En 1994, le cinéaste français Patrick Legall se lance dans le projet de réaliser un film sur Thomas Sankara. Sans doute le premier à se lancer dans un tel projet. Cette idée lui était venue après la lecture de l’ouvrage, Burkina Faso, les années Sankara, de la Révolution à la rectification de Bruno Jaffré, publié dès 1988. Il décide d’emmener ce dernier avec lui au Burkina pour faire des repérages. Tous deux vont rencontrer de nombreux acteurs et personnes ressource de l’histoire contemporaine de la Haute Volta devenu Burkina Faso. Ces interviews sont restées inédites jusqu’ici mais ont permis à Bruno Jaffré d’écrire la première version de Biographie de Thomas Sankara, la Patrie ou la mort, qui sera publiée en octobre 1997, suivie d’une version augmentée en 2007. Le film, lui, n’a jamais vu le jour, faute d’avoir trouvé des financements.
C’est dans ce cadre que l’ancien président, le général Sangoulé Lamizana (1916 – 2005) leur a accordé une longue interview. A cœur ouvert. La retranscription a été réalisée par Bruno Jaffré, et la mise en forme par Karim de la Bola.
Karim de Labola
CONTENU
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Partie 1. Sur ses relations avec Thomas Sankara.
Partie 2. Sur son passage au TPR (Tribunal populaire de la Révolution) et la participation des anciens à la Révolution.
partie 3. Son opinion sur la Révolution.
Partie 4. Sur les tracts, l’influence des idées communistes et la fin tragique du CNR.
“Je vais vous parler de Sankara sur deux points. Le plan personnel et le Chef de la Révolution” Dans cet premier extrait le général Lamizana parle à coeur ouvert et sans langue de bois de ses relations avec le Capitaine Thomas, de sa carrière qui l’a mené d’enfant de troupe à Chef d’État, en passant par l’épisode de jeune officier.
Sangoulé Lamizana : Je vais vous parler sur Sankara sur deux points essentiels. Vous me demandez si je l’ai connu. Bien sur que je l’ai connu avant pendant même qu’il était élève à l’école des enfants de troupes. Il a pris le train en marche mais il est quand même un ancien élève de l’école des enfants de troupe. Puisque quand j’avais pris le pouvoir ici en 66, l’école d’enfants de troupe existait. C’était une sorte de pépinière. Les enfants venaient avec le niveau du CE1 ou du CE2 jusqu’au concours d’entrée en 6 ème. Et ces enfants suivant leur age, ils étaient orientés soit sur des écoles d’enfants de troupe de Saint Louis de Bingerville ou de Kati.
Les plus jeunes allaient à Saint Louis pour aller jusqu’au bac, les moins jeunes allaient à Bingerville pour être des techniciens et les plus âgés allaient à Kati, ils y restaient deux ans et y faisaient de l’enseignement secondaire. J’ai mis fin à cela quand je suis arrivé au pouvoir pour en faire une école comme Saint Louis un lycée militaire pour aller jusqu’au bac.
Nous n’avions que l’école primaire et chaque année nous ouvrions une classe supplémentaire depuis la 6ème jusqu’au bac. Mais je n’avais pas assez d’élèves et j’étais obligé de m’adresser au s lycée pour avoir des jeunes qui voulaient épouser la carrière militaire pour être à l’école d’enfants de troupe.
C’est comme cela que Sankara est venu avec le niveau de seconde. Il était au lycée Ouezzin à Bobo et il est venu ici après le BEPC pour faire la seconde , la première et la terminale. Et il a eu le bac ici pour aller ensuite faire l’académie militaire à Antsirabé.
Donc je l’ai suivi tout jeune. On peut dire que c’est moi qui l’ai formé. Et après sa sortie je l’ai eu ici comme jeune sous lieutenant. C’était un très bon officier, la preuve c’est qu’il a été désigné pour commander la section de commandos de Po, une section que nous avions envoyée à Po, une section dont nous voulions faire une élite. Donc je le connais très bien. Je n’étais plus chef d’état major de l’armée mais Président de la République. Donc je suivais chacun des officiers pas comme civil mais comme militaire, je connaissais tout le monde, tous les officiers étaient mes camarades.
Je vous disais que j’allais parler avec vous de deux points essentiels sur Sankara. D’abord je le connais très bien sur le plan personnel et ensuite sur la révolution.
Sur le plan personnel je vous dirai que Sankara m’a pris comme son propre père. Il avait beaucoup d’estime pour moi, il me respectait très très bien et je le connaissais même avant qu’il ne soit lieutenant, même avant son mariage. Il venait à la maison comme tous les jeunes gens. Je suis leur chef hiérarchique donc il venait comme tout jeune officier, chacun venait chez moi, c’était ouvert. Et puis nous sommes une toute petite armée où l’ensemble des officiers étaient des amis, des frères. J’avais beaucoup d’estime pour lui compte tenu de ses qualités de chef.
Il me respectait comme son propre père parce qu’il y a eu pas mal d’événements après lesquels je ne pouvais que le prendre comme mon propre fils.
Après sur le plan politique, je peux dire que je lui suis très reconnaissant puisque c’est lui qui m’a sorti de prison. J’ai été victime d’un coup d’État, donc j’étais détenu en prison au camp militaire. Et à la faveur d’un autre coup d’état dirigé par Sankara je suis sorti de prison. J’ajouterai même que quand il m’a sorti de prison le 7 novembre 1982, il m’a accompagné même jusque chez moi, jusqu’ici. C’était avant que l’on désigne Jean Baptiste comme président de la république.
Le coup d’état a eu lieu dans la nuit du 6 au 7. Le 7 au matin j’étais au camp. Avant même que je sois libéré il m’a envoyé un sous-officier d’abord , un lieutenant et même Jean-Baptiste pour assurer ma sécurité. J’étais content parce que quand vous êtes en prison et qu’il y a un coup d’État on ne sait pas ce qui peut se passer. On m’a rassuré. Et le soir même j’étais libéré.
On est venu me chercher avec des véhicules , on nous a accompagnés et je me rappelle quelqu’un était devant en voiture, c’était Sankara. Il ne s’est pas fait voir mais je savais très bien que c’était lui. Il a passé devant chez quelqu’un, j’étais là-bas avec plusieurs membres de mon gouvernement. Ça ne s’oublie pas sur le plan personnel.
Dans cette deuxième partie, le général Lamizana évoque son passage en TPR, où il a finalement été acquitté et raconte la participation des anciens à la Révolution : « il y a eu un esprit de justice et j’ai décidé de donner satisfaction de mon côté et d’aider la révolution. »
Sangoulé Lamizana : Deuxièmement j’ai passé au TPR. C’est un dossier que Sankara a trouvé, ça n’a pas été initié par lui. Ceux qui avaient fait le coup d’état du 25 novembre 1980 et qui m’avaient mis en prison avaient préparé un document me concernant comme quoi j’ai détourné des fonds de l’État.
Ce dossier était en instance. Sankara se devait de me présenter devant le TPR. J’ai été acquitté à la grande satisfaction de la majorité des burkinabè. C’est à partir de ce jour là, jusqu’à présent je n’étais pas concerné par la révolution, j’étais prisonnier, après mon jugement j’étais libre j’ai promis d’aider la révolution avec toutes mes forces.
Pour deux raisons. Premièrement j’ai été le responsable de ce pays pendant 15 ans moins 1 mois 8 jours. Le chaos dans ce pays c’était pas bien donc je suis concerné par l’histoire de la Haute Volta et du Burkina Faso par la suite. Donc je me devais d’aider la révolution. C’est pour l’intérêt général je ne voudrais pas me soustraire tout simplement parce que la révolution a été juste à mon égard. Si vraiment il y avait une arrière pensée quelconque, on pouvait me mettre en prison encore. Qu’est ce que je pouvais dire? Et on m’a libéré. Donc il y a eu un esprit de justice et j’ai décidé de donner satisfaction de mon côté et aider la révolution.
Pour deux raisons, d’abord comme ancien responsable de ce pays et deuxièmement ce sont mes enfants. J’ai eu à les former presque tous ou à m’occuper de leur formation avant qu’ils ne soient officiers. Il faut les aider, il faut qu’ils réussissent, pour l’intérêt général, pour le bien de ce pays. J’étais là en attendant qu’on me demande quoi que ce soit.
Effectivement un jour on a eu besoin de moi et on m’a dit qu’on allait mettre sur pied une association dénommée l’UNAB (Union nationale des anciens du Burkina. J’ai été porté à la présidence par mes pères, par tous les anciens c’est à dire par les vieux. Maurice Yaméogo était là, c’est lui que je voulais qu’on mette mais Il a trouvé la raison suivante. Il a dit « je suis à Koudougou, mon collègue Lamizana est à Ouagadougou. Il a été mon chef d’état major puis ensuite mon successeur, je préfère que ce soit lui ».
Et par acclamation on m’a mis Président de l’UNAB. Je m’y suis mis avec toute la force qui m’animait à l’époque pour que ça réussisse et ça a bien réussi. Nous avons réussi à canaliser tous les anciens du pays en constituant de sections et des sous sections partout. Cà avait commencé à rayonner.
Sankara a eu cette excellente idée mais il n’a pas su en profiter. Par ce que l’UNAB était une sorte de figuratif, elle n’avait droit à rien. On était là on participait à toutes les activités, on nous respectait mais on se disait surtout : “Ce sont des vieux, ils ne peuvent pas être révolutionnaires”. Voilà l’idée qui les animait. “Et comme ils ne peuvent pas être révolutionnaires, laissons les. On pouvait quand même les contrôler.”
Nous étions quand même une organisation conséquente, organisée avec des sections et sous-sections. On ne nous demandait pas beaucoup de conseils. Il a eu le temps puisque je lui ai fait un projet de statut qui n’a jamais vu le jour. Nous n’avions aucun acte de reconnaissance comme association mais nous avons mis en oeuvre ses statuts. ”
Il a eu le temps puisque ça date de 85 que nous avons mis en place l’union nationale des anciens combattants, pardon l’union nationale des anciens du Burkina”.
En 86, nous avons eu un congrès qu’il a présidé, en 87, il a présidé un autre congrès, les statuts sont restés lettre morte. Mais ça ne nous a pas empêchés de travailler avec toute la foi qui nous animait pour qu’il réussisse.
Le problème politique ne nous intéressait pas. Nous étions des papas, pourvu que nos enfants réussissent. Tout ce qu’ils veulent entreprendre, nous sommes là pour les épauler. Voilà mon rôle essentiel.
Nous avons aidé. La révolution a fait quand même des réalisations. La révolution a créé beaucoup de chantiers, créé beaucoup d’activités, nous y participions en tant que la masse. La voie ferrée, lorsqu’on a commencé à poser les rails, le chemin de fer du Burkina a été fait par tous les régimes. Puisque c’est moi qui ai fait les études quand j’étais président. C’est moi qui ai fait la piste, les fonds, mais je n’avais pas les moyens. Quand Sankara est arrivé il a réactivé ça, il a fait mettre ça par les bras des burkinabè. Tout le monde y a participé. Il n’y avait pas de Sankara ni Lamizana, tout le monde était sur le terrain.
Quand il y avait des conférences, des réceptions, on était là. Peut-être on marche mais on était là. Et on faisait attention à nous. Je disais bien on était respecté. Nous n’avons subi quoi que ce soit qui soit un tort. Vous savez ce sont des jeunes, ils sont parfois maladroits. Blesser l’amour propre des vieux… Les vieux font très attention. Mais il se disent ce sont des enfants. Vous savez le pays mossi respecte son chef. Tant qu’il n’est pas chef ce n’est rien. Mais à partir du moment où on désigne quelqu’un comme chef, même si c’est le plus nul du monde il est respecté en tant que tel. Ils étaient respectés et nous réciproquement.
Nous avons participé à tout. Même pour l’animation, pour le sport. Les anciens ont fait des courses cyclistes ici. Moi j’ai réuni les anciens ici, plus d’une centaine et ils sont partis comme au tour de France pour faire 4 ou 5 kilomètres. Quand même il ne faut pas exagérer. Le premier était récompensé, avec un tee shirt, y compris les femmes. Nous avons animé cette révolution avec toue la foi qui nous animait.
Nous faisions des motions pour nous. Nous étions une corporation pas un syndicat mais nous voulions être là. Nous avons fait des motions qui puissent dire « mais occupez vous de nous ». Et puis des motions pour la réussite sur le plan général. Il n’y a aucun congrès qui se soit passé ici au niveau de la révolution que l’on soit invité, où nous n’avions une motion.
Le Général Lamizana fait le bilan de la Révolution : « Les erreurs étaient nombreuses. C’était les CDR »
Bruno Jaffré : Vous n’avez pas abandonné votre appartenance au RDA (Rassemblement démocratique africain).
Sangoulé Lamizana : Vous savez au temps de la révolution le RDA était dissous. Il n’existait plus. Les partis étaient dissous. C’est après que se sont créés les partis. IL y avait l’UDPP avec le cheval comme emblème mais ce n’était pas le RDA. Ce n’est qu’après avant les élections de 90 que le RDA s’est reconstitué. On ne m’a pas consulté.
BJ : Pendant la révolution on les a beaucoup attaqués les anciens partis.
SL : Moi ce n’était pas mon problème. Sous la révolution, les anciens étaient là mais n’avaient aucune fonction politique. C’est après bien sur, sous la rectification qu’on a intégré que les anciens ont eu un statut. Je disais que cela ne nous a pas découragés. Nous avons servi la révolution honnêtement en tant que père et puis moi qui était leur chef. Malheureusement on ne nous a pas demandé beaucoup nos avis. Je vous disais que la révolution se disait ces gens là sont des vieux. On ne peut pas changer leurs idées. On ne peut pas devenir révolutionnaire du jour au lendemain. Donc mettons les de côté. Avec tout le respect qu’on leur doit, mettons les de côté ce sont nos papas.
BJ : Quel bilan faites vous de la révolution? Il y avait des erreurs.
SL : Les erreurs étaient nombreuses. C’était les CDR. Ils n’étaient pas contrôlés, c’est ça qui a tué la révolution. Je dis bien ce n’était pas une mauvaise chose puisque la révolution ne pouvait pas se faire sans Comité de Défense de la Révolution. Il y en a qui avaient les kalachnikov et qui faisaient ce qu’ils voulaient. Ils étaient pires que le roi-nègre, excusez moi de l’expression, je suis nègre moi-même, mais qui étaient pires. Mais ça a diminué énormément la réputation de la révolution surtout dans les masses populaires de la campagne. Puisque les gens se sont transformés en petit chef. Le chef traditionnel n’existait plus or il est gardien de la tradition, il n’aime pas qu’on le bouscule. Vous savez la Révolution, il y avait combien de révolutionnaires sur 8 millions d’habitants, peut-être 500. Tous les autres étaient des analphabètes. Ils suivaient quelqu’un. Sankara était un garçon dynamique, on le suit. Il a dit de faire ça, c’est notre chef on le suit. Mais l’idéal en tant que révolutionnaires, ils n’en savaient rien.
BJ : Ils ont pris conscience quand même.
SL : Ils ont pris conscience. S’agissant des infrastructures entre villages, les gens y participaient volontiers. C’était normal que la route entre tel ou tel village soit emménagée pour les populations pour le bien-être des populations parce qu’il y a des marchés, c’est bon d’avoir une piste carrossable. Les gens aménageaient. C’est ce qu’ion appelle les travaux d’intérêt commun. Ca ça a été bien assimilé. On demandait aux populations de faire ceci, c’était avec joie, avec tambours à la fois. Et ils étaient contents d’avoir fait quelque chose pour leurs villages. Tout ça c’était on ne peut pas nier. Par contre à côté de cela il y a eu des erreurs au niveau de l’administration, au niveau des licenciements abusifs. Des gens sont partis en pleurant et ont fait pleuré plusieurs familles. On ne peut pas leur demander de vous aimer. C’est ça qui a tué si vous voulez la révolution ? C’est une erreur très grave.
BJ : On dit aussi qu’il y avait un côté personnel à la direction de l’État.
SL : Ça je ne peux pas vous le dire. Je suis observateur je ne peux que suivre les conseils des ministres, les licenciements… Pour le reste. On entreprend, Sankara osait. Ça peut-il réussir? On n’en sait rien. Moi-même j’ai osé prendre certaines décisions qui ont réussi, qui n’ont pas réussi. Donc je ne pouvais pas lui jeter la pierre. Sur le plan politique sincèrement je ne m’en occupais pas. Ce qui m’intéressait ce sont les activités à l’intérieur du village, du canton de la ville. J’étais avec mes anciens sans pénétrer au fond du CNR puisque je ne savais même pas qui était CNR. A part Sankara lui-même et ses 3 compagnons, moi je n’en savais rien. je ne connaissais pas les autres, je ne peux pas vous dire quoi que ce soit.
Le général Sangoulé Lamizana (1927-2005) parle des tracts et des influences communistes des élèves du PMK et de la fin tragique du CNR « J’ai eu des tracts, vous savez tout chef d’État en reçoit. »
BJ : Avant qu’ils prennent le pouvoir qu’ils distribuaient des tracts, vous étiez au courant. Vous saviez que c’était eux. Vous avez pris des mesures pour les empêcher.
SL : C’était entre eux. Je savais parfaitement que c’était entre eux mais comme on dit toujours la révolution bouffe ses enfants mais si vous n’êtes pas d’accord. Je ne sais pas. Je ne pouvais pas affirmer qui faisait ces tracts qui faisait quoi. Mais j’ai vu j’ai entendu quelques rares tracts parce que je ne savais pas. Moi, mon âge ne me permet pas d’abord de sortir pour me balader dans les bars ou partout. Ce n’est plus mon rang social et mon âge.
BJ et Patrick Legall : Il ne s’agit pas de tracts de 87 mais de ceux qui ont précédé la révolution.
SL : Oh je savais parfaitement mais j’ignorais les activités de mes jeunes officiers. Mais je l’ai su après c’est à dire avant le coup d’État de 80. J’ai eu des tracts, vous savez tout chef d’État en reçoit. Mais à l’intérieur de l’armée c’était rare. Ces tracts étaient diffusés sous d’autres formes mais par des militaires beaucoup non. Il y a eu quelques rares tracts émanant de la gendarmerie entre eux mais des tracts émanant de l’armée adressés à leur chef puisque j’étais général, c’était quand même rare. Je ne vois pas très bien. C’est possible parce que il y avait tellement de tracts à l’époque des syndicats des partis politiques, il y en avait tellement. Et puis il y a les fiches de renseignements des services de sécurité. Je connaissais la mentalité de certains. Et je pouvais soupçonner. Parce que ces jeunes militaires qui menaient certaines activités à l’époque. Je peux dire qu’ils ne les menaient pas contre ma personne mais contre une situation. La situation on l’a vu puisqu’il y a eu la Révolution. D’ailleurs ils n’étaient pas prêts. Ils menaient leur activité mais ils n’étaient pas prêts.Sincèrement. Sous Lamizana les révolutionnaires n’étaient pas prêts. C’est après.
BJ : Quand vous avez pris le pouvoir vous aviez toute l’armée derrière vous. Après se sont formés des clans.
SL : Avant 15 ans, avant cela, il y a eu des élections. N’oubliez pas qu’en 70 déjà, j’ai fait des élections ici, il y avait des députés. Après 78 il y en eu un deuxième. Moi-même j’ai été mis en ballottage. Pour la première fois en Afrique, je suis le premier Chef d’État à être mis en ballottage. C’est pour vous dire que ça a été fait dans la clarté. Je voulais que ça soit clair. Et puis le monde évoluait. Quand je prenais le pouvoir en 66, il n’y avait pas d’intellectuel. Dans tout le Burkina Faso j’avais en tout 6 ou 7 professeurs pour les lycées. Le reste c’était de l’assistance technique française. Ensuite les jeunes sont venus et tout le monde sait que les jeunes là c’était quoi. C’était les étudiants avec les idées qu’ils ont ramenées. Ils ont ramené et ils ont mis en application d’ailleurs. Les militaires étaient sous la coupe des civils. Il avait des partis d’opposition, jusqu’à présent allez me dire qu’est ce que c’est que le PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque) au Burkina Faso. Je ne connais pas le chef. Adama Touré était PAI (Parti africain de l’indépendance). Il était clandestin mais on le connaissait. Il n’a jamais caché leur machin puisque sous moi, moi j’étais… On peut dire que j’étais le démocrate après le Sénégal, c’était le Burkina Faso sous le plan de la démocratie. Puisque nous n’avons jamais incarcéré Adama Touré. On a commencé à les incarcérer sous le CMRPN (Comité militaire de Redressement pour le Progrès National) . Mais pas moi. Moi je tolérais, je savais qu’il y avait le PCRV, le PAI était ouvert sous le machin de la LIPAD (Ligue Patriotique pour le développement). Ils étaient là, nous les connaissions, nous connaissions les cadres, mais ils n’étaient pas reconnus légalement et ne pouvaient donc pas participer aux activités du gouvernement.
BJ : C’est tout de même étonnant de savoir qu’un professeur comme cela enseigne à des militaires.
SL : Ah non, l’école militaire préparatoire était un établissement civil enfin avec un régime militaire, mais il n’y avait pas de professeurs militaires. Les professeurs étaient civils. Par exemple, dans les prytanées militaires en France, les professeurs sont civils.
BJ : Oui, mais il n’y a pas de professeurs communistes en France (NDLR : dans les écoles militaires) hors ici vous avez laissé passer tous vos jeunes officiers dans les mains d’un professeur de philosophie communiste. Ça nous étonne.
SL : C’était exact, nous l’avions su après. Il ne nous l’a pas dit. Il ne nous a pas dit que la nuit il pouvait nuitamment réveiller ses enfants là et les éduquer. On le faisait, je l’ai su après, puisque les uns et les autres l’ont avoué.
PL : En quoi vous reconnaissiez en Sankara ce que vous lui avez apporté. Quels sont les qualités que vous lui avez apportées.
SL : Il était sous mes ordres quand même. J’étais son chef, d’abord en tant que Chef d’État Major de l’armée. Tous les officiers étaient sous mes ordres. Je pouvais les accepter individuellement. Je pouvais les recevoir. Au niveau des qualités c’est quotidien ça. Le respect. Vous savez en Afrique ce n’est pas comme en France. En Afrique, un jeune officier se fait un plaisir le jour de la fête de venir saluer individuellement son chef, avec sa famille. On le reçoit. Le jour de la fête de la Tabaski par exemple, le jour de la fête de Noël, indépendamment des cérémonies publiques, il y a les relations individuelles. Je peux dire qu’il venait chez moi.
PL : Est-ce que vous avez regretté comment s’est terminé la Révolution.
SL : On ne peut que regretter. Surtout deux amis. Quand ils se battent, quand il y a eu offense entre eux, qu’est ce que vous pouvez faire. Entre vous et madame, est ce que je peux m’introduire la dedans. Je ne pouvais pas puisque je ne savais pas. Cette fin tragique a surpris tout le monde. Sincèrement sur le plan politique au niveau du CNR j’étais nul. Moi ce qui m’intéressait c’était de faire la prière. Je suis vieux. Ma prière est que dans ce pays il y ait la paix et qu’il y ait cet esprit pacifique qui nous anime. Qu’il y ait la paix et qu’on travaille. Moi malgré mon âge, j’ai 77 ans, je travaille. Je suis en train d’écrire mes mémoires. J’espère que vous les lirez. Je ne parlerai pas de la Révolution mais de mon régime. D’abord de ma vie et mon régime. Vous pouvez comparer par la suite. Moi je pendant la Révolution vous ne pouvez pas me demander d’être politicien. Dans tous les pays du monde… Par exemple De Gaulle savait-il tout ceux qui lui en voulaient. Pendant la guerre d’Algérie par exemple, moi j’étais capitaine à l’époque. J’ai commandé une compagnie en Kabylie, dans la coloniale. J’ai fait deux séjours consécutifs en Indochine et deux séjours en Algérie. Durant mon deuxième séjour j’étais capitaine, commandant une compagnie et un sous quartier opérationnel. Quand l’OAS est arrivé, que De Gaulle a eu toutes ses difficultés, j’étais là, j’étais acteur. Pouvait-il savoir tout, les tracts qu’on lui envoyait. Toux ceux qui pouvaient aller se poster jusqu’au Petit Clamart. Si Foccart savait tout, il n’y aurait pas eu de Petit Clamart. Les gens étaient de mauvais tireur. De Gaulle leur a dit.
Moi je suis parti du certificat d’étude à l’école primaire supérieure à l’époque. Vous savez on allait pas loin. On ne parlait pas du bac. On allait jusqu’au niveau du brevet. On s’arrêtait là. On n’avait pas la possibilité d’aller plus loin. Il n’y avait pas de lycée.
A l’indépendance j’étais encore en Algérie. En 61, j’étais encore en Algérie dans le Djebel en Kabylie. Je suis arrivé en 61 et immédiatement j’ai été détaché d’abord comme officier français d’assistance technique jusqu’en novembre 61. A partir du 1er Novembre j’ai été versé dans l’armée voltaïque, armée qui a été mise sur pied par moi-même. Je suis le père de l’armée voltaïque ou de l’armée burkinabé actuelle. Nous sommes au moins 4 ou 5 généraux à la retraite. Et il n’y en a pas en activité.
Propos recueillis par Bruno Jaffré et Patrick Legall