Par Hervé D’AFRICK

Les événements se sont déroulés vite, très vite. Ce 15 octobre 1987, aux environs de 16h30mn, des coups de feu retentissent au Conseil de l’Entente. Le président du Faso, Thomas Sankara, et douze de ses compagnons sont abattus. Trente-trois ans après ce triste épisode, des langues se délient. Voir également la liste des 25 inculpés.

Il venait à peine d’être 16h- Au domicile de Blaise Compaoré, situé, à l’époque, derrière l’ancienne Assemblée nationale, « des militaires s’adonnent à des jeux de boules et de damier » raconte un témoin de la scène. Blaise Compaoré, lui, est à l’intérieur de la maison. Et juste à côté, dans une maisonnette, Hyacinthe Kafando échange avec trois autres militaires. Et soudain ils sortent de la maisonnette. Et un ordre est aussitôt donné par Kafando. Il désigne des militaires parmi ceux qui étaient dans la cour et leur dit d’embarquer dans deux véhicules. Il ordonne ensuite aux conducteurs de démarrer. Et voici les véhicules qui quittent le domicile de Blaise Compaoré. Direction, Conseil de l’Entente. Hyacinthe Kafando est à bord de l’un des véhicules, à côté du chauffeur. A l’arrière, des militaires. L’autre véhicule est la 504 de Blaise Compaoré, confie un autre témoin. Mais Compaoré, lui-même, n’est pas à bord. Des militaires, armés essentiellement de kalachnikov sont à l’intérieur du véhicule. Mais comme s’ils voulaient parer à toutes éventualités, ils ont pris le soin de mettre d’autres armes dans les véhicules, confie un ancien militaire qui a suivi de près les événements. Il s’agit, dit-il, de RPG7 et de fusils mitrailleurs.

Le commando franchit une première barrière, à l’extrême nord de la Présidence. Il contourne ensuite l’immeuble de la Présidence, puis se retrouve au « rond-point » situé près de la Radio nationale. Le voici donc près du « poste Yamba Jean » juste à l’entrée de l’avenue communément appelée « voie du Conseil ». Et comme si des consignes avaient été données, l’un des gardes ouvre la barrière et laisse passer les véhicules. Cinquante mètres plus tard, à droite, un autre poste de garde. Mais pas d’inquiétudes. Les soldats postés connaissent bien les éléments du commando. La garde du Conseil est assurée, comme d’habitude, par des soldats venus du Centre d’entraînement des para-commandos de Pô, dirigé par le Capitaine Blaise Compaoré, secondé par Gilbert Diendéré qui avait, au moment des faits, le grade de Lieutenant.

Ainsi, cet après-midi du 15 octobre, aux environs de 16h 20 mn, « l`entrée du Conseil est complètement ouverte ». Les véhicules entrent par la grande porte. Tout semble avoir été bien planifié. Les auteurs du coup d’État ont réussi à désarticuler le dispositif de sécurité. « Les différents postes de garde, qui comportaient d’habitude six éléments, ont vu leur effectif réduit dans l’après-midi du 15-0ctobre. Il n’y avait que deux éléments par poste ». Une réunion dite « Réunion CDR » a été expressément organisée, au même moment, au sein de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), située derrière la grande muraille du Conseil de l’Entente. Plusieurs militaires, dont certains devaient être en principe de garde, ou au sein du Conseil, avaient reçu instruction de participer à cette rencontre. De sorte que, même si une alerte était donnée au sein du Conseil, ils n’auraient pas pu s’y rendre à temps. De plus, c’était jour de sport militaire et la plupart des soldats qui participaient à la réunion n’étaient pas armés. Le terrain était donc déblayé explique un témoin. Les deux véhicules n’ont rencontré pratiquement aucun obstacle. D’habitude, les contrôles sont très stricts. Mais là, il n’y avait pratiquement aucune barrière. Des complicités sans doute, le long du trajet.

Et ensuite, les faits s’accélèrent. Les deux véhicules avancent vers le bâtiment où Sankara et ses compagnons tiennent la réunion. Soudain, l’un des véhicules bifurque et s’arrête juste après le couloir du Secrétariat du Conseil. Le deuxième tente de le suivre. Mais le conducteur est très vite rappelé à l’ordre par Hyacinthe Kafando qui « fait pression sur le volant » confie l’un des membres du commando, sous le sceau de l’anonymat. Le geste est tellement brusque que le véhicule heurte quelque peu la porte du couloir menant au Secrétariat. Et aussitôt, les militaires descendent des véhicules et se mettent à tirer. « Chacun avait un fusil kalachnikov et des chargeurs. Certains avaient trois chargeurs, d’autres quatre » précise une source bien au parfum de l’affaire. Les éléments de sécurité du Président Sankara, postés devant le bâtiment abritant la réunion, sont surpris par la tournure des événements. Ils sont abattus. Des éléments du commando, dans un air de colère, intiment, à distance, l’ordre aux occupants du bâtiment de sortir. Sankara demande aux autres de rester. « C’est de moi qu’ils ont besoin » dit-il. Et à peine sorti qu’il est criblé de balles de kalachnikov. « Il avait les mains en l’air il n’avait pas d`armes dans la main. Et au moment de sortir, il a croisé Hyacinthe, Maïga et Nabié qui ont tiré » Plus tard, lorsque tout était joué, « Maïga, l’un des conducteurs, est allé chercher Blaise Compaoré avec la 504 à côté de l’Assemblée nationale. II est allé le chercher, avec à bord du véhicule, Hyacinthe Kafando, N’Soni Nabié, Otis Ouédraogo et Idrissa Sawadogo » confie une source militaire présente, ce jour-là sur les lieux du drame. Et il ajoute qu’ils ont conduit Blaise Compaoré directement à la radio. Ce n’est que le lendemain matin que ce dernier s’est physiquement rendu au Conseil.

Tous les autres participants à la réunion ont été abattus. A l’exception de Alouna Traoré qui a fait le mort en baignant dans le sang des autres. Mais Alouna n’est pas, en réalité, le seul survivant de cette tragédie. L’un des militaires, soldat de première classe, Bossobé Traoré, a également pu s’échapper. Il a escaladé le mur du Conseil de l’Entente et s’est enfui après avoir reçu une balle à la main. Et derrière le mur, une dame en véhicule. C’est elle qui l’a conduit à l’hôpital. Selon des sources concordantes, sa situation s’est détériorée par la suite. Et à ce qu’on dit, le Président Compaoré, qui a pris les rênes du pouvoir après le coup d’État, l’a envoyé se soigner en France. Il y est resté pendant près d’un an, confie l’un de ses proches. Selon certains témoignages, l’attitude de ce miraculé, avant et pendant l’attaque, suscite de grosses interrogations.

Et à propos de l’assassinat de Sankara et de ses compagnons, il existe un faisceau d’indices concordant. « Ce sont les gardes de corps de Blaise Compaoré qui nous ont attaqués » affirme un proche de Thomas Sankara. Et il cite des noms . Hyacinthe Kafando, Arzouma Otis Ouédraogo, Nsoni Nabié, Wampasba Nacoulma, Salam Yerbanga, Idrissa Sawadogo, Bangré Tondé, un certain Maïga et bien d`autres. Hyacinthe Kafando, «leur chef », portait, ce jour-là, une arme de type carabine avec lunettes de visée, de même qu’un pistolet automatique. Gilbert Diendéré était également de la partie. Il était le N°2 du Centre national d’entraînement commando de Pô. Et ce sont ses hommes qui étaient à la manœuvre. Selon certains témoignages, il était au Conseil de l’Entente peu avant la fusillade.

L’expertise balistique, pratiquée sur les restes de Sankara et de ses douze compagnons, égrène des pistes. Les projectiles retrouvés donnent des pistes sur le type d’armes utilisé. « Des fusils d’assaut de type kalachnikov (7, 62 mm) et des HK G3. Possible également que cela provienne de pistolets semi-automatiques ou de pistolets mitrailleurs » indique une source militaire. Mais concernant l’expertise génétique, il n’y a pas eu de résultats probants. Raison invoquée : l’ADN des restes humains de Sankara et des douze autres personnes abattues était trop dégradée. Du fait sans doute des aléas climatiques, les corps étant enterrés à seulement quelques centimètres du sol. Depuis 30 ans…

Mais l’instruction du dossier est pratiquement terminée. Le juge a rendu son ordonnance de renvoi devant la Chambre de contrôle du Tribunal militaire. Selon nos sources, 25 personnes ont été mises en examen. Mais dans le procès en perspective, il y aura des maillons manquants Quatre inculpés sont décédés. Mais les vingt-une autres ne seront pas non plus toutes à la barre. Blaise Compaoré, Hyacinthe Kafando et Omar Traoré, tous « en fuite » sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Mais ces mandats, qui auraient pu apporter un coup de lumière au dossier, n’ont jamais été exécutés. Le procès, s’il a lieu, laissera, sans doute, un goût d’inachevé.

Hervé D’AFRICK


4 inculpés décédés

Ils ont été auditionnés. Mais ils sont décédés par la suite. Parmi eux, le Colonel-Major, Alain Laurent Bonkian. II était en service, au moment des fait, au Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Po. Il avait été inculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat. Mais il n’était pas détenu.

Également, le Colonel Simon Bambara. II était médecin militaire. Et occupait le poste de Médecin-Chef du dispensaire de l’infirmerie de garnison au camp Guillaume Ouédraogo au moment des faits. Lui avait été inculpé de faux en écriture authentique ou publique. II n’était pas en détention non plus.

L’Adjudant-Chef Major Tasséré Dianda est aussi sur la liste. Sa fonction au moment des faits Officier des transmissions de l’armée de l’Air et Chef du bureau information de l’Air. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État de complicité d’assassinat et de complicité de recel de cadavres. Il n’était pas en détention.

Enfin, le Caporal Salam Yerbanga, inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat et de recel de cadavres. Il était en service au Centre national d’entraînement commando au moment des faits. II avait été mis sous mandat de dépôt en septembre 2015. Mais en novembre 2016, il avait bénéficié d’une liberté provisoire.

21 personnes dans le box des accusés

1. Adjudant-Chef Moussa Tamboura, gendarme à la retraite. En service, au moment des fait. Si à la Compagnie de gendarmerie de Koudougou. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat.

2. Colonel-Major Mori Aldiouma Jean Pierre Palm, gendarme à la retraite. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’Etat et de complicité d’assassinat.

3. Capitaine Gérard Daboné, militaire à la retraite, en service à l’Escadron motocycliste commando (EMC) à Pô au moment des faits. IInculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat.

4. Adjudant-Chef Albert Pascal Sibidi Bélemlilga, à la retraite. En service à l’Escadron motocycliste commando (EMC) alors basé à Pô. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat-

5. Ninda Tondé dit Pascal alias Manga Naaba. Soldat de 1 re classe à la retraite. Inculpé de subornation de témoin. Il a été mis sous mandat de dépôt en septembre 2017 avant de bénéficier d’une liberté provisoire en janvier 2018.

6. Le Soldat de 1re classe Yamba Elysée llboudo, à la retraite est inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat et de recel de cadavres. Mandat de dépôt octobre 2016. Liberté provisoire avril 2018. Il était en service au Centre national d’entraînement commando (CNEC).

7. Omar Traoré. Lui est Directeur de société. En service, au moment des faits au Centre national d’entraînement commando (CNEC). Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, de complicité d’assassinat, et de complicité de recel de cadavres. Il est en fuite. Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui en novembre 2016.

8. Adjudant-Chef Roger Kéré. A la retraire. Au moment des faits, en service au Centre national d’entraînement commando. Il est inculpé d’attentat, de complicité d’assassinat, et de complicité de recel de cadavres. Mandat de dépôt mai 2016, puis liberté provisoire le 24 janvier 2019.

9. Gabriel Tamini. II est journaliste. Il était, au moment des faits, en service à la Radio nationale, mais il avait écopé dune suspension. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État; de complicité d’assassinat, et de proposition non agréée de former un complot. Il avait été mis  sous mandat de dépôt en novembre 2015 avant de bénéficier dune liberté provisoire en septembre 2017

10. Alidou Jean Christophe Diébré. Médecin militaire à la retraite. Il a le grade de Colonel-Major. Quand les faits se produisaient, il occupait le poste de Directeur central du Service de santé des Forces armées populaire. Inculpé de faux en écriture authentique ou publique

11. Colonel-Major Hamado Kafando, médecin militaire. Il était Médecin-Chef de l’infirmerie de la Présidence du Faso au moment des faits. Il est inculpé de faux en écriture authentique ou publique.

12 Le soldat de 1re classe, Nabonsseouindé Ouédraogo, actuellement à la retraite est inculpé d’attentat à la sûreté de l’Etat, d’assassinat, de complicité d’assassinat et de recel de cadavres. En mai 2019, il a bénéficié d’une liberté provisoire. Il avait été mis sous mandat de dépôt le 22 juin 2020. II était en service au Centre national d’entraînement commando (CNEC) au moment des faits.

13. Wampasba Nacoulma, Caporal-Chef à la retraite. Il a été mis sous mandat de dépôt le 29 juin 2015 Il a obtenu, par la suite, une liberté provisoire le 29 mars 2019. Au moment des faits, il était en service au Centre national d’entraînement commando, à Pô. II est inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat, de complicité d’assassinat et de recel de cadavres.

14. Bossobè Traoré. Il a le grade de Sergent. En service, au moment des faits, au Centre national d’entraînement commando. Inculpé de complicité d’attentat à la sûreté de l’État, de complicité d’assassinat de complicité et de recel de cadavres. Mis sous mandat de dépôt le 20 juillet 2015. Liberté provisoire le 23 janvier 2018.

15. Adjudant-Chef Major Youngton Bansé. A la retraite. Il était, au moment des faits, en service au Centre national d’entraînement commando. Inculpé de faux en écriture authentique ou publique.

16. Général de Brigade Gilbert Diendéré. Chef de corps adjoint du Centre national d’entraînement commando au moment des faits. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat, de recel de cadavres, de subornation de témoin et de violation du secret professionnel. Il a été mis sous mandat de dépôt le 12 novembre 2015. Il a ensuite bénéficié d’une liberté provisoire en juillet 2017 avant d’être mis à nouveau sous mandat de dépôt en septembre 2017.

17. Caporal Idrissa Sawadogo. Militaire à la retraite. Était en service au Centre national d’entraînement commando (CNEC) au moment des faits. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat et de recel de cadavres.

18. Colonel Tibo Ouédraogo, Officier des Forces armées à la retraite. Commandant de l’Escadron motocycliste commando (EMC) à Pô, au moment des faits. Il est inculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat.

19. Diakalia Démé; Adjudant-Chef Major à la retraite. Lui aussi était en service à l’Escadron motocycliste commando (EMC) à Pô au moment des faits. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État et de complicité d’assassinat.

20. Adjudant Tousma Hyacinthe Kafando, militaire à la retraite. En service au Centre national d’entraînement commando (CNEC) au moment des faits. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État, d’assassinat, et de recel de cadavres. En fuite. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis le 27 août 2015

21. Capitaine Blaise Compaoré dit Jubal. A la retraite. Ancien ministre d’État, ministre de la Justice, Chef de corps du Centre national d’entraînement commando (CNEC) au moment des faits. Inculpé d’attentat à la sûreté de l’État de complicité d’assassinat et de complicité de recel de cadavres. Il est en fuite. Mandat d’arrêt international lancé contre lui le 4 décembre 2015.

NDLR : Toutes les personnes citées sont présumées innocentes tant qu’elles n’ont pas été entendues, jugées et condamnées par un tribunal

Source : https://www.courrierconfidentiel.net/index.php/toutes-nos-editions-2/269-tous-les-numeros-de-l-annee-2020/cc-n-214-du-15-octobre-2020/2142-assassinat-de-thomas-sankara-les-faits-se-precisent

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