La veuve du «Che Guevara africain» rentre d’exil

Thomas Sankara en 1986

Photo: Agence France-Presse

La veuve de l’un des plus grands révolutionnaires de l’histoire africaine moderne, Thomas Sankara, rentre dans son pays d’origine après près de vingt ans d’exil. Mariam Sankara est en effet arrivée hier au Burkina Faso, pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, pour participer aux célébrations du vingtième anniversaire de l’assassinat de son mari qui clôturent une semaine d’activités dans la capitale du pays, Ouagadougou. Cet anniversaire sera également célébré dans plusieurs villes du monde, dont Montréal, et un livre colligeant les meilleurs discours de l’ancien chef d’État sera publié cette semaine.
Souvent qualifié de «Che Guevara africain», Thomas Sankara est reconnu comme l’un des plus grands révolutionnaires de l’Afrique moderne, admiré par la jeunesse du continent au même titre que Nelson Mandela ou Patrice Lumumba. Ce charismatique leader panafricaniste a réussi, en près de quatre ans de pouvoir (de 1984 à 1987), à mettre en oeuvre des mesures féministes originales, des mesures de lutte contre la corruption et à rendre son pays économiquement autosuffisant. «Il a réussi en quatre ans, c’est un exploit, à rendre autosuffisant un pays aussi arriéré que le Burkina, reconnaît Abdoulaye Diallo, directeur du Centre national de presse Norbert Zongo de Ouagadougou, qui se consacre à la liberté de la presse. Il l’a fait en mobilisant les ressources, en gérant le peu qu’on possède. Si on veut sauver le pays, si on veut sauver l’Afrique, il faut recentrer le développement sur nous-mêmes. C’était l’idée maîtresse de Sankara.» Connu pour ses discours-fleuve, souvent teintés d’humour, Thomas Sankara réclamait aussi à l’époque l’annulation de la dette extérieure des pays africains, bien avant que ce thème n’ait été à l’ordre du jour du mouvement altermondialiste. Le Forum social mondial de Nairobi a d’ailleurs consacré en janvier dernier l’année 2007 «année Thomas Sankara».

Sa veuve Mariam avait fait le serment qu’elle ne retournerait pas au Burkina Faso tant que le crime perpétré contre son mari n’aurait pas été élucidé.

Or, dans une décision sans précédent, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi de l’affaire par Mme Sankara et une équipe d’avocats dirigée depuis Montréal, a sommé en avril 2006 le gouvernement burkinabé d’élucider cet assassinat. Bien qu’il soit de notoriété publique que l’ancien président ait été tué à l’arme automatique avec douze de ses collègues, le certificat de décès du célèbre politicien indique qu’il serait décédé de «mort naturelle».

La décision onusienne, une première dans la lutte contre l’impunité en Afrique, a donc poussé le gouvernement actuel du Burkina Faso de M. Blaise Compaoré à biffer le mot «naturelle» de ce certificat sans pour autant mettre sur pied une commission d’enquête. Des soupçons pèsent depuis vingt ans sur Compaoré quant à son implication dans la mort de celui qui fut à une époque son meilleur ami. Celui-ci a reconnu pour la première fois la semaine dernière sa collaboration avec l’ancien président libérien Charles Taylor, lui-même accusé de crimes contre l’humanité par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Il a aussi interdit toute contestation ouverte de son gouvernement. Plusieurs assassinats ciblés et enlèvements d’opposants ont par ailleurs été perpétrés dans le pays. À la suite du tollé national et international qui a suivi l’assassinat en décembre 1998 du journaliste Norbert Zongo et des trois personnes qui l’accompagnaient, le régime burkinabé a assoupli ses restrictions sur la presse, mais a maintenu diverses pressions sur les médias nationaux. «Il y a beaucoup d’autocensure, note M. Diallo. Les gens préfèrent éviter de se créer des problèmes inutilement. Mais il y a quand même, pour ceux qui n’ont pas peur de s’exprimer, une possibilité de le faire, comme je le fais à l’occasion à la radio et dans certains médias. Ça fait vingt ans qu’on tente en vain d’effacer l’image de Sankara et qu’il est toujours présent.» Plusieurs retranscriptions et vidéocassettes des discours de l’ancien chef d’État sont échangées couramment entre particuliers au Burkina Faso. Des projections clandestines sont aussi organisées dans les différents quartiers de la capitale. Les étudiants burkinabés, dont la plupart n’ont jamais connu l’époque de Sankara, sont parmi ses supporteurs les plus invétérés.

«À la suite de la décision de l’ONU, l’État n’a rien respecté du tout, explique le Montréalais Aziz Fall, coordonnateur de la Campagne internationale Justice pour Sankara qui comprend plusieurs dizaines d’avocats bénévoles. Un certificat de décès n’a que la vocation d’indiquer les causes du décès. La question plus fondamentale est d’ouvrir un procès. Ils ne l’ont pas fait. Il aurait fallu qu’ils indemnisent la famille de façon décente. Ils n’en ont rien fait.» Le Comité des droits de l’homme de l’ONU devrait évaluer les mesures prises par le gouvernement burkinabé cet automne. Une pétition en ligne a d’ailleurs été mise sur pied afin de s’assurer que ces mesures burkinabés ne soient pas reçues comme une réponse aux demandes du Comité (www.ipetitions.com/petition/Sankara20).

En raison de son travail avec Justice pour Sankara, M. Fall a reçu depuis décembre dernier plusieurs menaces de mort par voie de lettre et de téléphone. Le service de police de Montréal, la GRC et les services de renseignements canadiens ont ouvert une enquête. Un célèbre animateur de radio et rappeur burkinabé, Samska Le Jah, a également reçu des menaces similaires durant la même période. La voiture de ce dernier a d’ailleurs été incendiée le 5 octobre dernier dans la capitale du Burkina Faso. Samska Le Jah devait participer aujourd’hui à la dernière étape de la Caravane Sankara qui a parcouru l’Europe et l’Afrique de l’Ouest et à laquelle Aziz Fall a également participé. «Cela ressemble à une histoire de roman!, souligne Fall. Lors de la tournée, je devais surveiller ce que je mangeais, où je dormais et je ne pouvais pas annoncer à quel endroit j’allais prendre la parole.»

La dernière menace de mort reçue par M. Fall date d’avril dernier à la suite de sa présentation avant la projection du film Fratricide au Burkina et la Françafrique lors du festival Vues d’Afrique. L’appel aurait été fait d’une cabine téléphonique au coin des rues Roy et Drolet. Ce film de Didier Mauro et Thuy-Tiên Ho sera présenté ce soir même dans le cadre des commémorations montréalaises de l’assassinat de Thomas Sankara. Le recueil de discours et d’entrevues Thomas Sankara parle, aux éditions Pathfinder, sera également en vente lors de l’événement et sera en librairie cette semaine.

– La projection du film Thomas Sankara, l’homme intègre de Robin Shufflield suivi de la conférence L’Affaire Sankara à l’ONU et la pertinence du développement autocentré pour le panafricanisme se déroulera ce soir à 18h au Pavillon de Science de la Gestion de l’UQAM.

– La projection du film Fratricide au Burkina et la Françafrique de Didier Mauro et Thuy-Tiên Ho se déroulera ce soir à 21h30 à l’Alizé (900, Ontario Est) et elle sera suivie de témoignages et d’une soirée dansante.

Collaborateur du Devoir

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