Chaque étape de la vie de Thomas Sankara est résumée par ces outils de médiation, 16 octobre 2025, Studio Yafa
« Thomas Sankara, le retour ». C’est le thème de l’exposition proposée par le Musée national du Burkina Faso. Loin des clichés et des slogans, l’exposition iconographique invite les visiteurs à explorer Sankara autrement. Un Sankara humain, enfant curieux, patriote précoce. Bien avant d’être le chef d’État charismatique qui continue d’impacter, 38 ans après sa mort.
Dès l’entrée, le ton est donné. La scénographie débute symboliquement depuis la porte principale du Musée national, qui fait face au boulevard Thomas Sankara. Le visiteur est accueilli par la voix du président, diffusée en boucle à travers ses discours les plus marquants.
Une fois à l’intérieur, des fûts vides recouverts de pagnes koko dunda et Faso danfani forment une haie d’honneur pour le visiteur. Ces fûts représentent aussi des outils de médiation jalonnant le parcours du Président-capitaine. Douze au total, comme le nombre de ses compagnons tombés avec lui au Conseil de l’Entente, le 15 octobre 1987.
Dans la salle d’exposition, le visiteur est accueilli par des photos regroupées par thématiques. Enfance, vie familiale, formation militaire, carrière professionnelle, engagement politique, libération de la femme, émancipation de l’Afrique… Des documents, certains manuscrits et signés de la main du capitaine, sont également exposés. Et au milieu de la salle, la fameuse guitare rouge et le pistolet automatique du président révolutionnaire s’offrent à la vue des visiteurs, qui entrent alors dans son intimité.
Sankara raconté autrement
Dans cette atmosphère à la fois solennelle et intime, les visiteurs découvrent un Sankara plus personnel, plus accessible. Déo Gracias Gaëlle Kaboré vient de finir la visite. Bien qu’elle ait lu des livres et vu des documentaires sur Sankara, elle dit ressortir de cette exposition avec un regard neuf sur l’homme.
« L’exposition aborde une partie moins médiatisée de Sankara. On a plongé dans son enfance, on a refait le parcours avec plus de détails. Par exemple, on sait qu’il portait le nom Ouédraogo entre temps », confie-t-elle, l’air enthousiaste. Sur les murs, des images d’un Sankara enfant habillé en Faso danfani attirent particulièrement son attention.
« Depuis l’enfance, il avait cette fibre patriotique. On le voyait déjà en Faso danfani. On sent une cohérence entre l’enfant qu’il était et l’homme qu’il est devenu. Ce qui m’a le plus touchée, c’est l’authenticité de l’être humain. Il ne s’est pas donné un rôle, c’était une suite logique », poursuit-elle. Lorsqu’elle apprend que Sankara avait voulu devenir chirurgien et qu’il s’interdisait de fumer, de boire ou même de consommer du café pour éviter les mains tremblantes en cas d’opération, elle sursaute de surprise. Médecin de formation, elle en tire une promesse : « La partie de Sankara qui voulait être médecin, on va essayer de la réaliser finalement ».
Depuis le vernissage, le Musée national est devenu un carrefour où se croisent plusieurs nationalités, toutes venues redécouvrir Sankara autrement. C’est le cas de Fabrice, visiteur nigérien. « On entend souvent parler de Sankara de façon générale, mais ici j’ai découvert l’homme dans toute sa dimension humanitaire. Le guide nous a expliqué les étapes de sa vie, depuis le primaire jusqu’à sa formation militaire », se réjouit le jeune visiteur.
Ce qu’il retient surtout, c’est la cohérence entre les idées et les actes. « On pensait que le Faso danfani, c’était juste un symbole du pouvoir. Mais non, c’était une idéologie qu’il portait depuis l’enfance ».
Au cœur de cette effervescence, Ouattara Oumar, guide au musée, ne cache pas sa satisfaction malgré le rythme soutenu. « Nous enchaînons les visites depuis l’ouverture. Il faut aller au-delà du simple discours, rendre la visite interactive. Les gens posent beaucoup de questions », explique-t-il, sans la moindre plainte. Mieux, cela le motive. « Depuis la conception de l’exposition, nous sentons une véritable attente. Ses idées continuent d’inspirer, d’impacter positivement les gens », remarque le guide.
Selon Lompo Boun-djoa Mickaël, directeur des expositions et de la médiation du Musée national, il s’agit d’une première dans l’histoire du musée qu’une exposition soit exclusivement consacrée à Thomas Sankara. « Il faut l’humaniser. C’est d’abord un être humain. Au-delà des actions politiques, il faut montrer sa face humaine, à travers des anecdotes et des fragments de vie », insiste le Directeur qui précise que cette exposition est le fruit d’un travail d’un an, combinant recherches documentaires et témoignages de proches du président.
Lompo Boun-djoa Mickaël, directeur des expositions et de la médiation du Musée national, 16 octobre 2025, Studio Yafa
Au-delà de Thomas Sankara, le parcours rend aussi hommage à des figures contemporaines du Burkina. Des hommes et des femmes qui ont prolongé ou qui prolongent, à leur manière, l’esprit sankariste à travers leurs actions. Norbert Zongo, le journaliste assassiné ; Béatrice Sanon, la policière intègre qui refusa des millions proposés par un braqueur ; ou encore Yôrô, le volontaire pour la défense de la patrie tombé sur le champ d’honneur. « Le retour, c’est toutes les actions inspirées du vécu de Sankara ou la prolongation de ses idéaux. Ce sont ces personnes qui se battent nuit et jour et rappellent son combat », explique le directeur.
Prévue pour durer un mois, l’exposition pourrait être prolongée jusqu’en décembre 2025.
Nous vous proposons ci-dessous un article publié en août 1986 dans l’hebdomadaire Révolution, proche du parti communiste français, disparu depuis. En réalité cet article qui fait en quelque sorte le bilan, si tant est que c’est possible dans un article de journal des 3 premières années de la Révolution. En réalité, l’auteur n’est autre que Bruno Jaffré, auteur depuis de nombreux ouvrages ou articles sur la Révolution, qui à l’époque, publiait sous ce pseudonyme de Bernard Frégeat. La retranscription a été réalisée par Adama Ouedraogo.
La rédaction du site
Il y a trois ans, le 4 août 1983, de jeunes officiers progressistes du pouvoir en Haute-Volta, qu’ils rebaptisèrent l’année suivante le Burkina Faso (la Patrie de l’homme intègre).
Notre collaborateur Bernard Frégeat s’est rendu, à de nombreuses reprises, au Burkina Faso et connaît bien le capitaine Sankara qu’il avait d’ailleurs interviewé avant même son retour, à la tête de son pays cette fois. C’est avec sympathie mais sans complaisance qu’il esquisse ici un bilan d’ensemble de l’œuvre du gouvernement, au plan économique et social, comme au niveau politique national. Un tableau qui permettra de mieux saisir l’ampleur des importantes mesures annoncées à l’occasion de ce troisième anniversaire.
Trois années de Révolution (1986)
Par Bernard Frégeat
Dans ce pays, classé parmi les huit plus pauvres du continent, la mortalité avant un an atteignait 15%, l’analphabétisme près de 90%. Mines et industries ne représentaient que 15% du PNB. Les deux tiers du territoire sont atteints de désertification, alors que les exportations (54% de coton) provenaient exclusivement de l’agriculture. Un taux de couverture[i] de 20% le rendait particulièrement dépendant de l’extérieur. Les transferts de fonds des travailleurs émigrés, environ un million en Côte d’Ivoire, constituaient donc la principale source de revenus.
Les jeunes dirigeants se trouvaient face à des questions incontournables: comment sortir du sous-développement en ne disposant guère de ressources? Comment supprimer la famine? Comment appliquer le mot d’ordre: « Compter sur nos propres forces »? Il n’était pas question de refuser l’aide extérieure mais pour eux. Des Comité de défense de la révolution (CDR) furent rapidement et partout mis en place, dans les quartiers, les villages, les bureaux, les établissements scolaires, les entreprises. Il s’agissait de canaliser le soutien populaire qui n’avait pas manqué de s’exprimer, mettre les gens au travail tout en leur apportant une éducation politique. C’est pourquoi, toute de suite, commencèrent les travaux d’utilité collective et les veillées-débats.
La persistance de la corruption et les détournements de fonds, deux des plus graves fléaux laissés par la colonisation et qui n’avaient pas cessé de se développer depuis, sous les différents régimes précédents, étaient un obstacle fondamental à la mobilisation populaire, tant à cause des précieuses sommes d’argent perdues que par le laxisme que cela entraînait sur les différents lieux de travail. Les grands procès devant les Tribunaux populaires de la révolution permirent la récupération de plusieurs milliards de francs CFA. Les responsables des anciens régimes y furent aussi jugés publiquement. De nombreux « dégagements » ou suspensions touchèrent les fonctionnaires corrompus ou n’assurant pas correctement le travail pour lequel ils étaient payés.
«L’effort populaire d’investissement s’est traduit jusqu’en juillet par des ponctions sur les salaires après celles sur les indemnités, l’année précédente. Elles ont, en partie, été compensées par des mesures sociales comme la suppression des loyers puis leur réglementation.
Un profond mécontentement s’est répandu parmi les salariés, largement alimenté par des rumeurs (redoutable arme politique à Ouagadougou) sur la réelle utilisation des fonds ainsi récupérés. Pourtant des projets jusqu’alors en sommeil allaient enfin, après le 4 août 1983, pouvoir démarrer, comme celui de la vallée du Sourou, très fertile, du nom du fleuve dont on a procédé au détournement pour en retenir l’eau.
Une mine d’or a été remise en exploitation à Poura, des routes ont été goudronnées ou améliorées, des cités construites pour les fonctionnaires, des autobus mis en service dans les deux plus grandes villes, un aérodrome construit à Orodara au sud-ouest pour évacuer les fruits de cette région qui en produit beaucoup. Les travaux ont commencé à Bagré pour un important barrage qui devrait augmenter les capacités énergétiques du pays et permettre la mise en valeur d’une autre vallée. On a entrepris la construction du chemin de fer devant continuer jusqu’à Tambao dans le nord du pays et permettre l’exploitation de son gisement de manganèse.
Ces projets furent intégrés dans le Programme populaire de développement lancé pour quinze mois, en octobre 1984. Il s’agissait de préparer les infrastructures économiques du pays en vue du plan quinquennal 1986 – 1990, dont le principal objectif est la réalisation de l’autosuffisance alimentaire ?
Le montant de ce programme, assuré à 82% par l’aide extérieure, atteint trois fois le budget national dont la partie investissement a considérablement augmenté, grâce aux économies réalisées par les ponctions sur les salaires, les dégagements et les sommes récupérées après les procès pour détournements de fonds. Une partie de ce programme dit de base, dont 61% du coût devrait être assurés par les populations, était de la responsabilité des provinces : construction de magasins populaires (il s’agit pour le pouvoir de réaliser un grand réseau de distribution publique pour lutter contre la spéculation des commerçants), de pharmacies populaires, d’écoles, de cinémas, de parcs de vaccination, de réalisation de milliers de forages…
Sur un autre front, le Conseil national de la révolution (CNR) s’engage dans de nombreuses réformes importantes: celle de la justice avec l’instauration de différents Tribunaux populaires, savant mélange entre la justice traditionnelle, où les chefs sont remplacés par les militants des CDR, et de la justice d’influence occidentale avec l’intervention de magistrats professionnels pour des délits importants; réforme du système foncier pour lutter contre la spéculation immobilière et se prémunir contre les investisseurs privés, recherchés par l’État par manque de moyens pour mettre des terres en valeur; décentralisation par le redécoupage du pays en provinces et départements, la mise en place des Pouvoirs populaires de province, émanation des CDR locaux avec, à leur tête, un haut- commissaire nommé par le CNR. Même si le lancement de certains projets a pu être controversé, le bilan de trois années est en lui- même éloquent. Certains problèmes demeurent cependant. Des dirigeants syndicaux[ii] ont subi la répression. Si l’importance prise par les CDR marque le début d’un transfert de pouvoir vers une partie de la population jusqu’ici extérieure au jeu politique, elle entraîne aussi des excès, graves sujets de mécontentement, qu’une récente conférence nationale vient de reconnaître pour tenter désormais de les éviter. C’est à cette occasion qu’une réforme de l’éducation empreinte de gauchisme a été repoussée.
L’éviction des militants de la LIPAD[iii], alors qu’ils réclamaient la démocratisation des CDR, leur départ du gouvernement au bout d’un an, après des critiques sur la personnalisation du pouvoir et une certaine improvisation à propos de quelques décisions, ont pu sembler consolider la révolution en supprimant le débat interne. Aujourd’hui, le capitaine Sankara multiplie les avances pour que la LIPAD reprenne sa place.
Il a fallu faire face à la sécheresse; aujourd’hui, c’est une invasion de criquets qui menace. Malgré tout, et dans un environnement hostile, comme l’a montré la récente guerre avec le Mali, un processus révolutionnaire est engagé avec ses erreurs et ses réussites, ses avancées et ses échecs. Un peuple parmi les plus démunis peut enfin renouer avec l’espoir.
[ii] Plusieurs ont été dégagés après une déclaration émettant certaines critiques en janvier 1985. Touré Soumane, secrétaire général de la Confédération syndicale burkinabè, par ailleurs dirigeant de la LIPAD est toujours emprisonné
[iii] La LIPAD (Ligue patriotique pour le développement) a été créée par le PAI (Parti africain de l’indépendance), parti marxiste-léniniste. Elle avait pu élargir son audience pendant plusieurs années de pluralisme politique. Ayant résisté ensuite à la répression, elle était de loin l’organisation de gauche la plus importante le 4 août 1983. Elle détient alors cinq ministères parmi les plus importants.
Thomas Sankara a séjourné 3 jours à Paris, en février 1986, pour participer à la conférence internationale sur l’arbre et la forêt à Paris. Cette conférence politique au plus haut niveau s’est penché sur l’avenir de l’arbre et de la forêt en Europe et en Afrique sèche. Elle a réuni 50 pays, 4 organisations internationales comme participants à part entière, tandis que 31 pays et organisations internationales y ont assisté comme observateurs. La retranscription a été réalisée par Guy Innocent Nana.
Le jour du départ le 7 février, Sankara donne une conférence de presse devant les représentants des divers organes de diffusion basés à Paris. Plusieurs dizaines de journalistes sont présents. Il aborde plusieurs thèmes d’actualité: situation intérieure, l’Institut des peuples noirs, relations avec la France, francophonie, conflit avec le Mali, politique africaine du Burkina. Cette conférence, a été suivie d’une projection de documentaires sur la guerre de Noël réalisée par la Télévision burkinabè.
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“Le prix de l’indépendance d’un peuple est l’affaire de ce peuple-là “
Thomas Sankara : Je m’en vais vous répondre, d’abord sur ces trois premières questions. Les sacrifices que nous demandons aux Burkinabè sont les sacrifices pour la construction d’un Burkina Faso meilleur. Le prix de l’indépendance, le prix du bonheur d’un peuple, est l’affaire de ce peuple-là. Trop malheureusement, on nous a habitués à attendre de l’extérieur des aides ou des solutions miracles, des panacées qui en réalité ne sont que des formes d’asservissement. Tant que nous ne serons pas maître de nos besoins, tant que nous ne serons pas également maîtres, tant que nous n’aurons pas pu décider nous-mêmes de ce que nous serons capables de consentir comme sacrifices et efforts, eh bien, nous ne pourrons jamais dire que nous nous développerons. On ne peut pas se faire développer par autrui. Bien entendu, nous espérons très bien que les sacrifices actuels ne seront pas continus, et que, enfin nous pourrons trouver des lendemains meilleurs.
Quelqu’un me demandait également si je confirme les rumeurs qui circulent quant à notre intention d’aller au FMI. Nous ne savons pas si nous irons ou si nous n’irons pas au FMI. Toujours est-il que nous cherchons des solutions au niveau burkinabè, entre Burkinabè. Nous ne pouvons pas penser que le FMI soit essentiellement préoccupé de l’intérêt du développement du Burkina Faso exclusivement, du succès, du triomphe de la Révolution burkinabè mieux que les Burkinabè. Par conséquent, c’est d’abord aux Burkinabè que nous devons nous adresser. Si demain, il s’avérait indispensable de compléter ces efforts-là par d’autres efforts, par exemple ceux du FMI, nous étudierons la question. Mais en tous cas, nous nous gardons de faire, de nous comporter comme celui-là qui s’en remet à un charlatan pour se faire guérir dans le désespoir. C’est vous dire que nous aurions pris toutes les dispositions pour que les efforts, les sacrifices que le FMI nous demanderait, soient des sacrifices contrôlés, contrôlables, avec des conséquences également contrôlables. Autrement, il ne sert à rien de s’en remettre à un FMI si c’est pour se retrouver face à un peuple qui n’en sent pas la nécessité et qui endure les douleurs.
Les normes de développement que l’on nous impose ne sont pas toujours valables en Afrique
Journaliste : À propos de votre intervention hier sur TF1, vous avez dit qu’on ne comprenait pas les problèmes africains. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
Thomas Sankara : Je veux m’ériger là contre le système qui nous a été imposé, qui a ses mérites mais qui a essentiellement beaucoup de limites. Nous les Africains, nous avons été entraînés dans une mouvance que nous n’avons pas choisie et que nous ne contrôlons pas. Nous avons été entraînés dans une civilisation dont nous ne contrôlons pas les éléments. Les normes de développement que l’on nous impose sont des normes qui sont valables ailleurs et pas toujours valables en Afrique si bien que l’on nous soumet à ce rythme de développement extrêmement infernal pour nous, surtout que nous n’en avons pas toujours les moyens.
En plus, et surtout, je constate que le débat avec l’Afrique se passe toujours à travers les mêmes canaux qui ne veulent pas changer, qui ne veulent pas évoluer. Or, l’Afrique a changé, l’Afrique a évolué ; l’Afrique d’hier est une Afrique qui était essentiellement représentée par, j’allais dire, de grands électeurs. Aujourd’hui la plupart des Africains sont devenus des grands électeurs. Et c’est avec cela qu’il faut compter, et c’est cela qu’il faut écouter. Et comme vous, vous êtes des journalistes d’Afrique nouvelle, c’est justement avec l’Afrique nouvelle qu’il faut compter.
A propos de la RAN, oui il y a un problème avec la RAN. C’est exact. Vous savez que le chemin de fer qui va d’Abidjan à Ouagadougou est un chemin de fer qui est partagé par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire et il est question que chaque pays gère sa portion. Initialement, nous avions ensemble, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, engagé un programme important de développement de ce réseau. Ce programme devait nous permettre de moderniser la voie depuis Abidjan jusqu’à Ouagadougou. La partie ivoirienne l’a été. La partie burkinabè pas encore. Mais, nous pensons que si rupture il doit y avoir, eh bien, cela doit se faire après que chaque portion ait bénéficié des avantages du programme de restructuration.
Toujours est-il que, je peux l’assurer en accord avec le président Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, nous avons préféré mettre cette question à l’écart, le temps de nous concerter et de trouver un accord entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Mais le projet du chemin de fer au Sahel, la bataille du rail comme nous l’appelons à Ouagadougou qui doit nous conduire de Ouagadougou jusqu’à Tambao, vise à désenclaver la région Nord, vise également à exploiter les richesses qu’il y a là-bas au Nord, à Tambao, le manganèse. Ce projet se poursuivra. Nous le poursuivrons toujours.
Sankara situe la vision de l’Institut des peuples noirs (IPN)
Si une ligne des États noirs vise à récréer une conscience de l’Homme noir comme élément devant participer à un développement communautaire avec les autres hommes de l’Humanité, cela devient plus que mieux que de la cohabitation, cela devient de la participation. Alors, nous sommes pour. Et c’est ainsi qu’au Burkina Faso, nous avons lancé une idée qui fait son chemin, à savoir, l’institut des peuples noirs (IPN).
L’institut des peuples noirs vise chez nous, à situer le rôle, la place du Noir dans le développement de l’Humanité. D’où vient le Noir ? Que fait-il aujourd’hui ? Et que peut-il apporter aux autres ? Cet institut a la prétention de créer un dialogue entre les Noirs et les autres hommes. Ces autres hommes qui viendront nous dire à nous Noirs comment ils nous perçoivent. Il est nécessaire que nous sachons par exemple comment le Blanc perçoit le Noir, comment l’Arabe perçoit le Noir.
Il est aussi normal que nous puissions dire comment nous percevons les autres et ce qui nous paraît être source d’incompréhensions. Le Noir a beaucoup apporté à l’Humanité dans tous les domaines : dans le domaine de la science, dans le domaine de la culture, dans le domaine de l’art militaire, etc. Nous ne pouvons donc continuer qu’à développer, à mieux cerner ces valeurs noires pour mieux les intégrer à un développement de l’Humanité. Je répète encore une fois, dans un sens de participation et non pas dans un esprit sectaire et d’exclusion.
“L’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso!”
L’affaire Diawara, quelqu’un me demandait tout à l’heure où en est l’affaire Diawara. Alors, l’affaire Diawara se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso (rires dans la salle). C’est-à-dire que nous sommes sur le point de juger monsieur Diawara qui, de concert avec d’autres personnes, a eu à dilapider des fonds de la CEAO—FOSIDEC (Fonds de solidarité et d’intervention pour le développement de la communauté).
Mais je crois que c’est de façon erronée que l’on parle, que l’on présente cette affaire comme l’affaire Diawara tendant à culpabiliser Diawara. Je ne veux pas le défendre, mais je ne voudrais pas non plus que l’on le présente comme le seul coupable. En fait, Diawara peut tout au plus, mais les juges le diront mieux que moi, être taxé de receleur. Mais, il y a bien eu des gens pour ouvrir les coffres, sortir l’argent, et le remettre à Diawara. Ceux-là aussi devraient être jugés. Et ils sont nombreux. Le Burkina Faso n’a nullement l’intention de ramollir ou d’être complaisant dans cette affaire. Nous avons reçu pour mission de juger Diawara, nous le jugerons selon le droit burkinabè, selon les juridictions normales du Burkina Faso et avec fermeté.
Donc avec le respect que nous avons pour les autres membres de la CEAO, nous prendrons contact ça et là pour nous mettre en accord avec eux et nous jugerons Diawara. Maintenant quant à la période, je ne puis vous le dire. Cela dépendra des résultats des contacts que nous allons prendre et très bientôt, nous publierons le calendrier. Mais le dossier technique, je peux vous le dire, est prêt.
Sankara se prononce sur la politique libyenne à l’égard de l’Afrique
La politique libyenne à l’égard de l’Afrique. Eh bien, je crois qu’il y a beaucoup d’incompréhensions à propos de la Libye. La Libye est pour le Burkina Faso un pays ami et frère et nous entretenons des relations excellentes avec ce pays. Nous ne nous en cachons pas. Maintenant sur le plan concret, avec la Libye comme avec n’importe quel pays, chacun de nous reste insatisfait. Je ne connais pas de pays qui puisse dire que sa coopération donne satisfaction, que son carnet de commande, ou ses requêtes sont à 100% satisfaites selon qu’il s’adresse à tel ou tel pays. La Libye n’échappe pas à cette règle, la Libye est comme les autres pays.
Et nous savons également que nous ne pouvons pas nous arrêter simplement à ces insatisfactions sur des demandes qui n’ont pas reçu de réponses concrètes ou qui ont tardé à recevoir des réponses ou qui restent uniquement dans le domaine des déclarations de bonnes intentions.
Je crois aussi que l’on ne fait pas suffisamment d’effort pour discuter avec tous les pays. L’exclusive est très dangereuse. Le rejet est très dangereux. Il faut être suffisamment ouvert pour accepter le dialogue même avec ceux-là dont on ne partage pas les points de vue. Et nous, nous le pratiquons. Nous, nous le pratiquons et c’est ce qui fait que nous fréquentons et la Libye et ceux qui sont contre la Libye.
Le rôle de Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali
Quelqu’un m’a demandé qu’est-ce que je pense du rôle du président Félix Houphouët Boigny dans la méditation entre le Burkina Faso et le Mali ? Tout effort qui vise à instaurer la paix en Afrique et ailleurs mérite d’être salué d’où qu’il vienne. Et à ce titre nous avons salué les efforts du président Houphouët Boigny, nous avons salué les efforts des autres présidents, des autres chefs d’État notamment ceux de l’ANAD (Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense), mais également ceux du Nigeria et de la Libye. Nous les avons salués comme étant des actes positifs, des actes qui rapprochent davantage et qui créent une solidarité, qui créent une conscience internationale, qui garantit un certain nombre de règles.
Nous avons été très … Je vous livre ici que dans cette affaire, ceux-là même que l’on soupçonne d’être des terroristes, je prends le cas du colonel Kadhafi, ont avec véhémence condamné et tenté même de nous faire un procès parce que disaient-il nous n’avions pas eu le courage de refuser, de répondre à l’agression. Cela nous a surpris mais cela devrait aussi étonner.
Le regard critique de Sankara sur la Francophonie
La conférence sur la Francophonie. Eh bien, nous nous sommes francophones, nous parlons le français. Mais ce que le Burkina Faso a à dire c’est qu’il y a deux français : selon que la conférence se tiendra en français national ou en français international nous verrons ce qu’il faudra faire.
Si c’est en français national ça serait une affaire intérieure et nous n’avons pas le droit de nous immiscer dans les affaires intérieures de la France. Si c’est le français international alors là nous viendrons aider à développer le français international. Je veux dire par là que, le français comme propriété d’une communauté beaucoup plus large que celle qui est confinée dans l’hexagone nous concerne. Et ce français-là est un français qui doit être dynamique. Ce français-là est un français qui ne peut pas résister contre les transformations inévitables. Ce français-là sera bien obligé de constater le dispatching … [rires dans la salle] et d’admettre…En tout cas, ce sera l’affaire des reporters qui feront des scoops [rires dans la salle], là-dessus. Et il sera obligé aussi de comprendre et d’admettre que des mots comme “zatu” qui sont des mots burkinabè entrent et s’imposent au français international.
Journaliste: Pardon… Zatu ça veut dire quoi?
Thomas Sankara: Zatu, c’est le mot révolutionnaire qui traduit et dépasse le concept bourgeois et républicain de loi. [Rires]
L’absence du Burkina Faso au dernier sommet France-Afrique
Thomas Sankara: « Bien! Afrique Nouvelle me demande pourquoi, me demande d’abord si je peux m’expliquer sur notre absence au sommet France-Afrique, au dernier sommet qui s’est tenu. Et je profite pour dire qu’il est dommage que l’on ait observé notre absence à ce dernier sommet et que l’on n’a pas remarqué notre absence à l’avant dernier sommet. (Rires) Mais enfin, de façon déséquilibrée quand même, hein ! De façon déséquilibrée. Nous avons fait… Après Vittel nous avons fait une déclaration sur notre position vis-à-vis du sommet France-Afrique.
Et nous avons proposé qu’un cadre nouveau soit créé, soit engagé, soit recherché afin que le dialogue nécessaire entre les Français et les Africains puisse se tenir, mais en marge et, dans le rejet total des formules que même le parti socialiste à ses débuts en 81 en tout cas a essayé de mettre de côté.
C’est d’ailleurs ce qui explique que par euphémisme euh…le sommet franco, … jadis franco-africain soit devenu le sommet France-Afrique. Souvenons-nous de cet euphémisme-là très indicateur des rejets. Il y avait des germes de rejet. Maintenant, qui a tué ces germes? En tout cas ce n’est pas nous.
La RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique): Est-ce que la RASD quitterait l’OUA? Nous avons contribué, nous Burkinabè, avec d’autres états africains à installer la RASD à l’OUA. Je ne pense pas que la RASD puisse quitter l’OUA sans quand-même en débattre avec nous. Dans tous les cas, il appartient à la RASD de répondre et de clarifier sa position si oui ou non elle doit quitter l’OUA. Mais je ne crois pas non plus que la RASD se soit battue pour arriver à l’OUA pour enfin la quitter de façon cavalière.
Il faut changer toute la stratégie de la coopération entre la France et le Burkina
Journaliste: (Question inaudible)
Thomas Sankara: La façon de poser votre question m’inquiète un peu. Parce que vous aviez dit que ça n’allait pas, j’ai été reçu par le président Mitterrand, donc ça va maintenant. Qu’est-ce que nous nous sommes dit? Euh… est-ce que tous ceux que le président François Mitterrand reçoit sont ceux avec lesquels il s’entend? Enfin il y a des gens ici même avec lesquels on fait de temps en temps, est-ce que cela veut dire qu’on s’entendent forcément ? Je ne crois pas que l’on puisse dire, “parce qu’il a été reçu, ça marche mieux.” Comme si hier il refusait de me recevoir ou je refusais de le voir.
Mais également, vous me comprendrez. Collégialement, j’assure avec le président François Mitterrand la responsabilité du secret de nos entretiens. Et je ne peux pas unilatéralement trahir ces secrets là. Il faudrait que nous nous entretenions lui et moi et que nous donnions une conférence de presse, un duo en quelque sorte. Mais enfin. J’ai dit effectivement que nous nous sommes expliqués, nous nous sommes compris sur un certain nombre de questions. Le fait que nous ayons pu discuter est déjà positif. En tout cas, je le considère comme positif. Et j’ai dit que ça allait mieux. Mais vous savez, quand on a 40° de fièvre et que l’on n’en a plus que 39, on peut dire que ça va mieux. Mais est-ce que l’on se porte pour autant bien ?
Journaliste: Qu’est-ce qui ne va pas ?
Thomas Sankara: Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? C’est tout un diagnostic qu’il faudrait faire. Et c’est cela le long chemin qui reste à parcourir. Euh, c’est la redéfinition de nos rapports. Nous avons eu hier des rapports conflictuels, des rapports de domination. La France nous a colonisés. Aujourd’hui, nous ne sommes plus une colonie française. Nous ne voulons plus non plus être une néo-colonie française. Cela amène à changer toute la stratégie de cette coopération entre la France et le Burkina, et cela ne peut pas se faire automatiquement, cela ne peut pas se faire non plus sans heurts.
Combien sont-ils, les intérêts français qui n’admettraient pas que le Burkina Faso prenne le grand large par rapport à certaines conceptions ou certaines attitudes françaises? Et de même, combien sont-ils au Burkina Faso—mais j’allais dire, en Afrique en général—qui conçoivent également les relations entre l’Afrique et la France à travers les prismes de l’assistance et de la braderie de l’indépendance et de la souveraineté? C’est également ces questions-là qui se traduisent par des questions subsidiaires, par des faits, et qui amènent parfois des discussions j’allais dire un peu tendues, mais qui finissent toujours par se détendre.
Sankara sur les nouveaux accords de coopération entre la France et le Burkina Faso
Journaliste 1: D’autre part, monsieur le Président, vous avez noté que dans les nouveaux accords de coopération qui remplacent ceux de 1961, il n’a pas été question d’accords de coopération militaire. Nous savons qu’il en existe un. Est-ce que vous êtes satisfait de celui qui existe ou bien est-ce que vous, vous pensez que dans un avenir plus ou moins proche, vous changerez aussi les termes de cet accord de coopération militaire ?
Journaliste 2: Monsieur le Président, à propos de la coopération française, vous aviez déclaré l’année dernière que la coopération pour le développement a un long chemin à faire. Et vous venez de signer des accords de coopération avec la France, est-ce que ça veut dire que ce chemin a été fait et si oui, dans quel sens ?
Thomas Sankara: Les nouveaux accords de coopération n’ont pas parlé d’accords militaires… Bon, c’est à dessein, vous savez que nous sommes l’un des rares pays africains francophones à ne pas avoir avec la France d’accords de défense, à n’avoir avec aucun pays d’accords de défense. Nous avions des accords militaires avec la France qui nous garantissait une assistance militaire française. Nous discutons pour que cette assistance militaire soit réciproque. Le jour où la France aura besoin d’assistance militaire burkinabè, que nous puissions venir vous défendre. Et je vous prie, mesdames et messieurs, de ne pas rire. Hier, nous vous avons défendus! C’était quand? Avant-hier c’était en 14, 18 (première guerre mondiale)! Hier, c’était en 39-45 (seconde guerre mondiale)! Et il n’est pas de Burkinabè qui n’ait dans sa famille le souvenir d’un homme, d’un oncle, d’un parent mort pour la France. Ce sont des accords également qui devraient exister et garantir des droits. Nous nous sommes battus, nous avons sué sang et eau pour que la France soit libre. Souvenez-vous de cela!
Journaliste: Monsieur le président, la France est la puissance extra africaine que vous avez accusée d’être intervenue à côté du Mali.
Thomas Sankara: Nous avons voulu indexer tous ceux qui ont apporté assistance au Mali avant, pendant et après; mais je m’étonne que la presse n’ait pas suivi les pérégrinations des autorités militaires en direction du Mali, des autorités militaires étrangères en direction du Mali. De toute façon, nous nous avons l’intention de revenir fermement sur cette question beaucoup plus en détail et nous avons l’intention de culpabiliser qui doit être culpabilisé. Parce que tellement de gens parlent de la paix, mais ne la désirent pas sincèrement. Dans une situation contentieuse entre deux États, tout ce que l’on apporterait comme coutelas et gourdin ne peut être considéré que comme un acte qui vise à encourager, à ajouter de l’huile sur le feu. Alors là, nous ne pourrons pas ne pas le condamner.
Thomas Sankara: “J’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali.”
Le conflit avec le Mali, vous m’avez demandé si j’ai cherché à l’éviter. Oui, j’ai cherché à éviter le conflit avec le Mali. Des démarches nombreuses ont été faites. Nous avons envoyé plusieurs fois des émissaires au Mali. Ils n’ont pas toujours été reçus. Je m’étais même préparé juste avant le conflit, à aller moi-même en visite au Mali. Auparavant, j’y avais été un certain nombre de fois. Et même une fois, j’y avais été clandestinement pour rencontrer le président et discuter avec lui. J’avais alors annoncé un envoyé spécial de la présidence et j’avais demandé par télex au président du Mali de bien vouloir recevoir personnellement cet envoyé. Et puis, c’était moi-même. Pour lui montrer à quel point j’étais préoccupé par la situation.
Enfin, et comme preuve ultime de cette volonté d’éviter coûte que coûte le conflit avec le Mali: lorsque le Mali s’est plaint que les troupes dépêchées par nous pour protéger les agents de recensement constituent pour lui une espèce de menace ou d’escalade, eh bien, nous avons accepté de retirer ces troupes. Et j’ai été personnellement expliqué aux troupes qui n’entendaient pas tellement reculer pourquoi il fallait reculer. J’y suis parti le 24 décembre au soir. Le 25 décembre au matin, on nous a bombardés et j’étais sous le feu.
Thomas Sankara : “Je ne me mêle pas des problèmes aquatiques.”
Quelqu’un me demande aussi l’attitude sur la nouvelle majorité éventuelle en France. Mais quelle pourrait être cette nouvelle majorité ? Quand est-ce que l’opération Barracuda a eu lieu ? C’était quand? C’était sous qui? Juste pour mon information, parce que je ne connais pas bien la politique intérieure française. C’était sous quel président?
Journaliste: (Inaudible)
Thomas Sankara: Pardon? Dites-le plus fort!
Journalistes: Giscard… (Valéry Giscard d’Estaing)
Thomas Sankara: Giscard?
Journalistes: Oui!
Thomas Sankara: Merci! C’était donc des troupes qui étaient parties… Au Tchad c’était sous Mitterrand?
Journalistes: Oui, l’opération Manta au Tchad c’était sous Mitterrand.
Thomas Sankara: Ah! Manta c’était sous Mitterrand? Manta c’est un poisson non?
Journalistes: Oui!
Thomas Sankara: Barracuda, c’est aussi un poisson?
Audience: Oui [Rires dans la salle]
Thomas Sankara: Oui, ce sont des problèmes aquatiques, je ne me mêle pas de cela. [Éclats de rires dans la salle].
Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. L’article ci-dessous relate un voyage qualifié de “l’offensive diplomatique” de la Haute Volta sous la forme d’un voyage de Blaise Compaoré en Afrique Centrale. Cet article a été retranscrit par Ikakian Romuald Somé, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga
La rédaction
Par Mohamed Maïga
Même si la « ceinture de sécurité » est élimée, il est nécessaire de consolider l’ouverture qu’a effectuée la révolution du 4 août.
Après l’Afrique occidentale, celle du Centre, l’offensive diplomatique de la Haute-Volta issue du 4 août se poursuit sans relâche. Mieux, avec une intensité soutenue, sinon accrue. Le 26 novembre, c’est l’un des principaux acteurs-dirigeants de la révolution voltaïque qui a pris son bâton de pèlerin: le capitaine Blaise Compaoré.
Ministre d’État délégué à la présidence de la République, le commandant de la région militaire de Pô s’est successivement rendu, du 26 novembre au 2 décembre, en République populaire du Congo, en Angola, au Cameroun et au Gabon, où chacune des étapes de son périple a enregistré un succès total. La mission du numéro deux du régime voltaïque intervient trois mois après qu’à la mi-août (deux semaines après le fulgurant retour des capitaines au pouvoir), plusieurs membres du gouvernement de Thomas Sankara eurent sillonné la sous-région ouest-africaine. Celle de Blaise Compaoré n’est autre chose que la suite logique de cette première phase d’ouverture.
Charge d’émotion
L’objectif reste le même: éviter l’isolement, briser la « ceinture de sécurité » que d’aucuns voudraient tisser autour de la jeune révolution voltaïque Et, surtout, expliquer celle-ci : ses causes, ses objectifs Résultats : la ceinture de sécurité n’est plus qu’un filin élimé (1), même si aucun doute et cela ne fait des manœuvres hostiles se trament ici et là contre Ouagadougou et si la recherche de fonds destinés à la déstabilisation ne connait pas de répit…
Première étape de la tournée du numéro deux voltaïque : Brazzaville. Une étape que le capitaine Blaise qualifie de « chargée d’émotion et empreinte d’une totale compréhension mutuelle » On sait que le président congolais, le colonel Denis Sassou Nguesso, a personnellement suivi avec un grand intérêt les différents épisodes de la lutte du peuple voltaïque depuisle7 novembre 1982. C’est-à-dire depuis que le Conseil du salut du peuple (C.S.P.) « première version » a renversé le colonel Saye Zerbo. Le président congolais était particulièrement attentif aux luttes tendances au sein ce pouvoir, notamment à la traversée du désert du capitaine Sankara et de ses amis, entre le 17 mai et le 4 aout 1983. Son appui, multiforme, n’a pas fait défaut aux jeunes capitaines et à l’ensemble des forces progressistes voltaïques.
Dès son arrivée dans la capitale congolaise, Blaise Compaoré a été reçu pendant plus de deux heures, par Sassou Nguesso. Le lendemain, l’émissaire de Ouagadougou rencontrait, « dans une atmosphère de solidarité totale avec la révolution voltaïque et le Conseil national de la Révolution », le bureau politique du Parti congolais du travail (P.C.T.), puis les représentants des organisations de masses congolaises. Si les échanges de vues politiques ont été au centre des discussions avec les responsables congolais, les deux délégations ont également prévu une intensification de la coopération économique entre les deux Etats. Ainsi, le gouvernement et le Parti congolais ont décidé d’aider financièrement le partenaire voltaïque. Une réunion du bureau politique P.C.T. a été spécialement consacrée à ce chapitre. Une délégation sera envoyée très prochainement à Ouagadougou,
Une chaleur égale a entouré le séjour du responsable voltaïque en Angola. A Luanda, on considère que « les événements du 4 août 1983 représentent non seulement la victoire du peuple voltaïque sur ses ennemis et pour le progrès, mais aussi celle de toute l’Afrique ».
Quand à la partie voltaïque, elle a réaffirmé que la lutte menée par l’Angola était « celle de tous les Africains qui sont tenus de se sentir concernés par la sécurité de l’État et du peuple angolais ». Le 28 novembre, trois heures durant, le président José Eduardo dos Santos s’est entretenu avec son hôte. Ouagadougou et Luanda sont convenus d’accroitre leurs échanges économiques. C’est ainsi, par exemple, que la République populaire d’Angola fournira du ciment à son partenaire ouest-africain. Le lendemain, Blaise Compaoré, remarquable orateur, a donné une importante conférence publique à l’École des cadres du Parti (le M.P.L.A.-Parti du travail) ; il a participé à une séance de travail avec les responsables politiques du pays avant de rencontrer les chefs de l’armée et les dirigeants de la jeunesse angolaise. En l’absence de Sam Nujoma, Blaise Compaoré a eu d’importantes discussions avec le vice-président de la S.W.A.P.O., le mouvement de libération namibien. Bien plus : Voltaïques et Angolais ont décidé de procéder à un « échange d’expériences », visites réciproques entre organisations de masses (travailleurs, femmes, jeunes), en vue de renforcer la solidarité entre les deux États.
Un cachet d’authenticité
A Yaoundé (30 novembre-1″décembre), le président Paul Biya a exprimé sa « totale sympathie à la lutte que mène le peuple voltaïque pour le progrès, la justice, et la liberté ». La rencontre Biya-Compaoré a été d’autant plus remarquée que le séjour camerounais du ministre d’État voltaïque est intervenu à un moment ou, faisant face à une délicate période transitoire, les responsables nationaux ont un emploi du temps particulièrement chargé. S’il a retrouvé à Yaoundé d’anciens condisciples et camarades de promotion, Blaise Compaoré a aussi joui d’un accueil particulièrement chaleureux de la presse nationale (dont la sympathie pour la cause voltaïque a été constante) et des milieux de la jeunesse camerounaise. Quant au président gabonais Omar Bongo, il a comme à l’accoutumée, selon un membre de la délégation voltaïque, « tenu à donner un cachet d’authenticité » à l’accueil réservé à ses hôtes. Le 30 novembre, ce fut une véritable « fête villageoise » aux allures de « rencontre d’un aîné avec son jeune frère ». Il n’empêche : le Gabon, c’est de notoriété publique, a été plus que sollicité par les pêcheurs eau trouble, qui veulent nuire au régime du Conseil national de la Révolution (C.N.R.) voltaïque. Et ils y avaient trouvé des oreilles plus que complaisantes. Toutefois, ce 30 novembre, El-Hadj Omar Bongo a donné l’assurance que son pays ne servirait pas de base ni de plaque tournante pour les ennemis du régime de Ouagadougou. Dont acte.
La mémoire est la boussole d’un peuple qui veut comprendre son présent. C’est à ce titre que deux récits distincts — mais profondément liés — me retiennent aujourd’hui : l’héritage de Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, et la blessure toujours ouverte de Thiaroye (1er décembre 1944), dont le Livre blanc, remis récemment à l’État sénégalais, jette une lumière salutaire et dérangeante sur les blessures enfouies de la mémoire nationale. Ces deux mémoires posent la même question : comment transformer la reconnaissance du passé en instruments concrets d’émancipation — et non en anesthésie civique ni en revanchisme stérile ?
Sankara : la force d’un rêve, les limites d’une pratique
Thomas Sankara demeure, pour une large partie de l’Afrique, un horizon critique et un déclencheur d’espérance. Le « sankarisme » a été — et reste — un ensemble d’intuitions politiques puissantes : la volonté d’un développement autocentré, la place singulière accordée aux femmes, la moralisation de la vie publique et la mise en place de structures populaires destinées à rapprocher le pouvoir des masses. Ces instruments ont servi, parfois efficacement, à mobiliser ressources et volontés vers des objectifs sociaux novateurs. Leur exemple continue, de Dakar à Ouagadougou, d’alimenter les répertoires de lutte et l’imagination politique.
Pour autant, rendre hommage à l’audace n’interdit pas la critique. Le sankarisme porte aussi des limites politiques et sociales qu’il faut rappeler sans complaisance : une base sociale souvent étroite, des formes d’autoritarisme dans la gestion politique, et des choix parfois peu ouverts au pluralisme. Autrement dit : Sankara a inventé un langage politique utile — patriotique, radical et révolutionnaire — mais n’a jamais complètement résolu la tension entre l’État moteur du changement et l’autonomie des forces populaires. Le bilan doit donc être double : inspirant dans ses visées d’émancipation, avertissant dans ses dangers institutionnels.
Cette mise en perspective est indispensable quand aujourd’hui des régimes se réclament du « sankarisme » comme d’une légende justificatrice. Le nom seul ne définit pas la pratique. La mémoire critique de Sankara nous commande d’exiger une cohérence absolue entre les principes (souveraineté, émancipation) et la pratique (respect des syndicats, transparence). Toute instrumentalisation de son nom pour légitimer une politique de coercition interne est une trahison de l’hypothèse même d’une révolution démocratique.
C’est pourquoi l’analyse du Burkina d’aujourd’hui — où le capitaine Ibrahim Traoré se réclame du sankarisme — doit être rigoureuse : il faut distinguer l’invocation rhétorique de l’application réelle des principes. Lorsqu’un pouvoir se dit « révolutionnaire » et institue, simultanément, une politique de répression contre les syndicats, une centralisation des prélèvements sans contrôle démocratique des travailleurs et une concentration du pouvoir exécutif, on bascule de la revendication nationale populaire à l’autoritarisme camouflé. Le véritable héritage sankariste exige au contraire l’extension du contrôle social et syndical sur les choix économiques, la limitation des appareils répressifs, et la mise en place d’appareils institutionnels capables d’assurer reddition de comptes et participation — conditions sans lesquelles la mobilisation populaire se transforme trop vite en dépossession politique.
Thiaroye : vérité, justice et le refus de l’amnésie
Si Sankara nous enseigne la vigilance contre la trahison des idéaux, Thiaroye nous confronte à une mémoire coloniale longue, exigeant avant tout vérité et justice. Des tirailleurs africains, revenus d’Europe après avoir combattu le nazisme, furent fusillés pour avoir réclamé leurs droits. Le Livre blanc accuse l’armée coloniale d’avoir prémédité et camouflé la tuerie ; il pointe des falsifications, des transferts massifs d’archives, et exhume des preuves archéologiques — squelettes mutilés, restes de chaînes — qui contredisent la version officielle. Les estimations sérieuses parlent de 300 à 400 victimes.
Ces révélations commandent une réponse d’État digne et structurée. Dire que la France « doit rendre gorge » n’est pas une formule gratuite : il s’agit d’imposer des actes concrets. Le Livre blanc propose des mesures précises : réparations, requêtes juridiques, fouilles archéologiques, création d’un mémorial, introduction dans les curricula scolaires. Ces recommandations ne sont pas des caprices mémoriels : elles constituent des instruments pour restaurer la dignité et inscrire la vérité dans le droit.
Sur le plan diplomatique, la posture française reste insuffisante. Les reconnaissances oratoires ont été accordées, mais l’accès complet aux archives demeure problématique. Le constat est clair : sans l’ouverture totale et la mise à disposition exhaustive des fonds, la parole publique française restera partielle et contestée.
Mémoire et politique : une double exigence
Relier Sankara à Thiaroye n’est pas un artifice rhétorique. Les deux cas parlent de souveraineté — politique, mémorielle, économique — et de la capacité des peuples à exiger justice et à construire leur propre récit. Le sankarisme, s’il est pris au sérieux, exige des institutions populaires pour empêcher que la révolution ne soit détournée ; Thiaroye exige des institutions judiciaires et mémorielles pour tirer les leçons du passé.
Il y a une responsabilité particulière pour les forces de gauche et panafricanistes : ne pas réduire la mémoire à l’invective ni à la pure symbolique, mais la travailler en instruments concrets. Cela implique d’exiger transparence (archives), vérité judiciaire (révisions), restitutions (indemnisation, corps), et surtout une pédagogie nationale qui transforme ces mémoires en savoir civique. Sans cela, la mémoire devient décor — et la politique, une liturgie sans effet.
La mémoire nous oblige à l’action. Que l’on parle de Sankara ou de Thiaroye 1944, la leçon est la même — la vérité doit être rendue, la justice poursuivie, et les noms des morts et des révoltés inscrits dans la cité. À ceux qui voudraient enfermer Thiaroye dans les « faits divers » ou instrumentaliser Sankara, répondons par la mobilisation des savoirs, du droit et des institutions populaires. La mémoire, si elle est bien organisée, ne se contente pas de pleurer : elle transforme.
Le Panafricanisme est né hors de l’Afrique. Il a vu le jour dans les Antilles Britanniques et dans les Amériques. Ce courant idéologique va connaître des étapes et l’un des grands tournants fut le 5ème Congrès. Cette grande rencontre qui marque la passation du flambeau du panafricanisme à l’élite africaine a eu lieu du 15 au 19 octobre 1945 à Manchester en Grande Bretagne. Trois acteurs majeurs ont joué un grand rôle pour le succès de ce rendez-vous. Il s’agit de Georges Padmore, l’un des tenants du courant du panafricanisme. Kwamé Nkrumah jouera le rôle du secrétaire permanent du 5èmeCongres. Cette tâche lui confèrera le poste d’organisateur qui secondait Padmore pour les préparatifs de la rencontre. Le 3ème acteur TR Makonnen sera le bras financier qui a aidé à la tenue dans les bonnes conditions du congrès. C’est ce richissime qui a délié le cordon de la bourse pour que l’activité puisse se tenir sans encombre. A ce tournant du Manchester un manifeste parait et proclame : « Nous sommes résolu à être libre… Peuples colonisés et assujettis du monde, unissez-vous ». 90 délégués et 11 observateurs étaient présents.
La présidence du débat est assurée par WEB Du Bois, il est secondé par Padmore et James, tous deux leaders du mouvement. On constate la forte présence de l’Afrique de l’Ouest et les Antilles par-rapport à la partie orientale et australe du continent. Les États-Unis n’ont pas de représentants officiels parce que WEB Du Bois n’a pas pu obtenir d’aide financière pour permettre le déplacement des délégués des USA. Parmi les participants à ce congrès, un nombre important de leaders seront aux avants postes de la lutte pour l’indépendance de leurs pays. A titre illustratif, il s’agit de Kwamé Nkrumah du Ghana, Wallace Johnson de la Sierra Leone, de Obafemi Awolwo du Nigéria, de Jomo Kenyatta du Kenya de Hastings Banda du Malawi… Les rencontres panafricaines précédents le 5ème congrès avaient bénéficié du soutien de la classe moyenne des intellectuels formés dans les écoles des missionnaires mais au tournant du Manchester il y avait également les syndicats et la gauche estudiantine. Une absence remarquée a été celle des représentants d’organisations chrétiennes. L’une des grandes recommandations de Manchester était que les Africains s’organisent dans les partis politiques, dans les syndicats, dans les coopératives et d’autres organisations dans l’optique de la lutte pour l’indépendance politique et le progrès économique.
Dans le livre biographique de l’Anglais David Rooney, intitulé Nkrumah, L’homme qui croyait à l’Afrique, il indique à la page 28 que : « La première résolution formelle proposée aux délégués, rédigée par Du Bois, déclare que les peuples colonisés doivent choisir de lutter pour leur liberté, en employant la force si nécessaire. » Il souligne par-ailleurs dans la même page que : « Nkrumah est l’auteur de la deuxième résolution qui réclame l’indépendance pour tous les peuples colonisés afin de mettre fin à l’exploitation impérialiste, ce combat qui doit être appuyé par des grèves et des campagnes de boycott s’il le faut. » A l’issue des discussions, Padmore encourage les délégués à mettre en place une représentation permanente du congrès qui fusionnera avec le secrétariat nationale de l’Afrique de l’Ouest, une structure créée auparavant pour coordonner les actions en faveur de l’indépendance des territoires sous tutelle Britannique, Français, Belge. Wallace Johnson devient le président et Kwamé Nkrumah, le secrétaire général. Nkrumah dont le but du séjour en Grande Bretagne après le cycle universitaire américain était de poursuivre ses études, met ce programme en veilleuse pour se consacrer à l’activité politique de l’après congrès de Manchester. Pendant la période, il fait une excursion à Paris dans la capitale de la République Française pour vendre son idée de l’Union des Républiques socialistes de l’Afrique. Il rencontre deux grandes personnalités de l’Afrique Francophone de l’époque, Félix Houphouët Boigny et Léopold Sedar Senghor qui ont manifesté un désintérêt pour son offre.
Chaque génération comme le disait le clinicien de la colonisation, Frantz Fanon : « doit dans une relative opacité découvrir sa mission : La remplir ou la trahir ». Padmore, Du Bois, Nkrumah et les autres ont accompli leur mission, la génération présente leurs doit une fière chandelle mais pour qu’ils soient fières à leur tour de la nôtre, il faut que nous fassions le serment de poursuivre la lutte de l’émancipation de l’homme Africain ou tout simplement de l’homme noir.
Georges Padmore panafricaniste et marxiste. Il était présent au congrès de Cotonou organisé par les militants du parti du regroupement Africain (PRA) pour décider d’aller à l’indépendance ou de rester dans la Communauté Franco-Africaine. A cette rencontre tenu du 25 au 27 juillet 1958, l’option des participants étaient l’indépendance. C’est à Niamey quelques semaines plus tard que la majorité a reconsidérée sa position. Padmore y était pour soutenir la position des indépendantistes.
Nous vous proposons à l’occasion de ce 38ème anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara, cette longue interview, issue de lefaso.net faisant une synthèse de sa pensée et de son action. L’introduction ci-dessous est celle de la rédaction du même média.
La rédaction du site thomassankara.net
5 octobre 1987-15 octobre 2025 ; cela fait 38 ans que le président Thomas Sankara a été assassiné. Autant de temps après, l’actualité de cette illustre personnalité reste vive. En cette date anniversaire, nous sommes allés à la rencontre d’une des figures-clés et défenseur des valeurs prônées par le leader de la Révolution démocratique et populaire (RDP), Athanase Boudo. Ancien député, ancien ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso au Canada et représentant permanent à l’OACI, Athanase Boudo, bien connu également à travers les organisations sankaristes, est aujourd’hui le président par intérim de l’Union pour la renaissance/Mouvement patriotique sankariste (UNIR/MPS) et par ailleurs secrétaire général du Front patriotique. Dans cet entretien, M. Boudo dispense, sans langue de bois, un véritable cours sur cette époque de la RDP, mettant en relief les valeurs et enseignements. Lecture !
Lefaso.net : Pouvez-vous nous dire ce que représente pour vous les révolutionnaires et particulièrement les sankaristes le mois d’octobre ?
Athanase Boudo : Merci d’abord à vous Lefaso.net, pour cette tribune d’expression. Elle me donne l’occasion de partager une réflexion sur un mois particulièrement chargé de sens pour les révolutionnaires, les patriotes et tous ceux qui, à travers le monde, croient en la dignité des peuples.
Le mois d’octobre, lorsqu’on parcourt l’histoire, apparaît comme un mois de grandes ruptures, de mutations profondes et de symboles forts. C’est en octobre 1917 qu’a eu lieu la Révolution d’octobre en Russie, point de départ d’un bouleversement mondial des rapports sociaux et politiques. C’est également en octobre 1949 que fut proclamée la République populaire de Chine, marquant l’affirmation d’un autre grand peuple sur la scène internationale. Et à différentes époques, le mois d’octobre a vu disparaître ou émerger des figures qui ont marqué la conscience humaine.
Je pense notamment à Che Guevara, tombé le 9 octobre 1967, symbole universel du combat pour la liberté et la justice sociale. À Samora Moïses Machel, président du Mozambique, disparu tragiquement le 19 octobre 1986, un modèle d’engagement révolutionnaire et de fidélité à la cause africaine. Je pense également à Anouar el-Sadate, président d’Égypte, assassiné le 6 octobre 1981, pour avoir voulu réconcilier son pays avec la paix. Et même dans le domaine de la culture, Lucky Dube, disparu en octobre 2007, rappelait par sa musique que la liberté et la fraternité sont des luttes quotidiennes. Et comment ne pas citer Mouammar Kadhafi, tué le 20 octobre 2011, figure controversée certes, mais qui, à sa manière, incarnait la quête d’émancipation du continent africain.
Ainsi, le mois d’octobre apparaît comme un mois de vérité historique, où tombent souvent ceux qui ont osé bousculer l’ordre établi, et où naissent des idéaux porteurs de liberté.
Et c’est dans ce sillage que s’inscrit pour nous, Burkinabè, le 15 octobre 1987, date à jamais gravée dans notre mémoire collective. Ce jour-là, le président Thomas Sankara tombait, mais pour mieux entrer dans l’histoire, dans la lignée de ces figures qui ont cru en un monde plus juste. Octobre est donc pour nous, un mois de recueillements, de fidélité et d’engagement renouvelé envers les valeurs de justice, d’intégrité et de souveraineté nationale. Le 15 octobre 1987 est un tournant pour le Burkina et l’Afrique.
38 ans après, pourquoi la date du 15 octobre 1987 reste-t-elle gravée dans la mémoire collective des Burkinabè et des Africains ?
Le 15 octobre 1987 marque, avant tout, l’assassinat barbare du président Thomas Sankara et de douze de ses compagnons. Ce n’est pas seulement la mort d’hommes, c’est aussi l’interruption brutale d’un rêve, celui d’un peuple qui avait cru possible de bâtir un Burkina nouveau, fondé sur la justice, la dignité et la souveraineté.
Cette date symbolise la fin d’un processus historique inédit : celui d’une révolution sociale et politique portée par la jeunesse et par une vision profondément africaine du développement.
Mais c’est aussi, malheureusement, le retour en force de vieilles structures sociales et politiques en déclin, la résurgence d’un système dominé par une petite bourgeoisie d’État qui, au fil du temps, s’est transformée en oligarchie ploutocratique. Le 15 octobre a donc ouvert une période sombre : celle des assassinats politiques, du recul moral et du triomphe des intérêts particuliers sur l’intérêt général.
Ce traumatisme collectif, 38 ans après, reste vif ; parce qu’au fond, Thomas Sankara représentait l’espoir d’une Afrique débout, d’un peuple burkinabè maître de son destin. C’est pourquoi, cette date demeure, dans la conscience populaire, le symbole de la trahison d’un idéal, mais aussi le rappel de la force des valeurs qu’aucune balle n’a pu éteindre.
Quelles étaient les principales idées ou réformes de Sankara qui expliquent qu’il reste une figure de référence aujourd’hui ?
Thomas Sankara a incarné un modèle de gouvernance populaire, fondé sur quelques principes cardinaux : • le pouvoir au peuple : il a voulu un État fondé sur la participation consciente des masses, un peuple qui compte sur ses propres forces. Il disait : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort. Seule la lutte libère ». C’est toute la philosophie du souverainisme populaire. • La création et la redistribution équitable des richesses : il voulait que l’économie serve le plus grand nombre, et non une minorité privilégiée.
• La démocratie par la conviction et non par la contrainte : il croyait à la pédagogie du débat, à la force de la raison plutôt qu’à la force des armes. Il prônait ce qu’il appelait « se démarquer pour mieux s’unir », c’est-à-dire reconnaître les contradictions sociales, tout en recherchant l’unité nationale autour de l’essentiel. • La lutte contre les inégalités et pour la dignité humaine : il a posé les bases d’un développement endogène, inspiré par le travail, la probité et la justice sociale. À bien des égards, il a anticipé les réformes structurelles qui, aujourd’hui, font la force de grandes nations comme la Chine.
Sankara savait que son passage à la tête du pays serait bref. Mais il a semé des graines puissantes : la souveraineté nationale, la dignité africaine, la solidarité internationale et la lutte contre toutes les formes d’oppression.
Son engagement allait bien au-delà du Burkina : il soutenait la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, la cause palestinienne, le Sahara occidental, la libération de la Nouvelle-Calédonie, les peuples d’Amérique latine, de Cuba et du Nicaragua. Il parlait au nom des peuples sans voix, et c’est ce qui a fait de lui une conscience universelle. Et comme il l’avait lui-même prophétisé : « Tuez Sankara, et naîtront des milliers de Sankara ». Cette phrase résume l’immortalité d’une idée : on peut tuer un homme, mais pas ce qu’il incarne.
Après sa disparition, comment le sankarisme est-il devenu plus qu’un souvenir, un véritable courant de pensée et d’action ?
Il faut d’abord s’entendre sur ce qu’est le sankarisme. Si l’on considère qu’il s’agit du rassemblement de celles et ceux qui ont partagé et défendu les idées de Thomas Sankara, alors oui, il est devenu un courant structuré. Mais si l’on y regarde de plus près, le sankarisme est antérieur à Sankara lui-même. Avant lui, existaient déjà les fondements idéologiques qui ont nourri le Conseil national de la révolution (CNR) et dont la synthèse a été exprimée dans le Discours d’orientation politique du 2 octobre 1983 (le DOP).
Ce courant reposait sur une conviction simple mais forte : l’indépendance véritable ne s’octroie pas, elle se conquiert par la conscience, l’organisation et la responsabilité du peuple. Thomas Sankara en fut le meilleur porte-parole et le plus fidèle interprète de son temps. Il a su donner chair à ces idées à travers une gouvernance fondée sur le travail, la probité, la justice sociale et la souveraineté nationale.
Le sankarisme, c’est donc une école de pensée politique, mais aussi une éthique de vie. Il valorise le débat, la participation citoyenne, la critique constructive et la responsabilité individuelle. Sous la Révolution démocratique et populaire (RDP), les veillées-débats dans les quartiers et les villages permettaient d’expliquer, de convaincre, d’éduquer politiquement le peuple. Bien-sûr, la Révolution a combattu les actes posés contre les intérêts du peuple, mais jamais la diversité d’opinion. Le sankarisme s’appuie donc sur la connaissance des intérêts de classe, la définition des alliances sociales et la compréhension des étapes de la transformation nationale. C’est cela, sa profondeur et sa modernité.
Quelles sont les valeurs centrales du sankariste qui peuvent inspirer encore aujourd’hui (intégrité, justice sociale, souveraineté, place de la femme, etc.) ?
Les valeurs du sankarisme ne sont pas de simples slogans : ce sont des repères éthiques, politiques et civilisationnels. Elles constituent une boussole qui, près de quarante ans après, demeure d’une étonnante actualité. Parmi ces valeurs, on peut citer :
• L’intégrité, non pas comme vertu morale individuelle, mais comme exigence publique : dire la vérité au peuple, rendre compte, refuser la corruption et le mensonge d’État.
• La justice sociale, c’est-à-dire une organisation économique et politique au service du plus grand nombre, et non au profit d’une minorité.
• La souveraineté nationale, comprise comme la capacité du peuple à concevoir et à assumer lui-même son destin économique, culturel et politique.
• La place de la femme, reconnue non comme un thème de discours, mais comme un levier central du progrès et de la gouvernance. Sankara a souvent rappelé : « La révolution et la libération de la femme vont de pair ». C’est pourquoi, il a ouvert l’espace politique, administratif et militaire aux femmes, leur donnant une visibilité inédite dans la conduite de l’État.
• La protection de l’environnement, autre axe majeur de sa pensée. Bien avant que le monde ne parle d’écologie politique, Sankara avait lancé les journées de reboisement, la lutte contre la désertification, et une éthique du rapport harmonieux à la nature. Il disait : « Il ne faut pas trahir la nature, sinon elle se vengera ». Cette vision écologique, en avance sur son temps, traduit une conscience profonde de la solidarité entre l’homme, la terre et la vie.
• Le panafricanisme, enfin, constitue la toile de fond de tout son engagement. Sankara a toujours vu le destin du Burkina Faso comme indissociable de celui de l’Afrique. Pour lui, aucun peuple africain ne peut être libre, si les autres demeurent soumis. D’où ses prises de position courageuses : soutien à la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, défense du Sahara occidental, solidarité avec la Palestine, Cuba et le Nicaragua, et plaidoyer constant pour une Afrique unie et souveraine. Il disait à Addis-Abeba en 1987 : « Si le Burkina Faso seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine réunion. Mais si nous refusons ensemble, alors nous pourrons vaincre. »
Ces valeurs (intégrité, justice, souveraineté, émancipation féminine, écologie, panafricanisme) forment un tout cohérent. Elles dessinent un modèle de société fondé sur la dignité humaine, la solidarité africaine et la responsabilité intergénérationnelle. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, le sankarisme inspire : parce qu’il propose un projet global, à la fois moral, social, écologique et continental.
Comment ces valeurs s’expriment-elles aujourd’hui dans la société, même en dehors du cadre partisan ?
Le sankarisme dépasse le cadre partisan : c’est une conscience collective. Les partis politiques sankaristes ne sont qu’une des expressions de cette conscience. Mais ces valeurs continuent de vivre à travers la jeunesse, les mouvements citoyens, les associations, les intellectuels, et même des citoyens ordinaires qui refusent la fatalité.
Le cadre partisan, lui, n’est pas hors sol. Il s’exprime dans une société qui reconnaît ou non la justesse d’un discours. Si aujourd’hui, certaines de ces valeurs semblent étouffées, c’est parce que le processus démocratique a été corrompu par cette oligarchie ploutocratique née du 15 octobre 1987, celle-là même qui a confisqué l’État et perverti l’idéal de service public.
Pourtant, malgré tout, le sankarisme reste vivant. Il vit dans la revendication de transparence, dans le refus de la dépendance, dans le courage des jeunes qui croient encore en un Burkina intègre et debout. C’est cela l’essentiel : le sankarisme n’est pas une nostalgie, c’est une exigence d’avenir.
Dans le contexte actuel marqué par de grands défis, comment l’héritage de Sankara peut-il nourrir la résilience et l’espérance du peuple burkinabè ?
Notre peuple n’est pas différent des autres dans sa quête d’une société juste et prospère, fondée sur le bonheur du plus grand nombre. L’héritage laissé par la Révolution démocratique et populaire demeure vivant : c’est la confiance en soi, la conviction qu’aucune nation ne peut se construire durablement en comptant sur les autres, et la nécessité d’assumer pleinement sa souveraineté dans un monde d’interdépendance. Mais l’un des enseignements les plus actuels de Sankara, c’est sans doute son appel à l’unité véritable. Une unité qui ne se décrète pas dans les discours, mais qui se construit dans les faits, par le dialogue, le respect des différences et la reconnaissance du droit de chacun à penser librement.
On parle souvent d’unité aujourd’hui, mais il faut se garder de confondre unité et uniformité. L’unité sincère se bâtit sur la confiance entre gouvernants et gouvernés, sur la participation de tous les fils et filles du pays à la recherche du bien commun. Le peuple burkinabè a toujours montré, dans les moments les plus sombres de son histoire, qu’il savait se rassembler quand l’essentiel était en jeu. Il saura encore le faire, si on lui fait confiance et si on lui parle vrai.
Quels enseignements la jeunesse peut-elle tirer de Sankara et de son parcours ?
La jeunesse doit comprendre que rien de grand ne s’obtient sans effort, sans conviction et sans discipline. Sankara n’a pas seulement incarné une idéologie, il a incarné une exigence morale et une méthode de vie : travail, rigueur, intégrité, don de soi. Il a prouvé qu’on peut être jeune et porter un projet d’envergure nationale, qu’on peut être Africain et se hisser au rang des grandes consciences du monde.
La jeunesse d’aujourd’hui doit retenir que la réussite ne se résume pas à l’ambition personnelle, mais qu’elle consiste à servir quelque chose de plus grand que soi : la patrie, la vérité et la justice. Elle doit aussi se souvenir que Sankara était profondément tourné vers l’avenir : il croyait en la science, à l’éducation, à l’émancipation des femmes, à la protection de l’environnement, à la solidarité entre peuples africains. Ce sont ces repères qui doivent nourrir le patriotisme et la responsabilité de la jeunesse d’aujourd’hui.
À votre avis, que dirait Sankara s’il observait la situation actuelle du Burkina et du monde ?
Il dirait très certainement qu’il avait eu une bonne lecture de l’avenir. Il verrait que les causes qu’il a défendues (la souveraineté, la dignité, la justice sociale, la solidarité africaine) demeurent les mêmes, et que les tâches à accomplir restent fondamentalement inchangées. Il redirait sans doute, avec sa franchise habituelle, que la voie qu’il avait tracée était la bonne, celle d’un peuple qui se prend en main, qui refuse l’assistanat et les compromissions, qui croit à sa capacité de transformer le réel. Et il rappellerait à chacun de nous que le Discours d’orientation politique (DOP) du 2 octobre 1983 n’a rien perdu de son actualité : il demeure un programme de libération nationale, fondé sur la participation du peuple, la transparence et la responsabilité.
Que souhaitez-vous dire aujourd’hui, en ce 15 octobre, à toutes celles et ceux qui commémorent cette date ?
En ce 15 octobre, nous devons nous souvenir que Thomas Sankara n’a pas seulement été victime d’un complot politique, mais porteur d’un idéal de transformation qui dépasse les générations. Honorer sa mémoire, ce n’est pas seulement évoquer le passé, c’est continuer l’œuvre commencée : reconstruire la confiance, relever la tête, faire de notre pays un espace de dignité et de liberté. Mais souvenons-nous aussi que l’unité nationale ne peut pas se construire sur la peur ou le silence. Sankara a prôné l’unité, oui, mais jamais au prix de la vérité. L’unité qu’il appelait de ses vœux se fonde sur la justice, la liberté et la reconnaissance mutuelle. Nous devons donc œuvrer à réconcilier notre pays avec lui-même, à rouvrir les espaces de dialogue, à permettre à chaque Burkinabè d’où qu’il soit et quelle que soit son opinion de contribuer sans crainte à la vie de la nation.
C’est à cette condition que nous serons dignes de l’héritage du 15 octobre. Et en ce moment particulier de notre histoire, je veux m’incliner avec respect et émotion devant nos forces combattantes, nos volontaires pour la défense de la patrie, nos forces de défense et de sécurité, nos braves populations civiles mobilisées dans les villages et les campagnes. Elles se battent, souvent dans l’anonymat et au prix du sacrifice suprême, pour que le Burkina Faso reste debout et souverain.
Elles sont, à leur manière, les héritières de l’idéal sankariste, celui du courage, du don de soi et du refus de la domination. Leur engagement quotidien est une leçon de patriotisme et de dignité qui honore toute la nation. À toutes ces femmes et à tous ces hommes qui veillent sur nous, je rends un hommage vibrant et reconnaissant. Puissent leurs sacrifices nourrir en chacun de nous la force morale d’unir nos énergies pour la paix, la justice et la victoire du peuple burkinabè sur toutes les formes d’adversité.
Quel message d’espérance et de responsabilité adressez-vous particulièrement à la jeunesse ?
Je voudrais dire à la jeunesse que rien n’est perdu. Les défis sont immenses, mais notre peuple a toujours su se relever. L’espérance n’est pas un rêve, c’est une responsabilité : celle de croire, d’agir, de construire. Sankara disait : « Nous devons oser inventer l’avenir ». C’est à cette audace que j’appelle la jeunesse : oser penser, oser dire, oser faire, mais toujours avec honnêteté et amour du pays. Le Burkina Faso a besoin d’une jeunesse debout, lucide, laborieuse, solidaire, en somme une jeunesse qui refuse la haine et la résignation. C’est à elle qu’il revient de faire refleurir les idéaux du 4 août et du 15 octobre, non pas en les récitant, mais en les vivant chaque jour.
Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo Lefaso.net
Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara.
Cet article, écrit donc en décembre 1983, amène de nombreux éléments de compréhension sur le conflit qui opposait le Mali et la Haute Volta et qui va entrainer la guerre de Noël en décembre 85. Il reprend entièrement l’historique de ce qui oppose les deux pays. La retranscription a été réalisée par Davy Hafing.
Mali-Haute-Volta : La fin d’un conflit Frontalier ?
Par Mohamed Maïga
Commencée comme un gag l’histoire avait frôlé la tragédie, mais se retrouve aujourd’hui à La Haye, dont les deux parties se sont engagées à respecter le verdict.
« Le gouvernement de la République de Haute-Volta et le gouvernement de la République du Mali ont notifié au greffe par lettre conjointe, reçue le 20 septembre 1983 à La Haye, un compromis conclu par eux le 16 septembre 1983 et entré en vigueur le jour même. Ce compromis soumet à une chambre de la Cour la question de la délimitation de la frontière terrestre entre les deux États sur une partie de sa longueur. » Signé : le greffier de la Cour internationale de justice de La Haye.
C’est par ce communiqué plutôt laconique que l’opinion africaine a appris que l’un des conflits les plus absurdes, les plus injustifiables de l’Afrique est en voie de connaître un règlement définitif. Conflit inutile parce qu’ayant opposé et mis aux prises deux Etats détenant le triste privilège de figurer parmi les plus démunis (matériellement) de la planète. Absurde parce que menaçant de diviser deux peuples en tous points identiques, pour qui l’idée même de la séparation par une frontière, n’eût été l’aventure coloniale, serait un non-sens.
Si le différend frontalier voltaïco-malien n’est pas encore définitivement réglé, le fait est que la bombe est véritablement désamorcée. Grâce aux bonnes dispositions des deux chefs d’État, le capitaine Thomas Sankara et le général Moussa Traoré. L’Histoire retiendra très certainement l’habileté, la sincérité et la détermination dont le capitaine voltaïque a fait preuve pour venir à bout de la méfiance et de l’attentisme de la partie malienne. Une tâche d’autant plus difficile qu’à l’intérieur Thomas Sankara – comme Moussa Traoré – devait venir à bout de certains secteurs de l’opinion publique qui, sans être cependant chauffés à blanc, profitent de telles crises pour renforcer leurs positions et privilèges particuliers.
A l’extérieur, également, l’un et l’autre devaient faire face aux diviseurs et autres marchands de canons réels et potentiels. On se souviendra qu’en 1981 certains chefs d’État, hostiles à l’entrée du Mali dans l’Union monétaire ouest-africaine, avaient su utiliser les dirigeants voltaïques et le conflit frontalier voltaïco-malien pour faire obstacle à cette entrée dans l’U.M.O.A., considérée à Bamako comme la solution miracle aux graves problèmes économiques et financiers du pays. Ce qui n’a fait qu’approfondir et élargir le fossé séparant les deux États, par-delà les questions de frontière. Dernier obstacle qu’a eu à franchir le président voltaïque et qui explique la méfiance de l’interlocuteur malien : comment cet officier, dont l’armée malienne garde le plus cuisant souvenir à la suite des escarmouches de 1975, avait-il pu se muer en ce président apôtre de la paix ?
Le tourbillon Sankara
Il faut reconnaître que, d’entrée de jeu, le président Thomas Sankara a pris de court les dirigeants maliens pour parvenir à une solution du litige frontalier. C’était au lendemain de son fulgurant retour au pouvoir, le 4 août 1983 : « Le conflit Mali-Haute-Volta ? Connais pas », nous répond-il dans sa première interview de président. Puis, prenant les diplomates traditionnels à contre-pied, il sort le problème du cadre strictement étatique pour en faire l’affaire des peuples concernés : « Je ne connais pas l’existence d’un conflit entre les peuples malien et voltaïque. » Incontournable, cette vérité-là ! Comme cette autre : « Je sais seulement qu’il existe une bataille commune à nos deux peuples, à nos deux pays, contre toutes les formes de domination et d’exploitation… » Dans la foulée, le président voltaïque ajoute que son régime « veut être celui qui cultive avec le Mali les relations les plus solides, les plus courageuses sur toutes les questions, même celles qu’on a coutume de considérer comme tabou. » Puis, terminant sur un vœu : « Souhaitons que nos frères et amis maliens nous aident à démontrer à la face du monde que seul l’intérêt de nos peuples indissociables doit être pris en considération. »
Des mots ! Rien que des mots ! affirment certains milieux maliens qui veulent endiguer le tourbillon Sankara dans lequel diplomates et hommes politiques risquent de se laisser entrainer. Il faut des gestes concrets, ajoutent-ils. Mais, à Bamako, on sait que quelque chose a définitivement changé du côté voltaïque. Le temps n’est plus aux tergiversations et a l’attentisme stérilisant. Et le Mali risque d’apparaitre comme peu soucieux de coopération : « La balle est désormais dans notre camp. Ou nous la renvoyons dans le camp adverse ou nous l’expédions dans le décor », nous confie un proche du président malien.
Dans le même temps, l’ambassadeur malien en Haute Volta, Siragatou Cisse, fait la navette entre Bamako et Ouagadougou, où, à la fin du mois d’août, il nous affirme sa « conviction quant à la bonne foi des dirigeants voltaïques ». « Le vent est favorable et ceux qui ne savent pas aller dans ce sens s’égarent », précisera-t-il à nos confrères de la presse de Haute-Volta. « Convaincu » aussi, le général Traoré, saisissant la balle au bond, fait état de « l’existence réelle d’une volonté politique et morale de part et d’autre pour trouver une solution pacifique et définitive » au problème.
Maliens et Voltaïques se remettent à peine de l’avalanche de déclarations conciliantes que Thomas Sankara en personne débarque à… Bamako. L’événement se produit le 16 septembre et c’est le premier voyage officiel du président voltaïque hors des frontières nationales. Moussa Traoré, son ministre des Affaires Étrangères, Me Alioune Blondin Beye, et l’ensemble de la classe politique sont sensibles au geste.
Plus rien ne semble pouvoir arrêter le processus, D’autant qu’on remarque dans la délégation voltaïque une présence « insolite » : le ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur, Ibrahima Fall. Émissaire du président Abdou Diouf, il était à Ouagadougou où il devait précisément discuter, au nom de son président, des suites à donner au « dossier Mali-Haute-Volta » Le Sénégal était et est, on le sait, l’intermédiaire par lequel
Bamako et Ouagadougou avaient décidé de passer pour faire parvenir leurs dossiers à La Haye : deux documents distincts élaborés par chacun des deux États, reflétant leurs vues et arguments, et un mémorandum commun, synthèse des deux positions officielles.
Dès lors, la diplomatie reprend ses droits : d’autant mieux qu’outre le Sénégal un autre partenaire œuvre au rapprochement voltaico-malien : l’Algérie, dont l’action, pour être discrète, n’en est pas moins efficace et déterminante. En raison de l’influence et de la bonne cote d’Alger à Bamako comme à Ouagadougou. A la fin d’août 1983, Moussa Traoré – ainsi que le Mauritanien Khouna ould Haidallah – était dans la capitale algérienne. Il s’en était fallu de peu, semble-t-il, qu’il y fût rejoint par son homologue voltaïque pour rencontrer le président Chadli Bendjedid. Ce dernier, on le sait, n’a eu de cesse de rapprocher les vues du Mali et de la Haute-Volta et de ramener le « conflit » à ses justes proportions, c’est-à-dire débarrassé des rancœurs, de la passion et des considérations d’amour-propre ici ou là égratigné. Le président algérien a un argument de poids et sait de quoi il parle : trois mois plus tôt, son pays et le Mali avaient procédé, sans difficulté, au bornage définitif de leur frontière. Pourquoi n’en serait-il pas de même entre les deux frères sub-sahariens ?
Restait un dernier contentieux, créé par les prédécesseurs du capitaine Sankara à la tête de l’État voltaïque ; la relation entre le règlement du la frontalier et l’acceptation de l’entrée du Mali dans l’U.M.O.A. Ce linkage était de règle avant le 4 août 1983, les responsables voltaïques estimant détenir là une carte essentielle, l’atout majeur. Thomas Sankara allait-il le lâcher sans garanties particulières du Mali ?
L’interrogation subsistait quand, le 24 octobre, Moussa Traoré rend à Thomas Sankara sa visite de travail le 16 septembre. La méfiance et les arrière-pensées n’étant plus de mise, les deux présidents peuvent participer ensemble, entre autres réunions, au sommet de l’U.M.O.A., à Niamey (Niger). Le capitaine Sankara n’oppose pas un veto dont ses prédécesseurs, manipulés, avaient fait usage et le sommet signe la réintégration Mali dans l’organisme technique de la zone franc. Chacun sait alors que le « dossier Mali-Volta » n’est plus du seul ressort, des deux États concernés. Chacun sait également — en particulier l’opinion publique africaine qu’aucun des deux protagonistes ne pourra, à l’avenir, faire fi des avis et arrêtés de la juridiction internationale (la cour de La Haye), ne serait-ce que devant leurs deux peuples chez qui le respect de la parole donnée constitue un point d’honneur traditionnel. Le conflit frontalier, lui, ne devient plus qu’une affaire de bornage semblable à toutes les autres.
Au plus fort de l’ivresse
D’ailleurs, tout avait commencé comme un gag, sinon un jeu d’enfants ; des gendarmes et goumiers voltaïques (ou maliens), excités et hargneux, s’emparent d’un drapeau national plutôt crasseux, l’attachent à un bout de bois mal taillé, traversent la « frontière » et, chansons à l’appui, le plantent loin à l’intérieur du terrain voisin. Des gardes-frontières et goumiers maliens (ou voltaïques), furibonds et haineux, s’emparent du symbole de discorde (le drapeau défraichi) et, brandissant le leur, traversent le territoire de « l’autre » dans un esprit on ne peut plus vengeur…Un « jeu » auquel, rapidement, des administrateurs zélés allaient participer; suivis de près par des « armées » nationales dont on se demande ce qui pouvait bien les attirer dans ces terres arides.
C’était au début des années 1960, au sortir de la nuit coloniale. C’est-à-dire au plus fort de l’ivresse que procurent une frontière et un drapeau nationaux, symboles de la dignité retrouvée. C’est connu, et Franz Fanon l’a admirablement démontrée la dignité du pauvre, surtout colonisé, s’exerce plus facilement à l’encontre de son semblable que contre le maitre et exploiteur commun. Maliens et Voltaïques des années 1960 en donnèrent une illustration d’autant plus caricaturale que l’ex-colonisateur, parti sur la pointe des pieds, avait laissé derrière lui une frontière, longue de quelque mille deux cents kilomètres, mal dessinée en plus d’un point. Il faut toutefois reconnaitre aux dirigeants de l’époque, notamment au Malien Modibo Keita, le mérite (entrant dans une vision assez large de l’unité africaine) d’avoir su, pacifiquement, délimiter la frontière sur plus de neuf cents kilomètres.
Terre de rencontres
Restait le cas d’une zone singulière à plus d’un titre : le Gourma, mot qui, pour toutes les populations locales, signifie la « rive droite » (du fleuve Niger). En songhaï comme en peul, en haoussa comme en tamacheck. Une région qui va de la frontière tripartite Haute-Volta-Mali-Niger à la zone de Hombori, dans la cinquième région administrative du Mali, dont le chef-lieu est Mopti, Jonction du Sahel et de la savane, brûlé de soleil, le Gourma, pays des arbres épineux, des hautes herbes, des collines de sable, est aussi celui de quelques animaux dont certains en voie de disparition : biches, antilopes, hyènes, lions, pintades, perdrix, outardes, autruches, etc. Les éléphants, fuyant la désertification, l’ont quitté depuis des décennies, les girafes y sont rares et bien d’autres représentants de la faune y ont été décimés par les feux de brousse et la sécheresse. Restent les hommes. De toutes les races et de toutes les couleurs. Car le Gourma, depuis des siècles, est aussi une terre de rencontres. La tradition veut qu’après les pygmées. Il y a quelques millénaires, ses premiers occupants aient été les Gourmantchés (hommes du Gourma), aujourd’hui un mélange de Songhaï, de Mossis, de Peuls, de Dogons et autres peuples qui, depuis longtemps, ont un tronc culturel commun. Et, depuis toujours, la dialectique des rencontres et des mélanges a voulu que l’on s’y batte.
La confrontation voltaïco-malienne n’y date pas d’aujourd’hui. Au XIVe siècle, les armées du royaume mossi, au cœur de la Haute-Volta, avaient traversé le Gourma pour aller mettre le siège devant Tombouctou, métropole de l’empire du Mali. Un siècle plus tard, c’est au terme de longues et ruineuses campagnes que Sonni Ali Ber, empereur du Songhaï (la nouvelle dynastie régnante du Mali) « pacifia » le Gourma, définitivement entré dans le giron malien. Mais le Gourma, à ce titre, n’était pas un cas unique : l’empire mandingue s’étendait de l’Atlantique au Tchad, du désert à la lisière de la forêt. L’irruption des négriers occidentaux (1492) au sud, l’invasion marocaine au nord (1591) et leur conséquence qu’est la désorganisation du dernier grand empire soudanien allaient livrer le Gourma (et bien d’autres régions) à l’anarchie et aux luttes fratricides. Peuls et Touareg allaient tour à tour s’y affronter sans merci et sans victoire définitive… jusqu’à la conquête française.
1926 : le colonisateur victorieux, a définitivement établi la paix des armes et des cimetières au Soudan français (Mali) et en Haute-Volta. Il peut envisager un tracé frontalier séparant ses deux colonies. De fait, un « Atlas des cercles de l’Afrique occidentale française (A.O.F.) » est publié et rend compte de la délimitation frontalière entre les deux possessions françaises, avec quelques légères ambiguïtés préfigurant déjà le conflit à venir, et qui semblent dues à une mauvaise connaissance du terrain et des peuples par les techniciens de l’Institut géographique national (I.G.N.). Quelques détails seront « corrigés de facto » par l’arrêté du 31 août 1927 et son erratum du 5 octobre 1927 fixant, l’un et l’autre, « les limites des colonies de la Haute-Volta et du Niger ».
1932 : pour les besoins de sa cause, le même colonisateur prend une curieuse décision : la disparition de la Haute-Volta où le nationalisme anticolonial du plateau mossi ne plait décidément pas aux administrateurs métropolitains. La majeure partie du pays est rattachée à la Côte-d’Ivoire et prend le nom de Haute Côte-D’ivoire. Une portion non négligeable (la région de Ouahigouya) va au Soudan français ; des lambeaux de la dépouille seraient allés, dit-on, au Niger… Entre 1933 et 1935, l’administration coloniale, des plus fantaisistes, prend une multitude de décisions : tantôt elle agrandit tel cercle « soudanais » en y ajoutant tels villages voltaïques, tantôt elle rattache un village soudanais à un cercle précédemment en Haute-Volta (arrêté du 16 décembre 1933),
Diviser pour régner
Dans tous les cas, compliquant la situation au gré de ses intérêts conjoncturels, elle sème les germes de conflits futurs. En particulier, l’arrêté général no 2728 du 27 novembre 1733 sera lourd de conséquences puisqu’il est à la source du différent actuel. C’est cet arrêté qui a rattaché au Soudan les villages précédemment en colonie voltaïque (ce que le Mali conteste) de Dioulouna, Okoulou, Agoulourou et Koubo. S’y ajoutèrent la position contestée du mont Ngouma à l’extrémité est de la frontière et la situation non moins contestée de la mare de Ketiouaire ou Kebouaire.
1947 : confronté à la montée du nationalisme africain, le colon français divise pour régner, mais aussi répare l’injustice de 1932. Une loi votée à Paris « rétablit la Haute-Volta dans ses frontières de 1932 ». Tout le découpage précédemment opéré est désormais à refaire. C’est à dire que tous les textes, arrêtés et autres avis antérieurs à 1932 sont annulés pour ramener la frontière à celle de 1926. Si des villages jusque-là intégrés à des cercles voltaïques sont facilement rétrocédés au Soudan, l’inverse se révèle difficile. Pour des raisons historiques, familiales et ethniques ?
Un chapelet de lacs
Toujours est-il que Bamako conteste : les quatre villages n’ont jamais fait partie de la Haute-Volta, soutient-on. De même, y affirme-t-on, le mont Ngourma n’est pas au nord mais au sud-est du gué de Kabia. Depuis les indépendances, tous sont en République de Haute-Volta, même si certains ont cru qu’ils étaient administrés par le Mali.
De village en colline, de mare en piton rocheux, la zone contestée n’a cessé de s’élargir : trois mille deux cents mètres carrés, puis neuf mille neuf cent dix kilomètres carrés, auxquels il faut ajouter les soixante-sept kilomètres carrés autour du mont Ngouma. Mais, en procédant à la délimitation de la région litigieuse autour des quatre villages, on s’aperçoit que la ligne de partage s’arrête en plein territoire. Faut-il, des lors, tracer une perpendiculaire qui irait rejoindre 1926? Personne n’en veut. Alors? On croit le problème en voie de règlement quand, brusquement, en jetant un coup d’œil sur la carte, la difficulté devient évidente. A partir de Rafnaman, la zone est parcourue vers l’est par un chapelet de lacs et de mares, résidus de fleuves aujourd’hui disparus.
La délimitation frontalière ne pouvant finir au cœur du territoire voltaïque, fallait-il faire de cette suite de rivières une frontière naturelle ? Au nord ou au sud des lacs? Ou au milieu, comme semblaient, un moment, l’avoir suggéré les Maliens ? Dans ces contrées désolées, ces mares, aux noms musicaux et sonores de Fitili, In Abao, Soum, Beli, sont plus que de simples résidus de fleuves morts. Elles sont sources de vie et de mort. Pour les bêtes comme pour les pasteurs nomades. De tous les temps, Peuls, Touareg, Bellahs et Songhais, jadis aussi bien voltaïques que nigériens ou soudanais, se sont affrontés à coups de sabres, de lances et de bâtons sur leurs bords, pour les besoins de leurs troupeaux — chacun voulant y être le premier.
On a dit et écrit que Maliens et Voltaïques s’y querellaient pour des « réserves fabuleuses » de cuivre, fer, manganèse, pétrole et uranium. Rien n’est moins sûr au regard l’exploration géologique. La réalité est plus simple : en ces temps de sécheresse, ces points d’eau sont des trésors autrement inestimables pour deux États tirant l’essentiel de leurs ressources de l’élevage. Mais le litige va bien au-delà puisqu’il pose en termes clairs la question de « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation », confrontée à l’histoire précoloniale. Devenu un point de fixation entre deux gouvernements, le différend frontalier, de Dioulouna au mont Ngouma ne pouvait que dégénérer d’autant que, pour Ouagadougou comme pour Bamako, il était comme devenu le commode exutoire de très sérieuses difficultés intérieures. Au plus fort de celles-ci, le 14 décembre 1974, l’armée malienne, selon diverses sources, franchit « la frontière » et occupe une grande partie du territoire disputé. Elle en sera délogée, essentiellement par des commandos dirigés par un lieutenant du nom de… Thomas Sankara.
L’O.U.A. s’émeut
En Afrique, chacun a compris alors que le conflit, d’apparence mineure, peut dégénérer. De fait, il est potentiellement des plus explosifs d’autant que derrière chaque protagoniste continent. Enfin, O.U.A. s’émeut ; son comité de médiation est saisi et vient le temps des négociations et des médiations entre 1974 et 1975. Les États de la région s’étant émus, c’est tout naturellement que le comité de médiation de l’O.U.A. créa pour la circonstance une commission de médiation composée du Togo (président), du Sénégal, du Niger et des observateurs de Guinée, et de Somalie (alors président en exercice de l’O.U.A.). Cette commission créa à son tour une sous-commission juridique et une sous-commission militaire. La première avait pour mission d’élaborer un avant-projet de proposition après examen des documents afférents au conflit. La deuxième constater l’éloignement, sur le terrain, des deux armées, de cinq kilomètres au moins de la ligne de frontière que chaque belligérant estimait être la bonne. La commission de médiation se réunit à trois reprises dans la capitale togolaise (26 décembre 1974 ; du 27 au 30 janvier 1975 ; 17 et 18 juin 1975) avec la participation du secrétaire général de l’organisation panafricaine.
S’appuyant sur les conclusions de la sous-commission juridique aidée d’un comité technique neutre de cartographes, la commission de médiation donna pleinement raison à la partie voltaïque ce qui provoqua la colère du Mali. Résultat : le conflit persista menaçant à tout moment de faire parler la poudre.
C’est alors qu’un dirigeant dont l’ascendant et le prestige étaient réels auprès des peuples malien et voltaïque jeta son poids personnel dans la balance : le président Ahmed Sékou Touré de Guinée. Il se rendit personnellement à Ouagadougou et à Bamako et réussit ce qui avait été impossible pour Éyadema et Senghor : le retrait des armées. 10 juillet 1975, il réunit à Conakry les chefs d’État de Haute-Volta et du Mali qui signèrent la « Déclaration commune de Conakry ».
Celle-ci donnait satisfaction au Mali mais entraina les plus expresses réserves du côté voltaïque. D’abord, le représentant de la commission nationale voltaïque aurait été tenu à distance lors des discussions qui réunirent essentiellement Maliens et Guinéens. Ensuite, le document final recommande des négociations et une solution bilatérale. Délégations maliennes et voltaïques (présidentielles, ministérielles ou techniques) se rencontrèrent à cinq reprises entre 1976 et 1981, discutant tantôt de la forme tantôt du fond du problème. Sans succès. Souvent au bord de la rupture.
Le silence giscardien
Un fait restait troublant : le silence de la France giscardienne, malgré les démarches pressantes de tous les intéressés. Un mot de la puissance qui a tracé la frontière et on y aurait vu un peu plus clair. Elle ne le prononça pas, s’abritant derrière une pseudo-neutralité qui, en réalité, lui permettait de renforcer ses positions aussi bien à Bamako qu’à Ouagadougou. Pendant ce temps les changements de régimes se succédaient dans une Haute-Volta gagnée par l’ébullition sociale. Il fallut attendre le 4 août 1983 et le dynamisme de la diplomatie voltaïque pour sortir de l’impasse. Désormais, les dirigeants des deux peuples sont face à deux peuples qui ne demandent qu’à vivre en toute fraternité.
Nous vous proposons ci-dessous un grand reportage publié en février 1985 dans l’hebdomadaire Révolution, proche du parti communiste français, disparu depuis. L’auteur a pu circuler à l’intérieur d pays, à la rencontre de sa population. En réalité, l’auteur n’est autre que Bruno Jaffré, auteur depuis de nombreux ouvrages ou articles sur la Révolution, qui à l’époque, publiait sous ce pseudonyme de Bernard Frégeat. Cet article a été retrouvé récemment par l’auteur. La retranscription a été réalisée par Gérard Kaboré.
Le rédaction
4 août 1983 : le capitaine Sankara et ses amis reprennent le pouvoir en Haute-Volta, aujourd’hui Burkina-Faso. Cette expérience révolutionnaire originale suscitera, à juste titre, une grande sympathie, en Afrique et dans le tiers monde comme en France. La récente « clarification », les dissensions entre les forces politiques engagées dans le processus ont, entre temps, posé question, voire inquiété. Révolution a voulu savoir ce qu’il en était. Bernard Frégeat a donc sillonné le pays, où il s’était déjà rendu en juillet 1983. C’est d’un œil amical, mais lucide, qu’il raconte ici ce qu’il a vu.
Les capitaines face au réel
Par Bernard Frégeat
“Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme médiéval ou de régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir.” Une déclaration parmi des centaines d’autres du nouveau président du Burkina-Faso[1] devant les instances internationales. Voyage en Chine, en Libye, en Corée du Nord, en Albanie, en URSS, en Algérie, au Nicaragua, à Cuba, à Madagascar, en République Sahraouie…Les jeunes dirigeants de ce pays ne semblent pas vouloir entrer dans le giron de quiconque : ils entendent seulement être résolument anti-impérialistes. Meeting à Harlem avec les organisations progressistes noires américaines lors de la dernière session de l’ONU, boycottage de la conférence franco-africaine de Bujumbura, considérant que ce type de réunion néo-colonialiste devait disparaitre, arrestation à Bamako et extradition à Ouagadougou pour le juger, de Diawara, ancien secrétaire général de la CEAO[2], ne pouvant justifier la disparition de 6,5 milliards de francs CFA. Voilà quelques exemples des dernières “sorties” spectaculaires du capitaine Sankara, trente-six ans, qui dirige aujourd’hui le pays.
CHANGEMENTS A OUAGA
Autant d’éléments qui ne peuvent qu’emporter l’adhésion, vus de l’étranger. Pourtant, la récente « clarification » et le maintien en détention de Arba Diallo et de Adama Touré, deux dirigeants de la LIPAD[3] et membres du PAI[4], respectueusement ancien ministre des Affaires étrangères ancien ministre de l’information – un autre Adama Touré, lui secrétaire général de la STOV (Syndicat des ouvriers et techniciens voltaïques), est emprisonné, sont des motifs d’inquiétude. Il était donc naturel d’aller sur place étudier l’évolution de la situation.
Comme à chaque arrivée, je subis un choc. La température d’abord, autour de vingt-cinq degrés : c’est la période la plus fraîche de l’année. Et puis, on est loin ici du luxe de nos aéroports européens. Ou encore ce mélange de nonchalance, de gentillesse et de fermeté chez les douaniers et policiers. Il est 21 heures, c’est la dernière arrivée. Une fois dehors, je dois véritablement écarquiller les yeux pour y voir clair. L’éclairage public est rare, inexistant hors des grands axes. Seules quelques bougies ou lampes à pétrole éclairent les petits commerces de la rue : « tabliers » qui proposent du café au lait avec du pain ; vendeurs de cigarettes, d’arachide, de fruits ou de viande grillée. De temps en temps, une épicerie ou un débit de boisson sont éclairés à l’électricité.
Avec un PNB de 180 dollars par habitant, le Burkina Faso est un des pays plus pauvres de la planète. En 1983, la dette s’élevait à 400 millions de dollars (37% du PNB), le taux de couverture n’était que de 16 %. Le service de la dette s’est multiplié par trois en quatre ans, pour atteindre 13 milliards de francs CFA en 1984, le quart du budget de l’État. L’économie du pays repose essentiellement sur l’agriculture (82% de la population active, 42 % du PNB), alors que mines et industries n’y participent que pour environ 15 %. Les transferts de salaires de quelque un million de travailleurs émigrés, surtout en Côte d’Ivoire, constituent une source essentielle de revenus (25 milliards de dollars par an). Le pays dépend donc largement de l’aide extérieure. Mais, selon l’hebdomadaire national, Carrefour africain, « quand bien-même le CNRS[5] revendique une économie nationale indépendante, il n’exclut pas systématiquement l’aide extérieure… L’aide doit aider à tuer l’aide “.
Dès le lendemain, j’entreprends une visite complète de Ouagadougou, la capitale. D’énormes panneaux quadrillent toute la ville : ” Parents, mobilisons-nous pour la santé de nos enfants”, ” Vaccination, santé, production”, ou encore ” un peuple libre est une peuple vacciné”. Officiellement, six millions de doses distribuées. De l’avis général, jamais une campagne de vaccination n’avait connu de tel succès. Les principales artères ont été refaites, d’autres nouvellement tracées. De nombreux feux de signalisation ont été installés. La circulation s’en trouve considérablement améliorée. C’était d’autant plus nécessaire qu’au milieu des multiples véhicules à deux roues et des quelques voitures circulent aujourd’hui de petits autobus oranges achetés à l’Inde. Ils traversent la ville de part en part, pour 75 ou 100 F CFA[6] aller et retour. De nouvelles canalisations ont été creusées pour permettre une meilleure évacuation de l’eau en saison des pluies.
Au centre-ville, le marché me semble plus propre qu’à mon dernier séjour. Le CDR[7] des commerçants, qui possède son local au milieu du marché, a organisé plusieurs journées révolutionnaires pour le nettoyer.
Tout à côté, les taxis attendent, dans un ordre impeccable, les clients devant le local de leur CDR. Tout le quartier autour du Conseil de l’entente est quadrillé par des militaires en armes. C’est là qu’habite et travaille le président.
Sur la route de Pô, vers le sud, de grands panneaux présentent les cités de l’an I et de l’an II, que des entreprises locales ont été appelées à construire. Les logements seront mis en location pour les fonctionnaires. Plus à l’ouest, un autre chantier vient de commencer. Il s’agit d’un grand théâtre populaire. Les CDR doivent se mobiliser, secteur après secteur, pour assurer la construction. À cet endroit s’étalait un des sept quartiers non lotis[8] de la capitale, où logeaient 60% de ses habitants. Ce problème n’avait jamais pu être résolu. Le pouvoir n’a pas tergiversé. Les gens ont eu deux jours pour partir. Puis les bulldozers sont venus. Les travaux pour la salubrité de ces quartiers ont rapidement été engagés et la redistribution des parcelles a pu commencer deux mois plus tard. Alors que je m’inquiétais d’une éventuelle indemnisation, on me répondit : ” Tous ces mossis [9](9) savaient qu’un jour à l’autre ils devraient partir. À chaque élection, on leur promettait de lotir leur quartier, de les indemniser, puis, les élections passées, plus rien”.
La ville est sous le coup de la discussion budgétaire, qui, après un mois, vient de se terminer par une immense assemblée populaire composée des délégués CDR de chaque province, des villes et des secteurs tertiaires, réunie une nuit durant à la Maison du peuple. Les syndicats y avaient été conviés, quelques-uns sont venus, mais aucun n’est intervenu.
Tout a été mis en œuvre pour sensibiliser la population, les débats ont été diffusés en direct par la radio. On m’en rapportera quelques anecdotes, comme ce chômeur qui s’étonna de voir des salaires proposer des réductions de salaires contre lesquelles ils se seraient immédiatement mis en grève dans le passé, ou encore le tollé général lorsque les militaires ont été contraints de déclarer leurs salaires.
LE BUDGET EN DISCUSSION
Il est difficile ici de ne pas être au courant du problème. Sur un budget total de 63 milliards de francs CFA, en hausse de 18% par rapport à l’année précédente, il reste 6 milliards à trouver. Une des propositions avancées consiste à diminuer les salaires, de un douzième ou un vingt-quatrième suivant les catégories. C’est celle qui alimente le plus les discussions. Un article de Carrefour africain explique que 50% du budget est consacré aux avantages et salaires des quelque 26.000 fonctionnaires (pour une population de près de …7 millions d’habitants), 25% au remboursement de la dette, et que toute augmentation de salaire était dans le passé financée par des emprunts extérieurs qu’il faut maintenant rembourser. Une telle proposition ne fait qu’augmenter le mécontentement perceptible dans la petite-bourgeoisie urbaine, déjà sensible après les ” dégagements »[10].
Cette opinion d’un jeune intellectuel résume assez bien le sentiment général dans ce milieu, tout de même sensible au travail déjà réalisé par le pouvoir : “même s’il faut reconnaître que l’on travaille plus et mieux, les dégagements sont assez impopulaires ; ils alimentent une véritable psychose de perdre son travail… Il n’est pas impossible que certains, hostiles au régime, poussent de l’intérieur à des mesures impopulaires… On entend dire que certains membres du CNR ont des opinions différentes lorsqu’ils s’expriment en privé.” Si le capitaine Sankara et ceux qui ont participé avec lui à la prise du pouvoir demeurent très populaires, on se méfie un peu de leur entourage. Officiellement, on affiche l’espoir de voir ces “dégagés” utiliser leurs connaissances au service du secteur rural en retournant dans leur village.
LUTTE POLITIQUE
Le pouvoir joue une partie serrée entre une armée largement épurée, découvrant la révolution, n’acceptant peut-être pas facilement de devoir, comme tout burkinabè, se retrousser les manches pour participer à la construction du pays et, d’autre part, les partis réactionnaires, qui n’entendent qu’une occasion pour faire leur réapparition. Plusieurs complots ont déjà été déjoués.
Aujourd’hui, en outre, la plus importante organisation politique de gauche, la LIPAD, est dans l’opposition, après avoir décidé de prendre ses distances dès mai 1984. Ses critiques portaient sur une trop grande personnalisation du pouvoir, une certaine improvisation à cause de trop de volontarisme, le manque de débats politiques à l’intérieur du CNR, dont on ne connait pas la composition exacte, la place trop grande faite aux militaires. Ses militants ont été à l’initiative d’une pétition dénonçant les insuffisances dans le fonctionnement des CDR.
Ils ont été chassés depuis, accusés de volonté hégémonique, de double langage, d’employer des méthodes putschistes – après une campagne qui n’avait rien de spontané et qui s’appuyait, entre autres, sur des tracts anonymes. La LIPAD n’a-t-elle pas, elle-même, un peu surestimé sa force ? Il reste qu’aujourd’hui, il n’est peut-être pas facile de se passer du soutien de cette organisation créée en 1973 par le PAI, ayant déjà vécu la clandestinité, et dont l’expérience des militants a été précieuse au début de la révolution, aussi bien dans les CDR que comme ministres. Les ministres qui sont présentés comme étant membres ne semblent pas avoir l’aval de l’organisation, mais un autre responsable important a été proposé à un poste de direction dans le Liptako Gourma[11]. Alors, les ponts sont-ils réellement coupés à jamais ?
Je rencontrais un jour, dans la rue, un adolescent ayant dû quitter le collège, faute de moyens, et qui gagnait ses repas en réparant les mobylettes. Mis en confiance, il m’avoua ses sympathies pour la LIPAD. Mais, en général, l’homme de la rue reste étranger à ces querelles politiques. Tout le monde se salue en s’appelant ” camarade” , ce qui augmente la convivialité générale. On aime à citer les mots d’ordre avec une pointe d’humour. On reconnaît le recul important de ” magouillage”[12] et si toutes les mesures prises n’ont pas de répercussions immédiates sur la vie quotidienne de cette population, on est sensible aux efforts du pouvoir en qui on semble avoir confiance. On suit de près les événements. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, après une discussion sur le prix de chaussures, l’affaire conclue, le vendeur me demande si les délégués du Congrès des jeunes agriculteurs avaient été élus ! Cette anecdote, inimaginable avant la révolution, révèle à sa manière combien l’idée de la démocratie a progressé dans le pays.
VERS BANFORA
Je me retrouve, dans le train qui descend en Côte d’ivoire, en compagnie de deux jeunes arborant des tee-shirts de la Société voltaïque révolutionnaire d’électricité, au dos desquels on peut lire : ” Notre objectif, vulgariser l’électricité“. Juste à côté de moi, un jeune homme provoque plusieurs fois le rire du voyageur en face de lui par sa maladresse et sa naïveté, propres aux villageois peu habitués aux usages des gens de la ville. Un moment, contraint de payer un supplément, il ouvre sa braguette, dont il sort une longue chaussette, qu’il déroule lentement pour y puiser billets de 1000FCFA tout froissés, probablement la totalité de l’argent qu’il a prévu pour le voyage. Il devra en céder deux au contrôleur. Il se rend à Abidjan retrouver un grand frère. Il compte sur lui pour l’aider à trouver du travail, jusqu’à la prochaine saison des récoltes, et ramener ainsi de l’argent et de la nourriture au village, touché par la sécheresse.
C’est par dignité que le gouvernement ne se répand pas en déclarations catastrophiques. Mais il y’ a des endroits où il n’a pas plu du tout, où le mil a séché sur pied. Des camps ont été ouverts dans le Nord, où arrivent aussi des réfugiés du Niger et du Mali. Les organismes internationaux ont été mis au courant des besoins globaux du Burkina Faso : 250.000 tonnes de mil, dont il peut payer la moitié. Surtout, il cherche des financements pour améliorer le réseau routier et affréter des camions. Les frais de transport se montent à 15 % du produit transporté. Les CDR chargés de la distribution se heurtent au délicat problème des inégalités ethniques dans le Nord : ainsi, les Bellas, « captifs » des Touaregs, ont tendance à leur redonner l’aide qu’on leur distribue.
es provinces du Burkina en 1985
Arrivé à Banfora, la région la plus riche du pays en raison d’une bonne pluviométrie, je dois me présenter au haut-commissaire. Jeune comme tous les responsables que j’ai rencontrés, c’est le nouveau représentant du pouvoir depuis la réforme administrative. Le pays est découpé en trente provinces, elles-mêmes découpées en départements. Répondant à une volonté de décentralisation, la réforme a, en même temps, écarté les chefs des responsabilités administratives qu’ils avaient acquises pendant la colonisation. Ainsi, pour organiser la vaccination, le recrutement scolaire ou l’établissement d’états-civils, le préfet s’adresse directement aux CDR. Nous parlerons aussi de la baisse de l’enthousiasme pour les travaux d’intérêt commun, qui avaient mobilisé la population après le 4 août 1983, des efforts pour que les groupements villageois prennent en charge la vente des récoltes à l’OFNACER[13] au détriment des commerçants. Ainsi, un agriculteur touche peut-être un peu moins d’argent, mais, outre le fait que cela évite la spéculation, une partie de la vente est versée directement dans une caisse commune du village.
CDR ET SYNDICATS
Un ouvrier a accepté de me conduire à la SOSUCO [14](14) dans sa voiture, en échange du prix de l’essence. Nous traversons d’immenses champs de cannes à sucre, pleins d’animation en cette période de récoltes. Cinq mille personnes travaillent en ce moment, dont deux mille sont employées en permanence. Il me fait visiter l’usine.
A propos de la révolution :« Nous, on est chaud chaud dedans, parce que si ça ne va pas on peut se faire entendre, on n’est pas déconsidéré comme avant. » Par contre, un autre ouvrier me confiera son mécontentement, à l’écart : « Quel est l’ouvrier qui peut accepter qu’on lui diminue son salaire ? On n’est pas content, mais on ne peut rien à cause des dégagements. »
Le directeur technique m’expose les raisons du déficit de l’entreprise : « La canne n’arrive plus à avoir suffisamment d’eau depuis trois ou quatre ans.” Mais quand je commence à lui poser des questions sur les nouveaux rapports avec les travailleurs depuis la révolution, il me renvoie prudemment au directeur du personnel. Celui-ci se montre plus ouvert. « Au début, beaucoup avaient mal compris le sens de la révolution populaire. Certains ont pensé qu’ils allaient se croiser les bras, alors que c’est le contraire. Les CDR ont organisé des meetings de sensibilisation. Maintenant, les réunions ne se tiennent plus pendant les heures de travail, on se donne davantage à l’ouvrage. » Les rapports CDR dans les entreprises paraissent une des questions politiques les plus délicates qui se posent au pouvoir. L’élection directe des délégués CDR par l’ensemble des travailleurs les ont tout de suite placés en concurrence avec les délégués syndicaux.
Le secrétaire général des CDR, Pierre Ouédraogo, déclarait juste après la création la création des CDR dans les services : « Aucun syndicat n’est prêt aux sacrifices que consentiraient volontiers les CDR, à moins que syndicats et CDR fusionnent, quand le premier n’est pas mangé par le second. »
C’était passer un peu vite sur la place spécifique des syndicats, qui ont joué un grand rôle dans l’histoire récente du pays. Certaines centrales syndicales, liées à des anciens partis politiques, ont attaqué le CNR. Le pouvoir n’a pas hésité à licencier près d’un millier d’instituteurs après une grève à connotation politique déclenchée par le SNEAHV, en mars 1984.
La CSV, la plus importante organisation syndicale, fut la seule à déclarer vouloir collaborer avec le nouveau régime, se plaignant cependant de ne pas être suffisamment consultée sur les sacrifices demandés aux travailleurs. Les critiques se sont faites plus vives. Son secrétaire général, Touré Soumane, qui est aussi dirigeant de la LIPAD, a d’ailleurs été particulièrement visé pendant la « clarification ».
Une récente réforme semble cependant reconnaître leur rôle. Les nouveaux conseils d’administration comprennent maintenant 25 % de représentants syndicaux et 25 % de délégués CDR.
Le premier délégué CDR rencontré me parle de l’enthousiasme qui a suivi le 4 août 1983, de la mobilisation populaire, mais aussi de sa méfiance envers les syndicats. Puis il se plaint, à mon étonnement, que les travailleurs n’aient pas été suffisamment consultés lorsque les cinq membres du bureau de coordination de l’usine, élus par les trente délégués CDR, sont partis à Ouaga faire des propositions pour assainir la situation de l’entreprise.
Je parlerai plus longuement avec un de ces cinq élus. Le rôle des CDR ? “Conscientiser la masse ouvrière, dans le domaine de la production. Avant, un employé ne travaillait que pour son salaire ; on doit lui faire comprendre que c’est pour la nation. Faire régner la justice entre l’employé et le patron. ” Mais il ajoutera :” Nous luttons contre le patronat, qui abuse trop les ouvriers.” Il reconnaît que les CDR ont parfois dépassé leur rôle “Mais nous intervenons quand le délégué syndical n’a pas réussi. Nous essayons surtout la négociation. Depuis le 4 août, les révoltes ouvrières ont beaucoup diminué. Avant, les délégués du personnel faisaient de temps en temps un meeting. Nous étions obligés d’accepter ce qu’ils nous proposaient. Mais ils cherchaient leur avantage personnel. D’ailleurs, ils changeaient de catégorie professionnelle pendant leur mandat.” J’appris tout de même que certains étaient devenus délégués CDR dans l’usine ou dans leur quartier.
Ce même élu me montrera fièrement une brochure sur le centralisme démocratique. Elle lui avait été donnée au cours d’une « veillée-débat », ces réunions de formation politique organisées dans tout le pays, les soirs de week-end. Lorsque nous parlâmes des propositions pour améliorer la gestion, je fus impressionné par la connaissance que cet ouvrier chaudronnier avait du dossier. Ferme sur ses positions, il était quand même très ouvert au débat. Un seul des syndicats avait accepté de participer à des réunions de préparation, mais sans faire de propositions. Lorsque je lui fais remarquer que, comme les propositions de diminution des salaires, elles s’attaquent aux acquis des travailleurs, il me répond tristement, résigné : « Mais qu’est-ce que c’est quand nos camarades meurent de faim dans le Sahel ! » Je n’arriverai pas à voir les délégués syndicaux, pourtant au courant de ma présence.
DANS LA PROVINCE DE SOUROU
Je décide ensuite d’aller dans la province du Sourou, où le gouvernement s’est lancé dans un projet en attente depuis dix ans. Arrivé naïvement à la gare routière de Ouaga le matin, je ne partirai qu’à 14 heures, le chauffeur ayant attendu d’avoir un nombre suffisant de passagers. Nous empruntons d’abord une route, dont la construction, confiée à une entreprise locale, vient de se terminer, puis une excellente piste, plus ancienne, celle-ci, construite par les Canadiens. J’engage la conversation avec l’intendant du collège de Tougan, le chef-lieu de la province. Il m’explique comment il a été entraîné par la dynamique révolutionnaire, pour se retrouver délégué CDR aujourd’hui. II se plaint aussi de la trop grande attention qu’on accorde au CDR des élèves qui perturbent parfois la vie de l’établissement. « Il faut aussi surveiller ce qu’on dit », insiste-t-il. On me parlera de lui comme d’un éventuel futur maire de la ville, l’actuel président du CDR, ancien membre du RDA[15], ne pouvant prétendre à ce poste.
Le secrétaire général de la mairie me racontera plus tard, en ville, que la fabrication des briques nécessaires à la construction d’un cinéma et d’une pharmacie populaire est terminée. Les CDR sont chargés de mobiliser la population pour participer à ces travaux, prévus dans le Programme populaire de développement.
L’objectif de cet ambitieux programme de 160 milliards, sur une durée d’à peine plus d’un an, est de préparer le pays à s’engager dans des programmes quinquennaux à partir de 1986. Cinquante pour cent du financement (à 82% extérieur) est consacré au secteur des infrastructures économiques, 25% au secteur rural, le reste se partageant entre les grands projets nationaux comme le barrage de Kompienga, le développement social et les industries et services (seulement 4,5 %).
Le barrage étant à une trentaine de kilomètres, il me faut négocier une voiture. Arrivée sur les lieux, nous sommes surpris de découvrir une telle quantité d’eau après ce paysage sec de la savane arborée : de grandes étendues se hautes herbes jaunes d’où dépassent quelques arbres. L’eau de la Volta a été détournée vers un de ses affluents, le Sourou, dont le débit était déjà contrôlé par un petit barrage. Ainsi cette grande quantité d’eau peut remonter la vallée du Sourou très fertile. A terme, le projet prévoit la production de 250.000 tonnes de céréales, 15% des besoins nationaux. Il reste encore des aménagements à réaliser pour exploiter l’eau ainsi maîtrisée, qui demande encore des investissements. Mais, déjà, une réunion a eu lieu avec des agriculteurs intéressés. Nous rencontrons des hommes des villages alentour qui, mobilisés par les CDR dont ils se réclament tous, sont venus arroser les arbres sur les rives du canal qu’il faut consolider. Ici, le soutien au CNR semble aller de soi. À quelque vingt kilomètres de là, en remontant la vallée, nous découvrons à Diédougou, un des villages où sont produits les haricots verts que les Français trouvent sur leurs marchés, un spectacle presque fabuleux ici : plusieurs centaines d’hectares de petits jardins très verts, cultivés chacun par une famille. Les agriculteurs sont ainsi occupés en dehors de la période de récolte du mil, qui ne dure que trois mois.
Je suis à Ouaga, lorsque le président s’adresse à la nation pour le nouvel an. La voix est cassée, il semble fatigué. C’est une mise en garde contre les ennemis intérieurs et un appel à la tolérance. Il annonce le rétablissement du treizième mois et, après un long silence, la gratuité des loyers pour 1985. Cette mesure, tout en attaquant aux spéculateurs, concerne surtout les salariés : une manière de compenser la baisse de salaire qui sera confirmée un peu plus tard. Mais, en fait, elle ne touche qu’une petite partie de la population, car peu de gens paient un loyer.
Peu avant mon départ s’ouvre une nouvelle session des tribunaux populaires révolutionnaires. Composés d’un magistrat qui préside, d’un militaire et de cinq membres des CDR, ils sont chargés de “juger les crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État, ainsi que les détournements de fonds publics.” En octobre 1984, un premier bilan faisait état de 126 personnes jugées, 94 condamnations à des peines d’emprisonnement ; 2,8 milliards de francs CFA, sur les 7 milliards du total des peines financières avaient été récupérés.
TRIBUNAUX POPULAIRES RÉVOLUTIONNAIRES
C’est à la maison du peuple que se tiennent les assises des TPR. On pénètre à l’intérieur après une légère fouille. Cette immense salle de 2.500 places se remplit petit à petit : elle sera bondée vers 11 heures. Des militaires en armes sont dispersés dans la salle. Au centre, éclairés par les projecteurs de la télévision, dos au public, disposés en arc de cercle, les accusés, membres du conseil d’administration de la Caisse nationale de la Sécurité sociale. En face, le tribunal, séparé par des barrières, derrière une table nappée de rouge. De chaque côté des huissiers, habillés en noir, vont faire passer de part et d’autre de la barrière les documents nécessaires à l’instruction. L’accusation porte sur les indemnités injustes perçues, en passant par des pots-de-vin, jusqu’au détournement de quelque 247 millions initialement prévus pour la construction d’un hôtel qui ne verra jamais le jour. On entend tous les débats sonorisés, les accusés doivent se défendre seuls. Ils ont tout le loisir de s’expliquer.
Ainsi, un entrepreneur accusé d’avoir donné des cadeaux de près de 30 millions va déclarer que ses aveux ont été obtenus sous la contrainte. On convoque alors les personnes citées au moyen de la radio, qui diffuse le procès en direct. Appelé à témoigner, Soumane Touré rejettera les accusations, profitant de la tribune qui lui était offerte pour déclarer être intervenu afin que soit respectés les droits des citoyens, mais surtout pour réaffirmer le rôle des syndicats qui siégeaient au conseil d’administration. Seul le magistrat pose des questions. Un CDR interviendra pour commenter, accusant l’entrepreneur d’être un prête-nom. Car ces procès ont aussi pour objectif d’éduquer la population, de démonter tous les mécanismes qui ont permis tant de détournement dans le passé. La salle est calme, attentive. Le public, composé en grande majorité d’adolescents et de chômeurs, même s’il ne s’attache pas à tous les détails juridiques, saisit parfaitement de quoi il s’agit. Un homme à côté de moi, exprimera son dégoût devant ” ces gens qui volaient l’argent du peuple”, se demandant après l’énumération des cadeaux” s’ils n’avaient pas une machine à fabriquer de l’argent …”
UNE BOUFFÉE D’ESPOIR
Il me faudrait encore parler des efforts pour aller vers la libération de la femme, des diminutions des frais de scolarité, de l’augmentation des prix payés aux producteurs, etc. Je viens de passer quelque temps dans un pays en profonde mutation, une révolution avec ses contradictions, ses avancées, ses erreurs, ses querelles politiques. On ne peut que souhaiter, à ce sujet, que cesse la confrontation avec la LIPAD. Ce qui est acquis, me semble-t-il, c’est en tout cas que le Burkina Faso a déjà, en peu de temps, considérablement évolué, aussi bien par les réalisations économiques que par l’apparition des anciens laissés-pour-compte dans la vie politique.
Une bouffée d’espoir dans une Afrique en proie au désespoir.
[8] Les quartiers non lotis sont les endroits où les populations se sont installées de façon anarchique. Aucuns travaux n’ayant été faits pour les accueillir, ces quartiers sont le plus souvent insalubres
[9] Ethnie largement dominante qui disposait de la terre puisque Ouagadougou se trouve sur son territoire
[10] Licenciements de certains fonctionnaires pour corruption, incompetence ou opposition politique,
[11] Organisme chargé du développement entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso
Le 18 octobre 1984, le président du Faso, le capitaine Thomas Sankara, présidait la cérémonie d’inauguration de l’entrée en production de la mine d’or de Poura, dans la province du Mouhoun. Retransmis par la Radiodiffusion nationale, cet événement, riche en discours et en symboles, a marqué un tournant décisif : après un siècle de pillage colonial, l’or de Poura entrait enfin dans l’histoire comme un bien du peuple, placé sous le signe de la souveraineté et de la justice sociale. Ce jour-là, l’or n’était plus destiné à engraisser les rapaces impérialistes, mais à devenir un flambeau pour nourrir la dignité et l’espérance d’un Faso debout. Nous remercions le service des archives de la radio et de la télévision burkinabè qui a accepté de nous le confier pour l’offrir au visiteur de notre site. Nous l’avons reçu en audio et le travail de retranscription a été réalisé par Joagni Paré. Vous trouverez le reste du reportage à https://www.thomassankara.net/inauguration-de-de-poura-18-octobre-1984-audio-retranscription/
La Rédaction du site.
L’audio du discours
Un extrait vidéo (L’extrait du discours de Thomas Sankara commence à la seconde 25, le reste traite de l’impact actuel sur l’environnement. Il s’agit d’un reportage de le RTB)
Le texte du discours retranscrit par nos soins
L’impérialisme, à bas!
L’impérialisme, à bas!
Les Alibaba, à bas!
Les chacals, à bas!
Les Alcapone, à bas!
“Camarades, c’est surtout aux camarades travailleurs de Poura que je voudrais m’adresser. Tout en saluant tous ceux qui sont venus de près ou de loin pour s’associer à nous dans cette fête, qui est la fête du peuple burkinabè, la fête du peuple à la conquête de ses richesses, la fête du peuple en train de démasquer ses voleurs, ses ennemis d’hier et de toujours. [Applaudissements].
Je ne voudrais pas faire de rappel historique, tant les camarades qui sont passés avant moi ont été brillants et éloquents là-dessus. Pourra est de nouveau une réalité. Mais quelle réalité? Une réalité désormais burkinabè. L’or existe au Burkina Faso. Les richesses existent au Burkina Faso, mais le Burkina Faso est pauvre. C’est là la contradiction. C’est là la preuve aussi que notre pays est un concentré de ces contradictions qu’il faut combattre.
Je sais que ces richesses posent des questions importantes, même des questions de survie et de sécurité pour notre peuple. Quand nous regardons les autres pays, à côté de nous ou plus loin de chez nous, nous comprenons que le malheur des peuples, et principalement le malheur des peuples d’Afrique du Sud – leurs malheurs proviennent essentiellement des richesses de leur sol et de leur sous-sol. Nous ne voulons pas que Poura devienne Soweto. Nous ne voulons pas que Poura devienne Copperville. Nous ne voulons pas de Katanga. Nous ne voulons pas de Kolwezi.
C’est dire que nous devons faire en sorte que cette richesse, que cet or, ce métal jaune, ce métal précieux, brille et serve le peuple burkinabè. Donc, nous devons être conscients qu’autour de cet or se disputent et s’entre-déchirent des forces diverses.
D’abord, il y a la réaction nationale, il y a la bourgeoisie bureaucratique, il y a aussi la petite bourgeoisie qui ensemble, essaient de faire de Poura leur affaire. Il paraît qu’à Poura, pendant que les mineurs transpirent à grosses gouttes, dans les fonds des mines, pendant que la silicose menace les poumons de nos mineurs – il paraît que certaines personnes ici, sortant de la piscine, enfourchent la voiture climatisée pour se retrouver en première dans les avions et aller discuter ailleurs de ce qui deviendra l’or de pourra. Je n’ai pas vu, c’est ce qui m’a été rapporté.
Il paraît aussi que certaines personnes ici ont compris que cette mine était leur affaire personnelle et ont essayé de recruter et ont recruté leurs oncles pour servir de chauffeurs, leurs tantes pour servir de secrétaires, leurs grand-mères pour servir de standardistes. Bref, tout leur village, c’est-à-dire leur électorat, peut servir de béni oui-oui.
Il paraît que l’ambition de certaines personnes ici était de fêter leur premier million, leur deuxième milliard. Bref, il paraît qu’il y a des gens riches à Poura. Très riches. Et qu’ils ne sont pas nombreux. Il paraît qu’ils ont des noms. Et il faudra appeler un chat, un chat! Il paraît même qu’ils ont inventé des fonctions d’assistant parallèle coordonnateur. On en reparlera. On en reparlera. Eh bien, il faudrait que tout cela prenne fin. Et il faudra que ce soit vous qui y mettiez fin. Nous avons fait — nous avons organisé les TPR à Ouagadougou. Nous avons organisé les TPR à Bobo Dioulasso. Nous avons organisé les TPR à Pô. Alors, à quand les TPR à Poura?
Merci camarades! Il paraît aussi que certaines personnes venues de loin, de très loin, d’au-delà des mers, ont apporté ici la science et le savoir-faire. L’exploitation de l’or. Mais alors, pour qui brille cet or-là? Et il semble que certaines personnes venues donc de très loin, avec un souvenir nostalgique de la Rhodésie du Sud, avec des épanchements pour l’Afrique du Sud, avec des alliances parentales au niveau de ceux qui décident des actions et des dividendes de Poura, il paraît que ces personnes-là viennent reproduire à Poura une vie, une vie anti-burkinabè, une vie qui offusque les masses populaires, une vie d’un passé révolu, d’un passé colonial.
Il paraît que certaines personnes ont été envoyées ici parce que, hier, la Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, n’est qu’une colonie. Eh bien, là aussi, nous disons que les TPR, forme suprême de la justice populaire et révolutionnaire, forme inédite de cette justice démocratique, forme achevée de la loi des peuples contre les ennemis des peuples, les TPR sauront dire à chacun quelle est sa place. Il ne saurait y avoir deux foyers à Poura. Ils ne saurait… À partir d’aujourd’hui, toutes les popotes sont ouvertes à tous les travailleurs de Poura. Eh bien, s’il y en a qui ne veulent pas, s’il y en a qui ne veulent pas boire dans la même popote que le travailleur qui transpire et qui est recouvert de poussière, alors qu’ils aillent s’acheter une glacière et qu’ils aillent à Ouagadougou acheter la glace.
Et nous savons que les travailleurs de Poura sont des travailleurs vigilants. Nous savons que les travailleurs de Poura sont des travailleurs conséquents et révolutionnaires. C’est pourquoi nous disons que les travailleurs de Poura ne sont point des travailleurs racistes. Ils ne combattent point le Noir, ils ne combattent point le Blanc, encore moins le Jaune, le Vert, l’Orange et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les travailleurs de Poura combattent les voleurs, ils combattent les ennemis des peuples. Et lorsque les travailleurs de Poura apprennent qu’en Afrique du Sud, des mines, des mineurs se sont mis en grève, eh bien, ils sont eux aussi soucieux. Lorsqu’ils apprennent qu’en France, des mineurs se sont révoltés contre l’exploitation capitaliste, les travailleurs de Poura sont également inquiets. Ils se révoltent de concert avec les travailleurs du monde entier, depuis que notre peuple s’est réconcilié avec tous les peuples du monde entier, ils se révoltent contre le capitalisme sauvage international et pilleur. Ils se révoltent contre toutes les couleurs d’exploitation. Ils sont solidaires des Français et luttent contre les ennemis des Français, c’est-à-dire les Français qui exploitent les Français. Il faut le comprendre, il faut le savoir et comprendre que c’est là l’internationalisme prolétarien tel que nous l’a enseigné le grand éducateur du prolétariat, Lénine.
Eh bien, camarades, Poura doit être un baromètre de la révolution. Poura doit être également un baromètre de notre engagement aux côtés de tous les peuples, de tous ceux qui en ce moment luttent pour leurs droits. L’on nous parle de nouvel ordre économique international. Eh bien, nous disons que c’est la nouvelle mascarade internationale. Comment voulez-vous que des pays exploités, dominés, néocolonisés s’associent pour demander aux rapaces qui les exploitent, de bien vouloir répartir de manière équitable les richesses? Les richesses ne pourront se conquérir, ne pourront s’obtenir que par la lutte ardue. Les richesses ne pourront s’obtenir qu’en renversant l’ordre, l’ordre du pillage, c’est-à-dire par un combat conséquent, un combat révolutionnaire.
C’est pourquoi nous ne croyons pas, nous n’avons jamais cru, nous ne croirons jamais à un nouvel ordre économique international qui se discute dans les salons et dans les forums. Le nouvel ordre économique international se discute sur des chantiers comme Poura, là où quotidiennement, nous affirmons ce qu’est l’équité, l’équité des peuples.
Certes, nous avons besoin des autres peuples pour nous aider. Certes, nous avons besoin de leur technologie et de leur avance. Certes, nous avons besoin des moyens dont ils disposent et que nous n’avons pas encore. Mais à une condition, à la condition des partages égaux. L’ère des traités inégaux est révolue. Et ce sont des arènes, ce sont des chantiers, ce sont des terrains comme Poura, qui le démontreront et qui le démontreront de manière éclatante. C’est pourquoi nous avons confiance. Nous avons confiance que le monde entier, le monde qui suit avec beaucoup d’intérêt les luttes engagées ça et là pour libérer les peuples, le monde entier saura tirer profit de l’expérience que Poura donnera en partage à tous les peuples, tous les peuples travailleurs du monde.
Camarades, il y a aussi ceux qui s’opposent au peuple, ceux qui se mettent à l’écart du peuple par populisme, par gauchisme. Qu’est-ce que c’est que le gauchisme? Le gauchisme est une flore dangereuse qui pousse sur les mêmes terrains que la révolution, qui est arrosée par la même eau que l’eau de la révolution, qui se nourrit du même engrais que l’engrais de la révolution, mais qui, à la différence de la révolution, ne produit ni grèves nutritives… (applaudissements) ni fourrage utile. Au contraire, cette graine dangereuse sécrète une toxine.
C’est pourquoi il faut être conscient qu’existe le gauchisme. Ainsi donc, ils s’opposent au peuple parce qu’ils ont peur du peuple éclairé. Parce qu’ils ont peur du peuple révolutionnaire, ils monopolisent la science révolutionnaire. Privilégiés par le régime néocolonial qu’ils prétendent combattre, ils ont été à l’école et ont lu dans les bouquins. Ne retenant dans ces bouquins que la phraséologie, que la théorie et surtout la mystification, toutes tares qui permettent d’étouffer un peuple dans la marche radieuse vers ses acquis. Nous disons, attention! Il existe désormais une arme, une arme implacable contre ceux qui font obstruction systématique à la marche radieuse du peuple vers sa victoire. Tous ceux qui se seront montrés ingrats à l’égard du peuple, ils l’apprendront et à leurs dépens. Posez des questions à ceux qui l’ont déjà appris à leurs dépens. Vous en saurez davantage.
Il paraît donc que par gauchisme, c’est-à-dire, en dernière analyse par esprit petit bourgeois, esprit petit bourgeois résolument tourné vers les aspirations bourgeoises, certains éléments font tout pour détourner le peuple de ses luttes réelles. Ainsi donc, ils veulent que l’or de Poura soit partagé entre eux. C’est-à-dire qu’ils sont les alliés de ceux que j’ai dénoncés précédemment, ceux qui sont vautrés dans les piscines. En fait, ils veulent chasser ceux-là des piscines pour eux-mêmes aller barboter dans les piscines. Ce sont les mêmes caïmans de la même mare. Combattez-les. L’iguane est le frère cousin du caïman. Pas de pitié pour l’iguane.
Eh bien, ils estiment cela. Ils estiment que ce n’est pas encore la révolution au Burkina Faso. Évidemment, ça ne peut pas être la révolution pour eux, parce qu’ils ont peur eux-mêmes de la révolution. Ils veulent la révolution qu’eux vont conduire, c’est-à-dire la révolution qui va préserver leurs acquis et qui va permettre qu’eux aspirent et réalisent leurs aspirations bourgeoises. C’est cela qu’ils appellent LA révolution. Mais la révolution qui associe le peuple, un peuple qui est capable de comprendre et de dire qu’en fait, camarade, toi-même qui parles, tu ressembles à ces valets locaux de l’impérialisme. Ils ne veulent pas de cette révolution-là. Ils veulent de la révolution des sectes, la révolution qui se passe en vase clos, là où on terrorise les militants par le langage musclé, par les diktats et les oukases. Ils veulent également la révolution des sectes, là où on martyrise tous ceux qui veulent s’épanouir et s’ouvrir à la lutte des peuples. Ils veulent la révolution des sectes, des gangs, là où on agresse même physiquement ceux qui osent dire « Je ne suis pas d’accord ». Ils ne veulent pas de la révolution où existent la critique et l’autocritique. Ils ne sont pas révolutionnaires. Ce sont des pseudo-révolutionnaires. Ce sont des contre-révolutionnaires. Ils sont des ennemis du peuple parce qu’ils se mettent à l’écart du peuple et de ses droits. Ils se mettent à l’écart du peuple et de ses aspirations. Ils ont peur du peuple.
Mais camarades, il faut se dire que ceux-là utiliseront toutes sortes de méthodes d’intimidation. Ainsi donc, ils complexeront les militants sincères. Ils complexeront les militants de la RDP et leur feront croire qu’ils sont des égarés. Ils leur feront croire qu’ils n’ont pas le langage qu’il faut. Évidemment, quand l’on a passé des années à lire quelques tomes choisis – parce qu’on ne les a jamais tous lus, quelques tomes choisis – et lorsque l’on a retenu quelques bribes que l’on peut réciter en perroquets, eh bien, l’on peut se prévaloir de ce type de révolution. C’est donc dire que ces éléments-là, par gauchisme, qui s’attaquent au peuple, qui s’attaquent aux travailleurs, n’hésiteront pas à employer les méthodes que eux-mêmes condamnent. Se réfugiant derrière la lutte, derrière la défense des libertés démocratiques, ils attaqueront et assassineront la démocratie. Se réfugiant derrière leur engagement, derrière un purisme, un purisme circonstanciel, c’est-à-dire agissant en situationniste, ces éléments-là, ces éléments-là, camarades, n’hésiteront même pas à tendre la main, à prendre langue avec ceux qu’ils ont condamnés hier, avec ceux qu’ils ont combattus hier, parce que, se disaient-ils, ceux-là n’étaient que de vulgaires réformistes, des putschistes, des révisionnistes.
Aujourd’hui, la mano an la mano, ils s’en vont ensemble. Camarades, l’or de Pourra est un ordre révolutionnaire. C’est pourquoi quand on parle d’or de Poura, on ne doit pas se préoccuper seulement de savoir que dira la Bourse de Paris, que dira la Bourse de Wall Street ou de Londres. On doit se préoccuper de savoir qu’est-ce que l’or de Poura apporte de plus à la révolution. Eh bien, l’or de Poura doit briller, doit briller une lumière, d’une lumière éclatante, d’une lumière de clarification.
Oui, c’est vrai, la lumière de la clarification. Parce qu’il faut oser dire que certains éléments, vous les entendrez bientôt aboyer, vous les entendrez bientôt gribouiller sur des papiers, vous les entendrez bientôt, vous les lirez, vous les verrez bientôt parler de liberté démocratique menacée, alors qu’eux-mêmes n’ont jamais voulu donner la parole. Ils ont peur des CDR. Ils tremblent devant les CDR. Les CDR effrayent tous les faux révolutionnaires et bien sûr la réaction. Ils n’oseront jamais venir dans un débat démocratique dans un CDR. Par contre, dans les sectes, un peu comme un vaudou, ils n’hésiteront pas à chanter la messe, la messe macabre et sabbatique d’une contre-révolution en perdition.
Camarades, il y a aussi que ces éléments n’hésiteront pas à aller à la provocation. Eh bien, attention! Le CNR, par mansuétude politique, a permis à toutes les punaises, a permis à tous les cabris dangereux, perturbateurs dans les villages, de déranger les paisibles militants. Mais cette mansuétude a pris fin et depuis belle lurette. C’est pourquoi nous disons qu’à la provocation, nous répondrons par une réplique vigoureuse, implacable. Et ceux qui ne le croient pas, qu’ils essayent, ils verront. Eh oui, parce que nous sommes en terrain politique. Le mensonge sera démasqué et combattu. La calomnie sera démasquée et combattue. L’intoxication et la perturbation seront attaquées au lance-flammes, sans pitié.
Par contre aussi, nous serons prêts à tous les débats. C’est pourquoi nous tiendrons compte des critiques, même lorsqu’elles viennent de sectes, de sectes égarées. Nous tiendrons compte des critiques tant qu’elles peuvent servir le peuple burkinabè. Nous tiendrons compte de ces critiques-là sans nous laisser égarer, sans nous laisser entraîner également dans des faux débats, sans nous laisser également manœuvrer par ceux qui essayeront de mieux nous critiquer pour mieux nous avoir à leur cause. Nous tiendrons compte de tout ce qu’ils diront qui sera vrai. C’est-à-dire que nous saurons faire la part des choses entre le syncrétisme pur et le syncrétisme du crétinisme. Nous ferons la différence. Nous ferons la différence comme vous autres mineurs, vous savez faire la différence entre l’or et l’argent.
Eh bien, contre tous ces dangers qui guettent l’or de Poura, contre tous ceux-là qui rôdent autour de Poura, directeurs réactionnaires, affiliés, alliés, purs produits des partis réactionnaires dissous, ou bien expatriés venus faire du CFA dans les colonies, ou bien encore cadres petits bourgeois, sectaires, gauchistes et putschistes et populistes. Contre tous ceux-là, de quelle arme disposons-nous? Nous disposons de l’arme du peuple, l’arme invincible du peuple, le peuple qui s’exprime à travers les comités de défense de la révolution, les CDR. Le peuple qui fait confiance au CNR, parce que la victoire du peuple, c’est la victoire du CNR et la victoire du CNR, c’est la victoire du peuple. Les CDR à Poura doivent être organisés et mobilisés. C’est des partis de la torpeur. Les CDR doivent se dire que la révolution ne se mesure pas seulement au langage. La révolution ne se mesure pas seulement à la capacité de citer Lénine, de réciter Karl Marx et de montrer comment Engels a été conforme à Karl Marx. La révolution ne se limite pas seulement à montrer comment Trotsky a été combattu par Lénine, même si on n’a rien compris, même si soi-même, on ressemble à Trotsky. Les camarades doivent comprendre que la révolution et la lutte dans les CDR est une marche de courage. Oser entreprendre le dialogue, oser entreprendre le débat, oser lutter contre tous, réactionnaires de droite, réactionnaires de gauche, contre-révolutionnaires de droite, putschistes de gauche ou opportunistes du milieu. Il faut lutter contre tout le monde.
C’est pourquoi, En entendant tout à l’heure le camarade délégué CDR, j’ai éprouvé un sentiment de satisfaction parce que j’ai senti que le CDR de Poura est un CDR qui a besoin – nécessaire a dit un camarade, indispensable, j’ajoute – c’est un CDR qui a besoin de l’appui du peuple, de tous les peuples. Mais c’est un CDR qui a besoin d’une clarification. C’est un CDR qui a besoin d’un dynamisme. C’est un CDR qui a besoin d’aller un peu plus de l’avant. Le CDR de Poura ne doit avoir peur de personne. Le CDR de Poura ne doit avoir peur ni de celui qui dit que les gants et les bottes sont dans le bateau, ni de celui qui écrit qu’il faut lutter contre le régime néocolonial, qu’il faut lutter contre la bourgeoisie, alors que tout le temps, il est fourré dans le bureau du directeur pour demander des avantages, des stages et des indemnités… [Cris et applaudissements]
Camarades, je les connais. Je les connais, je les connais. Quand je parle, je les connais. C’est quoi? [Cris et applaudissements]. (Rires) Le CDR de Poura lutte pour le CDR de Poura et pour le peuple. Parce que le CDR de Poura doit comprendre et a compris du reste que l’ordre de Poura servira à donner du travail aux travailleurs qui sont ici, à leur créer des conditions décentes, à leur permettre un meilleur, un bonheur, mais également que l’or de Poura servira au peuple burkinabè. C’est cet or là qui va nous permettre, non seulement de respecter nos engagements vis-à-vis de tous ceux qui nous ont prêté de l’argent, ont mis leur argent ici, et en tout cas de nous permettre d’être encore plus libres et de dire à ceux-là : Écoutez, cher partenaire, voilà jusqu’où veut aller notre liberté et nous allons nous battre. Vous verrez, ils verront. Eh bien, le CDR de Poura doit savoir aussi que l’or de Poura servira à construire des écoles.
Camarades, les écoles… au peuple!
Les écoles, au peuple!
Les dispensaires, au peuple!
Les centres sociaux, au peuple!
Les écoles, au peuple!
Les lycées, au peuple!
Les collèges, au peuple!
L’université, au peuple!
Eh bien, l’or de Poura servira à tout cela. L’or de Poura servira aux populations, aux militants qui sont à Banfora. L’or de Poura servira à ceux qui sont à Gaoua. L’or de Poura servira à ceux qui sont à Dori. L’or de Poura servira à ceux qui sont à Pô. L’or de Poura servira à ceux qui sont à Kantchari, à Diapaga et puis aussi à nous qui sommes à Ouaga. L’or de Poura servira à tout le monde. L’or de Poura servira à tout le monde. Et Oui, et à ceux qui sont à Poura et à ceux qui ne sont pas à Poura, tant qu’ils sont pour la révolution du Burkina Faso. Même mieux, l’or de Poura n’hésitera pas à aller au secours des autres peuples, tant que cet or peut nous permettre d’avoir la possibilité de parler et de faire avancer la révolution. L’or de Poura sert à tous les peuples. L’or de Poura sert à la liberté et à l’indépendance.
Et puis, en disant cela, je veux vous assurer que le camarade ministre du Travail… Camarade, levez-vous, que l’on vous voit. Le camarade ministre du Travail suivra de très près le travail à Poura, fera en sorte que les travailleurs de Poura puissent s’exprimer, fera en sorte que les travailleurs de Poura puissent discuter de leurs conditions de travail. Tout en tenant compte de l’intérêt de leur peuple, eh bien, les travailleurs de Poura auront droit à la parole. Le directeur qui ne veut pas que le travailleur de Poura soit assis à côté de lui, le directeur qui ne veut pas que le chauffeur, que le planton, que l’ouvrier de Poura, soit dans la même salle que lui, eh bien ce directeur-là, il faut qu’il plie bagage. [Cris et applaudissements]
Où est-ce qu’il faut l’envoyer?
Où est-ce qu’il faut l’envoyer?
Où est-ce qu’il faut l’envoyer?
Où est-ce qu’il faut l’envoyer, camarades, ce directeur?
[cri de la foule…]
Eh bien, camarades, je vous dis une chose. En vérité, en vérité, je vous le dis ici, il y a des directeurs qui vont descendre à la mine avec les bottes comme de simples ouvriers. Le diplôme ne suffit plus.
[Cris et applaudissements].
Parce qu’il y en a qui croient que l’or s’extrait simplement en étant dans les bureaux climatisés. Ils vont aller extraire l’or aussi en bas. Eh bien, l’expatrié qui ne veut pas donner la parole à l’ouvrier analphabète parce qu’il estime que ces gens ne comprennent rien, que ce sont des pauvres nègres de Bougnoules, cet expatrié-là, s’il y a de la place dans le pointer et s’il a le temps, il ira prendre cet avion, s’il a le temps.
Les chacals, à bas!
Les vipères sournoises, à bas!
Les renards, à bas!
Les charognards pourris, à bas!
Les crocodiles galeux, à bas!
Les dindons gonflés, à bas!
Les pintades orgueilleuses, à bas!
Les pintades orgueilleuses, à bas!
Les margouillats affolés, à bas!
Les chacals, à bas!
Les hyènes, à bas!
Les Ali Baba, à bas!
Les Al Capone, à bas!
Les Ali Baba, à bas!
Les Al Capone, à bas!
Victoire, au peuple!
Dignité, au peuple!
Pouvoir, au peuple!
Amitié avec tous les peuples, répétez.
Amitié avec tous les peuples, répétez.
Amitié avec le prolétariat international.
Amitié avec le prolétariat international.
L’or, au peuple
L’or, au peuple!
Les richesses, au peuple!
L’or, au peuple!
Voilà!
La foule crie : La popote au peuple!
Sankara : Mais la popote vous appartient déjà. C’est à vous. [Cris et applaudissements] Qu’est-ce qu’il y a? Mais quand vous dites la popote, vous faites un combat arrière-gardiste. Quand vous dites la popote, vous faites un combat arrière-gardiste.
La foule crie: L’économat! L’économat!
Sankara : L’économat, c’est à vous, c’est au peuple. Qu’est-ce qu’il y a? On dit un chat, c’est un chat. J’ai déjà dit ça, c’est terminé. L’économat, c’est à vous. La popote, c’est à vous. Merci, camarades.
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