage avaient fermé. Certains de leurs responsables patientaient devant leur lieu de travail, et lorsque nous leur avons demandé pourquoi ils ont fermé , ils répondaient : "Nous observons parce que nous ne savons pas ce qui se passe. Nous sommes dans la désinformation, c’est pourquoi nous avons fermé et attendons de voir."
Non loin de là, toutes les boutiques de Zabré Daaga avaient les portes closes. Devant une d’elles, Antoine Yao, Damien Kaboré et des camarades étaient assis sur un banc, expliquant : "Si nous devons fermer et que cela arrange la population, c’est tant mieux." Pour eux, le gouvernement avait la solution de tous ces problèmes et a laissé faire jusqu’à ce qu’on arrive à cette situation. Un d’entre eux dira que "nos autorités marchent avec des bons, ont des facilités et font semblant de ne pas savoir comment la population souffre". Un autre ajouta : "Nous sommes d’accord avec l’archevêque de Ouagadougou qui dit qu’il faut consulter les gens avant de prendre des décisions." A peine avons-nous fini d’échanger avec eux que nous apprenons que ça bouge du côté du quartier Dapoya, et dès le rond-point des Nations unies, nous apercevons des flammes sur l’avenue Dimdolobsom. C’étaient les flammes de pneus qui ont été brûlés sur le bitume de cette avenue et il en était de même sur toute la rue Didier Kiendrebéogo où, en plus de ces pneus, des jeunes lançaient des pierres sur des éléments de la gendarmerie qui s’exerçaient à éteindre les feux, engendrant parfois une course poursuite entre eux. Le marché de Sankariaré était fermé et, quelques mètres plus loin sur l’avenue de l’armée, tout ce qu’il y avait comme boutiques, services et autres avait baissé pavillon au niveau du rez-de-chaussée des bâtiments de la cité An III.

Des manifestants arrêtés
La ville de Ouagadougou, dont il avait été dit que rien ne s’y passerait, était-elle en train de suivre les traces de Bobo Dioulasso? Sur le boulevard France-Afrique, à partir du rond-point de la Patte d’oie, au croisement de l’avenue Pascal Zagré, des jeunes étaient devenus maîtres de la circulation où ils brûlaient des pneus, cassaient les feux tricolores, pierres et bâtons en main, sous le regard des forces de l’ordre. Mais, par la suite , policiers, éléments de la Compagnie républicaine de sécurité, gendarmes, militaires, ont été mis à contribution et ont chargé les manifestants avec des gaz lacrymogènes. Certains manifestants ont été arrêtés. Il en était de même avec d’autres jeunes sur tout le long du boulevard de la Circulaire , à partir du rond-point de la Patte d’oie où le marché Paag-Layiri avait fermé jusqu’après le pont de Cissin. Il était difficile d’emprunter cette voie que jonchaient de grosses pierres, des pneus enflammés et d’autres objets utilisés comme obstacles. Pour passer en certains lieux, des jeunes exigeaient des motocyclistes et automobilistes de l’argent avant d’avoir un passage ouvert . Sur toute l’avenue du Kadiogo à Gounghin, boutiques, alimentations et autres lieux de commerce avaient également fermé et des débris jonchaient la voie. Des jeunes avaient pris possession de l’avenue El hadj Oumarou Kanazoé et guidaient la circulation jusqu’à la place de la Bataille du rail où ils ont mis le feu et cassé les feux tricolores. Il a fallu l’intervention des forces de défense et de sécurité pour les disperser. Sur l’avenue Kwame N’krumah, les vitres du hall d’entrée du bâtiment du groupe Bolloré avaient volé en éclats et rien n’y avait échappé juste au rez-de-chaussée en face de ce bâtiment. En effet, des vitres de la boutique de l’équipementier Tovio ont été brisées et, selon les explications d’un des responsables, des manifestants ont tenté de forcer mais n’ont pu y entrer. Ils ont emporté ce que leurs mains pouvaient prendre par les vitres. Juste à côté, c’est la boutique Haroun chic du jeune Harouna qui a fait les frais des manifestants qui se sont volatilisés avec tous les portables qui s’y trouvaient en vente, de nombreuses chemises et pantalons jeans-Sous le choc, Harouna nous a fait savoir qu’il ne pouvait pas sur-le-champ évaluer les pertes subies. Ainsi, certains quartiers de Ouagadougou ont vécu entre casses, pneus enflammés et autres dégâts le jeudi 28 février dernier.

Par Antoine BATTIONO

 


 

Sidwaya du 29 fevrier

Manifestations contre la flambée des prix : « La vie chère » coûte cher à Ouagadougou

vendredi 29 février 2008.

 

Ouagadougou a connu à son tour de violentes manifestations sous le prétexte de lutte contre la vie chère, hier 28 février 2008. Alors que tout semblait calme aux premières heures de la matinée, les esprits se sont surchauffés par la suite. Des feux tricolores, des édifices publics, des biens privés… ont été saccagés. Etat des lieux.

Des groupes de jeunes gens ont manifesté violemment, jeudi 28 février dans la matinée à Ouagadougou, contre la flambée des prix des produits de première nécessité. Par petits groupes, ils ont occupé certaines rues de la capitale, brûlant des pneus et brisant les feux tricolores. Sur l’Avenue Kwamé-N’Krumah, la quasi-totalité des panneaux publicitaires électroniques ont été brisés. Les manifestants sont partis avec les feux tricolores après avoir démonté les poteaux qui les supportaient. Visiblement décidés à casser, ils s’en sont pris aux luxueux immeubles de cette avenue. L’immeuble de la MABUCIG et celui de la Résidence Aziz ont essuyé des jets de pierre sur les vitres.

A Samandin, les manifestants ont terrassé un pan de mur de l’Ecole nationale des télécommunications du côté de l’Avenue Kanazoé. Les feux de signalisation, installés dans les environs ont subi le même sort que ceux de l’Avenue Kwame-N’Krumah. Les quartiers Dapoya, Kolog-naba et Patte-d’oie, ont également enregistré les mêmes actes de vandalisme. Les boutiques, les kiosques et les stations services sont restés fermés, alors que certains d’entre eux avaient ouvert le matin. Aucune voiture de l’Etat, reconnaissable au fond d’immatriculation en rouge, n’est visible en circulation.

Un meneur de 28 ans, au devant de son groupe, a brisé tous les feux tricolores de sa zone d’action à Dapoya, tout en prenant le soin de retirer les réflecteurs. Essoufflé par la course-poursuite engagée avec les éléments de la gendarmerie, il explique que tant que le gouvernement ne baissera pas les taxes, il n ‘y aura pas d’entente. Vendeur ambulant de pacotilles diverses, ce manifestant qui a requis l’anonymat croit savoir que « les aides qu’on donne au gouvernement sont reversées au budget de l’Etat et ne servent pas aux populations ». Pour lui, l’Etat a augmenté les taxes alors qu’il ne s’occupe pas des populations. « Aujourd’hui, les prix ont augmenté, ça fait qu’on ne peut plus se payer à manger et c’est pour cela qu’on fait la grève », explique un autre jeune de 14 ans, qui portait toujours sa tenue kaki des écoles publiques.

Cette situation est une reproduction de ce qui a prévalu à Bobo-Dioulasso, à Ouahigouya et à Banfora la semaine dernière. Des manifestants de mouvement informel ont conduit à des casses et des pillages dans ces localités, occasionnant à Bobo, des dégâts évalués à plus d’un demi milliard de francs CFA. Les agents de sécurité rencontrés sur place essaient des maîtriser la situation à l’aide de grenades lacrymogènes. Leur tâche est d’autant plus difficile que les jeunes se replient dans leurs cours pour ressortir aussitôt.

La crainte exprimée le matin par les commerçants et les responsables d’établissement s’est confirmée plus tard. La plupart des élèves des lycées publics ont rejoint leur domicile sitôt arrivés en classe. Les établissements privés sont carrément fermés. « Nous avons décidé de libérer les plus petits pour leur sécurité », a expliqué le matin Franck Bonanet, censeur au lycée Philippe-Zinda-Kaboré. « Par crainte qu’ils ne soient récupérés par d’éventuels manifestants, nous leur avons demandé de rejoindre dare-dare leur maison », a-t-il ajouté.

La veille, le gouvernement avait décidé de renoncer aux taxes perçues sur certains produits de grande consommation, en vue de faire baisser leur prix au consommateur. Le président des jeunes patriotes, Nana Thibaut, avait fini par lever son mot d’ordre de marche pour ce jeudi, tout en maintenant son idée d’une « opération ville morte » qui se traduirait par la fermeture des boutiques et des voies de circulation.

Aimé Mouor KABIRE

* « Jets de pierre » contre « gaz lacrymogène »

Jets de pierre contre gaz lacrymogène. Tel est le jeu auquel s’est livré à Ouagadougou dans les quartiers de Dapoya, Tampouy et Larlé, les manifestants contre la vie « chère » et les policiers, ce jeudi 28 février 2008. Il est 12h 15 lorsque nous enfourchons notre « char » pour faire un tour en ville. Arrivé à Dapoya, l’atmosphère surchauffée des groupuscules de jeunes attire notre attention sur la route de l’Armée.

A quelques mètres du marché de Sankaryaré, la présence de pneus calcinés, des feux tricolores saccagés laissent présager le pire. Un pick up bourré de policiers est stationné à 100 mètres en face de la caisse populaire de Dapoya dont les vitres ont volé en éclats. La circulation est monotone. Quelques motocyclistes roulent lentement. Les voitures cherchent des six mètres pour éviter les manifestants. A la hauteur du feu tricolore à côté de la station Shell de la cité An III, policiers casqués et blindés tenant des manifestants en haleine se regardaient en chien de faïence. Nous calons notre « char » à côté. Le bitume a été transformé à l’occasion en un dépotoir. Il est 12 h 30. Sur la voie allant au marché de Dapoya, le gros lot des manifestants a enflammé des pneus. A 100 m d’eux, les policiers intimident avec leurs carabines qui ne semblent pas chargées. Il fait chaud.

Des badauds sortis qui, des ruelles, qui de sa cour admirent le spectacle. Çà et là, les vitres des panneaux lumineux bordant le bitume ont volé en éclats. Tout autour des policiers, la multitude de cailloux et de déchets de toutes sortes indiquent la densité des échauffourées. Aux pieds des policiers, un manifestant est maîtrisé. Selon des témoins, l’homme serait un malade mental. Il sera relaxé plus tard. Tout à coup, quatre policiers se mettent en position en faisant barricade avec leur bouclier et avancent vers les manifestants. Les cailloux pleuvent. Les manifestants en face des policiers reculent tandis que ceux qui sont derrière les flics entrent dans la danse avec des jets de pierre. A l’ouest, à quelque 100 mètres, des jeunes essaient de faire un bûcher avec un pneu sous le regard de deux militaires tenant en bandoulière leur kalach.

Un manifestant arrêté

Alors que les cailloux pleuvaient, les policiers qui étaient stationnés dans le pick up démarrent. Nous faisons de même. La stratégie consistait à prendre en tenaille le gros de la foule. La foule ainsi prise en tenaille et les pierres qui « pleuvaient » de toute part, les gaz lacrymogènes entrent en action. C’est la débandade. Comme une fumée, les manifestants se dispersent dans les ruelles des six mètres bordant la voie. Le pick up freine à hauteur du marché de poulet de Dapoya. Un manifestant que les policiers avaient bien identifié est extirpé du marché de poulet sous le regard des commerçants qui ne bronchent pas. Sur leur visage, ils avaient l’air d’acquiescer l’arrestation de ce jeune dont l’âge avoisinait la vingtaine. En effet, de Dapoya à Tampouy en passant par Larlé, la centaine de manifestants avait entre 10 et 25 ans. Après cette arrestation, les policiers replièrent vers la station Shell. Au passage, un policier hèle un vendeur ambulant de cigarette. Il prend une « clop » et l’enflamme. Ce ne fut pas facile. Sur le bitume, la fumée des pneus et des gaz lacrymogènes rend difficile la respiration. Quelques personnes se sont employées à mouiller des mouchoirs pour se protéger.

D’autres, plus citoyens et civiques se sont employés à débarrasser la voie des pneus. Un adulte, à l’aide de bidon d’eau a pu éteindre ce qu’il pouvait. Pendant ce temps, des kiosques de la LONAB volant en éclats sur le flanc Est du marché. Des jeunes surexcités vociféraient sans pouvoir exprimer des revendications. Tantôt, ce sont quelques individus qui jettent par intermittence des pierres. Tantôt ce sont des badauds qui s’en prenaient aux feux. Jusqu’à 13h30, la situation était tendue. Mais les forces diminuant avec la chaleur, les manifestants ont perdu de leur souffle. A 15 h, à notre dernier passage, seules les voies dégradées, les poubelles publiques et la flopée des cailloux, des pierres, des débris de bouteilles, ainsi que le pick up bourré de policiers montraient l’intensité des échauffourrés.

Daouda Emile OUEDRAOGO daouda.ouedraogo@sidwaya.bf

* Des véhicules de l’Etat saccagés

Le parc automobile des ministères de l’Action sociale et de la Solidarité nationale et du Travail et de la Sécurité sociale a été saccagé. Les manifestants d’un jour ont poussé le bouchon loin en cassant les vitres des portes d’entrée de l’immeuble Baoghin. Selon une source, les manifestants seraient passés par le mur et se sont mis à tout casser.

A ceux qui saccageaient les feux tricolores, les caisses populaires de Larlé, de Dapoya et brûlaient des pneus sur l’asphalte, s’est joint un second groupe qui agissait pour un « règlement de compte ». En effet, des biens du maire de Nongr Massom Zakaria Sawadogo ont été brûlés. Selon les propos de riverains, confirmés par les forces de l’ordre en off, un proche et ami du maire aurait dans une rixe poignardé un jeune du quartier. Ce dernier aurait été conduit illico presto à l’hôpital où il est en soin intensif. Révoltée, la population est allée saccager l’imprimerie du maire sise à Tanghin. Des commandes (imprimés d’extraits de naissance) qui s’y trouvaient sont parties en fumée. Les marcheurs seraient partis avec des ordinateurs, des téléphones portables en vente et de l’argent liquide. Il a fallu un déploiement des forces de l’ordre pour protéger le domicile du maire que « les marcheurs voulaient mettre à sac. La fille de l’ami du maire qui aurait poignardé le jeune doit sa vie sauve à un voisin pasteur. Celui-ci a eu ses portes et fenêtres endommagées ».

Les téméraires ont fait de bonnes affaires

Hier, les commerces qui ont eu le courage d’ouvrir leurs portes ont fait de très bonnes affaires. En effet, la rareté, voire la quasi absence de boutiques ouvertes a créé de longues files devant celles ouvertes. Les commerçants débordant d’imagination ont vite fait de faire grimper les prix. Ainsi le litre d’essence s’est vendu dans certains endroits de la ville à 750 francs CFA. Comme quoi, il suffisait d’avoir le nez creux pour se frotter les mains. Outre les petites pompes services d’essence, quelques tenanciers de buvettes n’ont pas tari en clients, même si dans cette activité on ne s’est pas moqué des « godeurs » en renchérissant les prix. Mais d’une façon générale les téméraires se frottent les mains. Toute chose qui remet plus ou moins en cause le but poursuivi par les manifestants qui, disent-t-ils, protestaient contre la vie chère au Faso.

J.Y & J.Z  Sidwaya

 


 

L’Observateur du 29 fevrier http://www.lobservateur.bf

Ouagadougou  Commerce mort, ville chaude

"Autorisation ou pas, nous allons marcher le 28 février". Ces propos de Nana Thibaut dans notre édition du vendredi 22 février 2008 semblent avoir eu un écho favorable au sein de la population ouagalaise quand bien même, quelques jours plus tard, l’intéressé a revu dans les colonnes du quotidien d’Etat Sidwaya ses prétentions à la baisse, préférant désormais parler de "journée ville morte". Hier donc, beaucoup de commerces et de services étaient fermés, mais au lieu d’une ville morte comme annoncée, on a plutôt assisté dans la capitale à une chaude journée, marquée par des affrontements entre des jeunes et les forces de l’ordre et un déchaînement de violence sur des biens publics et privés.

 

En se levant hier matin, beaucoup de Ouagavillois se demandaient de quoi cette journée du 28 février 2008 serait faite. Après les émeutes intervenues à Bobo-Dioulasso, à Banfora et à Ouahigouya, les 20 et 21 février derniers pour cause de vie chère, de pression fiscale insupportable pour les commerçants, une journée "ville morte" était en effet annoncée dans la capitale, qui semblait vouloir se racheter d’avoir "lâché" les cités de l’intérieur.

Par mesure de précaution, de nombreux établissements scolaires, notamment ceux du centre-ville, avaient libéré leurs pensionnaires. Et les autorités, instruites par les précédents fâcheux de la semaine dernière avaient pris des dispositions pour parer à toute éventualité.

Hier matin donc, c’est un Ouaga presque en état de siège qu’on a trouvé. Des policiers, des militaires et des gendarmes patrouillaient en motos et en voitures et protégeaient certains sites sensibles comme la SONABHY, le COTECNA, les stations d’essence, les banques et établissements financiers, les édifices publics, les mairies ; de quoi dissuader d’éventuels casseurs.

Certains commerçants avaient préféré fermer boutique. Il en était de même pour les alimentations sans doute par mesure de précaution. Les marchés et yaars fonctionnaient un peu au ralenti. Tel était le décor dans la matinée jusqu’aux environs de 9 heures. Mais petit à petit, la tension, qui n’était pas perceptible au départ, commençait à monter.

Dans la zone commerciale, où d’ordinaire circuler est un enfer, le trafic était exceptionnellement fluide. Pas de camions stationnés de façon désordonnée, obstruant la voie, pas de dockers qui déchargent dans un tohu-bohu indescriptible, pas de vendeuses de riz, de benga ou de gaonré, et pour se restaurer au centre-ville, c’était la croix et la bannière.

Les grands magasins, le marché de cola, la grande mosquée de Ouagadougou et ses environs étaient déserts. Même les mendiants qui  y sont à la recherche de leur pitance quotidienne avaient disparu. Seuls quelques petits marchands du secteur informel rôdent, mais sans leurs marchandises. Les éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) aussi, armés jusqu’aux dents.

Mais les patrouilles, qui visaient à assurer la sécurité des personnes et des biens et à prévenir tout acte de vandalisme, ont produit l’effet inverse. La présence de ces hommes en treillis semblait incité les gens à manifester.

Guérilla urbaine

Et cela ne tarda pas à arriver. Très vite, de vieux cartons sont rassemblés et brûlés sur le bitume. Et c’est parti pour une course-poursuite dans les environs du grand marché Rood- Woko. Il était 9 h 30 à peu près. Au même moment, on nous annonce qu’à la Patte-d’Oie, des jeunes ont pris d’assaut une partie du Boulevard France-Afrique et progressaient comme des colonnes de rebelles vers le rond-point.

Deux jours plus tôt, comme en guise d’échauffement, ce quartier a connu une révolte nocturne au niveau des voies de déviation de l’échangeur Sud. Les manifestants avaient alors mis le feu aux pneus et érigé des cordons de pierres pour réclamer le bitumage de la rue Bagemnini, très fréquentée par des véhicules de tous gabarits, qui soulèvent la poussière et provoquent des nuisances sonores à toute heure du jour et de la nuit.

C’est cette même atmosphère surexcitée de la nuit du 26 février qui prévalait sur la grande avenue de Ouaga 2000. Cailloux en mains, les frondeurs s’acharnaient sur les feux tricolores, qu’ils détruisaient littéralement puis brûlaient tous les objets qui pouvaient l’être, contraignant les usagers de la route à rouler sur les abords, la peur au ventre.

Entre-temps, policiers et gendarmes font leur apparition pour charger les casseurs avec leurs gaz lacrymogènes. Ceux-ci font un repli tactique dans les six mètres pour se fondre dans la foule de badauds, amenant les forces de l’ordre à disperser tout le monde. Apparemment organisés, les jeunes gens se regroupaient de nouveau pour poursuivre leur travail dans ce qui confinait à une guérilla urbaine.

Ils arrêtent de force quelques passants juchés sur leur moto pour vider un peu de leur carburant en vue de brûler les pneus. Ne résistez surtout pas face à leurs "doléances" de contribution à "l’effort de guerre". Flics et pandores mobilisés à la Patte-d’Oie semblent débordés. Nous entendons un d’entre eux passer un coup de fil sans doute à un supérieur hiérarchique pour demander du renfort : "Il faut venir vite", hurle-t-il.

Quelques instants plus tard, comme dans un film policier, des voitures arrivent en trombes avec des hommes et des lacry qu’on distribue comme de petits pains. Ragaillardis, ils repartent à l’assaut et parviennent à faire des "prisonniers de guerre", de jeunes manifestants capturés, molestés et jetés dans les véhicules.

Tonnerre !

Hormis l’avenue Bassawarga, toutes les voies menant au Rond-point de la Patte-d’oie sont bloqués par les croisés de la vie chère. 11 h 30, nous quittons cette zone chaude pour faire le tour de quelques secteurs. Sur l’avenue Kadiogo, le trafic est quelque peu perturbé, car les manifestants étaient passés par-là. A hauteur de la station Total, les CRS sont stationnés au beau milieu de la route et veillent sur quatre jeunes de bonne volonté ou animés d’un esprit de civisme, qui dégageaient les débris de la voie.

A quelques mètres de là, le maire de Ouagadougou, Simon Compaoré, qui était aux premières heures sur le terrain, joue "au chef des loyalistes", comme face à une rébellion. Entouré de policiers en tenue de combat, il a le Talkie Walkie collé à l’oreille et communique sans cesse. Notre équipe de reportage s’approche pour tenter de lui arracher quelques mots sur la situation.

Il fait un signe de la tête et de la main puis lâche : "Ce sera plus tard, je n’ai pas le temps". Nous l’entendons citer un nom de code "Tonnerre" au téléphone. Sans doute donne-t-il des instructions à ses éléments. Nous progressons vers le centre-ville. Même décor au rond-point de la Bataille du Rail : pneus brûlés, volutes de fumée dans l’air devenu irrespirable du fait des lacrys.

Les mesures d’apaisement n’ont pas désamorcer la bombe

Situation identique à Dapoya, où la route de Sankaryaaré était devenue infréquentable avec des barricades dressées tous les dix mètres. Pour des raisons évidentes, nous n’avons pas fait le tour de toute la ville. Mais l’on apprend que les quartiers Nonsin, Larlé, Saint-Léon, Tampouy et Tanghin ont été touchés par ce déchaînement de violences sur les biens publics pour, dit-on, protester contre la hausse des prix de produits de première nécessité.

Quelques jours avant, Nana Thibaut, président du Rassemblement démocratique et populaire (RDP) et du Rassemblement des jeunes patriotes révolutionnaires, un mouvement non reconnu par l’Administration territoriale, annonçait une marche contre la vie chère, même si l’autorité lui en refusait l’autorisation. Il a beau revenir sur ses déclarations en renonçant à sa manifestation à la Une du Quotidien d’Etat Sidwaya, le bouche-à-oreille avait déjà fait le tour de la ville.

Et la campagne de communication fortement médiatisée du gouvernement à l’endroit des leaders religieux et syndicaux pour appeler au calme et à la retenue n’a rien pu contre ce qui était déjà ancré dans les esprits. Pas même les mesures d’apaisement annoncées par le gouvernement la veille, au cours d’une conférence de presse (cf. "Une lettre pour Laye" et notre édition d’hier).

"La journée ville morte" de Ouagadougou présentait hier un visage terrible où circuler était un véritable parcours du combattant. Il fallait en effet slalomer quand c’était possible, entre les pneus brûlés, les kiosques de la LONAB renversés et les débris de toutes sortes, et beaucoup de gens qui n’avaient pas d’obligations particulières ont préféré se terrer chez eux, le temps que l’orage passe.

Dans l’après-midi, après les courses-poursuites, le jeu du chat et de la souris entre manifestations et forces de l’ordre, ponctués par des dizaines d’interpellations, le came était revenu, avec toutefois une violence résiduelle par endroits, mais déjà, on imaginait ce que serait la circulation ce matin avec les feux tricolores, endommagés un peu partout et dont les premières victimes risquent même d’être les casseurs ; mais aussi la ruée vers les stations d’essence, les gens ayant épuisé leurs derniers centilitres à faire de grands détours pour rejoindre leur destination.

Adama Ouédraogo

 

Quelques commerçants, qui ont fermé boutique puis devisaient tranquillement devant leurs échappes, s’expriment sur la hausse des prix et les manifestations violentes.

Abdoul Salam Kabré : "Je n’approuve pas les casses. Mais il faut reconnaître que ventre affamé n’a point d’oreille. Nos dirigeants semblent vivre sur une autre planète et se préoccupent peu du sort des populations. Nous suivons maintenant Africable et nous voyons des présidents tels qu’Abdoulaye Wade, Amadou Toumani Touré et Yayi Boni descendre dans les profondeurs de leur pays pour rencontrer les populations. Blaise Compaoré, lui, est plutôt soucieux de faire la paix chez les autres.

Ce qui est grave dans ce pays, c’est que chaque fois que l’on veut se plaindre, on vous qualifie d’opposant alors qu’on dit que c’est la démocratie. Si les prix des produits ont augmenté, ce n’est pas le fait du hasard. Le gouvernement, au lieu de nous divertir, qu’il diminue les impôts.

Nous les jeunes commerçants, nous ne pouvons pas évoluer à cause des impôts. Nous avons aussi des projets en tête, mais c’est difficile de les mettre en œuvre. Dans les banques pour avoir un crédit, il faut des garanties. C’est dur".

Martin Simporé : "Si les prix des produits ont augmenté, c’est parce que le coût du dédouanement aussi a augmenté. Tout ce que le gouvernement a dit, ce sont des histoires. Il ne dit pas la vérité. Quand il parle de fraude, il connaît bien les grands fraudeurs de ce pays.

Et puis quand il y a un problème comme c’est le cas en ce moment, les autorités choisissent de rencontrer les gens comme Alizet Gando, Oumarou Kanazoé, Barro Djanguinaba, qui sont leurs amis. Dans ces conditions, il n’y a pas d’échanges francs. Il faut qu’on invite tous ceux qui sont inscrits dans le registre du commerce pour un dialogue direct".

A.S. : "La vie est devenue trop chère. Un sac de riz coûte 16 500 FCFA. Si vous êtes au nombre de 5 personnes à la maison, le sac ne fait pas un mois. Le gouvernement, au lieu d’agir, passe son temps à s’expliquer et à comparer notre pays avec d’autres.

Qu’il mette en place son système de contrôle des prix et prenne les mesures qui s’imposent. On ne peut contribuer dans cette situation. Quand on se plaint, on dit que c’est l’opposition qui manipule les gens. Dans cette histoire de vie chère, il faut prendre les gens au sérieux et arrêter de faire des amalgames."

Propos recueillis par O.A.D.

 


 Ouagadougou à son tour en flamme

Après Bobo-Dioulasso, Ouahigouya et Banfora, Ouagadougou a succombé à la furia des manifestations contre la vie chère le jeudi 28 février 2008. La capitale du Faso, où bruissaient des rumeurs de ville morte a vu certaines de ses artères en flamme à cause de bûchers élevés ça et là, ses feux tricolores et des véhicules saccagés.
Les forces de l’ordre ont présenté des signes de débordements et d’inorganisation.

Source : Bendré du 10 mars 2008, http://www.journalbendre.net/spip.php?article2020

Très tôt, dans la matinée du jeudi 28 février 2008. Les forces de l’ordre ont occupé quelques points stratégiques de la ville de Ouagadougou « pour parer à toutes éventualités ». Armés de matraques et de gaz lacrymogènes, assis, à moto ou en voiture, ils scrutaient et fouillaient les coins et recoins de la ville pour déceler des éventuels mouvements.
Certains endroits tel l’Hôtel de finances du secteur 11 étaient gardés par des militaires en armes à feu.
Entre 7h et 10h.
Des magasins de la ville sont restés fermés sur les principales rues. Les sociétés de transports, SOTRACO y compris, ont fermé leurs gares par précaution. Des stations d’essence ont aussi suivi le mouvement de ville morte pour ne pas subir les mêmes dégâts constatés à Bobo-Dioulasso.
Dans les établissements scolaires, du préscolaire au secondaire en passant par le primaire, les élèves ont été priés de rentrer chez eux.
On remarque aussi que certains services fonctionnaient comme si de rien n’était.

10h. Nous apprenons qu’on tire du côté de Sankaryaaré. Puis à Larlé, Ouidi, Tanghin, Dapoya, Paspanga, Tampouy, Gounghin, Patte d’Oie. Des groupuscules bien organisés envahissent certaines rues et brûlent des pneus sur les voies pour dresser des barrières. De partout, s’élevait une fumée noire d’objets carbonisés.
Les policiers de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) équipés de gaz et de boucliers réussissent quelques fois à disperser les groupes. Mais après leur départ, les groupes se reconstituaient et continuaient l’occupation des voies par des bûchers.
Pour rétablir l’ordre, il y avait également d’autres types d’hommes de tenues. Ils sont armés de gourdins et de longs bâtons semblables aux manches des pics, ces outils de prédilection des creuseurs de tranchées de l’ONEA.
Pour rétablir l’ordre, il y avait aussi Simon Compaoré le maire de la ville. Sa 4X4 est escortée par les hommes aux longs bâtons. Ce qui fait dire que ces hommes sont de la police municipale.
A la vue des faiseurs d’ordres souvent devancés par le gaz lacrymogène, les manifestants se dispersent, non sans narguer les sympathiques porteurs de bâton, en les huant. Ces derniers scindent parfois en deux groupes. Un premier engage la course poursuite avec les manifestants tandis que le second se charge de dégager les voies des flammes, d’éteindre le feu ou de pousser les immondices dans les caniveaux. Une centaine de mètres après avoir reçu des pierres à la volée, les premiers se replient tous confus et en marmonnant : « Comment peut-on défendre ou disperser les gens si on n’a que des bâtons à la main et sans bouclier ? ». Quelquefois, ils reviennent avec des trophées : de jeunes imprudents qui se sont arrêtés.

Des dégâts importants

Sur l’avenue Larlé Naaba du secteur 10, les dégâts sont considérables. Les enseignes lumineuses de la caisse populaire et du bureau Western Union ont volé en éclats. Tous les feux tricolores ont été détruits.
Les enseignes lumineuses et les vitres de bâtiments ont connu le même sort sur l’Avenue Kwamé N’Krumah. Au ministère de l’Action sociale (Immeuble Baoghin), des véhicules appartenant à l’Etat et à des particuliers ont été saccagés. Parmi les véhicules détruits, se trouvaient ceux de madame le ministre de l’Action sociale et de la solidarité nationale Pascaline Tamini. Alertée, la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) est arrivée après que les manifestants aient tout détruit. Dans la colère, quelques agents leur ont fait des reproches « C’est maintenant que vous arrivez ? Depuis hier vous auriez dû occuper les services. Ainsi, on aurait pu éviter ces dégâts. Qui va payer tout ça ? », « Vous n’êtes que des gendarmes après la mort ». En clair, pour ces agents meurtris devant les véhicules détruits, il y a eu une négligence de la part des forces de sécurité. Toutefois, les CRS leur ont permis de sortir des bureaux et surtout d’arrêter les flammes d’un véhicule sur lequel les manifestants avaient jeté de l’huile de vidange et mis le feu. Les manifestants sont repartis avec les postes radios de certains véhicules.
« Je suis très content de ce que les jeunes ont fait ici par rapport à ce qui a été fait à Bobo. Ils ont détruit seulement les biens de l’Etat et n’ont pas touché les biens de particuliers », se réjouissait un homme d’une soixantaine d’années posté devant sa porte qui ne savait certainement pas que des biens privés avaient été aussi détruits.
Les émeutiers ont par ailleurs, dressé des barrages sur plusieurs rues.
Les manifestants, jeunes et adolescents pour la plupart, bravant les gaz lacrymogènes sont sortis nombreux pour exprimer leur colère face à la dégradation de leurs conditions de vie au regard de la flambée des prix des produits de première nécessité.
Jusque dans l’après midi, les jeunes ont continué de célébrer leur « victoire » dans les quartiers. Dès les premières heures de la journée de vendredi, les services de nettoyage de la mairie dont les célèbres « femmes » de Simon, se sont mis à la tâche pour débarrasser les rues de tous les déchets.

Les autorités avaient initié des cadres d’échanges avec les religieux, les représentants du corps diplomatique, les commerçants et les opérateurs économiques sans pouvoir hélas contrer les mouvements de ce jeudi 28 février 2008.
A-t-on laissé le fantôme entrer dans la maison, avant de vouloir l’expulser ?

 Par Y. Florent Bakouan 

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