Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. Nous les mettrons en ligne petit à petit dans l’ordre chronologique où ils ont été publiés.

Cet article intitulé En campagne avec les militaires du C. S. P. Il s’agit d’un reportage paru le 14 mars 1983. Mohamed Maïga y raconte les missions des militaires du C. S. P. dans les campagnes pour expliquer la politique qu’ils s’efforcent de mettre en œuvre.

Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Karim De Labola, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction du site thomassankara.net


En campagne avec les militaires du C.S.P.

De notre envoyé spécial MOHAMED MAIGA

Parti avec une des missions qui sillonnent actuellement le pays, notre collaborateur a pu constater les efforts faits pour établir le lien entre les habituels laissés-pour-compte de la politique et ceux qui ont la volonté, aujourd’hui, de donner tout son sens à la démocratie. 

Lorsque, au soir du 12 février 1983, je foulais le sol voltaïque, la ville de Ouagadougou bourdonnait d’une rumeur particulière: le Conseil du salut du peuple (C.S.P.) jusque-là discret, passait à l’offensive. Ses envoyés prenaient langue avec plusieurs dirigeants étrangers, mais surtout des missions d’information sillonnaient la brousse, dans laquelle vivent plus de 90% des 7 millions de Voltaïques. Le ton de ces rencontres en direct « opérations-vérité » avait donné, lorsque le 3 février, tout Bobo-Dioulasso, la truculente métropole économique fief des grosses fortunes, mais aussi bastion de la gauche nationaliste, s’était rassemblé pour écouter le capitaine Blaise Compaoré (1). Commencée à 11 heures, cette opération-vérité prenait fin aux alentours de 16 heures.

Cependant, il est de fait que la Haute- Volta n’est pas seulement Bobo-Dioulasso. Quel accueil les masses rurales, pétries de traditions mais aussi victimes des pires difficultés économiques et des magouilles politiciennes les plus sordides de l’Afrique indépendante, réservent-elles à un pouvoir qui, d’emblée, annonce la couleur: le C.S.P. se dit en rupture avec les forces rétrogrades jusque- là toutes puissantes. Il se dit aussi porteur de solutions nouvelles. Autant d’interrogations qui valent bien que l’on suive sur le terrain une mission d’information de l’organe suprême de la Haute-Volta nouvelle. Mais laquelle, puisque, ensemble, quatre avaient déjà pris la piste le 15 février dans quatre directions différentes? Finalement, va pour le département du Centre-Nord, Cœur du pays mossi, il est réputé comme le plus difficile politiquement. Imprégné de traditions millénaires, aux pesanteurs sociales sans nom.

Puissamment tenu par la chefferie coutumière, alliée des droites politiques qui, depuis 1960, se succèdent au pouvoir dans la Haute-Volta post-coloniale. Mais aussi déchiré, miné par les querelles de succession sur les trônes traditionnels, au niveau des cantons comme au niveau royal. Divisé par les âpres luttes et les alliances conjoncturelles qui ont fleuri, entre autres, sous Sangoulé Lamizana. Bref, une poudrière et un chaudron.

La mission d’information du Centre- Nord était partie depuis vingt-quatre heures quand, accompagné et guidé par Mahamoudou Dabré, je pris le chemin de Kaya, capitale départementale. Etrange Afrique, étrange par ses déséquilibres. Sitôt sorti de la capitale et de ses rares zones «  industrielles » (une appellation en l’occurrence douteuse), on s’enfonce dans le monde rural de toujours. Une Afrique dont la Haute- Volta est le reflet fidèle. Sur ces pistes poussiéreuses, le spectacle du sous-développement et de la pauvreté est permanent. De proche en proche, on aperçoit des paysans loqueteux, la houe à l’épaule,les laissés-pour-compte des politiques néo-coloniales, des pseudo- développements socio-économiques élaborés et menés depuis près d’un quart de siècle par les élites urbaines. Laissés- pour-compte mais aussi clefs du succès de toute politique nationale de développement. Et si aujourd’hui, partout en Afrique, on dresse un constat d’échec, c’est que les premiers concernés, ignorés des élites, ont été tenus à l’écart des décisions de portée capitale…

De loin en loin, le long de la piste éprouvante, se profilent des villages à l’aspect désolé et désolant: modestes cases au toit de chaume, coniques au sommet et rondes à la base, regroupés selon l’habitat traditionnel mossi, en concessions familiales. Masures pauvres dans un pays pauvre parce que, entre autres raisons, la tradition très forte dans ces campagnes interdit au Mogha (singulier de Mossi) commun d’habiter une demeure riche, privilège exclusif du Naba (roi ou potentat local)… Arbres faméliques rongés par la sécheresse, paysage écrasé de soleil, villages aux marchés multicolores.

La fête battait son plein quand, aux alentours de 14 heures, nous avons rejoint la délégation officielle à Mané, à une trentaine de kilomètres de Boussouma. A la tête de la mission le lieutenant Dihré Laye, membre du C.S.P., directeur de l’Ecole du génie militaire de Ouagadougou, un colosse de vingt-neuf ans dont les qualités de tribun se dessineront au fil de la mission d’information .

A ses côtés: Pauline Kambou, ministre des Affaires sociales et de la Condition féminine, silhouette plutôt frêle et l’air d’être convaincue du discours révolutionnaire. Présent aussi le préfet du département, Joseph Minongo, très au fait des inextricables querelles dynastiques de ces milieux sociologiques qui semblent dater d’un autre âge. La fête battait son plein parce que le meeting commencé à 9 heures venait de prendre fin. Officiels et villageois goûtaient au plaisir des rafraîchissements et d’un repas sommaire pendant que plusieurs groupes de danseurs et d’acrobates rivalisaient de dextérité au son des tam-tams et des flûtes traditionnelles qui monte au ciel, ponctué des coups de feu de la confrérie des chasseurs.

Au grand déplaisir de l’assistance, le convoi a repris la route, contraint par un emploi du temps des plus chargé. Il faut bien porter le message du C.S.P. aux onze sous-préfectures du département. Un autre meeting attendait à 16 heures à Tema. Apparemment, tout ce que la sous-préfecture comptait comme population était là, réunie au centre de la bourgade. Du reste, une haie d’honneur pas comme les autres attendait à l’entrée de la cité des centaines de piétons, jeunes ou vieux, des cyclistes par dizaines, certains portant en bandoulière l’antique fusil du chasseur des savanes ouest-africaines; des cavaliers aux montures harnachées de leurs plus belles parures, dansant au rythme savamment inculqué.

Tambours cornemuses traditionnelles et acrobates fendaient l’air au milieu d’une assistance nombreuse, colorée et disciplinée. Au passage, j’aperçus au loin quelques-unes des huttes parmi les plus misérables qu’il m’ait été donné de voir en Afrique: les habitations de la famille du capitaine Thomas Sankara. On croirait difficilement que le jeune Premier ministre voltaïque soit d’origine aussi modeste. Cela explique bien des choses dans sa détermination de combattre la misère matérielle et intellectuelle de ses concitoyens.

A 16 heures s’ouvrit l’un de meetings les plus instructifs d’une mission qui dura une semaine. Fortement applaudi fut le discours d’ouverture des débats prononcé par Dihré Laye. Particulièrement lorsqu’il déclara: Quand on sait que le paysan, généralement pour payer ses impôts, est contraint de vendre jusqu’à ses vivres, il est inconcevable que ceux qui sont chargés de la gestion du bien public s’enrichissent illicitement. Cela sera perçu comme un crime et sanctionné comme tel. De quoi provoquer de vifs débats lors desquels, une incroyable et navrante, un net clivage va s’instaurer entre les (pseudo-intellectuels et les agriculteurs.

Fond et forme

Je n’ai pas entendu un seul de ces privilégiés dans cet univers de misère s’inquiéter d’un projet de société la Haute Volta à bâtir , ou évoquer des problèmes aussi vitaux que l’auto-suffisance alimentaire, la maitrise des eaux, le désenclavement intérieur ou extérieur, la couverture sanitaire des hommes et des animaux ou les déséquilibres en tout genre entre villes et campagnes etc. Au contraire , plus d’un « intellectuel » s’efforçant de capter l’attention de l’assistance, a lancé des futilités genre: Pourquoi interdire aux fonctionnaires la fréquentation des débits de boissons aux heures de travail pas aux paysans? Ou encore: Qu’est ce que cette histoire de couvre-feu. Quand est-ce qu’on va le lever? A quoi répondit cette apostrophe d’un paysan : Etes-vous capable de parler d’autre chose que de problèmes de danseurs et de dancing?

En revanche, agriculteurs, éleveurs et autres illettrés ont fait leurs les questions fondamentales, à terme décisives pour l’avenir du pays. De quoi faire réfléchir les planificateurs du développement économique. Au reste, il n’y a pas que sur le fond que se prononcent les ruraux. Ainsi, sur la forme, un villageois fait remarquer que «  si les envoyés du C.S.P. nous rendent visite avec une grande simplicité à bord de Land Rover et autres tout-terrain, les régimes précédents sillonnaient la brousse dans d’immenses limousines climatisées destinées vraisemblablement à impressionner les ruraux et à indiquer à chacun sa place, comme au temps de la colonie. Cette différenciation est peut-être sans importance fondamentale; sa portée symbolique n’est pas moins évidente. Il y a plus: malgré la bonne vieille pudeur tolérante africaine, il ne manque guère de ruraux pour engager avant la lettre le procès public du C.M.R.P.N.

De la sorte, un éleveur se retient à grand-peine et finit par céder pour révéler que « des semaines avant l’arrivée des plus hauts responsables du défunt conseil militaire, leurs sbires viennent réclamer des dizaines de bœufs, de moutons et de chèvres pour les chefs. C’est du vol ». Et d’apprécier qu’à l’exception du rituel coq blanc de la bienvenue traditionnelle, les hommes du C.S.P. n’acceptent aucun cadeau d’aucune sorte. Autant de choses que, sous divers aspects, nous retrouvons le lendemain à Tikaré, où d’autres problèmes, graves, sérieux, ont été soulevés après l’accueil et la fête encore plus qui ont été réservés aux envoyés du pouvoir

Ainsi, bien longtemps avant l’échéance des deux ans que fixait le nouveau pouvoir, s’inquiète-ton ici de « l’après- C.S.P ». Ainsi encore, un orateur s’interroge et interroge : »Deux années suffisent-elles pour faire du bon travail, un travail durable? » Et de répondre : Ce délai est à peine suffisant pour se faire connaitre de ceux pour qui vous vous êtes engagés dans la bataille politique. Une question cruciale vient sans cesse aux lèvres de ceux-là qui sont décidés à tirer le maximum de cette opération-vérité, aux allures de conférence de presse populaire ;n’y a-t-il pas lieu, au terme du délai fixé pour entrer dans le processus du retour à une vie constitutionnelle normale, de demander notre avis, l’avis du peuple voltaïque, sur la fin ou la poursuite de l’expérience C.S.P.?

Une interrogation que sous- tend une lancinante inquiétude exprimée à plusieurs reprises : aux mains de qui allez-vous nous confier? Nous livreriez- vous à nouveau aux sinistres politiciens qui nous ont affamés?

Sincérité et respect

Au-delà des questions, il y avait, ce 17 février, l’appréciation que les uns et les autres portaient sur le régime du 7 novembre 1982. Ainsi, retrouvant une verve lyrique qui n’est pas sans rappeler l’envolée des griots de l’Afrique soudanienne, un cultivateur mossi, le geste large et l’œil flamboyant, s’est exclamé : « Vous n’êtes pas seulement le C.S.P.: vous êtes aussi ceux qui ont essuyé les larmes sur nos visages voltaïques; qui sont venus éteindre les -flammes qui menaçaient d’embraser notre pays. ».

Et d’autres paysans de souligner que par ces temps post et néo-coloniaux qui courent, ce n’est pas tous les jours qu’un peuple africain a la chance de trouver à sa tête des leaders sincères, qui se soucient de ses problèmes et surtout lui témoignent du respect. Autant de facteurs qui ont fait dire à un orateur que si en 1984, après les avoir mobilisés, le C.S.P. rentrait dans les casernes sans avoir mis en place des structures de protection contre les tout-puissants d’hier, faisant un emploi peu scrupuleux de leur puissance, les ruraux considéreraient qu’il y a eu abus de confiance et fuite de responsabilité.

Que cette opinion soit celle de la majorité du monde rural, je ne saurais le dire. Une chose est sûre, elle été exprimée par la majorité des orateurs. Autant que furent tenus des propos extrêmement durs pour l’ancienne classe politique dirigeante, accusée, avec une partie de la féodalité coutumière, d’avoir dévoyé la démocratie, de s’en être servi pour diviser les ruraux sur des bases claniques ou régionalistes. « Qu’ils gardent cette démocratie-là pour eux; nous, nous voulons la liberté d’expression et la saine consultation», s’est écrié un intervenant.

Les paysans de Tikaré ont aussi soulevé des problèmes plus immédiats tels la gravité de la famine, la sécurisation des populations du point de vue alimentaire, les problèmes d’organisation du monde rural, l’alphabétisation dans les langues locales, ou, pourquoi pas, la baisse des prix des semences de céréales. Ces questions-là, nous allions les retrouver le lendemain, avec plus d’acuité, à Kongoussi, petite bourgade de 12 000 âmes où l’accueil fut encore plus spectaculaire.

Le Langage de vérité

Il est vrai qu’à Kongoussi , nous sommes au village natal du Chef de l’Etat , du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo. La foule est énorme autour de la place du marché. Enorme, bigarrée, venue, nous a-t-on dit, de tous les villages avoisinants.

Bigarrée et colorée avec, de-ci de-là, des tee-shirts à l’effigie du footballeur britannique Kevin Keagan ou de feu Bob Marley.

Kongoussi, que l’on dit miné par les rivalités des chefs politico-coutumiers, a-t-il voulu offrir une façade sans lézardes aux envoyés du C.S.P., donc de l’enfant du pays devenu chef d’Etat? On ne sait. Mais les problèmes politico- économiques ont été présentés avec un bel ensemble. Autant que les propos dithyrambiques à l’endroit du nouveau pouvoir. C’est tard le soir que le meeting prit fin, dans une atmosphère de kermesse populaire. Et, à nouveau, la poussière rouge des pistes nous prit d’assaut, avant l’arrivée à Kaya.

Dans la nuit Pauline Kambou, résumant sa mission d’information déclarait «  qu’une flamme a été allumée. Il revient au pouvoir de l’entretenir pour qu’elle ne soit pas un feu de paille. Il faut qu’il y ait un suivi dans les contacts entre les autorités et les masses voltaïques

A quoi le lieutenant Laye ajouta qu’ « il faut tenir le langage de la vérité et responsabiliser les habitants de toutes ces régions en affirmant constamment que ce pays est pauvre. Qu’il ne peut être construit que par tous ses enfants dès l’instant que le C.S.P., qui n’est pas un marchand d’illusions, appelle à la mobilisation générale.» .A coup sûr, une nouvelle dynamique est en marche en Haute-Volta depuis le 7 novembre dernier. Elle devrait aussi concerner l’intelligentsia nationale, dont le mutisme, la prudence, sinon l’indifférence, ne sont pas sans étonner.

Mohamed MAIGA

Source : Afrique Asie N°291 du 14 mars 1983


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