Il a rencontré Sankara avant qu’il ne prenne le pouvoir. Et il était au Burkina le jour où il a été assassiné. Avec le souci de la vérité pour seul guide, Bruno Jaffré raconte l’histoire de ce révolutionnaire et milite pour qu’on enquête sur les responsabilités françaises de son exécution.

Jeune militant communiste, Bruno Jaffré rêve d’Afrique. Pour son service national, il demande à partir à Madagascar. Ça sera la Côte d’Ivoire, période Houphouët-Boigny. Nous sommes au début des années 80. «Je voulais connaître la réalité du pays mais personne ne parlait. Le contexte néocolonial agissait comme sous une chape de plomb. Les coopérants français se comportaient en vieux colons. C’était une petite bourgeoisie locale. Je voulais comprendre. A mon retour en France, j’ai eu envie de témoigner mais les militants n’étaient pas réceptifs. Ça m’a un peu déprimé et ça m’a poussé à écrire.» Il trouve alors chez Dominique Vidal, du journal «Révolution », une oreille attentive.

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(Photo Murielle Dupuy);

Puis il retourne sur place, en 1983 (NDLR l’article contenait 1985, mais c’est en 1983). «J’ai atterri à Ouagadougou en Haute-Volta où Dominique Vidal m’a demandé de rencontrer Thomas Sankara.» Grâce au réseau d’amis qu’il s’est constitué sur place, Bruno Jaffré décroche un rendez-vous. «Par mon intermédiaire, Sankara voulait s’adresser au Parti communiste français. Lors de notre entretien, trois heures durant, il m’a exposé sa vision des choses, avec force pédagogie. Je me souviens d’un regard très vif, d’une grande vivacité d’esprit. Il m’a dit qu’on ne pouvait changer un pays africain sans s’attaquer à tous les domaines.» Thomas Sankara prend le pouvoir quinze jours plus tard. Bruno Jaffré, lui, ne revient sur place qu’en 1987 (NDLR. Nouvelle erreur, Bruno Jaffré y est retourné plusieurs fois pendant la révolution. Il a ramené son premier reportage) Il est dans la capitale de ce pays devenu entre temps Burkina Faso quand le Président est assassiné. «Ce jour là, j’ai décidé d’écrire sur la vie de Sankara

Sans éluder les contradictions propres aux contextes local et international, Jaffré rassemble d’abord une vingtaine de témoignages sur celui qui avait commencé à mettre en place la révolution dont il lui avait exposé les grandes lignes quelques années auparavant. «Je ne souhaitais pas écrire une histoire schématique et caricaturale. A propos de Sankara, le terme d’icône me déplaît. Aussi, j’ai essayé de retracer une réalité avec les contrastes que cela induit.»

Aujourd’hui encore, Bruno Jaffré se refuse à décrire un processus révolutionnaire à sens unique, sans la souffrance qu’il implique. «Pour redistribuer les richesses, une ponction de 10% sur les salaires a ainsi été initiée, ce que critiquaient les organisations syndicales.» Jaffré mesure toutefois l’immense chantier auquel le Président assassiné s’était attelé. «Il voulait s’appuyer sur la jeunesse et remettait en cause le pouvoir centralisé. Il s’est également attaqué au système des chefferies. Il s’attaquait à tout à la fois, à la corruption, aux gros commerçants qui ne payaient pas leurs impôts, aux chefs féodaux. Cela a créé des tensions. D’autant qu’il ne mâchait pas ses mots sur le plan international. Au départ, la Haute-Volta était un pays anecdotique, peu connu. Mais Sankara a fini par être repéré

Par exemple lorsque, devant les caméras, il s’en prend à Mitterrand et lui assène que, pour avoir accueilli des dirigeants sud-africains en plein Apartheid, la France a les mains tâchées de sang. Ou quand il se prononce publiquement en faveur de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie. Mais surtout, sa politique menace les intérêts de la Françafrique et son discours anti-impérialiste hérisse le poil à tous ceux qui considèrent les richesses du sol africain comme une poule aux oeufs d’or qu’on peut plumer en toute impunité.

En coulisse, un complot se fomente. «J’imagine que des personnes se sont retrouvées pour voir quel membre de la révolution ils pouvaient retourner… C’est Blaise Compaoré qui a été retenu.»Tombé amoureux d’une femme qui le pervertit aux fastes qu’autorisent les pleins pouvoirs, le militaire trahit la révolution sankariste et prend place dans le trône. On connaît la suite de l’histoire. Aujourd’hui encore, Bruno Jaffré se souvient. La première biographie qu’il a consacrée à Thomas Sankara a donné lieu à une seconde édition, enrichie. Un travail particulièrement ardu étant donné que «Blaise Compaoré a tout fait pour que la mémoire écrite ou filmée de Sankara disparaisse.» Membre de l’association Survie, le militant poursuit le combat pour que toute la lumière soit faite sur les conditions de l’exécution. «La pétition intitulée «Justice pour Thomas Sankara, justice pour l’Afrique» a obtenu plus de 10.000 signatures.

Dans la foulée, nous avons été à l’origine d’une proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête relative à la recherche de la vérité à propos de l’assassinat de Thomas Sankara afin de déterminer le rôle des services de renseignements français dans cette affaire.» Une proposition rejetée sous la précédente législature. Mais avec le changement de majorité, Bruno Jaffré et Survie comptent bien remettre la proposition sur le tapis. Et obtenir la vérité pour le père du pays des hommes intègres, la vérité pour l’auteur du premier décryptage éclairé sur la fabrication de l’endettement des pays africains. Vingt-cinq ans après son exécution, Thomas Sankara mérite bien cela.

JÉRÔME DAVOINE

Publié dans l’Echo Haute Vienne du 10 octobre 2012

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