On trouvera ci-dessous une contribution de Louis-Dominique Ouedraogo, prise sur le site lefaso.net, qui fut secrétaire général du ministère des relations extérieures lorsque le titulaire était Arba Diallo.

La première partie évoque des problèmes diplomatiques qu’ils ont eu à affronter à leur arrivée, et les discussions sur la révision des accords de coopération avec le France sur laquelle il ne s’étend pas puisque la signature n’est intervenue qu’en 1986.

Dans une deuxième partie il traite de la légèreté avec laquelle les pays francophones comme la France et le Canada ont pris en compte les changements de nom, sans tenir compte des décisions du gouvernement révolutionnaire burkinabè. S’inspirant du carton rouge donné à Blaise Compaoré par Arba Diallo, il distribue un certain nombre de cartons rouges à des autorités ou des organes de presse qui n’ont jamais réussi à orthographié correctement Burkinabè et Burkina Faso. P, découvre alors la grande connaissance qu’a Louis-Dominique Ouedraogo de la langue Française.

La rédaction du site.


Ancien secrétaire général du ministère des relations extérieures au temps de la Révolution démocratique et populaire, Louis-Dominique Ouédraogo a vécu le changement de nom du pays, de Haute- Volta en Burkina Faso. L’ancien fonctionnaire des Nations-Unies chargé des questions de langue revient ici sur le sens et l’usage des appellations du Burkina Faso et des Burkinabè. A l’occasion du 60e anniversaire du pays, nous vous re-proposons ce texte qui a été publié en 2018.

4 août 1984 – 4 août 2018. Déjà 34 ans que la République de Haute-Volta est devenue

le Burkina Faso et que ses habitants, de Voltaïques, s’appellent depuis lors des Burkinabè. Cet anniversaire me rappelle chaque fois un épisode de ma carrière diplomatique, lié en partie à cet événement historique.

Nommé Secrétaire général du Ministère des relations extérieures et de la coopération en septembre 1983. j’avais été chargé en mars 1984 par mon ministre, M. Arba Diallo, de poursuivre les négociations en vue de la révision des accords de coopération avec la France, un processus entamé au préalable sous la direction de l’Ambassadeur Paul Rouamba à qui je rends au passage un vibrant hommage pour le travail accompli.

En effet, à l’avènement du Conseil National de la Révolution (CNR) le 4 août 1983, la Haute-Volta, contrairement aux trois autres membres du Conseil de l’Entente de l’époque (Côte d’Ivoire, Dahomey et Niger) n’avait toujours pas procédé à la révision des accords bilatéraux signés le 24 avril 1961 par la France, respectivement avec chacun des 4 États membres de cette entité. Ces accords couvraient plusieurs aspects des relations entre l’ancienne puissance coloniale d’une part et chacune de ces anciennes colonies ayant nouvellement accédé à l’indépendance et à la souveraineté internationale.

Pour mémoire, les domaines couverts incluaient notamment pour tous celui de la défense et, à cet égard, le Président Maurice Yaméogo avait été le seul des Chefs d’État du Conseil de l’Entente à refuser la présence de troupes françaises sur le sol de son pays. Dans le cadre de ce processus de révision que l’on souhaitait conclure avant le premier anniversaire de la Proclamation du 4 août 1983, un point particulier fit rapidement l’objet d’une entente par échange de lettres entre les Parties.

Les accords du 24 avril 1961, tout comme ceux qui suivront entre la France et ses autres anciennes colonies du continent africain au fur et à mesure de leur accession à l’indépendance (à l’exception notable de l’Algérie), prévoyaient en effet que l’Ambassadeur de France soit automatiquement le doyen du Corps diplomatique dans les pays concernés, sans possibilité naturellement d’appliquer en France le principe de réciprocité, et en flagrante violation des dispositifs pertinents de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques signée six jours auparavant dans la capitale autrichienne le 18 avril 1961. Cette Convention dispose notamment en son article 16. alinéa 1 que « Les chefs de mission prennent rang dans chaque classe suivant la date et l’heure à laquelle ils ont assumé leurs fonctions ». La seule exception prévue à ce dispositif qui réglemente le système de doyen du Corps diplomatique figure à l’alinéa 3 qui stipule que « Le présent article n’affecte pas les usages qui sont ou seraient acceptés par l’État accréditaire en ce qui concerne la préséance du représentant du Saint Siège ». En d’autres termes, le doyen du Corps diplomatique doit être soit l’Ambassadeur le plus ancien en poste, soit le Nonce apostolique.

Autant dire que le diktat imposé en 1961 – et non remis en cause jusque-là par les différents régimes qui se sont succédé en Haute-Volta – était tout simplement inacceptable pour les autorités du CNR. Sans attendre la fin du processus global de révision, il fût donc convenu de mettre un terme à cette anomalie, ce qui posa en pratique un autre problème : quelle formule choisir pour le décanat ? En toute logique, celle qui est la plus courante – l’Ambassadeur le plus ancien en poste – fut envisagée…et abandonnée. En effet, à l’époque des faits, l’Ambassadeur de Corée du Nord remplissait cette condition mais nombre de chefs de mission diplomatique de pays occidentaux n’étaient pas disposés à avoir comme porte-parole l’Ambassadeur d’un pays avec lequel leur pays n’avait pas de relations diplomatiques.

A défaut de l’Ambassadeur de la Corée du Nord, on envisagea le second plus ancien en poste…qui se trouvait être celui de la Corée du Sud ! Inacceptable pour les Ambassadeurs de Moscou.et de Pékin (en 1984 c’est la Chine Populaire qui était représentée à Ouagadougou) qui, à juste titre, ne concevaient pas que l’on puisse récuser leur collègue de Corée du Nord comme doyen pour prendre celui de Corée du Sud.

Quid du Nonce Apostolique ? Il en est ainsi surtout dans les pays de forte tradition catholique ( encore que la Côte d’Ivoire du Président Houphouet-Boigny fasse exception en étant le seul pays africain à avoir fait ce choix) mais c’était une solution inopérable dans le contexte politique en vigueur à Ouagadougou. Alors que faire ? L’un des mots d’ordre sous la Révolution étant de libérer son génie créateur, les cadres concernés du Ministère des Affaires étrangères ont proposé une alternative : le doyen d’office du Corps diplomatique à Ouagadougou serait dorénavant l’Ambassadeur africain le plus ancien en poste dans notre capitale. La proposition fut acceptée en haut lieu avec d’autant plus d’enthousiasme que le doyen des Ambassadeurs africains à l’époque était celui du Ghana et le Vice doyen celui de Libye. Considérant l’excellence des relations entre le Président Sankara et ses homologues de ces deux pays, on ne pouvait espérer meilleure solution. Nous étions conscients que la formule était à la fois inédite et en violation de la Convention de Vienne mais après tout, si la « communauté internationale » s’était accommodée pendant plus de deux décennies d’une violation aux termes des accords du 24 avril 1961 entre la France et la Haute-Volta, elle pouvait en faire de même pour la circonstance. La formule fût donc adoptée et elle perdurera jusqu’au début des années 1990 quand la décision fût prise de se conformer à la règle la plus courante édictée par la Convention de Vienne.

Pour revenir au processus de révision de l’ensemble des accords signés le 24 avril 1961, après une première session tenue à Paris, les délégations des deux Parties se retrouvèrent à Ouagadougou en avril 1984 pour une seconde session que j’ai co-présidée avec M. René Ala qui sera plus tard Ambassadeur de France au Vatican puis au Liban. Un consensus se dégagea sur les modifications à apporter à la plupart des accords et il fût convenu de laisser en suspens pour des négociations futures ceux pour lesquels des blocages persistaient, tels que l’accord domanial et l’accord en matière de justice.

Lors d’une mission que j’ai effectuée ensuite à Paris en juin 1984, la présentation matérielle des textes révisés fut mise en forme finale au Quai d’Orsay, en vue d’une signature pour la République française par M. Christian Nucci, alors Ministre délégué à la coopération et au développement, et pour la République de Haute-Volta par le Ministre Arba Diallo. Pour des raisons diverses, les agendas des deux ministres n’ont pas pu être coordonnés à temps. Puis un développement majeur vint modifier la donne.

Par ordonnance n°84-83 CNR.PRES du 2 août 1984 signée du Président Thomas Sankara, et prenant effet le 4 août 1984 à 00 heure, « le territoire libre d’Afrique ….dénommé Haute-Volta » devait s’appeler désormais le Burkina Faso et ses habitants les Burkinabè. D’autres dispositifs de cette ordonnance publiée au Journal officiel du 16 août 1984 étaient relatifs au changement de drapeau et d’hymne national. Dans le même numéro du J.O, une circulaire n° 84-15 CNR.PRES.SGG-CM du Secrétaire général du Gouvernement, M. Nayabtigungu Congo-Kaboré, précisait entre autres que « Burkina » devait se prononcer « Bourkina », que « Faso » était la forme républicaine de l’État (et qu’en conséquence on ne devait pas dire République du Burkina Faso mais tout simplement Burkina Faso) et enfin que « burkinabè » était un mot invariable.

Du point de vue formel, ces changements avaient forcément un impact sur la rédaction des textes révisés qu’il fallait donc reprendre en remplaçant les expressions « Haute-Volta » ou « République de Haute-Volta » par la nouvelle terminologie. Ni le ministre Arba Diallo, ni moi ne verront la signature des textes définitifs. En effet M. Diallo quittera le gouvernement fin août 1984 pour des raisons évoquées de nombreuses années plus tard dans une interview sur le site « www.thomassankara.net» Dans le gouvernement remanié formé début septembre 1984, son poste fut attribué à M. Basile Guissou qui, tout naturellement, décida de changer de Secrétaire général. Les accords révisés ne seront finalement signés que le 4 février 1986 à Paris par les ministres Christian Nucci et Basile Guissou.

Quant à moi, après une mise au garage sans attribution précise, je serai ultérieurement licencié en juillet 1985 pour refus de rejoindre un poste d’affectation à Koungoussi, dans le cadre du Programme populaire de développement (PPD). Ainsi libéré de la fonction publique nationale, et après une incursion de dix ans dans le secteur privé, je serai élu en décembre 1995 par l’Assemblé générale des Nations Unies à l’un des onze postes du Corps commun d’inspection du système des Nations Unies (CCI) pour un mandat de cinq ans puis réélu pour un second mandat de même durée.

Fervent partisan du multilinguisme et auteur de trois rapports du CCI sur ce sujet, j’ai continué à suivre avec grand intérêt la mise en œuvre de la circulaire Congo-Kaboré susmentionnée. A l’occasion du 34ème anniversaire de sa publication, un inventaire non exhaustif fait ressortir d’une part que la prononciation du nom du pays « des Hommes intègres » continue d’être écorchée par certains, et d’autre part que le gélidé (nom des habitants) « Burkinabè » n’est pas toujours respecté, y compris en des lieux au-dessus de tout soupçon.

En guise de double clin d’œil au Mondial de football 2018 remporté par la France et du célèbre carton rouge décerné par Arba Diallo au Président Compaoré lors du meeting du 31 mai 2014 contre le projet de référendum visant à modifier l’article 37 de la Constitution sur la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels (https://www.youtube.com/watch?v=JOU_bQ1lAzo), j’ai choisi de faire cet inventaire en distribuant des cartons rouges aux contrevenants.

Burkina se prononce « Bourkina » comme dans Burundi et non comme dans burlesque

Il n’y a rien d’aussi irritant que d’entendre sur les chaînes de radio ou de télévision ou encore dans des discours officiels des personnalités dire « Burkina » comme dans burlesque au lieu de « Bourkina », comme en avaient décidé les autorités compétentes. Très tôt dès août 1984, le problème s’était posé, justifiant du reste en partie la mise au point faite dans la circulaire du Secrétaire général du Gouvernement. Si certains contrevenants peuvent plaider l’ignorance, d’autres n’ont pas cette excuse car en général, ils n’ont aucun mal à prononcer correctement Burundi, Bujumbura, Lumumba et j’en passe.

Mes premiers cartons rouges iront donc à deux personnalités françaises et non des moindres. En tout premier lieu, carton rouge…au Président Emmanuel Macron. Lors de son fameux discours à l’Université de Ouagadougou le mardi 28 novembre 2017 et des échanges avec les étudiants, il s’est notamment exclamé, en réponse à une question sur les coupures d’électricité : « Vous m’avez parlé comme si j’étais le Président du Burkina Faso…Moi je ne veux pas m’occuper d’électricité au Burkina Faso ! C’est l’affaire du Président ! ». En l’écoutant ce jour-là devant mon poste de télévision, j’avais des doutes sur sa manière de prononcer « Burkina Faso ». A 76 ans, on est parfois dur de la feuille ! L’arbitrage vidéo ayant été utilisé pour la première fois lors de la Coupe du monde de foot en Russie, j’ai donc choisi Youtube comme VAR (Video assistant referee) et, vérification faite [https://www.youtube.com/watch?v=gd-TnWYc9A0], le doute n’était plus permis : il y a bien eu faute et le fautif n’avait pas droit à l’erreur, d’une part parce que son Ambassadeur à Ouagadougou prononce correctement « Burkina Faso » et d’autre part parce que s’étant entouré d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique regroupant différentes personnalités africaines et présidé par M. Jules-Armand Aniambossou, ancien Ambassadeur du Bénin en France, il disposait de tous les conseils pour dire « Bourkina Faso ». Donc carton rouge confirmé.

La deuxième personnalité qui écope d’un carton rouge est M. Manuel Valls, député et ancien Premier ministre. Le 2 décembre 2017, il a été l’invité politique de l’émission « On n’est pas couché » animée sur France 2 par Laurent Ruquier. Interrogé par Madame Christine Angot, il a mal prononcé « Burkina Faso », pays qu’il a pourtant visité après l’attentat terroriste de janvier 2015 alors qu’il était Premier ministre. Je doute fort que lors de son séjour à Ouagadougou il ait entendu prononcer « Burkina » comme il l’a fait. L’arbitrage vidéo de Youtube permet là également de confirmer la sanction. (https://www.youtube.com/watch?v=UFJfyDeHdr4)

Nous sommes Burkinabè, pas Burkinais…ou « l’affaire Senghor »

Du haut de sa stature d’agrégé de grammaire française et de nouvel académicien (il a été élu à l’Académie française le 2 juin 1983), le Président du Sénégal, M. Léopold Sédar Senghor, a écrit au Président Sankara pour lui dire qu’en bon français, les habitants du Burkina Faso devraient être appelés des Burkinais et non des Burkinabè. L’existence de cette correspondance a été confirmée par plusieurs sources dont M. Basile Guissou [https://www.youtube.com/watch?v=jWInL0WtTso].

De toute évidence, le premier africain à entrer à l’Académie française créée en 1635 n’avait pas compris que c’est à dessein que les expressions « Burkina Faso » et « Burkinabè » ont été tirées de nos langues nationales et pas du français, ce que le chantre de la négritude en lui aurait dû apprécier, voire applaudir. Toujours est-il que la parole d’un « immortel » (c’est ainsi que l’on appelle les membres de l’Académie française) ayant plus de poids que celle des mortels, « burkinais » aura droit de cité, y compris dans la législation française. En effet, un arrêté du 4 novembre 1993 signé conjointement par le Ministre des affaires étrangères, M. Alain Juppé et celui de l’éducation nationale, M. François Bayrou, a été publié au Journal Officiel du 25 janvier 1994. Dans ledit arrêté relatif à la terminologie des noms d’États et de capitales, « burkinabè » (correctement orthographié) est reconnu comme le gélidé invariable de Burkina Faso mais, curieusement (?), « burkinais et burkinaise(s ) » sont également indiqués comme des variantes, consacrant ainsi le point de vue du Président Senghor. Pas étonnant dès lors que ces expressions erronées aient été reprises dans le dictionnaire Larousse , ou qu’elles soient acceptées comme valides pour les amateurs de scrabble (https://1mot.net/burkinais).

Nous sommes BurkinaBÈ, pas BurkinaBÉ

La circulaire Congo-Kaboré d’août 1984 avait clairement posé les règles applicables. « Burkinabè » s’écrit avec è (accent grave) et non é (accent aigu). Etant invariable, c’est donc « burkinabè » au singulier tout comme au pluriel, « burkinabè » au masculin et au féminin. Et de nos jours, pour être sociologiquement correct, on pourrait ajouter que c’est « burkinabè » en transgenre et dans tous les genres.

Hélas ! Ces règles ne sont pas toujours respectées, tant au Burkina Faso qu’à l’étranger. A Ouagadougou, l’immeuble abritant le siège d‘une importante société de la place comporte en façade de grandes affiches indiquant « Comptoir Burkinabé du Papier ». En raison de l’excellente visibilité offerte par ces affiches, je lui décerne un carton rouge.

Dans la presse en ligne on voit parfois burkinabé et burkinabè dans le même texte, tel cet article dans le Lefaso.net intitulé « Promotion de la culture burkinabé à l’étranger : La diaspora Burkinabè en Turquie s’active ! » Un contrôle aléatoire de quelques sites web de différentes administrations fait également ressortir des erreurs dont les webmestres ne peuvent pas être considérés comme les seuls responsables. Sont de ceux-ci le site de la Présidence du Faso qui indique dans le C.V du Chef de l’État qu’il est « Grand Maître des Ordres Burkinabé », ou celui du Ministère des Affaires étrangères où la rubrique « C.V du Ministre » mentionne qu’il est « Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabé de l’Extérieur » . Pour deux sites aussi emblématiques de notre souveraineté nationale, rien de moins qu’un carton rouge…soit à ceux qui ont fourni la matière première et/ou à ceux qui n’ont pas suivi avec plus de rigueur sa mise en ligne.

Ayant ainsi balayé devant ma porte…nationale, je suis à l’aise pour décerner également un carton rouge à un autre site présidentiel, à savoir celui de l’Elysée où j’ai déniché ce qui suit : « Le Président de la République française condamne l’attaque terroriste qui a frappé cette nuit un restaurant de la capitale du Burkina Faso. Il salue la mobilisation efficace des autorités burkinabé pour mettre fin à cette attaque. Les autorités françaises et burkinabé sont restées en contact étroit dans le courant de la nuit » . En l’occurrence, le carton rouge est peut être discutable. En effet, il y a faute sur la base de l’arrêté Juppé-Bayrou mentionné ci-dessus selon lequel il aurait fallu écrire « burkinabè » et non « burkinabé ». Toutefois, une recommandation de la Commission générale de terminologie et de néologie publiée dans le J.O du 24 septembre 2008 propose « burkinabé, burkinabée » comme gélidés du Burkina Faso . A ma connaissance, l’ arrêté n’ayant pas été abrogé, la sanction se justifie.

Enfin, last but not least, en tant qu’ancien Ambassadeur au Canada et ancien inspecteur du CCI, j’ai effectué des recherches à ces deux niveaux. Impossible de ne pas décerner un carton rouge au Bureau de la traduction à Ottawa, responsable de TERMIUM Plus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement canadien. On y retrouve « burkinabé », « burkinabée », « burkinais » et « burkinaise » comme gélidés prétendument « corrects » du Burkina . A l’opposé, le « Grand Dictionnaire terminologique » de l’ Office québécois de la langue française a retenu « burkinabè » depuis 1995 au lieu de « burkinabé » qui figurait dans l’édition de 1989, et en Suisse, la « Liste des dénominations d’États » publiée par le Département fédéral des affaires étrangères a opté également pour « burkinabè »,

Quant à l’ONU, dans le Bulletin terminologique sur les noms de pays et adjectifs de nationalité périodiquement mis à jour, « Burkinabè » figure comme le seul gélidé du Burkina. Il en est ainsi du Bulletin publié sous la côte ST/CS/SER.F/347/Rev.l et accessible sur le Sedoc (www.documents.un.org), la base documentaire de l’Organisation A cet égard, je décerne donc un carton rouge aux gestionnaires des sites web d’Onu Sénégal, du Haut Commissariat pour les Réfugiés et d’Afrique Renouveau, une revue trimestrielle publiée par l’ONU, pour n’avoir pas respecté l’orthographe prescrite. Selon le premier site, « la culture et la créativité » sont au cœur du « développement burkinabé ». Le second site fait état de l’insécurité au nord du Burkina Faso qui aurait incité « plusieurs milliers de “Burkinabés » de la province du Soum à quitter leur foyer pour fuir vers le sud ou vers l’est à l’intérieur des frontières de leur pays Le dernier site contient un article sur « le renouveau burkinabé » .

Nous sommes Burkinabè, pas Burkinabais, ni Burkinabaises, ni Burkina-fassiens

Outre un article du quotidien français Le Figaro qui avait comme titraille « la sélection burkinabaise » de football , j’ai déniché un « fauteur » bien plus coupable sur le site du Sénat français [http://www.senat.fr/], auquel je décerne un carton rouge. En effet, après avoir souligné que « Le Groupe d’amitié France Afrique de l’Ouest du Sénat condamne avec la plus grande fermeté le coup d’État militaire survenu au Burkina Faso le 16 septembre 2015 » le rédacteur du document incriminé conclut que « Seul le vote pacifique des Burkinabaises et des Burkinabais le 11 octobre prochain, dans le respect des règles constitutionnelles, permettra de donner au pays des dirigeants dotés d’une légitimité démocratique incontestable ». Le fautif n’aura respecté ni les instructions mentionnées ci-dessus dans l’arrêté Juppé/Bayrou de 1993 ni celles de la recommandation de 2008 faite par la Commission générale de terminologie et de néologie. Par contre, il se sera peut être inspiré du DUGEF, le « Dictionnaire universel des gentilés en français » dont l’auteur est M. Jean-Yves Dugas, un éminent linguiste et terminologue canadien qui a publié de nombreux articles sur ce sujet ainsi qu’un « Répertoire des gentilés du Québec » qui fait autorité. Ce « Dictionnaire universel » comportant quelque 8166 entrées donne « Burkinabé » et « Burkinabée » comme gentilés du Burkina Faso, ainsi que les variantes « Burkinabais » / « Burkinabaise », « Burkinais » et même « Burkina-Fassiens » sans aucune mention de « Burkinabè » !

Francophonie, gentilés et plurilinguisme

Sans être linguiste ou terminologue, force est de constater que, suivant que l’on est à Ottawa ou à Québec, à Paris ou à Berne, les experts eux-mêmes ne sont pas unanimes quant au gentilé applicable au Burkina Faso. Les dictionnaires en ligne ne font pas exception. Outre celui cité plus haut, j’en ai consulté deux autres. Le dictionnaire de TV5Monde ne retient que « burkinabé » et « burkinais,e ». Alors que le Larousse donne « burkinabé », « burkinais/burkinaise » et « burkinabè » , l’Encyclopédie du même nom indique « burkinabés » comme gélidé et « République du Burkina » comme nom officiel du pays .

Un autre constat est que, en France comme dans d’autres pays, certains noms de villes ou de villages ne permettent pas toujours d’en déduire le nom des habitants. C’est bien la preuve qu’il n’existe pas de règle intangible en la matière et que l’histoire, la géographie ou la politique sont autant de facteurs qui impactent également sur le choix d’un gélidé. Maints candidats au jeu télévisé « Questions pour un champion » auraient du mal à trouver où habitent les Couchetards, les Pictiens, les Sourdins et les Ypsiloniens pour ne citer que quelques cas, soit respectivement les habitants de Longcochon dans le Jura, de Poil dans la Nièvre, de Villedieu-les-Poêles dans la Manche et de Y dans la Somme. Et que dire de ces Soudanais vivant en France et qui ne sont les compatriotes ni du Président Omar el-Béchir ni ceux du Président Salva Kiir mais des habitants de Soudan en Loire Atlantique ou de Soudan dans le département des Deux-Sèvres ?

Pour ce qui est de « Burkinabè », un choix politique a été fait il y a trente-quatre ans, en s’appuyant sur deux des principales langues du pays et en décidant d’en faire un mot invariable. Certes, des linguistes font remarquer à juste titre que le suffixe -bè provenant du fulfuldé est une désinence plurielle dans cette langue et qu’il ne peut pas s’appliquer au singulier. Quoi qu’il en soit, le fait est que ce gélidé qui, à l’origine, se défendait d’être du français est venu en quelque sorte enrichir la langue de Molière, non seulement au Burkina Faso dont la seule langue officielle est le français, mais en étant reconnu à l’ONU où le français est à la fois langue officielle et langue de travail. Ne devrait-il pas en être de même dans tout l’espace francophone ?

En France le décret n°96-602 du 3 juillet 1996 modifié par le décret no 2015-341 du 25 mars 2015 a justement pour objectifs de « favoriser l’enrichissement de la langue française », « d’améliorer sa diffusion en proposant des termes et expressions nouveaux pouvant servir de référence, de contribuer au rayonnement de la francophonie et de promouvoir le plurilinguisme ». A ces fins, il a été créé une Commission appelée à travailler « en liaison avec les organismes de terminologie et de néologie des pays francophones et des organisations internationales ainsi qu’avec les organismes de normalisation ». Ses membres incluent notamment le Secrétaire perpétuel de l’Académie française ou son représentant et un représentant de l’OIF.

A l’horizon 2050, 80% des francophones du monde seront en Afrique et l’enrichissement de la langue française ne se fera pas sans leur contribution. Y a-t-il meilleur cadre que ladite Commission pour faire cesser la cacophonie qui règne au sein de la Francophonie afin que pour tous il soit acquis qu’au Burkina Faso, nous sommes Burkinabè…et rien d’autre ?

Louis- Dominique Ouédraogo
Ancien inspecteur et ancien Président du Corps commun d’inspection du système des Nations Unies

1. « Hama Arba Diallo répond aux questions du site thomassankara.net » [http://www.thomassankara.net/hama-arba-diallo-repond-aux-questions-du-site-thomassankara-net]
2. Décret n° 89-29 du 12 janvier1989 portant publication de l’accord général de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000885078&categorieLien=id
3. JORF. Arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d’Etats et de capitales []https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?cidTexte=JPDF2501199400001288&categorieLien=id
4. Dictionnaire Larousse [https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/burkinab%C3%A9/11731]
5. [http://lefaso.net/spip.php?article82962]
6. Site web de la Présidence du Faso. « Le CV du Président ». [http://www.presidence.bf/index.php/le-president/345-le-cv-du-president]
7. Site web du Ministère des affaires étrangères et de la coopération. L’intitulé du C.V du Ministre est resté inchangé à la date de publication de cet article.[http://www.mae.gov.bf/spip.php?article133].
8. Site web de l’Elysée « Communiqué-Attaque terroriste au Burkina Faso » http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/communique-attaque-terroriste-au-burkina-faso/
9. Commission générale de terminologie et de néologie. Recommandation concernant les noms d’États, d’habitants, de capitales, de sièges diplomatiques ou consulaires [https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?=JORFTEXT000019509867].
10. TERMIUM PLUS. http://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2alpha/alpha-fra.html?lang=fra
11. [http://www.gdt.oqlf.gouv.qc.ca/Resultat.aspx]
12. Confédération suisse. DFAE Liste des dénominations d’États 09.10.2017 [https://www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/aussenpolitik/voelkerrecht/liste-etats_FR.pdf]
13. [http://www.onusenegal.org/La-culture-et-la-creativite-au-coeur-du-developpement-burkinabe.html]
14. [http://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2018/4/5ad62c8aa/violence-mali-force-milliers-personnes-fuir-burkina-faso.html]
15. [https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/avril-2016/le-renouveau-burkinab%C3%A9]
16. http://sport24.lefigaro.fr/football/can/fil-infos/la-selection-burkinabaise-523955
17. [http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/pdf/DUGEF.pdf]
18. [http://dictionnaire.tv5monde.com/]
19. [https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-monolingue].
20. [http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Burkina/110582]
21. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000378502

Source : https://lefaso.net/sp ip.php?article84432

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