(Ivoire Dimanche)- ID
(Thomas Sankara)- TS
I.D. : comment situez-vous la Révolution burkinabè dans l’immense panoplie des courants révolutionnaires existant à travers le monde ?
T.S. : la Révolution burkinabè est une composante du mouvement de l’humanité vers la transformation. Ce qui est une exigence scientifique et historique. Mais la Révolution burkinabè tient aussi d’une variante de ce mouvement, avec ses spécificités et ses nuances. Car, il faut dire tout de suite que la Révolution burkinabè n’est la copie d’aucune autre révolution.
Certes, nous appliquons les principes qui régissent toutes les révolutions. Mais la Révolution burkinabè n’est pas la réplique des autres révolutions. Et les révolutions à venir ne seront pas la copie de la Révolution burkinabè. Lénine disait : « Chacun ira à la révolution par la voie qui est la mieux appropriée ». Nous sommes dans la révolution par la voie qui est la mieux adaptée à notre situation, à notre environnement et à notre idéologie.
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I.D. : A priori, un coup d’Etat militaire paraît comme une procuration arrachée au peuple. C’est comme si le gardien de votre maison se tournait, un jour, vers vous et vous intimait l’ordre d’abandonner votre domicile à son profit, au nom d’une certaine « révolution ».
T.S. : Nous ne sommes pas dans un cas de coup d’Etat militaire au Burkina Faso, dans le sens d’une conspiration de quelques militaires gradés qui se rebellent, prennent les armes et renversent le pouvoir en place. Ici, nous vivions une situation de crise qui durait depuis un mois. Il a fallu alors choisir son camp. D’un côté, le pouvoir en place avec ses alliés civils et militaires. De l’autre, tous ceux – civils et militaires – qui étaient contre ce pouvoir.
Evidemment, dans une épreuve de force de ce genre, on a besoin d’armes. Et l’action militaire y joue un rôle important. Cette action militaire est généralement plus aisée pour les militaires, dans la mesure où elle relève de leur profession. Mais, par-dessus tout, c’était la position vis-à-vis du peuple et la position de classe qui importaient. Chacun a choisi en connaissance de cause.
Du reste, les militaires qui sont rentrés à Ouagadougou pour prendre le pouvoir n’étaient pas plus nombreux. Alors, s’il ne s’était agi que d’une simple question de force militaire, ils auraient été perdants. En réalité, le peuple s’est mobilisé spontanément avant que les militaires n’arrivent.
Ce n’étaient donc pas un coup d’Etat militaire. Nous avons arraché le pouvoir au régime en place, malgré l’aide de ses alliés nationaux et étrangers. Car, nous étions menacés d’invasion par d’autres armées, d’autres pouvoirs.
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I.D. : Revenons à la Révolution. Peut-on vraiment être révolutionnaire dans un pays aussi pauvre que le vôtre ?
T.S. : Oui, surtout dans un pays aussi pauvre que le mien.
I.D. : Or, certains penseurs disent que la révolution dans les pays pauvres, notamment africains, sera alimentaire ou elle ne sera pas. Qu’en pensez-vous ?
T.S. : Ce sont des visions sentimentalistes de la révolution. La révolution n’est pas qu’alimentaire. Car, qu’est-ce que l’aliment ? C’est le produit d’un travail. Nous n’arrivons pas à produire suffisamment pour nous nourrir parce que nos terres, de plus en plus pauvres, n’arrivent pas être régénérées et parce que nous ne sommes pas bien organisés. Pour bien nous organiser, nous devons luter contre toutes les règles qui régissent la terre aujourd’hui ; nous devons briser le carcan des méthodes archaïques pour acquérir la bonne technologie et toutes les méthodes modernes. Regardez le coton chez nous, le café et le cacao chez vous : des milliards ont été consacrés à l’étude de ces produits parce qu’ils sont exportés. En revanche, la banane, le manioc et le riz n’ont jamais fait l’objet d’autant d’attention, parce qu’ils n’intéressent pas les autres.
Est-ce le producteur ivoirien de maïs est aussi assuré d’écouler son produit que le sont les éleveurs hollandais de vaches ou les producteurs français de blé ? Donc, que l’on commence la Révolution par le côté alimentaire ou par autre chose, dans tous les cas, l’essentiel est qu’il faut poser les problèmes des rapports entre les éléments de la société. A qui profite telle ou telle politique ?
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Interview réalisée par D. Bailly pour I.D. (Ivoire Dimanche) n°856 du 5 juillet 1987.