Par Bruno Jaffré

Une manifestation contre le régime

Certes la manifestation convoquée le 29 juin par l’opposition unie derrière son chef de file M. Zéphirin Diabré, avait d’abord été programmée contre la mise en place d’un sénat. Deux raisons sont évoquées, le coût de ce sénat, dans un pays pauvre, et surtout son mode de désignation qui assure une majorité confortable à Blaise Compaoré et son clan. De plus, le président du sénat devant assurer l’intérim en cas de vacances du pouvoir, nombre de commentateurs burkinabè soupçonnent Blaise Compaoré de vouloir mettre à la tête de ce sénat son petit frère François Compaoré. Sa création a été acceptée par l’assemblée nationale et le décret, convoquant les grands électeurs les élus des collectivités locales, vient d’être promulgué.

Mais en réalité, les mots d’ordre adoptés par les partis de l’opposition couvrent l’ensemble des mécontentements qui se font jours depuis de nombreuses années. Difficile donc, de ne pas y voir une journée de manifestations contre le régime lui-même. Qu’on en juge :

NON A LA VIE CHERE ! NON AU CHÔMAGE DES JEUNES ! NON A L’AUGMENTATION DU PRIX DU GAZ ! NON A LA MISERE DES ETUDIANTS ! NON A LA CORRUPTION ! NON A L’INSECURITE ! NON AUX MAUVAISES CONDITIONS DES TRAVAILLEURS ! NON AU SENAT ! NON A LA MODIFICATION DE L’ARTICLE 37 ! NON AU POUVOIR A VIE !

La déclaration introductive du chef de file de l’opposition lors de la conférence de presse convoquée le lendemain de la manifestation (voir http://www.blaisecompaore2015.info/29-juin-2013-Journee-nationale-de= ) confirme cette orientation nettement politique pour l’alternance.

Affluence historique

Photo Amidou Kabre

La population a très largement répondu à cet appel, surtout à Ouagadougou, les rassemblements en province paraissant plus modestes cependant.

Le 30 avril 2011 les partis politiques d’opposition avait appelé déjà à une manifestation, sous le mot d’ordre “Blaise Dégage”, à la suite des mois de révoltes de la jeunesse et de mutineries de l’armée et la gendarmerie. mais n’avait rassemble qu’environ 2000 personnes. Mais celle-ci était intervenue alors que le mouvement n’était pas à l’initiative des partis mais de la jeunesse.

Entre temps se sont tenues les élections législatives. Et l’UPC, le parti créé par M. Zéphirin Diabré a contre toute attente, obtenu 20 députés, le consacrant sans équivoque comme Chef de file de l’opposition. Aussi cette fois les partis sont à l’initiative. C’est une première depuis l’indépendance. Les Ouagalais ont répondu présents. Comme si le peuple burkinabé n’attendait qu’un signal pour retrouver ses traditions de lutte, qui, il faut le rappeler, ont renversé plusieurs régimes depuis l’indépendance.

Difficile de chiffrer le nombre manifestants à Ouagadougou, le Burkina n’ayant pas de tradition de comptage de telles manifestations. Plusieurs chiffres sont avancés, 50000 selon le blog http://kikideni.cowblog.fr, 12000 selon les organisateurs, cités par le site d’information http://www.lefaso.net, pourtant longtemps considéré comme proche du pouvoir, mais animé par des journalistes aguerris qui semblent petit à petit prendre ses distances. La perle revient au communiqué officiel du gouvernement faisant état de plusieurs centaines de participants !

Quoiqu’il en soit la participation semble bien avoir été exceptionnelle. Ainsi le musicien Sams’K Le Jah nous a confié, avec une certaine prudence, qu’il pensait que la foule dépassait cette fois celle des manifestations massives qui ont suivi l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Ce qu’a confirmé M. Zéphirin Diabré Chef de file de l’opposition qui a déclaré « Elle a atteint un niveau jamais égalé dans notre histoire politique » selon ce que rapportent plusieurs organes de presse.

Thomas Sankara s’invite dans la manifestation

Photo Amidou Kabre

Les photos montrent en effet la présence de portraits du défunt président Thomas Sankara, confirmant sa présence immuable dans la mémoire des burkinabè y compris des jeunes.

Photo Amidou Kabre

C’est ainsi que le Grégoire B. BAZIE note dans un paragraphe intitulé « Portrait de Thomas Sankara en vogue » dans un billet publié à http://www.lefaso.net/spip.php?article54875 : « S’il y a quelque chose qui n’est pas passé inaperçu à la Place de la Nation de Ouagadougou ce 29 juin 2013, c’est le portrait du l’ancien président Thomas Sankara. Les affiches à son effigie se vendaient comme de petits pains. En effet, aucune autre image n’a été aussi visible sur la Place que celle de l’ex-président du Conseil national de la Révolution (CNR). Preuve, sans doute, qu’il demeure encore populaire chez bon nombre de Burkinabè, en particulier les jeunes. ». D’autres commentaires font état de la diffusion vie les hauts parleurs de discours de Thomas Sankara.

Smockey et Sams'K Le Jah s'adresse  la foule munis de balais (photo Amidou Kabre)

Notons aussi la présence des deux musiciens engagés Sams’K Le Jah et Smockey, très populaires parmi la jeunesse. Tous deux se réclament régulièrement des idées de Thomas Sankara. Ils ont chacun composé plusieurs morceaux pour lui rendre hommage. Ils ont tenu a affirmé leur présence au défilé, tout en se démarquant des partis politiques et ont annoncé la création du mouvement « le balais citoyen » avec l’objectif de balayer le régime et tout ce qui ne va pas dans ce pays.

La police charge les manifestants.

Les manifestants devaient se rendre devant les bureaux du premier ministre. Deux cortèges, empruntant des itinéraires différents, ont du être formés du fait d’une participation dépassant les espérances des organisateurs. Lorsque les dirigeants des partis sont arrivés, le service d’ordre bien organisé contenait difficilement les manifestants.

Il était convenu qu’un représentant du premier ministre vienne à la rencontre des manifestants pour recevoir un message destiné à Blaise Compaoré (voir le message à http://www.blaisecompaore2015.info/29-juin-2013-Journee-nationale-de). Mais personne n’était présent. Selon le récit qu’a fait M. Zéphirin Diabré, le chef de la police lui a alors proposé de passer seul les barrières, ce qu’il a refusé. Le chef de la police a ajouté que le représentant du premier ministre était là il y a quelques minutes et qu’il ne savait pas où il était parti ni pourquoi. Le représentant du premier ministre conteste cette version (voir www.lefaso.net/spip.php?article54887). Il explique qu’il était en retrait, et qu’il avançait à la rencontre des manifestants lorsque les premières échauffourées ont commencé et qu’il a donc du retourner en arrière.

Volonté d’en découdre d’une partie des manifestants ou provocation d’éléments infiltrés, toujours est-il que dès qu’un petit groupe de manifestants a réussi à forcer les barrages, la charge fut brutale, intense et rapide, occasionnant plusieurs blessés qui ont du être transportés à l’hopital.

Pourtant contrairement à d’autres manifestations récentes d’étudiants, où les affrontements s’étaient poursuivis après les charges policières, les manifestants ont suivi les mots d’ordre des organisateurs et se sont tous repliés sur la place de la nation (anciennement place de la révolution), lieu de départ du rassemblement.

De gauche  droite Benewende Sankara Zephirin Diabre, et Arba Diallo  (photo lefaso.et)

Lors de la conférence de presse, le 30 juin, le chef de file de l’opposition s’est félicité de la participation de la population et a demandé aux participants de rester mobilisés.

On retiendra cette image de M. Zéphirin Diabré, un libéral, qui a commencé sa carrière politique comme ministre de Blaise Compaoré, avant de se tourner dans les affaires au sein des multinationales françaises, CASTEL et AREVA, entouré de M. Benewendé Sankara, dirigeant du principal parti se réclamant de Thomas Sankara, et de M. Arba Diallo, dirigeant du PDS Metba, ministre des affaires étrangères de Thomas Sankara, la première année de la révolution. tous deux pouvant être classés à la gauche de l’échiquier politique.

Une image qui consacre l’union toute nouvelle des 3 poids lourds de l’opposition politique, mais qui rend compte aussi de sa diversité.

Bruno Jaffré

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