Par Merneptah Noufou Zougmoré

Le compagnonnage entre l’aile Droite et l’aile gauche du Conseil de salut du peuple (CSP) n’a duré que quelques mois. Le sommet du clivage avait eu lieu le 14 mai 1983 au meeting de Bobo-Dioulasso. Cette crise qui a rythmé l’actualité nationale pendant près de deux mois va aboutir à l’avènement de la Révolution, le 4 août 1983.

(NDLR : le discours du 14 mai 1983 à Bobo est disponible à https://www.thomassankara.net/discours-de-thomas-sankara-en-direction-de-le-jeunesse-14-mai-1983-a-bobo-dioulasso/)

Le 26 mars 1983, le Conseil de salut du peuple (CSP) avait tenu un meeting à l’actuelle Place de la Nation qui s’appelait pendant la période Place d’arme. Au cours de la rencontre entre les nouvelles autorités et une frange de la population, il y a eu un incident qui a provoqué des bousculades mais très vite tout est rentré dans l’ordre. A ce rendez-vous, on avait déjà remarqué deux styles différents entre le président du CSP, Le Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo et son premier ministre, le capitaine Thomas Sankara. Le premier responsable du régime qui avait renversé les colonels du 25 novembre 1980 était modéré dans le ton. Il avait en plus un accent de séminariste.

Son premier ministre, Thomas Sankara s’exprimait de façon martiale avec un vocabulaire de gauche. Pour certains observateurs, cela déjà marquait une ligne de rupture entre ces deux dirigeants de la junte. Les lignes vont se distendre au meeting de 14 mai 1983 à Bobo-Dioulasso soit un mois après celui du 26 mars à Ouagadougou. Lors du discours du premier ministre Sankara, il ne s’est pas encombré des propos convenus quant au clivage qui existe au sein de l’instance dirigeante. Il a dans une tirade avouée que : « J’ai essayé, au CSP nous avons essayé de ménager l’ennemi, de le combattre de manière détournée ; ce n’est pas possible, il faut le combattre directement : un chat est un chat ». Après son passage, pendant que le président Jean Baptiste Ouédraogo discourait, la place qui accueillait le meeting s’est vidé. Certains avaient indiqué que c’est parce que on était au mois de Ramadan mais pour l’avis des gens proches du président Ouédraogo, la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD) qui était une organisation de masse du parti Africain de l’indépendance (PAI) était à la base du sabotage du speech du président du CSP.

Elle a travaillé au départ de la foule après le discours du capitaine Sankara. L’aile dite de Droite du CSP se sentant visée va prendre le devant après le rendez-vous de Bobo-Dioulasso. Le 17 mai 1983 au petit matin, le domicile de Thomas Sankara situé dans le quartier Bilbalogho dans l’ancien secteur 2 était cerné par les chars. Non loin de sa résidence, se trouvait la villa du commandant Jean Baptiste Lingani alors secrétaire permanent du CSP. Elle était également bouclée par les militaires du groupement Blindé dirigé par le capitaine Jean Claude Kambouelé. Chez le président Ouédraogo, les militaires ont également pris position mais il ne sera pas inquiété.

Sankara et Lingani sont alpagués. Le premier est envoyé à Ouahigouya, le second à Dori. Dans la matinée vers 8 heures, le camp Guillaume Ouédraogo était encerclé. Le détachement du Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô qui s’occupait de la sécurité des autorités était opposé à l’arrestation de Sankara et Lingani. Le capitaine Henri Zongo qui était à la tête de la fronde avait à ses côtés, le sous-lieutenant Gilbert Diendéré qui deviendra sous le règne du président Blaise Compaoré, général de Brigade. Ils seront rejoints par le lieutenant Boukary Kaboré qu’on va appeler sous la Révolution le Lion de Boulkiémdé. Les 3 officiers vont tenir tête aux autres militaires jusqu’aux environs de 20 heures.

A l’issue d’une médiation, ils accepteront abandonner leurs positions. Blaise Compaoré qui était resté à Bobo-Dioulasso pour ses affaires domestiques va échapper à la vague d’arrestations. Il parvient par la dextérité de son chauffeur, le sergent-chef Hamidou Maïga à regagner ses commandos à Pô. C’est ainsi qu’il organisera la résistance. Pendant ce temps, la LIPAD l’appendice du PAI et ce qui restait de l’Union des luttes communistes (ULC) lançait leurs troupes à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso pour les manifestations de rue, le 21, 22 et 23 mai 1983. Certains militants auront tentés de s’enrôler à Pô chez Blaise Compaoré.

L’actualité va être rythmée pendant près de deux mois par ce clivage né du malentendu entre les deux ailes du CSP, jusqu’au triomphe de la Révolution le 4 août 1983. Selon Edouard Ouédraogo dans son livre : “Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso“, deux chances s’étaient offertes aux révolutionnaires. « La première, c’était le charisme de Thomas Sankara, l’enthousiasme messianique qu’il avait répandu dans les milieux scolaires et du lumpenprolétariat des villes. Moins que l’idéologie marxiste qui s’avançait encore masquée, c’était le personnage qui fascinait jusqu’à l’idolâtrie. La seconde chance était militaire, à savoir « l’hégire » d’un certain Blaise Compaoré vers ce qui deviendra le Médine de la Révolution. »

Merneptah Noufou Zougmoré

Source : https://kaceto.net/spip.php?article14852