A l’occasion du 30ème anniversaire de l’assassinat, en 2017,la rédaction de RFI a mobilisé plusieurs de ses journalistes pour produire un dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara sous forme de webdoc. Un dossier qui s’avère assez fourni.
Il s’agit d’une dossier consultable sur internet. Celui que produit RFI contient du texte, des photos mais aussi du son sous la forme d’extraits d’interview.
Nous avons créé cette page pour présenter ce travail collectif de la rédaction de RFI et la commenter. Les commentaires de présentation des différentes pages sont de Bruno Jaffré.
La rédaction du site.
RFI introduit ainsi son web doc :
“15 octobre 1987, Thomas Sankara tombe sous les balles d’un commando. Trente ans plus tard, on ignore toujours qui a commandité l’assassinat, l’a encouragé ou laissé faire. La justice burkinabè s’est saisie du dossier. Quel a été le rôle de son frère d’armes Blaise Compaoré ? Celui du président Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire ? Celui de la France ? De la Libye ? RFI a retrouvé des témoins, dépouillé des archives et propose une enquête exclusive.”
La web doc se trouve à https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/
Le jour ou Sankara est tombé (1/6)
Mais le reportage ajoute un témoignage inédit, celui de Ramsané – Ramsané Tiendrébogo qui a préparé la liste des détenus qui vont enterrer Thomas Sankara.
Inédits ou pas, ces témoignages restent emprunts d’émotion, d’autant plus qu’on peut écouter les enregistrements.
Les tombes sont restées longtemps le lieu de recueillement de ceux qui se réclamaient de Thomas Sankara tous les 15 octobre. C’était le seul moment où ils arrivaient à organiser une initiative ensemble, alors que les partis sankaristes n’ont cessé de se quereller.
A l’heure où nous écrivons, les corps n’ont toujours pas été remis aux familles. La création du mémorial et le lieu choisi, le conseil de l’Entente a réintroduit un autre sujet de friction. Les initiateurs souhaitent que les corps soient enterrés au Conseil de l’entente, alors que la famille Sankara s’y refuse. Les premiers affirment quand on leur demande que le problème est en voie de règlement, mais il n’en est rien. Du côté des familles des autres morts ce jour-là, les positions semblent partagées pour l’instant.
A Ouagadougou sur les traces d’un assassinat (2/6)
https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-02/index.html
Cette partie de l’enquête est particulièrement fouillée et se lit presque en haleine. De nombreux proches de Sankara s’y expriment, Fidel Kientega qui était conseillé à la Présidence, Fidel Toé, ami d’enfance de Thomas Sankara qui fut Ministre du Travail, de la sécurité sociale et de la fonction publique à l’époque, Basile Guissou qui fut aussi ministre. Tous trois témoignent d’une grande amitiés entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara, Basile Guissou emploie cette expression “C’était le roi et le faiseur de roi.“.
On note avec intérêt, le témoignage de Pierre Ouedraogo, ancien secrétaire général des CDR, qui s’est peu exprimé jusqu’ici. Il n’a pas été arrêté au lendemain du 15 octobre 1987; mais ne s’est pas non plus rangé derrière les partisans de Blaise Compaoré. Il a préféré sortir du pays et obtenu une bourse pour étudier à l’étranger où il est devenu informaticien. Il a par la suite occupé un poste important à la francophonie. Pour Pierre Ouedraogo quelque chose avait été préparé du côté des partisans de Blaise Compaoré.
Selon les témoins interrogés, les frictions commencèrent après le mariage de Blaise Compaoré avec Chantale Terrasson de Fougères, proche d’Houphouët Boigny, qui avait du mal à s’adapter à une vie plus austère, alors que ses détracteurs aiment à insister sur son gout pour l’argent et le champagne.
Mais la plupart des témoins insistent plutôt sur les divergences qui se font jour. D’autres témoins sont mis à contribution comme Etienne Traoré, ancien syndicaliste qui a rejoint le camp de Blaise Compaoré. Il rapporte un mécontentement naissant, alors que les salariés subissent des retenus sur leurs salaires. Basile Guissou évoque les sorties permanentes de Thomas Sankara contre ceux qui veulent “manger” ou la petite bourgeoisie.
Le discours de la deuxième conférence nationale des CDR, qui n’était pas disponible lors de la sortie de l’article, est un exemple de l’exaspération de Sankara contre ceux qui ne vivent pas comme des révolutionnaires. Ernest Nongma Ouedraogo, cousin de Thomas Sankara et ministre de l’intérieur et de la sécurité, date le début de la crise politique au mois d’août 1987. En réalité les divergences se font jours depuis un bon moment alors que Thomas Sankara incitent les différentes organisations parties prenantes de la Révolution ) se regrouper au sein d’un même parti.
Ernest Nongma rappelle en particulier l’opposition des partisans de Blaise Compaoré à la création de la FIMATS (la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité). Il s’agit de doter le ministère de l’intérieur d’une force d’intervention propre. La création de cette force est l’un des principaux arguments avancés par les partisans de Blaise Compaoré comme signe avant coureur d’un complot préparé par la camp de Thomas Sankara.
Carine Frenk qui a fait cette enquête fouillée, donne aussi la parole à Achille Tapsoba qui s’est rangé aux côtés des rectificateurs le 15 octobre. Ce dernier affirme avoir confiance en Blaise Compaoré lorsqu’il déclare ne pas avoir été mis au courant des initiatives de ses hommes qui ont tué Thomas Sankara et 12 autres personnes ce jour là. Il reprend à son compte la thèse d’un complot prévu à 20 heures par Thomas Sankara et ses amis sur lequel s’appuiera toute l’argumentation de son camp.
Hubert Bazié ancien proche de Thomas Sankara réfute ensuite fermement cette thèse. Son témoignage est suivi de celui de Moussa Diallo, qui fut un temps aide de camp de Thomas Sankara avant d’être remplacé par Étienne Zongo. Selon eux, un complot se préparait bel et bien. Et avec la complicité d’Étienne Zongo, ils ont organisé un stratagème pour obliger Thomas Sankara à les écouter sans succès. Carine Frank a recueilli là un témoignage inédit particulièrement important de Moussa Diallo sur le contenu d’enregistrements permettant de prouver la thèse d’un complot contre Thomas Sankara en préparation.
Cette enquête remarquable se termine par l’avocat de Gilbert Diendéré, M. Mathieu Somé qui relate ce que Gilbert Diendéré a déclaré au juge, à savoir que le Chef du commando, Hyacinthe Kafando a organisé le coup de sa propre initiative. Mais aussi d’un témoignage d’un sous-officier qui a assisté à une réunion de la garde du Conseil de l’Entente du matin ou Diendéré aurait déclaré que qu’il fallait arrêté Thomas Sankara parce qu’il avait des informations selon lesquelles ce dernier préparait un complot pour 20h.
A Ouagadougou, l’ombre d’une main étrangère (3/6)
https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-03/index.html
Cette fois Carine Frenk aborde les différentes hypothèses le plus souvent évoquées concernant la participation de dirigeants d’autres pays à l’assassinat de Thomas Sankara et de 12 personnes qui se trouvaient sur les lieux le 15 octobre 1987.
On note que cet épisode semble confirmer que les participations libyennes et libériennes sont liées, dans la mesure où il s’agit de soutenir Charles Taylor, dans son projet de prendre le pouvoir au Libéria. Or Sankara aurait refusé de l’aider en ce sens. Et Mousbila Sankara, oncle de Thomas Sankara, ambassadeur en Libye pendant la révolution, affirme que tout cela “a jeté un froid” de nouveau avec ce pays alors que le relations avait déjà commencé à se détérioré à partir de 1986 à propos de conflit au Tchad.
Si l’autrice ne met pas en doute la présence de Charles Taylor au Burkina, elle affirme ne pas pouvoir le confirmer au vu des témoignages qu’elle a pu recueillir sur la question sur sa présence effective le 15 octobre. Elle ne cite que les déclarations de Prince Johnson comme source d’une éventuelle participation libérienne (voir http://www.thomassankara.net/?s=Prince+Johnson). Des témoignages de libériens filmés dans un documentaire vont dans ce sens (voir un extrait à https://www.youtube.com/watch?v=4GAxbGbWdjM) et une interview de Silvestro Montanaro auteur de ce documentaire, dans lequel 5 compagnons de Charles Taylor affirment avoir participé à l’assassinat de Thomas Sankara. Beaucoup de personnes nient cependant leur participation. Aussi la procès dont on attend l’ouverture à Ouagadougou devront nous éclairer là-dessus.
Outre les déclarations de Mousbila Sankara, qui vont dans le sens d’une participation libyenne à l’assassinat, notons celles Fidèle Kientega conseiller à la présidence et surtout celui de l’ancien ambassadeur de Libye au Burkina-Faso Mohamed Al-Madani Al-Azhari.
Cette partie aborde ensuite très longuement l’éventuelle participation d’Houphouët Boigny, le président de la Côte d’Ivoire au complot. Sont mis à contribution Fidèle Kientega, Jean Marc Palm, ancien membre du CNR (Conseil national de la Révolution) qui s’est rangé derrière Blaise Compaoré, l’ancien ambassadeur du Burkina en Côte d’Ivoire Frédéric Korsaga, l’ancien ministère des affaires étrangères Basile Guissou, l’ancien secrétaire général des CDR Pierre Ouedraogo, l’ancien numéro 2 de la gendarmerie Moussa Diallo, l’ancien chef du groupement blindé Jean Claude Kamboulé qui avait opposé une résistance à la prise pouvoir le 4 aout 1983, et l’ancien ministre des affaires étrangères Ernest Nongma Ouedraogo, propre cousin de Thomas Sankara. Plusieurs de ses témoins ne s’étaient à ce jour pas encore exprimé face à un journaliste. Cette partie très riche donne ainsi la parole à ceux qui souscrivent à la thèse de la participation ivoirienne comme à ceux qui s’y opposent, ce qui la rend particulièrement intéressante.
Le rôle de la France, soupçons et démentis (4/6)
Cette partie est assez fournie. La question de l’implication française à l’assassinat de Thomas Sankara reste ouverte. Il existait au moment de la sortie de ce reportage peu d’éléments probants si ce n’est une analyse politique. Thomas Sankara dérangeait les amis africains de la France qui s’inquiétaient des idées qu’il pouvait susciter au sein des populations par son franc parler contre ses pairs de la région. Une politique qui pouvait aussi inquiéter la France.
On trouve ici plusieurs témoignages de proches de Jacques Foccart, lorsqu’il est appelé auprès de Jacques Chirac pour suivre les affaires africaines, mais aussi de l’ambassadeur de France de l’époque. Tous rejettent la possibilité d’une implication française, niant que la position Burkinabè demandant l’indépendance de la Nouvelle Calédonie ait pu susciter une réaction hostile de la part de la France. Ce qui est aujourd’hui pourtant confirmé (voir par exemple un document publié à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/280618/thomas-sankara-et-la-revolution-aux-archives-diplomatiques.
On y retrouve François Hauter qui reprend ce qu’il avait déjà dit il y a quelques années (voir http://www.thomassankara.net/un-journaliste-francais-declare-avoir-ete-manipule-par-guy-penne-et-les-services-secrets-francais-avant-lassassinat-de-thomas-sankara/). Guy Penne le conseiller Afrique de Mitterrand aurait tenté de le manipuler en lui fournissant des documents sur des tortures au Burkina pour alimenter un article hostile à la Révolution. Il répète en particulier qu’il considère avec le recul qu’il s’agissait d’une tentative de manipulation, mais précise, c’est ça qui est nouveau les tortures en question qui font froid dans le dos.
Pour faire contre poids, les auteurs donnent la parole à d’autres personnalités qui souscrivent à l’idée le participation française à un complot, à cause de la proximité politique avec la Libye, alors que les liens de Sankara et de Kadhafi s’étaient plus distendus en 1987 notamment à cause de divergences sur le Tchad.
Pour autant, au moment de la parution de ce reportage, si quelques éléments vont dans ce sens, l’implication française et la forme de cette participation reste à préciser. Aussi, cette partie du reportage se termine par l’évocation de la nécessité que la France réponde à la demande de la justice Burkinabè de la fourniture de documents déclassifiés.
On sait aujourd’hui que le Présidant Macron l’a promis lors de son passage à Ouagadougou en novembre 2017. On sait aussi que deux lots de documents ont déjà été envoyés et qu’au moment où nous écrivons ces lignes (février 2021) , un troisième lot est attendu à Ouagadougou. Par ailleurs le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et des autres personnes tuées avec lui est annoncé qui devrait nous éclairer sur tous ces points.
On sait aussi malheureusement que le secret défense instauré en France permet d’éviter que des pièces compromettantes soient envoyées au Burkina.
https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-04/index.html
Sankara et ses amis. Que disent les archives (5/6)
Cette partie est bienvenue dans la mesure où elle vient compléter les précédentes par des documents consultés aux archives diplomatiques à la Courneuve.
Y sont rapportés les réactions des membres de l’ambassade de France présents à l’époque qui semblent en apparence peu informés et souscrivent à l’hypothèse d’un accident. Ils reprennent l’hypothèse d’une réaction de Blaise Compaoré qui aurait refusé l’installation de la FIMATS (la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité) qui devait être dirigé par Vincent Sigué. La sécurité de Thomas Sankara aurait alors été assuré par cette nouvelle force dont les hommes n’auraient pas été choisi par les soldats aux ordres de Blaise Compaoré.
Cet article revient sur l’épisode de vote pour l’indépendance de la Nouvelle Calédonie jugée cette fois “problématique” pour les autorités françaises et sur les rapports, pas aussi bons que cela, entre Kadhafi et Sankara. Deux précisions utiles en regard de ce qui était écrit dans un des précédents articles de ce dossier, insuffisamment fournis sur la question.
On notera par exemple en fin de page une reproduction d’un câble de l’ambassadeur de France en Libye qui relate une discussion avec Mousbila Sankara, ambassadeur du Burkina en Libye, datée du 9 novembre 1987. Ce dernier y avance plusieurs éléments allant dans le sens d’une implication de la Libye dans le complot pour assassiner Thomas Sankara. (voir https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-05/pdf/tripoli.pdf)
Et l’auteur remarque que les archives sur les rapports entre le Burkina et la Côte d’Ivoire qu’il qualifie d”angle mort” sont peu fournis. Que faut-il en conclure alors que ces deux pays ont une histoire moderne tellement imbriquée ?
Le temps était compté pour le journaliste par la rédaction de RFI. Mais il a réussi tout de même à nous produire ce papier finalement assez fourni, même s’il n’a pas pu explorer tout ce que renferme les archives diplomatiques sur cette période.
On en retire une analyse un peu plus circonstancié, sur les rapports de Sankara avec la Libye, mais aussi sur les rapports avec le France.
https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-05/index.html
Le vieux bélier et le jeune capitaine (6/6)
Ce dernier chapitre est assez peu fourni par rapport aux autres qui le précèdent. Il ne contient pour l’essentiel que des témoignages coté ivoiriens ce qui nous laissent sur notre fin. L’un d’eux, Laurent Dona Fologo, affirme que Sankara rentrait de Côté d’Ivoire avec des “valises chargées de billets” et sous entend son discours était devenu “moins véhément“.
Houphouet Boigny a sans doute financé quelques projets de développement. Mais selon d’autres témoignages, il est arrivé que Sankara sorte du bureau en exhibant l’argent donné, pour que cela ne reste pas entre lui et Houphouet. Reste que ces deux pays ont vécu des périodes particulièrement conflictuels au sein de la CEAO (Communauté économique d’Afrique de l’Ouest) et du conseil de l’Entente regroupant 5 pays de la région. Et cet article omet de signaler la mariage de Blaise Compaoré avec son épouse Chantale Terrasson de Fougère, proche d’Houphouet Boigny, qui fut fut suivi d’importants dons d’argent destiné cette fois non pas au développement du pays, mais au couple.
https://webdoc.rfi.fr/burkina-faso-qui-a-fait-tuer-sankara/chap-06/index.html