Encore aujourd’hui, nous recevons ou retrouvons nous-même de nouvelles interviews de Thomas Sankara. Pour dire que la recherche autour de Thomas Sankara et de sa pensée, est loin d’être achevée. Cette interview tranche quelque peu par rapport aux autres.

Elle a été réalisée à l’époque par une étudiante de Sciences Po et non par un(e) journaliste, ce qui en fait un peu son originalité. Thomas Sankara s’exprime un peu différemment, plus pédagogique, avec le souci de développer en profondeur ses idées et de bien faire comprendre quel est le sens de la Révolution, les forces en présence, les difficultés.

Il sait sans doute qu’elle ne sera pas publiée dans la presse. mais par une étudiante dans le cadre de la préparation d’un mémoire de maitrise. Il s’agit d’Isabelle Bardem qui a ensuite fait sa carrière à l’UNICEF. Nous sommes partis à sa recherche et espérons la retrouver pour mieux comprendre le contexte de cette interview.

Ce qui nous semble ici essentiel c’est la grande clairvoyance de Thomas Sankara par rapport a l’étape dans lequel se trouve la Révolution. Il répond sans détour avec un vocabulaire simple, développant ses arguments avec clarté, passant du pragmatisme à la théorie, tout en affirmant clairement ses positions. Il en est ainsi à propos de son rapport au marxisme léninisme, de l’éventualité de la création d’un parti politique, de la difficulté à intégrer la paysanneries aux forces révolutionnaires, de la liberté de la presse, du rôle des syndicats et des CDR, de l’absence de classe ouvrière (question importante qu’il renvoie avec humour aux étudiants de Science Po, reconnaissant implicitement une difficulté objective majeure de la Révolution), des rapports entre le conseil des ministres et du CNR (Conseil national de la Révolution), du besoin de diversité des sensibilités parmi les révolutionnaires, de la nécessité de limiter l’expression de l’opposition alors que la Révolution subit de nombreuses attaques, du remboursement de la dette, etc…

Bref il aborde ici de nombreuses questions qui interpellent tous ceux qui s’intéressent à la Révolution burkinabè ou aux autres révolutions dans le monde, chercheurs ou militants.

On notera particulièrement le passage vers la fin où il raconte les pressions des États-Unis. Et ce qu’il dit de la politique française, et la façon dont il le dit, constitue un passage majeure de l’interview. Alors que le Burkina a engagé une lutte acharnée contre le corruption, les détournements de fond et la mauvaise gestions, il s’étonne que la France ne lui accorde pas plus d’aide alors qu’elle continue à suventionner les autres pays africains de la région où ces dérives sont légions. Et il conclut alors avec pertinence au manque de sincérité des dirigeants français qui pourtant affirment être soucieux de bonne gouvernance.

La fin de l’interview est consacrée à des questions majeures pour Thomas Sankara de la politique internationale, la nécessaire indépendance de Kanaky, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et pour la reconnaissance de la RASD ( République arabe sahraouie démocratique).

Cette interview nous a été fournie par François Thibaut, doctorant. Il l’a trouvé sous forme de photos de pages dactylographiées, aux archives nationales du Burkina Faso à Ouagadougou. La retranscription a été réalisée par Ilass Ouedraogo, membre de l’équipe du site thomassankara.net. Nous les remercions chaleureusement.

Bruno Jaffré


Q : A l’aube de l’an III de la RDP (Révolution démocratique populaire) quel bilan pouvez-vous tirer de ces deux années d’expérience révolutionnaire ? Quels sont les domaines où, par rapport à ce que vous projetiez vous êtes satisfaits et ceux dans lesquels les résultats escomptés n’ont pas été obtenus ?

R : C’est une question qui est particulièrement difficile pour chaque fois que l’on nous demande de faire un bilan. Nous sommes tellement dans le feu de l’action, nous avons tellement de projets et un bonheur si grand à réaliser, l’on ne sait jamais à quelle étape nous nous trouvons exactement et nous ne sommes jamais en mesure de dire de façon précise, de façon nette quels sont les aspects positifs de ce que nous avons fait et quels sont les échecs ; encore que, bien souvent les échecs apparaissent bien évidents. C’est une somme de déceptions que nous accumulons mais, elles-mêmes devraient être le moteur pour mieux construire.

Toutefois, je puis vous dire que d’août 83 à nos jours nous avons réalisé beaucoup de dispensaires, des routes, nous avons refait des ponts. Nous avons construit des maternités, des barrages, des stades…Dans certains domaines nous avons fait plus que ce que les gouvernements successifs avaient fait pendant les vingt-trois années de néo colonisation.

Nous avons donc, sur le plan concret, sur le plan matériel, posé des actes, certains étant tout petits mais ayant une grande importance politique, certains étant de grands chantiers tels l’aménagement du Sourou, le bataille du rail, les champs collectifs, la vaccination commando…

Mais le plus important à mes yeux est la conscience que nous avons donnée à un peuple qu’il peut s’assumer, la conscience que nous avons donnée à un peuple qu’il peut d’abord faire en son sein une opération de justice pour fixer ses aspirations, ses objectifs, mobiliser les ressources à son niveau pour les atteindre et aussi ce que nous sommes en train de faire : convaincre un peuple tout entier qu’il peut lui-même mettre des limites à certaines  ambitions qui seraient autrement des caprices ou des illusions.

Mais nous avons beaucoup d’échecs, nous avons raté beaucoup de virages parce que parfois nous avons voulu aller vite, très vite, ce qui est du reste normal quand on sait aussi le retard que nous avons accumulé, quand on sait aussi la nécessité de démontrer.

Les exemples sont légion et je ne voudrais pas les citer car en  les citant on ressasse aussi  les points sombres qui peuvent finir par s’incruster en soi et annihiler toute la volonté de continuer. Mais que des erreurs… Nous nous sommes illustrés dans les erreurs et les échecs.

Q : Partagez-vous l’opinion de Saint-Just lorsqu’il prônait ‘’Pas de liberté pour les ennemis de la liberté’’ ? Si oui, pouvez-vous nous donner des exemples de l’application de ce principe sous le RDP ?

R : Saint-Just est quelqu’un que nous aurions aimé voir à nos côtés aujourd’hui avec nous car il a dit beaucoup de choses justes. Il fallait être lui pour le dire en son temps.
Les ennemis de la liberté ne passeront pas et dans notre déclaration nous l’avons dit. En effet, nous avons aujourd’hui des manifestations concrètes qui nous permettent de donner un coup de barre à cette liberté, à cette revendication intempestive, je donne quelques exemples qui me paraissent tout à fait compréhensible à notre niveau mais qui ailleurs, peuvent être des contre-vérités inacceptables parce que nous ne vivons pas la même oppression.

Lorsque nous déclarons qu’il faut fermer les boites de nuit, nous avons des personnes ici à Ouaga et à l’étranger surtout qui s’érigent et s’indignent devant ces mesures qui n’ont de sens que leur caractère folklorique excentrique et peut être même platement imitateur d’une morale à la Kadhafi etc…Et on nous a dit que c’est une question de liberté. Nous ne comprenons la liberté de cette façon-là sinon que ce n’est pas parce qu’on a de l’argent, ce n’est pas parce qu’on a un pouvoir économique que l’on est en droit de créer dans la société des pôles de dépravation.

La boite de nuit, telle que nous l’avons connue ici, importée d’ailleurs, et bien c’est seulement ce lieu ou quelque personnes se retrouvent avec une lumière ou un éclairage approprié ou une obscurité calculée, des prix d’entrée eux aussi calculés de façon à ce qu’une discrimination se fasse aussi à la porte… Donc une sélection de départ qui amène une petite minorité, une poignée d’individus à s’y trouver avec la complicité et la protection mutuelle vis-à-vis d’une morale, qu’au grand jour, eux-mêmes feignent de défendre. Nous avons donc fermé les boites de nuit pour cette raison. Nous avons aussi fermé les boites de nuit en disant que, malheureusement, beaucoup d’entre nous ne savent pas ce que les boites de nuit représentent comme démoralisation et pensent qu’elles constituent des lieux où l’on se réjouit effectivement. Non, ce n’est donc pas ça la liberté. Ce n’est pas de cette liberté là qu’il s’agit. La liberté des bourgeois nous l’attaquons. Une forme de liberté que nous constatons, liberté entre guillemets que nous combattons et pour lequel nous faisons l’objet d’attaques injustifiées.

Dans un pays comme le nôtre où ceux qui font la pluie et le beau temps, ceux qui décident, qui influencent le cours des choses sont ceux qui ont été à l’école, et parce que ayant été à l’école, à l’école du française français étant la langue du pouvoir, du savoir et de l’avoir… Et bien dans un pays comme celui-là, nous ne concevons pas, comme liberté de presse à préserver, le fait que des radios étrangères, dix fois plus puissantes que notre petite station ici, des journaux étrangers vingt fois plus grands du point de vue de leur inondation fétide dans le monde… Nous ne comprenons pas, nous ne pouvons pas accepter, que des organes intoxiquent notre peuple, que ce soit à eux de dire à notre peuple si ce que le CNR a décidé de faire est bon ou non.

Malheureusement, c’est ce qui se passe. Ttout le monde ici écoute des radios étrangères et pour ne pas donner l’impression que je fais de la concurrence déloyale je ne les citerai pas mais c’est ce qui se passe. Donc nous ne considérons pas cela comme la liberté de presse.

La liberté d’intoxiquer notre peuple ne doit pas passer. Donc la liberté de combattre la liberté de notre peuple ne doit pas passer.

Q : Et jusqu’à quel point tolérez-vous la critique voire l’opposition ? Dans quelle mesure… ?

R : Dans la mesure où la critique et l’opposition peuvent être fécondes nous les tolérons, nous les suscitons même. Nous en avons profondément besoin pour mieux faire. Malheureusement ceux qui voudraient nous critiquer ne savent pas quelles sont les limites de cette critique. Nous voulons que leurs critiques soient constructives, qu’elles nous permettent de remettre en cause ce que nous sommes en train de faire, de remettre en cause l’ancienne société.

…Comme par hasard je vous donne ça. C’est un ensemble de critiques que j’ai demandés. Voici ici le chef de cabinet militaire fait sa critique de l’année : « Suite à votre note de service citée en référence…Dans mon exposé je consacrerai ma première partie à vous faire le bilan de mon travail… » Bon, on trouve que je n’organise pas du tout, que je bouscule trop les gens que… C’est plein d’exemples comme ça.

Nous suscitons les critiques certes, mais il est bien entendu que celui qui n’aime pas la révolution, que celui qui, dans les anciens régimes, avait des privilèges ne peut pas estimer que sa critique s’arrête simplement à l’amélioration du système actuel mais sa critique va à la destruction du système actuel. Alors là, nous trouvons que c’est une opposition fondamentale et irréconciliable et nous ne pouvons l’accepter. Parce que nous savons que, quand eux avaient le pouvoir, ils ne nous permettaient pas de dire que ce qu’ils faisaient été mauvais.

Q : Et pour vous qu’est-ce que la démocratie ?

R : La démocratie, c’est seulement lorsque le peuple a la possibilité de dresser des garde-fous contre toute forme de pouvoir exercé par un homme ou un groupe d’hommes. Quand le peuple peut le faire, alors là il y a la démocratie.

Q : Dans les cours de formation idéologique toutes les analyses se font à partir de la théorie marxiste-Léministe. Pensez-vous que l’on puisse entièrement l’appliquer au Burkina ou bien appuyez-vous seulement sur certains points et dans ce cas lesquels ?

R : La théorie est une chose, la pratique en est une autre…mais la vérité scientifique est universelle. Et nous retenons du Marxisme-Léninisme ses principes scientifiques qui s’appliquent ici et ailleurs. Mais nous ne voulons pas copier des modèles en ce sens que nous estimons que chaque pays à ses spécificités et doit résoudre ses contradictions scientifiquement descriptibles selon les particularités de luttes qui existent sur son sol.

Ainsi donc, nous sommes particulièrement amusés, lorsque l’on nous demande si nous voulons imiter le modèle cubain, soviétique, coréen, algérien, libyen…Nous disons que non. Il n’y a pas de catalogue dans lequel il faille choisir une révolution et s’il le fallait la révolution Burkinabè serait un modèle de plus. Pourquoi ne serions-nous pas ceux qui donneraient, ceux que d’autres imiteraient ? Pourquoi veut-on que nous, nous imitions d’autres… Est-ce parce que chronologiquement nous sommes venus après eux ? Est-ce que, et cela signifieraient à tort que les modèles de Révolution se sont arrêtés à partir de telle date ? Qu’on nous le dise et que l’on qualifie d’imitateur tous ceux qui viendront après.

Q : Toujours selon le marxisme-Léninisme il est indispensable de créer un parti prolétarien d’avant-garde pour diriger la révolution. Pensez-vous que pour le Burkina cela soit une nécessité à court, moyen ou long terme ? Si oui, la création d’un parti unique n’édulcorerait-elle pas la fonction d’organisation authentique du peuple que constituent les comités de défense de la révolution ?

R : Nous ne voulons pas décrier la création d’un parti. Cela ne serait pas juste du point de vue marxiste, d’un point de vue révolutionnaire. Ce serait plutôt une conception intellectualiste…Nous voulons que le parti, s’il doit venir, et bien ça sera la volonté du peuple. On le sentira. Si le peuple n’en a pas besoin, il n’y a pas de lui raison d’imposer un parti. Car on ne construit pas une révolution comme on remplirait une fiche aux PTT, biffer les mentions inutiles, cocher les cases indiquées, pour avoir un organigramme qui respecte le droit canon.

Q : A propos des comités de défense de la révolution vous avez, le 4 août dernier, dénoncé la façon souvent incorrecte dont s’exerce ce pouvoir populaire. Il me semble, qu’en ce qui concerne les CDR géographiques, le problème est moindre et qu’il sera relativement facile de démasquer les abus, les opportunistes et les dénoncer afin que cette structure joue pleinement le rôle démocratique pour laquelle elle a été créée. Mais là où l’exercice du pouvoir populaire me parait sérieusement compromis se situe au niveau des CDR de service. En effet, au regard du fait qu’environ 90% des employés en font partie et que certains ont reçu des pressions pour les contraindre à y participer, les CDR de service ne constituent-ils pas un vaste fourre-tout qui aurait perdu tout son intérêt initial et agirait même dans le sens contraire ?

R : Oui, c’est vrai qu’avec les CDR de service, nous avons beaucoup de difficultés. Car c’est là-bas que se trouvent les personnes qui ont beaucoup perdu avec la révolution mais verrons plus loin qu’en réalité ils n’ont pas encore perdu de leurs privilèges, et puis, ce n’est pas nous qui avons mis cette administration en place.

Nous sommes venus trouver une administration. Nous devons faire avec, et nous disons à cette administration que nous allons la nettoyer. Hier soir a pris fin le procès des douaniers. Et bien cette douane, de toute évidence mérite d’être balayée à 80,90% et je ne veux pas aller jusqu’à 100% simplement pour paraitre maximaliste. Mais de l’avis de tous, aujourd’hui que nous avons mis la douane à nu. L’indignation est totale et chacun estime qu’elle doit être épurée. Notre pays n’est pas unique en ce genre et je peux en citer plusieurs, pratiquement la liste de l’ONU. Nous sommes tous pareils. Nous avons tous des douaniers aussi véreux les uns que les autres…

Les critiques que nous fournissons contre nos CDR sont des critiques qui se doivent d’être acerbes, qui se doivent d’être violentes, parce qu’en même temps depuis que nous les critiquons que nous donnons encore plus de pouvoir, vous l’avez constaté.

Q : Et au niveau des CDR géographiques, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de nommer les délégués CDR de secteur car le choix des masses, avec l’élection, n’est pas toujours orienté vers la personne les plus indiqués. Je pense à l’élection de certains féodaux qui…

R : Vous avez raison. Par moment nous aussi nous faisons du démocratisme, nous voulons coûte-que-coûte qu’il y ait des élections, parfois même parce que nous avons des complexes vis-à-vis de l’extérieur en nous disant que là, nous n’avons pas fait voter, donc ce n’est pas démocratique… Encore que la démocratie ce n’est pas le bulletin de vote. C’est de la mystification. C’est un viol et un vol des consciences dans un pays où il y a à peine 2% d’alphabétisés. C’est vrai que certains féodaux se font élire délégués et votre proposition est très juste mais je ne veux pas en dire d’avantage…

Q : Je voudrais soulever le problème de la formation des masses sur le plan militaire. Il me semble que vous formez peut-être un peu trop vite militairement des éléments sans les avoir au préalable conscientisés. Je pense à certains CDR qui, à partir du moment qu’ils possèdent une kalache, ont tendance à profiter un peu de ce pouvoir et n’ont pas l’air suffisamment conscientisés.

R : Oui c’est vrai, c’est exact. Mais je dois vous dire franchement que du point de vue proportion, en dehors de l’inquiétude que certaines personnes ressentent de façon morale quand elles quittent les Champs-Elysées pour venir se trouver entre deux kalaches, elles ont le sentiment que… Les kalaches, elles ne les ont vues qu’à la télé française donc elles ne peuvent pas ne pas avoir le sentiment d’oppression, d’univers fasciste, quand elles se trouvent entre deux kalaches, ici à Ouagadougou en venant de France.
Nous, nous trouvons cela tout à fait normal…Il y a des gens qui dorment entre des plutons là-bas, sur le plateau d’Albion mais ne sont pas pour autant effrayés. Bon, c’est une question de coexistence pacifique. Mais si vous faites des statistiques, il y a autant d’accidents dans l’armée régulière que chez les CDR. Parfois même moins chez les CDR que dans l’armée régulière. Il y en a autant en France, dans votre pays, des accidents militaires pour des gens pourtant professionnellement formés d’après un programme bien étudié…

-Mais de cela, on n’en parle guère…

R : Oui bien sûr, car cela ne choque pas, on admet même des pourcentages de pertes en vie humaine que l’on ne dit pas officiellement.

Les comités de défense de la révolution c’est quand même quelque chose de nouveau qui n’est pas totalement accepté dans les États. Un État ne se construit pas avec des CDR, ce n’est pas encore accepté comme tel mais cela viendra.

Q : Quel doit être selon vous le rôle des syndicats sous la RDP et dans quels domaines ont-ils les mêmes revendications que les CDR de service, voire rivalisent-ils avec eux pour s’affirmer les seuls aptes à résoudre tel ou tel problème ?

R : Les syndicats aujourd’hui ont un rôle important à jouer. Premièrement ils doivent démystifier les syndicats anciens parce qu’ils étaient, soit des syndicats totalement bourgeois, et par conséquent des syndicats qui créaient des conditions d’exploitation des masses, ou étaient des syndicats se réclamant anti-impérialistes mais avec ce défaut d’être des syndicats qui faisaient plutôt de l’économisme, revendication pour revendication. On a 100000CFA comme salaire, on demande une augmentation de 10% ou même moins mais une augmentation quand même. Dès que l’on a cette augmentation la lutte s’arrête. On ne s’est jamais posé la question de savoir combien ont 100000 francs ici au Burkina. Ce n’est donc pas une lutte populaire. On a 300000francs, on demande encore une augmentation. Pratiquement, le chien aboyait, on lui donnait un os et il se calmait. Il ne revenait que lorsqu’il avait fini son os.

Nous estimons que ça, ce ne sont pas des syndicats, en tout cas ce n’est pas le type de syndicats qui nous intéressent aujourd’hui.

Les luttes n’étaient pas totalement négatives quand elles ont permis de mettre à nu la nature réelle des régimes politiques qui nous ont précédés. Mais leurs revendications n’étaient pas des revendications populaires. Elles étaient trop limitées, trop corporatives. Ce combat corporatiste nous n’en voulons pas aujourd’hui. Nous voulons au contraire un syndicat qui pose le problème du point de vue de la masse. Il ne s’agit pas simplement de voir son problème sur son atelier mais de voir les conséquences en amont et en aval pour le peuple.

Q : Dans une interview accordée au magazine « Afrique-Asie » en Octobre 1983 vous était posée la question de savoir si la gauche voltaïque était toujours divisée, question à laquelle vous répondez : « la gauche est caractérisée par des sensibilités et des spécificités diverses. Les luttes et la composition en son sein sont nécessaires à l’enrichissement du débat politique et idéologique ». Or, après presque deux ans, ne pensez-vous pas que, dans le cas du Burkina Faso aujourd’hui, loin d’enrichir le débat politique la division de la gauche favorise la réaction et ralentit le processus révolutionnaire ?

R : Non, je pense au contraire que cette querelle au sein de la gauche est une querelle utile, qu’elle est de plus en plus bénéfique. Elle est douloureuse, je dois le dire sincèrement, très pénible à supporter, mais c’est cette querelle qui permet la clarification indispensable. Et c’est ce qui se fait. Les disqualifications auxquelles nous assistons  ne sont pas le fait du pouvoir mais le fait des masses, des masses qui ont rejeté jusqu’à oublier des vedettes d’hier et pour aujourd’hui trouver leurs moyens d’expression dans d’autres cadres et également nous avons pu ainsi rejeter la monopolisation du savoir, le savoir idéologique, le langage, son verbiage, l’intonation, la rhétorique idéologique en faisant en sorte que le maximum de Burkinabè puissent accéder à cette connaissance-là.

Ainsi donc, c’est ce que nous disions un jour, je pense que c’était dans « Jeune Afrique » : Eh bien, plutôt que d’avoir un Pelé qui va nous imposer ses caprices, nous préférons jeter la balle dans les rues. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Ceux qui n’aiment pas la révolution et ceux qui aime cependant en parler sont ceux qui n’arrivent plus à exercer leurs terrorismes intellectuels.

Q : Quels sont les rapports entre le conseil national de la révolution (CNR) et le conseil des ministres ? Toutes les décisions proviennent-elles du CNR ? Pouvez-vous donner des précisions sur la fonction des structures nouvellement créées que sont la commission du peuple chargé du secteur ministériel et le comité ministériel d’administration ?

R : Le CNR et le conseil des ministres. Le gouvernement est l’exécutif, il reçoit des orientations politiques et est chargé de façon sectorielle, suivant les départements, d’appliquer cette politique-là, de la produire en acte. Cette volonté politique est conçue ailleurs et est conçue au niveau du CNR qui par l’intermédiaire du président du CNR exprime au gouvernement ses choix ses options principales. Mais la politique, les choix stratégiques demeurent au niveau du CNR.

Les commissions que nous avons récemment mises en place visent à mieux faire participer les travailleurs à la gestion du pouvoir populaire. Nous avons eu deux années au cours desquelles nous avons mené des batailles de décantation. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes arrivés à avoir des militants CDR parfaits, à faire le choix juste il est vrai. Mais nous pensons que le rôle des CDR est de mieux en mieux compris même s’il n’est pas encore totalement saisi ? Aussi nous pouvons accroitre la responsabilisation des CDR. C’est pourquoi je n’ai pas manqué d’élever le ton de façon significative contre les CDR parce que justement nous nous apprêtions à déclencher un nouveau processus où ils participeraient, décideraient avec les ministres.

La commission du peuple a pour but d’examiner quotidiennement les questions qui se posent dans un département ministériel et la commission ministérielle est à un niveau plus élevé pour que, quand même, la moindre petite signature ne requiert pas des assemblés générales.

Q : En ce qui concerne la propriété privée, vous avez déclaré « il est normal que la propriété soit sauvegardée. Ce que les voltaïques n’admettent pas c’est la propriété malhonnêtement acquises ». Or dans certains cas, la mesure sur la gratuité des loyers pour l’année 1985 n’est-elle pas contraire à ce principe ?

R : Quand est ce que je disais cela ?

…En 1983

R : Cette tout à fait normal. Nous évoluons avec une prise de conscience, si vous reprenez mes discours vous verrez que le 26 mars 1983 je déclarais qu’il était normal que nous admettions, que l’on soit propriétaire de plusieurs maisons pourvu qu’elles aient été honnêtement acquises. En août 1983, nous ne tolérions pas que des gens aient plusieurs maisons. Actuellement c’est appliqué. Donc c’est une question de niveau de justice. La justice extrême ne peut pas être exposée de but en blanc autrement elle est une forme d’injustice. Nous l’imposons, nous l’amenons, nous l’édictons au fur et à mesure que la conscience des masses le permet.

Q : La gratuité des loyers pour l’année 1985 a dû apporter un bâillon d’exogène pour bien des foyers qui ont vu ainsi leur pouvoir d’achat augmenter. Vous paraitrait-il concevable de ne pas reconduire ces mesures en 1986 ?

R : Dans la mesure où nous avons déclaré qu’en 86 nous allions revenir sur la mesure et bien, il serait bon que nous respections ces engagements-là. Mais il faut dire que l’un des était surtout d’obliger chacun à résoudre son problème de maison pour qu’il est un maximum de maison dans nos villes, afin de casser des prix spéculateurs et que la spéculation s’éteigne d’elle-même faute de demande…une offre qui serait alors trop grande par rapport à la demande.

Q : Mais ne pensez-vous pas que cela risquerait alors d’être interprété par les masses comme un pas en arrière ?

R : Ces masses, au moment où nous prenions la mesure, avaient estimés que c’était de la méchanceté et nous avions été assiégés pour nous entendre dire que ce n’était pas une mesure à prendre et que pratiquement on ne supportait plus dans les secteurs, dans les villages de voir des personnes malheureuses du fait d’une décision qui venait brutalement les priver de rente immobilière.

Mais bien entendu nous ne faisons pas du populisme et nous savons aussi que parfois les masses peuvent se laisser gagner par du sentimentalisme. Ainsi donc cette mesure peut-être provisoirement reconduite, elle peut-être aussi provisoirement supprimée.

Q : Que répondez-vous ceux qui vous accuse de privilégier avant tout la petite bourgeoisie en construisant an I an II et bientôt an III et de n’avoir encore rien fait pour les habitants des secteurs non-lotis de Ouaga.

R : Eh bien, je crois que ce ne sont pas de critiques fondés parce que, ce que nous nous autorisons à travers ces réalisations, permet de d’améliorer le sort des autres. Je m’explique. Dans un pays comme celui-là, pour prendre la décision de confisquer des biens, de porter atteinte à un capital d’un bourgeois, et bien il faut être sûr que vous serez compris et soutenus. Ce n’est pas toujours le cas surtout que toutes les intentions nous ont été prêtées.

Par contre, en résorbant le problème du petit bourgeois, en posant des actes qui suscitent l’admiration, nous nous autorisons alors à poser d’autres actes. Nous avons construit une cité an II, tout le monde est d’accord. Chacun se dit maintenant que tout compte fait, ces jeunes savent où ils vont. Ils savent aussi ce qu’ils font et à les suivre on ne se perdra pas. Donc il y a d’autres décisions que nous pouvons désormais prendre parce que nous avons fait la preuve de notre capacité à construire mais c’était une démonstration nécessaire pour nous sur le plan tactique.

Hélas nos détracteurs, soit ne comprennent pas cette tactique là ce qui veut dire qu’ils ont un niveau de politique extrêmement faible, soit ils ont un niveau élevé et ils comprennent très bien, mais ils n’ont pas intérêt à nous aider, donc il faut qu’ils nous combattent…C’est de bonne guerre.

Q : Au Burkina pays agricole arriéré, la paysannerie représente plus de 90% de la population, d’une manière générale, apparaitrait-elle plutôt favorable hostile indifférente vis-à-vis de la RDP ? Ne trouvez-vous que des ennemis parmi la chefferie traditionnelle ?

R : La paysannerie n’est pas si indifférente que cela. Au contraire, elle a eu peur au départ lorsque après le 4 aout, on a parlé, on a décrit le communisme de façon caricaturale en disant : « ce sont des communistes qui sont venus, voilà ce qu’ils vont faire. Tous vos biens seront à partager, vos femmes et vos enfants seront la propriété collective ». Vous comprendrez ce que cela a pu provoquer d’effroi dans nos campagnes. Mais je vous dirai que je suis allé plusieurs fois dans les campagnes la nuit, en tenue civile. Personne ne nous connait donc nous pouvons discuter assez librement : « Ah toi qui vient de Ouagadougou comment ça se passe là-bas ? il parait que ces gens-là vont prendre nos femmes, nos enfants, nos bœufs, nos moutons, nos chèvres, nos poulets. Ils vont tout prendre tout partager. Ce n’est pas normal, nous ne sommes pas contents mais vous savez ce sont les gens de Ouaga, ils sont forts, nous ne pouvons rien dire ».

…Il y avait vraiment une campagne d’intoxication ?…

R : Elle était forte. Par la suite j’y suis encore allé. Ils ont été vaccinés, ils ont pu concevoir des écoles, des dispensaires, recevoir des vivres, on a supprimé l’impôt de capitation… Là ce n’est pas seulement une épine qu’on leur a retiré du pied mais c’est pratiquement une sagaie qu’on leurs a retiré du flanc.

Et bien tout cela quand vous repassez dans les campagnes les paysans nous disent : « écoute, moi c’est d’accord, il faut leur dire de prendre encore d’autres mesures. Quand tu vas rentrer à Ouaga dis à tes amis de là-bas de prendre d’autres mesures. »

Bon, je pense que l’on mobilise les gens sur la base de leurs intérêts, et les masses si elles y adhèrent c’est que de plus en plus cela va dans leurs intérêts. Jusqu’à la sécheresse on disait que c’était parce que nous étions là, oubliant que, avant nous, il y a eu a sécheresse, oubliant que dans les autres pays où il n’y pas de régime comme la nôtre, il y a aussi la sécheresse. La pluie qui tombe aujourd’hui, on dit aussi que c’est grâce au CNR… Bon, nous ne refusons pas parce que nous avons eu hier aussi à subir ce qui était contre nous justement.

La chefferie des campagnes se sclérose donc elle-même est en train de s’étioler, de se dessécher, de disparaitre d’elle-même.

Des gauchistes nous ont attaqués, disant que nous n’avions pas eu le courage de l’affronter, qu’un texte l’aurait supprimée. Non, nous disons à quoi servirait-il de supprimer la chefferie en campagne lorsque c’est seulement en ville que l’on est contre cette chefferie en qu’en campagne la chefferie continue de jouir du pouvoir réel. Les textes doivent coller avec le niveau réel de conscience politique des masses. Mais aujourd’hui, de la chefferie, personne n’en parle. Elle-même est gênée de parler d’elle-même et quand vous écouter un communiqué d’un des chefs féodaux d’antan pour annoncer à la radio un décès il dit : « responsable traditionnel de tel village annonce que… »

Q : La classe ouvrière, qui n’est aujourd’hui qu’embryonnaire, va être amenée à se développer avec la phase de production capitalise qui permettra au Burkina d’acquérir la technique et de développer ses forces productives. Quel sera son rôle dans la RDP ?

R : La classe ouvrière est une classe déterminante dans la révolution, dans la RDP, et surtout dans la sa consolidation et sa radicalisation. Mais la phase de transition n’est pas obligée de passer par les forces capitalistes. Donc, le développement des forces de la classe ouvrière que nous admettons commune nécessité, peut passer par d’autres formules de développement.

…Par exemple ?

R : On verra, le Burkina donnera peut-être un exemple que les étudiants de sciences Po viendront voir.

Q : Dans le budget de l’état de 1985, tout dans celui du CSP de 1983, le budget de la défense est de loin le plus important et un des rares à n’avoir pas diminué. Il représente environ 3 fois celui de la Santé, près de 2 fois celui de l’Agriculture et de l’Élevage. Or, au moment où un réel effort de restriction budgétaire est accompli et où la santé et l’éducation pour tous ainsi que l’autosuffisance alimentaire constituent des priorités, pourquoi ne pas comprimer le budget militaire au profit de ces secteurs ?

R : Non ce n’est pas juste, vos informations ne sont pas exactes et il convient que je vous donne les documents pour vous le démontrer.

Le budget de l’armée, de la défense, est de loin le plus important du point de vue rapport.

Mais le budget demeure important parce que les effectifs sont très grands. Ce sont les effectifs que l’on nous a légués bien sûr. Ce budget, nous en sommes maintenant à la partie incompressible. Nous avons supprimé la plupart des avantages. Nous n’achetons plus rien, ce n’est pas un budget d’équipement. Nous ne nous équipons pas. Ce sont les salaires…Ces salaires là nous ne pouvons les diminuer que si nous prenons la décision de diminuer partout. Parce qu’il y a des professeurs d’université, des médecins de la santé, qui touchent plus que les militaires. Donc, quand on s’émeut sur les problèmes de santé, on oublie de dire que les médecins eux constituent un gouffre budgétaire. Lorsqu’on parle d’alphabétisme on oublie de dire que les professeurs constituent un véritable poids budgétaire. Bien entendu les militaires représentent également une lourde charge parce que numériquement, ils sont très nombreux. Ils ont une base salariale que nous avons nettoyée du point de vue des indemnités mais qui demeure très importante. C’est vous dire que si nous avions pas pris les mesures que nous avons prises aujourd’hui, le budget de l’armé serait peut-être d’un tiers, sinon de moitié supérieur à ce qu’il est actuellement.

Cela m’amène à vous mettre en garde contre cette information qui a circulé à un moment donné. Elle disait que nous avons payé une facture de 25 milliards pour des armes, que Kadhafi nous réclamait 25 milliards pour ces armes. Il n’en est absolument rien et cela peut se démontrer de la façon suivante :

Premièrement, vingt-cinq milliards, ça passe par le trésor. On ne peut pas avoir ça dans ses poches, ici au Burkina. On n’a jamais vu dans notre pays autant d’argent en liquidités, jamais.

Deuxièmement, nos transactions financières bancaires passent par le trésor français et, depuis plus de six mois, nous mettons qui que ce soit, et notamment le trésor français, en demeure de démontrer qu’il détient contre nous une facture d’armes depuis le 4 août.

Troisièmement, nous mettons en demeure qui que ce soit, et notamment les agents, les syndicats qui sont dans le ministère des finances, dans le domaine financier et bancaire, de démontrer que ce que nous disons est faux.

Quatrièmement, nous affirmons, et personne ne nous a encore démenti là-dessus, que nous avons reçu des armes de pays amis. Nous leur en avions demandé et nous continuerons à leur en demander autant que nous aurons besoin s’ils peuvent nous satisfaire.

Ceci pour dire que l’on a été choqué par le budget de la défense. On a même essayé de le présenter de façon révoltante. Or il n’en est rien. On l’établit seulement à partir du niveau des salaires dans notre pays.

Q : En ce qui concerne l’alphabétisation et la scolarisation, le projet sectoriel du ministère de l’éducation Nationale prévoit dans le plan quinquennal de réduire le taux d’analphabétisme de 92% à 87% et d’atteindre le taux de scolarisation au premier degré de 37%. Les objectifs m’apparaissent trop peu ambitieux. Pourquoi n’entreprenez-vous pas ce que j’appellerais une « Alphabétisation Commando » comme cela s’est fait à Cuba ou au Nicaragua dès l’avènement de leur Révolution. Il ne me semble pourtant pas que cela nécessiterait un fort investissement financier car vous auriez la participation bénévole de nombreux étudiants et CDR géographiques. Une alphabétisation massive et rapide me parait indispensable, surtout pour les enfants non scolarisés…

R : Je dois vous dire que j’ai de la peine et de la difficulté à répondre à cette question, parce que, effectivement ce que vous dites est vrai, c’est ce qui a été écrit, ce que vous suggérez est également vrai et bon et c’est ce qui est en train d’être copié.

Q : En ce qui concerne les mesures prises à propos du sport, ne trouvez-vous pas que ce soit infantiliser les adultes, de les obliger à pratiquer pour leur bien une activité physique ?

R : C’est vrai qu’ils vont diminuer du point de vue de leur âge, qu’ils vont même rejoindre les enfants. Mais pourvu que l’osmose se fasse avec le capital d’expérience et de sagesse qu’ils ont…Dans ce cas ce seront des jeunes vigoureux.

Q : Toujours dans le discours que vous avez prononcé le 4 août dernier, vous avez annoncé la création prochaine d’un salaire vital pour de fonctionnaires, cela afin de lutter contre des pratiques intolérables qui constituent pourtant, pour bon nombre d’entre elles des réalités quotidiennes. Toutefois, ne trouvez-vous pas, que face à un tel problème, il aurait peut-être été préférable d’en discuter tout d’abord à la base, au niveau des cellules féminines par exemple. Car peut-être la solution envisagée n’est-elle pas la mieux adaptés et les femmes auraient pu faire d’intéressantes propositions… J’ai l’impression que cela a été un peu imposé d’en haut…

R : C’est vrai ça été imposé d’en haut après une réflexion d’un an, ce que les masses ne savent pas. Après une étude fine d’un an, nous l’avons imposé d’en haut pour que la mesure ne soit pas réversible d’une part, d’autre part, pour obliger chacun à proposer maintenant les solutions pratiques pour son application. Donc, les solutions de son application ne sont pas encore édictées, mais la mesure est irréversible.

Q : En ce qui concerne le poids de la dette extérieure, pourquoi vous sentez-vous obligés d’honorer des emprunts faits par les régimes précédents, emprunts dont une grande partie a surement du être dilapidée ?

R : Bien, c’est parce que nous n’avons pas encore pris suffisamment de dispositions pour faire face l’économie capitaliste internationale.

Mais d’abord, au niveau national, tant que nous n’aurons pas combattu, et nos bourgeois qui se réduisent de plus en plus au silence, et surtout nos petits bourgeois qui font des élucubrations et intoxiquent en faisant du gauchisme, tant que nous ne les aurons pas combattus, nous ne pourrons pas prendre ces décisions. Parce que, ce sont eux qui pourraient simplement _ à partir de l’impossibilité de notre pays, à défaut de devises, d’importer du camembert, du champagne, du vernis à ongle ou du rouge à lèvre_  créer des conditions sociales de troubles pour que certaines mesures ne puissent pas passer.

Parce qu’ils crient Révolution, ils crient radicalisation, mais ils ne sont pas capables de vivre les mots d’ordre, les beaux propos, les belles paroles qu’ils tiennent.

Donc, il faut blinder notre peuple contre l’agression culturelle qui vient de l’extérieur, qui est en fait une domination impérialiste, économique. Et ce sont ces dispositions qu’il faut prendre, c’est cette conscientisation qu’il faut faire. Faute de quoi, nous risquons de nous lancer dans des réactions épidermiques et aussi dans les illusions de certains régimes qui ont créé des situations économiques catastrophiques pour demander par la petite porte des avantages de façon infamante.

Q : Sur le plan des relations internationales, le Burkina reçoit de l’« aide » de nombreux pays aux politiques opposées. Avez-vous été victimes de pressions, voire de chantages en vue d’influencer certaines de vos décisions ou prises de position ? Si oui, pouvez-vous en donner des exemples ?

R : Nous n’avons connu que des pressions, notamment depuis que nous sommes au conseil de sécurité des Nations Unies. Pour tous les votes on nous a fait des pressions.

Q : …Quelles sortes de pressions par exemple ?

R : Eh bien, on a décidé de fermer des projets ici parce que nous avions des votes constamment opposés à la politique de tel ou tel pays.

Par exemple les États-Unis. L’ambassadeur des États Unis nous a dit que son pays ne pouvait plus continuer à aider des pays qui ne votaient pas comme lui et il nous a communiqué, au nom de son gouvernement, que nous ne pouvions plus continuer ainsi.

On nous a réduit des aides, en estimant que nous n’étions pas de bons partenaires aux Nations Unies, ou sur la scène politique. Nous avons reçu des pressions multiples. On nous a fait miroiter ce que l’on aurait pu nous donner si seulement nous avions été plus sages, le donnant justement à nos voisins pour que nous le voyions, cela en sachant bien que nous avons les mêmes problèmes, peut-être pires ici. On a donné à nos voisins des moyens pour résoudre des problèmes qui n’étaient pas très graves chez eux. C’était simplement pour amener chez nous une atténuation de notre position. Bref, jusqu’à nos discours, on nous conseillé d’atténuer ceci, de retirer cela, de ne plus prononcer telle ou telle phrase…

Q : Comment qualifierez-vous vos relations avec la France ? J’ai l’impression que vous vous ménagez mutuellement, du côté Burkinabè, à cause peut-être de la coopération et des investissements, du côté Français, par la volonté de ne pas perdre une influence en Afrique occidentale…Je ne sais pas mais j’ai l’impression que vous relations sont assez ambigües…

R : Et si par Hasard vous aviez raison ? Oui, avec le gouvernement Français nous avons des relations qui n’ont pas atteint le niveau que nous souhaitons. La France est souvent citée dans la vie politique du Burkina Faso. Elle pourrait faire plus. Ce n’est pas seulement les moyens que nous lui demandons. Nous lui demandons simplement de soutenir, d’être en accord avec un peuple qui veut construire son bonheur. Elle pourrait même se passer de nous envoyer ici quoi que ce soit comme aide, nous serions d’accord pourvus que, au contraire, elle apprécie le fait que ce peuple-là mette enfin fin à la gabegie d’antan. Il y a eu en France, à une certaine époque, le Cartiérisme avec Raymond Cartier. C’était dans les années 1964.Le Cartérisme dénonçait le comportement chef de village des présidents Africains qui venaient d’accéder à l’indépendance formelle, qui étaient pressés d’en jouir et qui dilapidaient les fonds que la France sortait de son Budget, imposait aux contribuables Français. C’est assez vrai, c’est assez justifié, encore que sur les mobiles et les objectifs finaux je ne sois pas d’accord avec Raymond Cartier. Mais je suis d’accord avec lui sur la constatation des faits.

Nos présidents avaient acheté des palais en France…Du reste, notre président avait un immeuble à Paris. Nous avons donné l’ordre de le Baptiser « Maison du Peuple » et chacun pourra désormais y loger, monnayant une petite contribution pour l’entretien.

…Bon cela est juste, mais la France était vraiment sincère dans la volonté de trouver un pouvoir rigoureux, bon gestionnaire, en toute modestie est-ce que nous ne pourrions pas lui dire : « Mais tenez, voilà ce que vous voulez. Depuis que nous sommes là voyez toutes les économies que nous avons réalisées en restreignant la vie publique, la vie de l’État, tout ce que nous avons économisé ou récupéré en mettant un peu plus de rigueur dans le contrôle de ceux qui ont à connaitre la chose publique… »

Tout cela nous a permis de nous hisser à un niveau que nous estimons un niveau de moralisation de tous de même intéressant. La France aurait pu applaudir. Toute la volonté de transformer ce pays en comptant sur nos propres forces. Est-ce que cela va contre le discours officiel des Français ? Non, alors maintenant nous ne voyons pas pourquoi la France s’oppose à quelqu’un qui fait justement ce que son point de vue moral, philosophique l’a amené jusque-là à appeler de ses vœux… Ou alors ses vœux ne sont-ils pas sincères… Là est la question. D’autres pays africains où l’on vole, l’on pille, l’on viole, l’on continue de détourner des milliards, et bien, c’est là-bas que la France va encore déverser son aide, sachant bien que les détournements ne sont pas punis. Parfois même ils sont encouragés pour corrompre des gens et mieux les tenir. C’est même utilisé comme moyen politique dans certains pays et la France le sait très bien.

Q : Quelle est votre analyse de la politique Française vis-à-vis de la Kanaky ?

R : J’eus à envoyer un certain nombre de télex, à écrire à M. Pisani que j’ai eu l’occasion de recevoir, pour lui dire que j’estimais qu’il avait à entrer par la grande porte de l’histoire, c’est-à-dire à ouvrer pour que le peuple de la Kanaky vive ce qu’il est en train de réclamer de tout son sang, de toute son âme, c’est-à-dire l’indépendance.

Et je disais qu’il ne faudrait pas que la France soit obligée de le faire dans trente ans, d’aller saluer dans trente ans ce qu’elle aura refusé aujourd’hui. Surtout, si la France est soucieuse de vouloir éviter les controverses profondes qui s’est créer lorsqu’il s’est agi de savoir si, oui ou non, Claude Cheysson devait aller fêter avec le peuple Algérien le trentième anniversaire e leur lutte. Même au sein du Parti Socialiste certaines attitudes plus qu’ambiguës ont existé et nous savons aussi toute la peine du monde que les pouvoirs ont en France pour faire sélectionner tel ou tel passage de télévision, d’un film, parce qu’il rappelle des choses qui ne servent pas la cause d’aujourd’hui, leur politique du Parti d’aujourd’hui.

Or, nous disons qu’il ne sert à rien de s’opposer à l’indépendance, qui sera acquise tôt ou tard. Notre conviction est que lorsqu’un peuple veut son indépendance, il faut l’accompagner. Au moins, vous aurez le mérite, le privilège de bénéficier de sa reconnaissance et jusqu’à la RASD ( République arabe sahraouie démocratique) c’est ce que nous au Maroc : « Accompagnez le peuple Sahraoui vers son indépendance. Ensuite, proposez-lui, si  vous voulez, n’importe quoi. Il acceptera si c’est son intérêt ».

Q : Quelle est votre analyse de la situation en Afrique du Sud. A l’heure où la répression du peuple atteint son paroxysme croyez-vous que le fléau de l’apartheid puisse encore se résoudre par la voie diplomatique ?

R : Je n’ai jamais cru qu’il puisse se résoudre par la voie diplomatique car l’apartheid est une forme de domination. Il est l’expression d’un impérialisme dans sa phase de sauvagerie, dans une phase d’abandon de la morale qui donne l’absolution de départ. Eh bien, nous ne pensons pas que la négociation puisse permettre de résoudre ce fléau. Schœlcher en 1848, lorsqu’il parlait de l’esclavage, devait savoir que les vœux pieux, les discours philosophiques, ne pouvaient pas suffire. Donc, depuis la nuit des temps, les hommes, pour se libérer, ont dû prendre les armes. Seules les armes, seul le pouvoir renverse le pouvoir.

Q : Quelle est l’importance du Burkina sur le plan de la géopolitique ?

R : Eh bien, je ne crois pas que le Burkina soit très important. Je pense que c’est simplement un pays qui joue son rôle, qui œuvre pour son développement, qui résout ses contradictions mineures et qui résout aussi ses contradictions principales avec d’autres forces.

Peut-être le Burkina sert-il d’exemple, bon ou mauvais…Il ne m’appartient pas d’apprécier mais je dis simplement que du point de vue géopolitique, nous avons notre originalité. Pour ses conséquences, il appartient aux autres d’apprécier.

Propos recueillis par Isabelle Bardem.

2 COMMENTAIRES

  1. Bonjour je suis Isabelle Bardem, l etudiante qui avait realise en 1985 l interview du president Sankara.
    Je me tiens a votre disposition pour des informations eventuelles

  2. Bonjour,
    Merci de nous avoir contacté. Cette intervention est très intéressante et nous avons tenté d’avoir votre contact jusqu’ici sans succès. Nous allons prendre contact avec vous sans tarder.

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