Touré Soumane est décédé le 25 mars 2021 à Ouagadougou. Assez peu connu par les jeunes génération du Burkina, nous avons tenu à lui rendre hommage à travers ce court article. Les dernières années à la tête de son parti le PTIJ (parti pour l’indépendance, le travail et la justice), et ses déclarations à l’emporte-pièce ont malheureusement contribué à ternir son image. Pourtant Touré Soumane est un des personnages les plus importants de la période de la fin des années 70 au milieu des années 90, d’abord comme leader syndicaliste puis comme dirigeant politique.

 

Un engagement précoce

Dès son plus jeune âge il est plongé dans l’action politique. A l’époque de son enfance, il vit à Gaoua les affrontements entre le PRA et le RDA et, faute de trouver quelqu’un sachant écrire, on le choisit comme secrétaire. Lycéen, il fait partie des leaders au lycée Ouezzin Coulibaly à Bobo Dioulasso, sur les traces de son grand frère Drissa Touré qui fut l’un des dirigeants du PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque).  Avec ses camarades du second cycle, ils soulèvent le lycée pour contester la gestion et la discipline trop stricte qui leur sont imposées.

Étudiant à Dakar il fréquente le premier cercle anti-impérialiste créé par le PAI (Parti africain de l’indépendance) où il croise Valère Somé. Il se fait, à cette époque, remarquer dans plusieurs pays pour son activisme politique. Il est le rapporteur de l’historique congrès de l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) aujourd’hui UGEB tenu à Ouagadougou en 1971 qui a, à l’époque, préconisé la réorientation du mouvement étudiant voltaïque vers les idéaux révolutionnaires et se soldera par l’exclusion des militants du MLN (Mouvement de libération nationale dirigé par Joseph Ki Zerbo) de la direction de l’UGEV.

Dans le milieu des années 70, il rencontre Blaise Compaoré alors que ce dernier poursuit sa formation au Cameroun. Dans un entretien qu’il m’a accordé en 2007[i], il m’a affirmé que c’est Blaise Compaoré qui, la première fois lui, a parlé de Thomas Sankara et qui a organisé le premier entretien politique avec lui.

 

Leader syndical très populaire

Après un perfectionnement en France, de retour en Haute-Volta, il est engagé comme inspecteur technique à la SONAR (Société nationale d’assurances et de réassurances) dans laquelle il passera toute sa vie professionnelle, refusant les propositions de nomination à la tête de la société.

Il va plutôt consacrer l’essentiel de son énergie au développement du syndicalisme révolutionnaire. C’est l’époque de l ‘affrontement entre les militants du PAI  et ceux du MLN FPV, le parti de Ki Zerbo pour diriger les syndicats

IL prend la tête la Fédération syndicale des banques, assurances, commerce et industrie (FESBACI) puis de la CSV (confédération syndicale voltaïque) en 1978, alors la centrale syndicale la plus combative où il développe un syndicalisme révolutionnaire. Très populaire pour ses qualités de meneur, d’organisateur et d’orateur, il est aussi populaire parmi les syndicalistes que Sankara l’est parmi les militaires. Il va hisser la CSV au rang de première organisation syndicale de la Haute-Volta.

Preuve de l’importance et du respect et de la popularité à son égard, j’ai souvent rencontré au cours de mes séjours au Burkina d’anciens syndicalistes qui le qualifiaient comme «notre homme », reconnaissant son leadership à l’époque. Il organise les grèves alors que le pays est dirigé par le CMRPN (Comité militaire pour le redressement national) à alors qu’il s’apprête à restreindre les libertés démocratiques. Il est contraint à entrer dans la clandestinité.

 

Il participe à la préparation du 4 aout 1983

Il est aussi membre de la direction du PAI, mais bénéficie aussi d’un réseau de militants fidèles au-delà des questions politiques. Il fait partie des amis de Thomas Sankara et fréquente régulièrement son domicile. Leurs échanges sont fréquents. Il fait partie de ceux avec qui il échange des livres et des idées. Thomas Sankara l’aidera durant la période qu’il passera dans la clandestinité. Le PAI, se méfiant des militaires, organise des séances spéciales de formation politique en direction des militaires qu’anime parmi d’autres Soumane Touré.

Les rapports resteront étroits jusqu’au 4 août 1983. Il fait partie de la délégation du PAI, avec Adama Touré et Philippe Ouedraogo qui rencontre Thomas Sankara et Jean Baptiste Lingani le 25 juillet 1983 pour mettre au point les préparatifs du 4 août et les premières mesures à prendre une fois au pouvoir.

 

En prison sous le CNR

De nombreux militaires se méfiaient du PAI, et les négociations furent difficile lors de la nomination du premier gouvernement, certains d’entre eux tentant d’empêcher la nomination d’Adama Touré. Le PAI n’accepta pas non plus la nomination d’un militaire, Abdul Salam Kaboré d’abord puis Pierre Ouedraogo pour diriger les CDR. Touré Soumane n’est pas dans la liste des ministres que soumet le PAI pour participer au premier gouvernement. Du côté de ceux qui tentaient de limiter l’influence du PAI, on accusait Touré Soumane d’ambitionner la direction des CDR. Du côté du PAI, on considérait qu’un militaire n’était pas le mieux placé pour organiser les CDR qui devaient certains s’implanter dans l’armée mais surtout mobiliser les civils.

Les premières déclarations de Touré Soumane, comme dirigeant de la CSV, après le 4 août, convertie au syndicalisme révolutionnaire, affirmait son soutien au CNR. Mais les tensions s’accrurent dès les premiers mois. Touré Soumane et certains de ses proches se sont lancés dans des déclarations publiques hostiles au CNR. En aout 1984 la rupture entre le CNR et la PAI est consommée en août 1984. Arba Diallo et Adama Touré seront arrêtés en octobre 1984. En janvier 1985, Touré Soumane accuse le CNR de détournement au cours d’un procès devant les Tribunaux Populaires de la Révolution.  Il est arrêté un peu plus tard et va passer près de 2 ans en prison. La CSB (ex CSV), son syndicat, et une dizaine d’autres syndicats signent une déclaration commune fin janvier où ils affichent leurs revendications. Ils se plaignent aussi de la remise en cause des libertés syndicales. Les signataires seront suspendus de la fonction publique, certains seront arrêtés.

Il semble bien comme on me l’a dit plus tard et que confirment le livre d’Adama Touré[ii] et une nouvelle biographie parue récemment en anglais[iii] que ces provocations n’avaient pas l’aval de la direction du parti. Ce qui créait une difficulté supplémentaire au PAI qui se voyait attaqué de toute part, par nombre de militants d’autres organisations ou par des opportunistes qui convoitaient des postes et n’attendaient qu’un faux pas pour attaquer le PAI-LIPAD.

Libéré en octobre 1986, Touré Soumane ne va pas tarder à reprendre son activité syndicale. En avril 1987, les syndicats unis signent une déclaration avançant des revendications et la CSB saisit le Bureau internationale du travail pour violation du droit syndical.

Touré Soumane est de nouveau arrêté à la fin du mois de mai 1987. Cette fois des communiqués de CDR demandent qu’il soit fusillé avançant comme mot d’ordre dans des tracts « Touré Soumane au poteau ». L’ULCR se plaint seule des arrestations alors les membres d’organisations du CNR demandant à leur tour l’exécution de Touré Soumane. Thomas Sankara s’y oppose publiquement au cours d’une interview en direct à la radio en août 1987.  Sans cette intervention il y a fort à penser qu’il aurait été exécuté.

Il est finalement libéré après l’assassinat de Thomas Sankara.

 

Il délaisse la vie syndicale pour s’engager plus en politique et s’oppose à ses anciens camarades et se range derrière Blaise Compaoré

La création de la CGTB en 1988, à partir du regroupement de syndicats autonomes, souvent dirigés par des militants du PCRV, va mettre au second plan le CSV et le leardership de Touré Soumande dans le mouvement syndical. La CGTB va rapidement s’affirmer comme la centrale la plus puissante et la plus combative. Touré Soumane se consacre alors à la vie politique.

La PAI refuse de rejoindre le Front Populaire mais collabore à la mise en place de la constitution de 1991. De nombreux problèmes en son sein vont finir par affaiblir le parti. Alors que Philippe Ouedraogo démissionne de la direction du parti pour laisser la place à Touré Soumane, celui-ci montre rapidement des velléités de se ranger derrière Blaise Compaoré. Philippe Ouedraogo et ses camarades tentent de reprendre la direction. La scission est inévitable mais Touré Soumane refuse de céder le nom de PAI que revendiquent désormais deux partis. En 2002, Touré Soumane et son PAI obtiennent 5 députés et rejoignent la majorité présidentielle et deux postes ministériels. Il est lui-même élu député et obtient le poste de 5ème vice-président de l’Assemblée nationale. Il faudra 10 ans de procédure judiciaire pour que Philippe Ouedraogo et ses camarades, dont Arba Diallo et Ibrahima Koné pour les plus connus, récupèrent le nom du parti en 2011. Ce dernier va donner naissance au PDS après une fusion avec d’autres partis de gauche.

Touré Soumane créée alors le PTIJ (parti pour l’indépendance, le travail et la justice). Il s’est fait remarqué dans les dernières années par des déclarations tonitruantes contre l’insurrection qui aurait détruit ou affaibli la démocratie burkinabè, dont il ne voit comme acteur essentiel que Salif Diallo.

Bruno Jaffré

[i] Entretien réalisé lors de la préparation de la deuxième version de la biographie de Thomas Sankara (voir http://www.thomassankara.net/biographie-de-thomas-sankara-la-patrie-ou-la-mort-edition-revue-et-augmentee-un-livre-de-bruno-jaffre)

[ii] Voir http://www.thomassankara.net/une-vie-de-militant-un-livre-de-adama-abdoulaye-toure/

[iii] Voir https://iupress.org/9780253053763/thomas-sankara/

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