Publié dans le bimensuel MUTATIONS, daté N°83 du 15 Août 2015
Instruction du dossier Sankara Hyacinthe Kafando en fuite
Convoqué par le juge d’instruction fin juin dernier, l’exadjudant-chef Hyacinthe Kafando n’a pas répondu à l’appel. Aux dernières nouvelles, il serait hors du pays.
L’instruction du dossier de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons du 15 Octobre 1987 progresse. Des dizaines de personnes ont été entendues. A titre de témoins, la plupart d’entre elles ont fait des dépositions intéressantes. Des témoins clé comme Alouna Traoré ont été entendus, sans oublier les derniers à avoir vu les corps des suppliciés, à savoir les ex-détenus de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) qui ont enterré Sankara et ses compagnons la nuit du 15 Octobre.
Mais les auditions les plus attendues sont celles des présumés exécutants et commanditaires. C’est dans ce sens que Hyacinthe Kafando a été convoqué par le juge d’instruction François Yaméogo comme nous l’écrivions dans notre parution N°80 du 1er juillet dernier. Un confrère avait essayé de démentir cette information en tentant de la déformer. Il prétendait dans un post sur sa page facebook que nous avons affirmé que Kafando a été entendu. Or, nous disions simplement qu’il a reçu une convocation du juge. Ce qui est bien différent d’avoir été entendu par le juge.
Selon nos informations, Kafando devait se présenter devant le juge le 22 juin dernier. Il n’était pas le seul à être convoqué. D’autres présumés exécutants du massacre du 15 Octobre avaient aussi reçu des convocations. Dans la période du 22 juin au 2 juillet, ces présumés exécutants ont d’ailleurs été déférés à la prison militaire. Que s’est-il donc passé pour que l’ex-chef de la garde rapprochée de Blaise Compaoré ne réponde pas, lui, à l’injonction de se présenter du juge ?
Kafando sous pressions
De sources concordantes, avant la date de sa convocation, Kafando se serait ouvert à certaines personnes. Selon certaines indiscrétions, il était disposé à collaborer pour la manifestation de la vérité. Il disait être prêt à témoigner devant le juge et ne rien occulter de sa responsabilité et de celle des autres, notamment Gilbert Diendéré et Blaise Compaoré dans la préparation et l’exécution du coup d’Etat qui a emporté le président Sankara. Que s’est-il donc passé pour qu’il se rebiffe à la dernière minute ?
De sources sûres, il aurait subi des pressions. Il aurait été contacté par une des parties intéressées par l’instruction pour conclure un « marché ». N’ayant pas pardonné à cette personne sa traversée du désert entre 1996 et 2001, période de son exil après une dispute au sein du RSP, Hyacinthe Kafando aurait catégoriquement refusé l’offre au premier contact de l’émissaire envoyé négocier avec lui. Il aurait reçu par la suite des menaces s’il osait se présenter au tribunal militaire. De quels types de menaces s’agit-il ? Il nous revient qu’on a mis à contribution un de ses fils, soldat du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP). Ce dernier devrait convaincre son père d’accepter la collaboration de ses ex-supérieurs. Malgré ces pressions, il aurait persisté dans son refus. Tout de même, à la date du 22 juin, il n’est pas allé répondre à la convocation. Il était hors de Ouagadougou. Pour certains, il était à Boulsa, son village natal. Craignait-il pour sa sécurité ou celle de ses proches s’il se présentait au cabinet du juge ?
Un fait atteste que la pression est réelle. C’est l’arrestation de son fils dans la foulée de la crise RSP-Zida. Il fait partie des dix soldats mis aux arrêts après les tirs entendus dans la soirée du 29 juin au camp Naaba Koom II. La hiérarchie du RSP les accuse d’être les auteurs de ces tirs. Ils seraient, selon elle, au service du Premier ministre qui les aurait offerts des cadeaux pour semer le trouble au sein de l’unité. Le fils Kafando ferait partie du lot. Mais d’autres sources indiquent qu’en réalité, la vraie raison de son arrestation est liée au dossier Sankara. Cette arrestation serait un moyen de pression sur son père pour l’obliger à ne pas collaborer avec la justice.
Kafando a-t-il cédé à ce chantage ? Sa fuite laisse-t-elle supposer maintenant qu’il est disposé à examiner favorablement la proposition de ses ex-supérieurs. Rien n’est moins sûr. Mais aucune hypothèse n’est à exclure. Il reste seulement à savoir si la stratégie de la fuite peut tenir pour longtemps. Sa convocation n’a pas été annulée et ses ex-camarades sont devenus des pensionnaires de la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA). S’il est avéré qu’il se trouve à Abidjan comme le croient certaines sources, il est fort probable que la justice va lancer un mandat d’arrêt international contre lui. Ce serait un premier test pour s’assurer de la collaboration des autorités ivoiriennes, avant peut-être celui contre Blaise Compaoré dans les dossiers le concernant.
Abdoulaye Ly
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Qui est Hyacinthe Kafando ?
Sa silhouette est apparue aux Burkinabè sous la Révolution. Il était reconnaissable par ses lunettes noires, toujours derrière son patron Blaise Compaoré. On l’a surnommé l’ange gardien de Blaise. Grand de taille, Hyacinthe Kafando est entré dans l’armée avec le niveau CEP. Affecté au Centre d’entrainement commando de Pô, il va se distinguer très rapidement, Le chef du Centre d’entrainement commandos (CNEC) de Pô va l’appeler à ses côtés pour faire partie de sa garde rapprochée. Il va finir par devenir le chef de cette garde sous le commandement de Gilbert Diendéré.
Selon plusieurs témoignages, il serait le chef du commando chargé de « neutraliser » le chef de la Révolution le 15 Octobre 1987. C’est lui qui aurait tiré sur le président. Lui-même s’en vantait dans des maquis de Ouaga d’avoir conquis le pouvoir pour Blaise Compaoré. Devant des ministres, il n’hésitait pas à leur faire comprendre qu’ils lui doivent leur place.
Mais les relations avec Diendéré vont se détériorer au fil du temps. Il se sent à l’étroit. La tension est à son comble en 1996. Pour désamorcer la situation, Kafando est envoyé au Maroc pour un stage. Mais il ne terminera pas son stage, il revient précipitamment à Ouagadougou à l’orée du sommet France-Afrique de novembre 1996 dont le volet sécurité est piloté par son intime ennemi Diendéré. De retour, il est cueilli par les hommes de ce dernier qui avaient pris le soin de mettre ses partisans aux arrêts. Certains sont affectés dans des garnisons à l’intérieur du pays.
Arzouma Ouédraogo dit Otis n’aura pas, lui, cette chance. Il est liquidé et jeté au bord d’une route avec sa voiture, ce qui permet de masquer le meurtre en accident. Une méthode très connue au régiment, Otis lui-même ayant participé à ces sales besognes comme celle qui avait consisté à se débarrasser de Gaspard Somé sur la route de Djibo en 1991.
Affaibli, Hyacinthe a été contraint en exil. Pour l’opinion publique cependant, il était donné pour mort. Il a fallu attendre 2001 avec le processus dit de réconciliation nationale initié à la suite de crise de Sapouy (assassinat du journaliste Norbert Zongo) pour le voir revenir au bercail. Après des années « sabbatiques », il se lance en politique. Il est placé 2è titulaire dans sa province d’origine, le Namentenga, aux législatives de mai 2007 sous la bannière de l’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès. Mais aux élections couplées de décembre 2012, il ne gagne pas la bataille du positionnement au sein du parti. Comme d’autres anciens caciques du régime, il s’était reconverti dans des affaires jusqu’à la survenue de l’insurrection.
Devenu très discret, on l’a jamais entendu se prononcer sur des sujets politiques, même quand il était à l’hémicycle. Reconverti dans une des religions dite révélée, ses proches disent qu’il était prêt à soulager sa conscience en disant la vérité sur ce qui s’est passé le 15 Octobre 1987.
Abdoulaye Ly
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Enterrement de Sankara Deux autres témoins font leur apparition
Les langues se délient jour après jour dans l’affaire Sankara. Après l’ex-député sankariste, Yamba Malick Sawadogo, qui avait témoigné le premier avoir participé à l’enterrement des suppliciés du 15 Octobre 1987, deux autres exdétenus ont également fait des révélations sur cette nuit qu’ils ont passé au cimetière de Dagnoen.
Dans un premier temps, ils sont allés se confier à un dirigeant d’un parti sankariste début juin. Ils ont décliné leur identité (que nous taisons pour le moment) et affirment qu’ils ont non seulement enterré Sankara, mais détiennent aussi quelques objets personnels du président Sankara. Il s’agit notamment d’une ceinture que Sankara portait ce jour et ses chaussures. Ils soutiennent aussi savoir qui a enlevé l’alliance que portait le président assassiné et qui l’a récupérée par la suite. Après de telles révélations, ils ont naturellement été conduits chez un des avocats de la famille Sankara. Ce dernier va à son tour les recommander d’aller se confier au juge d’instruction.
Selon des sources concordantes, ils ont été effectivement entendus par le juge. Ces ex-prisonniers ne sont pas les seuls à faire des révélations sur ce dossier emblématique. D’autres témoins auraient également parlé, notamment des personnes qui étaient présentes dans l’enceinte du Conseil de l’Entente dans la soirée fatidique du 15 octobre 1987. Tous ces témoignages permettent de reconstruire le puzzle du drame et des acteurs clés de cette tragédie. En dehors donc des témoins indirects qui se sont beaucoup exprimés sur le sujet, il existe de plus en plus des témoins directs du drame qui brisent le silence pour apporter leur part de vérité sur les circonstances exactes de l’assassinat du président Sankara et de ses 12 compagnons.
Abdoulaye Ly
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Dossier Sankara Trois personnes en prison
La Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA) accueille ses premiers pensionnaires dans l’affaire Sankara. Il s’agit de Ouédraogo Nabonswendé, Nacoulma Wempasba et de Tondé B. Ils seraient tous membres du commando ayant assassiné le président Thomas Sankara et ses 12 compagnons le soir du 15 octobre 1987.
C’est dans le mois de juin que deux d’entre eux auraient été entendus par le juge d’instruction. L’un a été entendu et placé sous mandat de dépôt le 22 juin et le deuxième une semaine plus tard. Le troisième mandat de dépôt serait intervenu en début juillet. Des chefs d’inculpation « attentat, assassinat et recel de cadavre » auraient été retenus contre eux. A part eux, un autre ex-militaire a aussi été entendu début août au titre de « témoin » dans le « faux en écriture publique et authenticité » du certificat de décès de Thomas Sankara. Il s’agit de Youngton Bansé qui avait témoigné dans Mutations N°78 du 1er juin dernier (voir thomassankara.net/?p=1807). Il affirmait avoir « rédigé » le certificat de décès de Sankara et l’envoyé pour signature au colonel Diébré qui était jusque-là le seul inculqué dans le dossier. Ce dernier n’aurait pas été entendu pour le moment.
Outre ces trois ex-militaires inculpés, le commando qui est intervenu au Conseil de l’Entente le 15 octobre 1987 pour « neutraliser » le président Sankara était composé de Ouédraogo Arzouma dit Otis, Nabié N’soni, Kabré Moumouni et Hyacinthe Kafando. Parmi eux, c’est seulement la mort de otis qui est véritablement attestée. Pour Nabié et Kabré, il n’y aurait aucune preuve formelle. Tous ces soldats étaient sous le commandement de Gilbert Diendéré en 1987. Ils faisaient partie de l’unité d’élite de Pô, le Centre d’entrainement commando (CNEC) créé par Sankara dans les années 70. A partir de 1981, C’est Blaise Compaoré qui prend les commandes du centre avec comme adjoint Gilbert Diendéré. A partir de 1983, c’est ce dernier qui assure de fait le commandement de la troupe vu les occupations gouvernementales de Blaise Compaoré. Ce sont les soldats du centre qui assuraient la sécurité du président Sankara.
Abdoulaye Ly