Babou Paulin BAMOUNI

Cet article, publié en aout 1984, alors qu’une rupture venait d’intervenir entre le CNR et le Parti Africain de l’Indépendance, a fait l’objet d’une republication dans la rubrique “devoir de mémoire” du quotidien gouvernemental Sidwaya le 7 avril 2010. Paulin Bamouni fut l’un des conseillers de Thomas Sankara, responsable de la presse présidentielle. Il a été assassiné aux côté de Thomas Sankara le 15 octobre 1987, avec 6 autres compagnons. Il a écrit un ouvrage intitulé “Burkina Faso : processus de la révolution » dont la présentation se trouve à l’adresse qui se voulait une tentative d’analyse théorique de la Révolution.

Bamouni développe la thèse selon laquelle la sortie du PAI du CNR allait apporter une clarification et un bond qualitatif. En réalité, elle allait laisser la voie libre à de nombreux opportunistes et d’arrivistes, dont une bonne partie vont lutter politiquement contre Sankara, puis comploter aux côtés de Blaise Compaoré jusqu’à son assassinat. C’est cette génération qui tient l’essentiel du pouvoir aujourd’hui.

B. J.


Un an après le déclenchement de notre Révolution, celle-ci est à une phase décisive de son évolution : phase qui conduit après analyse, des théories et des faits, au choix idéologique ; choix qui dans son amorce actuelle a nécessité d’abord la clarification au niveau des hommes car chacun a fait à présent ses preuves.

La situation présente relève donc d’un processus normal, car comme toutes les révolutions animées par une coalition de forces révolutionnaires, notre révolution devait passer par la dispute du pouvoir pour avancer. Même les révolutions qui ont eu la chance d’être déclenchées sous la direction d’un parti communiste conséquent comme la grande Révolution socialiste d’octobre 1917 en Russie n’a pas échappé à la règle tant la lutte a été âpre ne serait-ce qu’entre les Bolcheviks et les Mencheviks.

La lutte qui s’est révélée au sein de la Révolution d’août pour le contrôle du pouvoir est donc une chose normale qui a permis à celle-ci d’avancer tant théoriquement que pratiquement.

Ceux qui croient à une période d’incertitude se trompent. Où a-t-on vu une révolution silencieuse sans soubresauts ? A ce titre, coalition de forces révolutionnaires pour rendre le pouvoir, dispute ensuite entre membres coalisés pour le contrôle du pouvoir, puis victoire d’un membre ou de membres idéologiquement unifiés suivis de l’imposition d’une ligne politique et idéologique à toute la révolution semble le chemin classique que suivent les révolutions pour toute clarification. La révolution d’août est à l’unification.

La révolution d’août est à l’unification idéologique qui doit être nécessairement appuyée par le choix d’une ligne politique c’est-à-dire un programme idéologique cohérent capable de conduire la révolution d’août à son triomphe total. Dans ces conditions il est tacitement une obligation à la révolution de se prononcer même si cela n’est pas à afficher tout de suite au grand jour pour un programme idéologique parmi tous ceux dont les tenants s’affrontent ou se sont affrontés.

Car le discours d’orientation politique du 2 octobre 83 ne donne que des indications politiques au CNR qui n’est qu’un organe suprême de décision et non l’instance d’un parti ayant élaboré un programme politique et idéologique permettant à la Révolution d’évoluer idéologiquement selon la farouche volonté de clarification manifestée par le peuple. Là encore, les choses semblent claires, car la dispute a eu lieu et une ligne juste s’est dégagée.

Le choix est donc loin d’être compliqué. Sa concrétisation est indispensable, car cela constituera une clarification de vue aux yeux de beaucoup de militants qui ignorent que c’est ça le fruit de la lutte idéologique : “faire passer sa ligne politique et idéologique au détriment des autres après un âpre combat d’idées”. La situation actuelle montre que c’est presque fait, puisque des voix se sont éteintes et des lignes politiques et idéologiques sont rejetées avec force et fracas.

En conséquence il est erroné que des voix s’élèvent d’un peu partout pour inviter la Révolution ou le CNR à faire table rase sur les organisations révolutionnaires dans leur ensemble sans distinction ou à les renvoyer dos à dos. Beaucoup de militants ne se rendent pas compte que cet éventuel renvoi dos à dos serait une négation pour la lutte de certaines de ces organisations, qui a permis à la Révolution de s’orienter dans la bonne direction.

Par ailleurs ce renvoi dos à dos constituerait un appel à un rejet systématique de toute ligne idéologique au profit d’une politique d’unité nationale ou tous les “amateurs nageurs politiques” n’hésiteraient pas à se jeter à l’eau pour faire de la révolution une mare aux canards. Cette conception politique est dépassée. L’alignement derrière le CNR n’exclut pas le choix d’une ligne politique et idéologique.

Ce choix d’ailleurs permettra à la révolution et au CNR d’échapper au vide idéologique et à la “navigation” à vue ; vide et navigation à vue qui ne doivent même pas être envisagés, car dialectiquement parlant un choix s’impose. Il appartient aux militants de le savoir pour éviter le cul de sac où l’on pourrait se retrouver si pour eux la dissolution du 1er gouvernement le 19 août 84, signifie mise d’une croix sur tout ce qui n’a pas été envisagé dans le discours d’orientation. La Révolution d’août ne saurait politiquement et idéologiquement flotter en comptant seulement sur les bonnes volontés.

Ces bonnes volontés ont besoin de s’appuyer sur un support idéologique pour rester cohérentes et politiquement claires. C’est d’ailleurs par le choix idéologique et politique matérialisé quelque part que le CNR se renforcera en apparaissant comme une sorte de mouvement de masse aux yeux des militants à défaut d’un parti catalyseur.

En effet, sans programme idéologique, les exigences populaires actuelles vis-à-vis de l’équipe gouvernementale qui doit être parfaite, risquent d’amener sous peu cette nouvelle équipe à mettre en sourdine les problèmes idéologiques. Personne n’osant élever la voix.

Ce qui la jettera probablement dans un pragmatisme sans esprit révolutionnaire conséquent tendant à résoudre seulement des problèmes administratifs pour plaire en évitant de heurter la moindre sensibilité. Les débats d’idées s’émousseront pour laisser place au piétinement politique où la Révolution sera appelée à ne résoudre que des problèmes au jour le jour sans une véritable projection dans l’avenir.

Pour prévenir cette éventualité le pragmatisme d’où qu’il vienne a besoin d’être associé dans le cadre de la Révolution d’août à un esprit révolutionnaire soutenu par une idéologie prolétarienne conséquente c’est-à-dire un programme idéologique. Sinon l’on évitera difficilement l’amalgame au sommet et partant à tous les niveaux de la révolution.

Chose contraire à la volonté actuelle de clarification. Pour l’an II de la Révolution démocratique et populaire, la maîtrise du pouvoir et son contrôle, l’élimination des opportunistes, la constitution d’une base révolutionnaire avec le prolétariat à sa tête en alliance avec la paysannerie et la sauvegarde des intérêts du peuple commandent qu’un programme idéologique et politique se dégage dans un cadre politique structuré pour définitivement enterrer les lignes politiques erronées qui sont dans le coma au Burkina Faso.

En conséquence, la Révolution d’août a besoin d’une bonne route pour avancer, car le discours d’orientation apparaît dans la phase actuelle comme son bâton sur lequel elle s’appuie. Quant aux esprits idéologiquement neutralistes qui s’agitent par inconscience politique, ils ont besoin d’être freinés dans leur élan.

Babou Paulin BAMOUNI

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