Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. L’article ci-dessous relate qu’un putsch, ou un ballon d’essai, a été déjoué le 28 février 1983. Cet article a été retranscrit par Achille Zongo, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga.
La rédaction
Autopsie d’un putsch Manqué
Par Mohamed Maïga
Qui est derrière ce qui semble avoir été plus une manipulation ou un ballon d’essai qu’une véritable tentative de coup d’État ?
Les Voltaïques ne furent pas totalement surpris lorsque, le 3 mars, ils apprirent, par la voie officielle, qu’une tentative de coup d’État venait d’être déjouée. Le climat politique n’est pas en effet des plus sains depuis que le 7 novembre 1982, l’ensemble de la classe politique traditionnelle a perdu le pouvoir au profit des jeunes officiers et des soldats de la base du Conseil du salut du peuple (CSP.). Il est vrai que la prise du pouvoir par la troupe avait tout ce que l’explosive société voltaïque comporte de contradictions ou d’antagonismes. Propos véhéments de leaders déchus par ci, rumeurs de tensions au sein de l’équipe dirigeante par là, bruits de putsch militaire imminent par ailleurs, tout concourait la création d’un climat de tension dans une société qui, indéniablement, se trouve en pleine mutation, La tentative de renversement du régime, le 3 mars, en est apparue comme une confirmation.
Selon diverses sources concordantes, ce renversement devait intervenir le 28 février: s’ouvrait alors Ouagadougou, au camp Guillaume Ouédraogo, l’assemblée générale du C.S.P. Devait s’y réunir l’ensemble de la direction politico-militaire de la Haute-Volta; plus de cent vingt soldats, chaque unité militaire y étant représentée par trois personnes (un officier, un sous-officier et un homme de troupe). Les conjurés avaient donc là une occasion exceptionnelle de décapiter le pouvoir issu du 7 novembre 1982. Qui plus est, ils n’entendaient pas faire de détail : une violente mitraillade devait éliminer l’ensemble des conférenciers.
Le 28 février, les comploteurs ont eu un moment d’hésitation qui a été fatal à leur projet et bénéfique au peuple voltaïque. Ce jour-là, le capitaine Thomas Sankara (Premier ministre) était absent de Ouagadougou; il se trouvait à Tripoli (Libye), retenu par une visite de courtoisie et de travail qui s’était prolongée plus que cela n’était prévu initialement. A quoi bon, s’interrogèrent les putschistes, engager une action violente qui épargnerait celui qu’à Ouaga chacun appelle simplement « le Capitaine »?
N ‘est-il pas considéré comme le pilier central du dispositif militaire au pouvoir? Autant attendre son retour afin d’éviter l’instabilité ou tout risque de retournement de la situation. C’est dans cet intervalle « qu’un des conspirateurs un soldat de première classe sans doute pris de remords est venu nous vendre la mèche » nous a confié un sous-officier. Il ne restait qu’à ‘’cueillir’’ les autres prétendants au pouvoir. Des prétendants dont l’organisation le sérieux laissent pour le moins désirer. Une question, en particulier, rend perplexe ; comment espéraient-ils franchir l’impressionnant cordon de commandos bien entrainés qui assuraient la sécurité de l’assemblée générale du C.S.P.? D’autant que les quatre officiers qui en seraient les protagonistes auraient selon diverses indiscrétions, présenté aux hommes de troupe leur projet comme une revanche à prendre. Les hommes du C.S,P. ont fait leur putsch pour libérer les leurs, emprisonnés par le CMRPN (Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National); pourquoi ne ferions nous pas de même ? « Telle était leur argumentation », nous a confié un membre de l’organe suprême voltaïque, rapportant les aveux d’un des conspirateurs. Singulière méprise sur l’actuel mouvement des forces armées voltaïques. Il est vrai que, dans les milieux proches du CSP. Les dits officiers n’ont pas la réputation d’être des têtes politiques ni ce qui est plus grave de brillantes tes militaires. A Ouagadougou on les compare plutôt à la bande des quatre dirigeants maliens arrêtés en 1978, plus portés vers les activités lucratives (notamment la spéculation immobilière) et les plaisirs de « Ouaga by night » que vers les exigeantes rigueurs de la carrière des armes… Cerveau du projet de putsch, le médecin commandant Ambroise KAGAMBEGA, ancien membre du secrétariat permanent du C.M.R.P.N était aussi une éminence grise de certains hommes du précédent régime. Son nom aurait même été murmuré pour la tète de la diplomatie de son pays à l’occasion du dernier remaniement ministériel par l’ancien président Saye Zerbo. Ses espoirs furent déçus. Si, le 7 novembre dernier, il n’a pas été arrêté, c’est que le pédiatre Kagambega était hors de Haute-Volta, qu’il n’a regagnée qu’après la normalisation de la situation alors que les dirigeants actuels, soucieux d’apaisement, avaient mis un terme aux arrestations. Dans certains milieux, on fait fréquemment état de sa vie privée, plutôt agitée…
Il en est de même du commandant Apollinaire Sié Kambou, également ancien du secrétariat permanent du CMRPN., ancien administrateur de l’hôpital Yalagdo de la capitale voltaique sous Sangoulé Lamizana. Son départ de ce poste avait été présenté, à l’époque, comme une mesure discipline, du fait de ses démêlés avec le personnel féminin de l’établissement, mais aussi en raison, dit-on, des défaillances financières de l’hôpital. Sous le C.M.R.P.N., il était connu comme un diligent rédacteur des rapports politiques du Comité militaire. Un moment emprisonné à la prise du pouvoir par le CSP. ll a été rapidement élargi, ayant eu tout compte fait, peu de responsabilités sous le défunt régime.
II semble bien, en outre, que la cheville ouvrière de la tentative de renversement telle qu’elle apparaît aujourd’hui ait été le lieutenant Boureima Yougo, un officier généralement présenté comme “discret et efface”. Proche du C.M.R.P.N, il avait été nommé par celui-là directeur de la Société Industrielle Voltaique des Armes et Munitions (SIVAM), anciennement Carvolt (Cartoucheries Voltaique), contrôlée de près par l’IIIe République. De source officielle, c’est le lieutenant Yougo était chargé de fournir les quatre mille cartouches qui, le 28 février, devaient éliminer la direction politique voltaïque. Certains affirment qu’il envisageait l’action violente par loyauté envers ses supérieurs du C.M.R.P.N. On le disait aussi assez lié à la personne du capitaine Kassoum Ouédraogo, ancien membre du comité directeur de cet organisme et ancien commandant du groupe d’artillerie de la capitale.
Aux côtés du lieutenant Yougo, le lieutenant Kaba Dubidié devait jouer un rôle déterminant en tant qu’officier du groupement blindé. Lui aussi est présenté comme très lié au C.M.RLP.N à travers diverses personnalités dont le capitaine Georges Boni, ancien ministre de la Jeunesse. Ses adversaires le disent “ambitieux et déçu, n’ayant eu aucune responsabilité ou promotion sous le CSP”.
On comprend que la révélation de ce projet de coup d’État, de toute évidence voué à l’échec, ait laissé les Voltaïques perplexes. A telle enseigne que certains n’excluent pas une manipulation, voire un ballon d’essai, par des milieux qui ne seraient pas encore apparus au grand jour et dont il appartient à l’enquête en cours de déterminer la réalité et l’importance.
Mohamed Maïga
Source : Afrique Asie N°292 du 28 mars 1983.