A l’occasion de la 28e édition du FESPACO, nous avons voulu comprendre l’apport de Thomas Sankara dans le développement de l’industrie cinématographique africaine et du FESPACO. Dans cette interview, le journaliste de formation et proche collaborateur du père de la révolution burkinabè, Bassirou Sanogo, premier ambassadeur du Burkina Faso en Algérie, apporte des éclaircissements.

Lefaso.net : Quelle valeur accordait Thomas Sankara à la culture et plus précisément au cinéma ?

Bassirou Sanogo : Il avait une vision progressiste et panafricaniste de la culture. Si nous nous en tenons simplement au cinéma, sa démission du secrétariat d’État dans le gouvernement de Saye Zerbo était à la fin des assises de la presse africaine tenue à Ouagadougou, à son initiative, en avril 1982. A la clôture de cette manifestation, il a déclaré : « Malheur à ceux qui bâillonnent leurs peuples ».

Avant cela, Sankara, en tant que secrétaire d’État à l’information, s’était rendu à Dakar, à l’Assemblée générale de l’Union des radios et télévisions nationales d’Afrique (URTNA). Il y avait fait une prestation remarquable, inédite et surprenante, au point que les journalistes, les directeurs de radio et de télévision se sont demandé qui était ce ministre atypique. Il leur avait martelé : « vos caméras et vos plumes doivent être au service du peuple ». Il accordait une place importante à la culture.

A un niveau national, il y a eu le Faso Danfani, une réhabilitation significative de notre patrimoine culturel. Imaginez que la dynamique de promotion du Faso Danfani (FDF) se soit poursuivie depuis 1987 ! Où en serions-nous aujourd’hui ? Le FDF serait mondialisé, aurait inondé peut-être le monde entier. La Semaine nationale de la culture (SNC) est née sous Sankara ; c’est pareil pour le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO).

Si nous revenons au cadre du cinéma, je pense que les cinéastes n’ont jamais autant accouru au FESPACO que sous les quelques années de pouvoir de Thomas Sankara. Il était très critique et exigeant vis-à-vis des créateurs d’images et ceux-ci estimaient qu’il était l’homme qu’il fallait pour promouvoir la culture, notamment le cinéma africain. En termes de résultats, entre autres : en mars1985, la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) qui végétait depuis des années entre Tunis et Dakar, a pu tenir son troisième congrès statutaire à Ouagadougou. Sankara a souhaité que le siège de la FEPACI soit à Ouagadougou, encouragé en cela par nombre de cinéastes, dont Sambène Ousmane, Med Hondo, Souleymane Cissé, etc.

J’ai la prétention d’être bien informé sur ce volet : en effet, j’avais été instruit par le gouvernement révolutionnaire de solliciter l’appui du gouvernement algérien pour l’obtention du siège et secrétariat général au Burkina Faso. A cette fin, j’avais eu à rencontrer, en début janvier 1985, le secrétaire permanent du parti du FLN (Chérif Méssadia) pour solliciter l’appui algérien. Résultat : le siège et le secrétariat de la FEPACI ont été accordés à notre pays. C’est donc grâce à la vision culturelle et cinématographique de Sankara ; c’est également grâce à l’audience du CNR (Conseil national de la révolution) que la FEPACI a élu domicile à Ouagadougou.

 

Quelle a été sa contribution dans le rayonnement du FESPACO ?

Il a demandé aux cinéastes de conscientiser leurs peuples et de faire avancer l’Afrique par l’image filmique. Il percevait bien le rôle éducatif et social que le cinéma pouvait jouer dans l’émancipation des masses. Je pense qu’il a essayé de mettre le paquet dans la mesure du possible. Un film comme “Sarraounia”, réalisé par le mauritanien Med Hondo, a été grandement financé par des fonds burkinabè (800 millions). Il a été tourné en grande partie au Burkina Faso et au Niger. Il importe de souligner que l’ère Sankara a largement contribué à l’internalisation et à la visibilité du FESPACO. L’apport significatif de la diaspora date de cette période.

En 1989, se tenait le premier festival, après la mort de Sankara. Certains cinéastes influents avaient dit qu’ils y participeraient, à une condition : pouvoir se recueillir sur la tombe de Sankara à Dagnoën. Le pouvoir de Blaise Compaoré à l’époque n’était pas d’accord… Un ami, Patrick Ilboudo, aujourd’hui décédé, m’a alors contacté, après mes sept mois de détention politique. Il m’a fait savoir que le FESPACO était menacé, en raison de certaines conditions de participation. Or, le pouvoir de Blaise Compaoré ne voulait pas entendre parler de recueillements des réalisateurs sur la tombe de Sankara. Patrick Ilboudo suggère que je prenne la tête d’un petit comité de cinq personnes, pour aller voir Blaise Compaoré.

Ces cinq personnes étaient Patrick Ilboudo, Mamadou Traoré, Rasmané Ouédraogo, Joanny Traoré et moi-même. Il pense qu’en raison de mon statut et de ma position politique, j’étais le mieux placé pour conduire la mission, et pour signifier que la sauvegarde du FESPACO dépassait les contingences et contradictions politiques du moment. Au premier rendez-vous avec Blaise Compaoré, je lui ai signifié que notre génération n’avait pas le droit de faire disparaître un patrimoine national que nous n’avons pas créé et que nous avons le devoir et l’obligation de perpétuer pour les générations futures.

En conséquence, nous lui demandons d’accepter la condition majeure des cinéastes : l’hommage sur la tombe à Dagnoën. Sans doute par réalisme et à son corps défendant, Blaise Compaoré a fini par accepter. Et le festival s’est tenu. Les cinéastes ont également accepté de tenir le congrès statutaire de la FEPACI, mais ne voulaient plus du bureau en place ; ils souhaitaient pratiquement qu’on le change.

Nous avons lutté également sur ce terrain pour les convaincre de garder le bureau en l’état. Moi qui ne suis pas réalisateur, même si je suis historien du cinéma, j’ai accepté à l’époque de faire partie de la délégation burkinabè de la FEPACI et d’être rapporteur du congrès. Nous avons réussi néanmoins à reconduire le bureau sortant. En conclusion, on peut dire que Thomas Sankara, vivant ou disparu, hante donc le festival jusqu’aujourd’hui.

Des réalisateurs disent s’inspirer de sa cause dans leurs œuvres, pensez-vous que c’est réellement le cas ?

Soyons clairs sur une chose : le cinéma est un art, mais aussi une industrie. Si on veut faire du cinéma, on est obligé de mettre en œuvre des moyens de promotion du cinéma. On ne peut pas faire que du cinéma militant. Mais on peut faire des films de hautes factures techniques qui peuvent faire passer des discours militants et qui ne soient pas ennuyeux. Un cinéaste ne doit pas forcément être un militant sankariste. Je pense que la démarche sankariste de la culture est sans doute intéressante, parce qu’elle valorise notre patrimoine. Il faut que les cinéastes participent à créer une conscience africaine de progrès.

Que doivent faire ces cinéastes pour lui rendre hommage ?

Je pense qu’il y a déjà le prix Thomas Sankara au FESPACO. Il y a déjà des formes d’hommages qui lui sont rendues à travers les prix. Il y a la possibilité d’organiser des colloques sur Sankara et le cinéma. Il y a également cette nécessité de promouvoir des structures à la dimension de sa vision panafricaine de la culture. Si on veut promouvoir par exemple la FEPACI, on doit lui donner les moyens de pression politique nécessaire sur les États afin qu’elle développe le cinéma africain.

En dehors de Sankara, Cheikh Anta Diop, Ki-Zerbo, bien d’autres penseurs ont encouragé le cinéma africain. On doit se mettre dans le sillage de tout ce monde qui a voulu promouvoir les cultures africaines face à la mondialisation. En tant que créateur africain, il faut puiser dans tous ces existants dynamiques pour pouvoir avancer. Dans ces existants dynamiques, il y a Sankara.

Samirah Bationo
Lefaso.net

Source : https://lefaso.net/spip.php?article119891

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