Burkina Faso: Sankara – l’impossible pardon

Shanda Tomne


Lorsque l’on vint annoncer à Amilcar Cabral que sa vie ne tenait vraiment qu’à une aiguille à cause de la prolifération des traîtres dans les rangs des camarades du Paigc qui combattaient le colonialisme portugais sous sa conduite, il eu cette réaction : quelle que soit la main qui m’abattra, ce sera la main de l’impérialisme.

Plusieurs années plus tard, lorsque de nombreux militants révolutionnaires inquiets devant les informations de plus en plus précises sur les plans de Compaoré alertèrent Thomas Sankara sur son possible assassinat par son bras droit, compagnon de la première heure et frère d’arme, il eu cette réponse : si c’est Blaise qui veut me tuer, alors c’est inutile de vous déranger, parce que aucune protection ne m’épargnera et rien ne s’opposera à l’exécution de son plan. J’irai l’attendre au ciel.

Ces déclarations sont sans doute mal reformulées, mais elles correspondent à tous les témoignages des camarades et hauts responsables de l’équipe dirigeante de la révolution burkinabé. Ces enfants terribles envisageaient, depuis ce brave pays des hommes intègres, de changer le cours du destin de tout un continent et de lui rendre un peu de sa dignité.

L’anniversaire de la mort de Thomas Sankara, ne peut pas passer dans l’actualité comme un banal événement, même si par ici, on a pris l’habitude, dans toutes les structures officielles d’information, de garder un silence qui en dit long ou tout simplement de l’évoquer d’une manière insignifiante. Si la recherche des auteurs d’un crime devait dépendre de l’analyse de la coloration idéologique des attitudes des multiples complicités qui façonnent les relations internationales, il n’y aurait aucune peine à pointer du doigt ceux qui ont ôté la vie à Sankara. Nous avons depuis compris, et il faudrait s’en féliciter, que même si la presse à capitaux privés souffre de multiples tares et de toutes sortes d’imperfections, elle a au moins le mérite de représenter pour le peuple, la seule vraie source d’enseignement de son histoire. Là où les médias officiels se taisent parce qu’ils sont logiquement le prolongement des intérêts néocoloniaux qui à travers des régimes fantoches, ont brisé l’élan du nationalisme africain en mettant à mort les Ruben Um Nyobé, Marien Ngouabi, Patrice Lumumba, Ernest Ouandié, Abel Kingué, Rudolphe Douala Manga Bell, Partin Paul Samba, Roland Félix Moumié, Cabral, Biko, et tous les autres inconnus, la voix de la presse indépendante à sa manière, nous replace dans les souvenirs vivants de nos martyrs.

La pire des souffrances est celle qui consiste à vouloir vous enlever de la tête les convictions les plus intouchables sur les origines de vos problèmes. Que le monde entier, un certain monde, en soit, en ce vingtième anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara, à créer des confusions voire des zones d’ombres sur les circonstances et les auteurs ou l’auteur de cet acte odieux aggrave l’intensité de nos larmes, et nous fait réaliser combien, nous n’avons que peu de contrôle sur les moyens de communication.

L’Assassin de Thomas Sankara n’est pas si loin et si inconnu que l’on veuille nous le faire croire par mille astuces mal montées. Blaise Compaoré n’a jamais fait mystère, de façon implicite ou explicite, sur sa propre culpabilité dans l’acte. Le brave parachutiste rêvait depuis le premier jour, d’éliminer tous ses trois compagnons d’armes, à savoir, Sankara, Ligani et Zongo (à ne pas confondre avec le journaliste Norbert Zongo, lui aussi lâchement assassiné). Il les a tué l’un après l’autre.

Si pour les deux derniers les choses furent très faciles, ce ne fut pas si évident pour le camarade Président Sankara. En effet Compaoré qui n’était pas vraiment très sûr de réussir son coup, avait apprêté un petit avion qui l’attendait à l’aéroport au cas où l’affaire foirait. Le coup d’Etat ne doit d’ailleurs sa réussite qu’à la bravoure et aux qualités militaires révolutionnaires de Sankara.

La vie et la mort de Sankara appellent à des enseignements profonds et consistants pour tous les nationalistes africains, et posent le problème plus profond de la tactique et de la stratégie dans les mouvements populaires de construction politique et de réalisation nationale. En assoiffé de pouvoir sans pitié certainement déjà lié à l’époque aux puissances étrangères impérialistes, Compaoré s’arrangea d’abord à obtenir la complicité de Ligani et de Zongo pour éliminer Sankara, avant de procéder ensuite à la liquidation de ces derniers dans la même logique satanique et impitoyable.

Dans de nombreux mouvements populaires, les drames des leaders conducteurs d’espérance et porteurs des ambitions de toutes sortes au nom de la communauté, résultent généralement de leur naïveté. Il ne s’agit pas de dire que Sankara était naïf, mais plutôt de soutenir que sa propension à ne pas tirer toutes les conséquences des contradictions ouvertes entre les camarades de lutte était une inacceptable erreur.

Le malheur de l’Afrique puise beaucoup dans cette vision romantique des contradictions, où l’on confond la famille avec le pouvoir, et les intérêts de tout un peuple avec le porte-monnaie d’un individu. Comment pouvons-nous avancer aujourd’hui, en traitant les différences cruciales qui engagent notre destin avec autant de légèreté ?

Sankara arrive à point nommé, pour s’imposer comme la conscience de tout un courant d’espoir naissant et idéologiquement transformateur. Les actes que pose ce jeune dirigeant, choquent les grandes puissances coloniales et fragilisent du coup tous les voisins corrompus. Que l’on le veuille ou non, on ne pense pas du tout en bien de lui à Abidjan, Lomé, Kinshasa, Bangui, Nairobi et autres. Croire aujourd’hui que l’Afrique n’aura vécu qu’une des parenthèses de son histoire trouble avec le pouvoir de Sankara, c’est insulter tout ce que les peuples ont de plus précieux.

Dans le contexte de l’installation de monsieur Sarkozy à la tête de la France, et particulièrement de sa sortie controversée de Dakar, nous devons encore plus nous pencher sur le phénomène Sankara. Il nous souvient que Sarkozy s’est rendu à Dakar pour nous traiter à la limite de lâches, de paresseux et de prédateurs, pour ensuite dire qu’il ne viendrait pas changer notre destin à notre place. Il nous souvient encore et mieux, que Mitterrand prononça à La Baule, un discours plein de bonnes intentions et de promesses pour des lendemains d’une nouvelle coopération plus honnête prenant en compte les exigences de démocratisation et du respect des droits de l’homme.

Dans le premier cas, Sarkozy est allé le lendemain à Libreville embrasser Bongo en le félicitant pour être un ami fidèle de la France coloniale. Dans l’autre cas, Mitterrand renvoya sans ménagement Jean Pierre Cot, son ministre de la Coopération, parce que ce dernier avait osé critiquer les potentats pro français du continent et proposer la fin des réseaux mafieux. Nous devons comprendre une fois pour toute que dans la compétition que se livrent les peuples et les nations, tous les discours demeurent de simples outils d’endormissement et de corruption des esprits faibles et des opprimés. Il n’y a pas de place pour les naïfs dans le long terme, et encore moins pour les romantiques et les adeptes de la charité empoisonnée.

Sankara fut le symbole continuateur des premiers martyrs qui ayant compris cette vérité, payèrent de leurs vies à l’instar d’un Patrice Emery Lumumba. Nous ne devons absolument pas, et pour aucune raison fut-elle divine, travestir la vérité ni avoir peur de montrer du doigt les coupables. Devenir président en ayant tué des amis, des compatriotes, des personnes humaines, n’est pas et ne saurait être un motif de célébration. Ceux qui à Ouagadougou célèbrent cette révolution de trahison d’un homme qui n’a jamais eu ni coeur ni sentiment ni loyalisme attisent les flammes de la vengeance qui ne tarderont pas à les brûler. L’adage selon lequel qui tue par l’épée mourra par l’épée n’a jamais été aussi sollicité. Tous les autres coups d’Etat pourraient passer pour pertes et profits, mais pas celui-ci. Tant qu’il restera un Africain sur la planète, Compaoré payera pour cet assassinat.

Shanda Tomne

SourceLe Messager (Douala Cameroun) du 17 octobre 2007.

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