La mémoire interdite de Thomas Sankara

Rémi Rivière

Le Burkina Faso commémore, ce quinze octobre, le xxe anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Une célébration, sous tension, qui cristallise une nouvelle fois les passions autour de la mémoire de ce chef d’État exceptionnel, symbole d’intégrité.

 

 Ce quinze octobre sera marqué dans plusieurs pays par le souvenir de ce dirigeant révolutionnaire dont le bref exercice du pouvoir, de 1983 à 1987, rayonne encore sur le continent africain. Mais à Ouagadougou, cette célébration promet de cristalliser une nouvelle fois les passions autour de la mémoire de ce chef d’État singulier, symbole d’intégrité, dont l’exemple continue, vingt ans après, d’agiter la vie politique du Burkina Faso. De nombreuses formations politiques se réclament aujourd’hui de l’idéal sankariste, face au régime de Blaise Compaoré, qui, en retour, depuis son accession au pouvoir à la faveur du coup d’État sanglant du 15 octobre 1987, ne parvient pas à se soustraire à l’ombre immense et accusatrice de Thomas Sankara.

Thomas Sankara défie les ans et continue de faire l’actualité en nourrissant la réflexion sur l’annulation de la dette des pays africains, la lutte contre le néocolonialisme et la corruption, la moralisation de l’administration, la promotion des femmes et des jeunes, la santé, la scolarisation… Autant de dossiers sur lesquels le Burkina Faso a régressé depuis vingt ans. Altermondialiste avant l’heure, Thomas Sankara, bénéficie aujourd’hui d’un capital de sympathie qui s’étend bien audelà des frontières du Burkina, comme en a attesté le forum social de Bamako en 2005, et la jeunesse n’en finit pas de brandir l’image idéalisée de son « Che africain ». Blaise Compaoré, élu démocratiquement et à vie par le jeu d’astuces électorales, doit composer avec l’embar- rassant souvenir de son prédécesseur. Et si la première volonté de l’autoproclamé « Rectificateur de la révolution » fut d’enterrer les années Sankara sous une chape de plomb, il fut aussi contraint de récupérer cette mémoire vivace, en proposant par exemple, en 2001, puis en 2006, d’ériger un mausolée à la mémoire de Thomas Sankara, ce qui reste un voeu pieux. Dans cette tentation de contenir la mémoire de Sankara, le régime organise ce quinze octobre un colloque international sur la démocratie et le développement en Afrique. Une célébration coûteuse et tapageuse de l’accession au pouvoir de Blaise Compaoré, qui sert surtout de prétexte aux autorités pour refuser aux sankaristes les lieux publics devant accueillir leurs manifestations. Mais l’interdit de mémoire qui pèse sur Sankara ne peut tenir. Avec une tranquille assurance, le président du Comité d’organisation du xxe anniversaire de cet assassinat, le journaliste burkinabé Chériff Sy, estime que « si les partisans de Blaise Compaoré ont décidé de faire le festin de l’assassinat de Thomas Sankara, ce ne sont pas les sankaristes qui les en empêcheront ».

Mémoire confisquée

De nombreuses personnalités du monde entier participeront à cette commémoration qui rassemblera tous les partis sankaristes. Contre une mémoire confisquée par le pouvoir, les organisateurs proposent notamment un symposium international pour définir ce qu’est le Sankarisme et en mesurer les résonances aujourd’hui. Et si ces manifestations sont vouées au succès populaire, à l’image des projections de deux nouveaux documentaires consacrés à Thomas Sankara qui ont été prises d’assaut dans la capitale, ces rencontres se feront dans la tension. Le vingt-huit septembre, le chanteur et animateur de la radio Ouaga FM, Sams’k le Jah, a vu son véhicule incendié. Menacé de mort depuis qu’il ressuscite le souvenir de Sankara auprès de la jeunesse, il illustre ainsi les failles et l’impuissance d’un régime qui tente aujourd’hui de redorer son blason. Blaise Compaoré, pompier pyromane, ne désespère pas d’obtenir le prix Nobel de la paix en tentant de faire oublier son rôle prépondérant dans les conflits de Côte d’Ivoire, de Sierra Leone, du Liberia. En quête d’une nouvelle virginité, son image d’assassin de Thomas Sankara devient pesante. Mais cette mémoire interdite n’en finit pas de ressurgir, à mesure que la justice avance. En 2004, le général John Tarnue a raconté devant le tribunal spécial des Nations unies en Sierra Leone, comment

Compaoré a organisé cet assassinat. En 2006, le Burkina a été condamné par le comité des Droits de l’homme de l’ONU pour « traitement inhumain » contre la famille Sankara qui réclame un procès sur cet assassinat. Officiellement, Thomas Sankara est mort « de mort naturelle ». Mais il semble que ce soit plutôt sa vie qui reprenne naturellement un rôle de premier plan au Burkina Faso.

 

Rémy Rivière

Source :  La mémoire interdite de Thomas Sankara  http://billetsdafrique.survie.org  publié le 1er octobre 2007

 

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