Le 15 octobre 1987 avant, pendant, après (Troisième partie : Après le 15)
Cette semaine, nous vous proposons la dernière partie des témoignages sur le 15 Octobre 1987. Elle concerne l’après 15 ! Vous verrez que cette semaine encore, beaucoup se sont prononcés et de façon variée. Merci pour toutes ces contributions et que chacun en fasse le meilleur profit !
Me Sankara Benewende, Député, Président de l’UNIR/MS : « Ca fait rire d’entendre « Processus démocratique » après le 15 Octobre 1987. Vous savez bien que ce truc ridicule a été inventé l’année dernière en réaction à la commémoration du 20 ème anniversaire de l’assassinat du président Sankara. Le pouvoir, subitement, a eu à dire, contre la vérité historique, que c’est avec Blaise Compaoré que le Burkina connaît aujourd’hui la démocratie. Je pense que c’est une insulte à la mémoire de notre histoire. Il y a eu des gens qui ont lutté d’abord pour l’indépendance politique du pays. Je pense que le tout premier président de notre pays, c’est le président Maurice Yaméogo et il occupe une place prépondérante dans l’histoire politique du pays. Après lui, c’est vrai, il y a eu plusieurs régimes mais on ne peut pas attribuer la paternité de quelque chose à Blaise Compaoré. Je pense que le culte de la personnalité que le sieur Blaise Compaoré est en train de faire est à la dimension de ce qu’on a vu chez les Albanais, avec ce couple qui a été balayé à un moment donné de l’histoire.
Je pense également que c’est ça la raison d’être de ce regroupement qu’on appelle FEDAP/BC qui se dit association, ni politique, ni société civile ; comme l’a dit quelqu’un, « Association chauve-souris ».
Je pense que ce sont plutôt des valeurs qui ont été érodées depuis le 15 Octobre 1987. Ce sont de nouvelles habitudes qui ont enlevé l’âme du Burkina Faso, et au regard de tout ça, on constate que Blaise Compaoré nous a fait perdre toutes nos valeurs démocratiques, et c’est ce que quelqu’un a appelé la « Compaorose ».
La démocratie, ce n’est pas la relative stabilité des institutions ; c’est avant et surtout l’esprit, les valeurs intrinsèques qui font la sève nourricière de la démocratie. Il faut la promotion de la justice sociale, la promotion de l’intégrité, la promotion de la dignité humaine, qui fait la promotion des droits économiques et politiques, comme le Préambule de notre Constitution le prescrit. Ce sont là, à mon avis, les indicateurs de la démocratie.
Si aujourd’hui, on parle de renaissance politique, on ne peut pas oublier que de la 1ème République à maintenant, c’est tout un peuple qui a travaillé pour que la Haute-Volta, maintenant Burkina Faso, existe. Blaise Compaoré doit donc se considérer comme un citoyen qui est là pour une mission ; s’il se considère autrement, il aura le peuple sur son dos, et Me Sank avec ! »
Norbert Tiendrébéogo, Député : « Même si il y a des personnes qui ont changé positivement, il y a eu à côté, des brebis galeuses notamment du côté des ‘révolutionnaires’. Si au lendemain de la révolution, nous sommes revenus aux maux tels la corruption, le népotisme… c’est peut-être parce que ceux qui ont pris le pouvoir n’aspiraient qu’à çà !
Ce ne serait pas juste de dire que tout a été beau pendant ces 4 ans ; il y a eu des erreurs et nous les avons toujours reconnues, mais je suis celui-là qui a été toujours premier à dire qu’on jette trop facilement la pierre aux C.D.R. Je pense qu’il y a une très grande responsabilité de certains intellectuels qui ont refusé de s’impliquer personnellement dans l’encadrement des ‘civils-militaires’ (laissés à eux-mêmes). Prenez un jeune 18 ou 20 ans, ayant à peine le CEP, à qui on dispense une formation de deux, trois semaines, à qui on remet une arme pour la sécurité de tout le monde… Sa curiosité de l’arme peut provoquer des dégâts.
Le manque de niveau, celui de l’encadrement de leurs aînés (étudiants ou fonctionnaires) peuvent justifier le zèle de certains C.D.R. En tout état de cause lorsqu’on parle de barrages, de postes de santé…., ce sont les C.D.R.
Mais écoutez, même après le 15 octobre les gens ont continué à tuer ! Ceux qui ont tué avant sont les mêmes qui tuent aujourd’hui. Ce n’est donc pas la Révolution qui tuait mais les gens qui sont toujours là ! »
Jonas Hien, Société civile : « Les conséquences ? Je pense que même ceux qui n’ont pas connu la Révolution, les jeunes, avec le peu d’informations qu’ils ont reçues, ont une idée sur ce qu’a été cette époque par rapport à ce qui se passe aujourd’hui du point de vue de la gouvernance politique, administrative, économique.
Je pense que les Burkinabé bien avertis n’ont pas besoin d’être contre le pouvoir ou de ne pas aimer sa façon de faire pour constater que les conséquences de la fin de la Révolution sont désastreuses. Hier, on était dans un pays de « Un pour tous », aujourd’hui, on est dans un pays où si c’est Un, c’est « Un pour moi », si c’est Deux, c’est « Encore deux pour moi »… Vous voyez que la démocratie, telle que nous la vivons aujourd’hui par rapport à la Révolution, il n’y a pas de comparaison possible à faire.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, on a des gens qui se sont engagés dans la politique sans comprendre grand-chose, sans esprit politique, qui prennent la politique comme étant un raccourci pour se construire une vie sociale. La mentalité du bien commun a disparu, l’incivisme est total. Il y a tellement de maux qu’on ne peut pas cesser de les énumérer.
Nous pensons que la culture de l’impunité en général, par rapport à ce qui se passait au moment de la Révolution, montre que c’est la conséquence la plus grave et la plus criarde qu’on peut décrire aujourd’hui. Donc si on peut se résumer, en terme de conséquences, il faut dire que la fin de la Révolution a amené tout simplement la culture de l’impunité ».
Bernadette Tapsoba, Etudiante : «Blaise a toujours menti et à tout le monde. Le 15 Octobre, il a dit que c’était la Rectification avec l’approfondissement de la Révolution : des révolutionnaires y ont cru et ils se sont fait avoir. Il a dit au même moment aux démocrates qu’on va à la démocratie ; ils y ont cru et on a droit à une démocratie fantoche avec des militaires qui sont toujours là depuis 1987 et avec un Blaise Compaoré qui se prend pour Dieu le père et qui entend rester le plus longtemps possible au pouvoir. Il a trituré hier la Constitution pour rester au pouvoir et il envisage de la triturer à nouveau au bon moment. Et si ça ne marche pas, il mettra son frère ou quelqu’un de sûr qui le protègera, lui et tout le système monstrueux mis en place. Nous sommes en parti unique de fait. Donc, si les gens félicitent le Naaba qu’il se croit devenu, si tout le monde quasiment est CDP ou autre mouvance présidentielle, faut pas croire : Blaise n’est pas aimé, il est craint, ce n’est pas la même chose. Les Mobutu, on les encensait, on disait qu’il n’y en avait pas deux comme eux mais quand tout ça a fini, la vérité est sortie : c’était un simple dictateur ! Demain, la vérité sortira comme la vérité sur les assassinats notamment de Norbert Zongo, victime d’acte de barbarie par des gardes de la présidence. Aujourd’hui, le malheur, c’est que les gens vivent plus la galère qu’hier ; la corruption, qu’on ne connaissait pratiquement pas sous les autres régimes surtout sous la Révolution, règne et les marchés ne vont qu’aux gens du système. Et pendant ce temps, le pouvoir se décerne sans fin, avec des partenaires extérieurs complices, des Prix de bonne gouvernance ! Voilà où on en est. Et on veut mettre dans le crâne des gens qu’il s’agit là de ‘renaissance démocratique’ : non mais, on se moque de qui, là ? ».
Delma Daogo n°2, ancien boulanger de garnison : « Le 12 octobre on sentait déjà une certaine tension dans la ville et je suis certain que Sankara savait ce qui se tramait. Je pouvais personnellement l’approcher et je crois bien que je lui ai dit le ressentiment des gens. C’était un homme droit et honnête qui avait certainement son idée là-dessus. Il balayait toujours du revers de la main tous ceux qui critiquaient Blaise Compaoré et autres. Les vraies raisons, selon certaines indiscrétions, seraient venues des bords de la lagune Ebrié. A l’époque on en a beaucoup parlé dans les salons : nous avons appris que le président Houphouët Boigny aurait remis trente millions (30.000.000) FCFA à un émissaire pour Chantal Compaoré. Sankara l’ayant appris, aurait demandé à ce qu’on reverse quinze millions (15 000 000) FCFA dans la Caisse de Solidarité Nationale. Blaise Compaoré s’y serait opposé sous prétexte que cette somme était destinée exclusivement à son épouse. Donc à l’époque, nous avons appris que c’est entre autres ce différend qui aurait mis le feu à la poudre. Mais vous savez beaucoup d’esprits ne sont pas préparés à certaines révélations. Un dicton mossi ne dit-il pas “que si un crapaud sort du marigot et informe les gens que le crocodile est borgne personne ne peut le lui contester parce que tous les deux y vivent ?” Sankara et Blaise me connaissaient personnellement ainsi que plusieurs officiers supérieurs. Je suis allé en retraite le 1er octobre 1991 sans pension ; jusqu’à présent, je ne connais pas les raisons, mais il y a des choses qui se sont passées dont je devais être l’exécutant et j’ai refusé. Je soupçonne donc certains de vouloir me punir pour çà. Sinon le Front Populaire devait nous permettre après la mort de Thomas Sankara de mieux exploiter les idéaux de la révolution pour aider le peuple. C’est vrai beaucoup de gens ont souffert jusqu’à l’ouverture démocratique. Quand on apprécie les quatre (4) années de la révolution sous Thomas Sankara et les trois (3) années de rectification, il y a pas de comparaison possible ».
Augustin Loada, Secrétaire exécutif du CGD : «Je pense que c’est une vérité à dire, le Front Populaire a quand même décrispé sur le plan social, sur le plan politique les rapports entre l’Etat et la société civile. Est-ce que cela a été fait exprès, est-ce que cela participait d’une politique qui a été formulée dès le départ, ou est-ce que c’était un aggiornamento qui a été imposé par les conditions dans lesquelles le coup d’Etat s’est opéré ? Je pense que le recul manque un peu pour répondre à cette question. Ce qui est sûr, c’est que le Front Populaire avait besoin nécessairement d’élargir sa base sociale et politique compte tenu du choc que ce coup d’Etat a créé. Et donc on peut comprendre qu’il ait tout de suite utilisé le dialogue avec certaines forces politiques de l’opposition, avec certaines forces sociales qui étaient stigmatisées sous la révolution. Je pense en particulier aux autorités coutumières et religieuses. Je pense à certains partis politiques de l’opposition, etc. ce qui me permet justement de répondre à la question de savoir si le 15 octobre 1987 marque véritablement comme on dit la renaissance démocratique au Burkina Faso. Pour moi c’est une question d’une extrême complexité à laquelle on ne peut pas répondre par oui ou par non pour simplifier le débat. Parce que je reste persuadé que bon gré mal gré, le Front Populaire a quand même ouvert la scène politique, ne serait-ce qu’en prenant langue avec les forces sociales qui étaient stigmatisées, les “réactionnaires” les partis politiques de l’opposition. C’était une ouverture politique contrôlée parce que quand on regarde le discours du chef de l’Etat à l’époque et quand on regarde le discours de certains acteurs de cette période, on se dit que les choses étaient plus complexes que ne veulent bien le dire ceux qui parlent de renaissance démocratique.
Quand vous lisez le témoignage de Arsène Bongnessan Yé, il dit qu’en 1987, Blaise Compaoré était entouré de deux camps : ceux qui voulaient qu’on approfondisse la révolution et c’était d’ailleurs la signification originelle du mot rectification. Il y avait une révolution qui a été dévoyée par Sankara et les autres. Il fallait donc remettre la révolution sur les rails. C’était donc ça rectifier une révolution. Le second groupe exprimait que c’était une opportunité, une chance à saisir pour mettre fin à la révolution parce qu’elle s’était beaucoup illustrée par des excès plus que par des acquis. Blaise Compaoré lui était apparemment indécis face à l’orientation qu’il fallait apporter au processus politique. La conjoncture nationale et internationale aidant, je pense que cela lui a permis de faire un choix beaucoup plus clair parce qu’au plan international il y avait un certain nombre de mutations politiques (l’effondrement du bloc soviétique, les revendications politiques qui commençaient à s’exprimer dans certains pays voisins), on ne pouvait donc pas ignorer cette dynamique. De plus en plus alors, le discours révolutionnaire commençait un peu à être désaxé par rapport aux mutations qui commençaient à avoir cours sur le plan international. Au plan interne également, il y avait des revendications d’hommes politiques qui ont saisi l’opportunité du coup d’Etat du 15 octobre 1987 pour exprimer des revendications tendant à approfondir le processus démocratique, à garantir plus de liberté, etc. Je dirais donc que la conjoncture internationale imposait au Front Populaire un certain nombre de choix qu’il ne pouvait pas refuser, sauf à s’inscrire dans une dynamique qui conduirait vers des casses comme on a vu dans certains pays où des régimes ont essayé de s’opposer aux demandes légitimes de démocratisation et qui ont été balayés. Je dirai alors que ce sont peut-être ces transformations aussi bien sur le plan international et les pressions internes qui ont conduit véritablement à faire un choix en faveur de l’abandon progressif de la révolution dont on estimait que le Sankarisme avait dévoyé la signification originelle. Sur ce plan-là, j’estime que parler de renaissance démocratique à partir du 15 octobre 1987, c’est vraiment une lecture très osée de l’histoire venant de ceux qui sont les acteurs de cette période et qui sont aujourd’hui au pouvoir. De toutes les façons, avec le temps, on aura plus de recul et on aura probablement plus de lumière sur cette période, parce que tant que ceux qui ont fait le 15 octobre 1987 seront au pouvoir, il sera extrêmement difficile d’apporter un point de vue contradictoire.
Autre chose. Je disais tout à l’heure que la signification du 15 octobre 1996 est extrêmement complexe. Je dirais aussi que cela explique en partie l’ambiguïté du processus démocratique actuellement en cours au Burkina. De la même façon qu’en 1987, Blaise Compaoré hésitait entre rectifier la révolution et mettre fin à la révolution, j’ai l’impression que de la même façon, il y a une ambiguïté par rapport au processus démocratique qui a été annoncé avec l’établissement des institutions constitutionnelles, l’adoption de la constitution, l’organisation d’élections quand vous lisez son discours en 1987 au moment de l’établissement de la commission devant rédiger le projet de constitution, je pense que c’était sans ambiguïté. Il ne s’agissait pas de jeter aux orties les structures qui avaient été mises en place sous la révolution. Il disait qu’il s’agissait de codifier un Etat de droit révolutionnaire. Il s’agissait de mettre en place un système qui va trancher avec l’hypocrisie du “système démocratique bourgeois.” Et les directives qu’il avait données à la commission en tant que président du Front Populaire, tendaient à faire du Front Populaire l’organe dirigeant, c’est-à-dire que l’établissement de la constitution ne devait pas remettre en cause le rôle moteur dirigeant du Front Populaire. On avait l’impression que la démocratie était un peu pour lui une façon de codifier son pouvoir, donc codifier les rapports de force établis à l’époque, ne pas remettre en cause la suprématie présidentielle. Je pense que c’est l’une des directives même du Front Populaire de l’époque. La suprématie du président sur l’Assemblée sera mise en place dans le cadre de la nouvelle constitution. Les autres partis politiques étaient considérés comme des appendices du Front Populaire. Mais on retrouve exactement cette même configuration actuellement. Disons que le Front Populaire a été remplacé par le CDP et avant le CDP, l’ODP/MT et puis l’Assemblée Nationale joue un rôle secondaire de premier plan par rapport au président. Donc on a codifié le présidentialisme, on a codifié en quelque sorte un système à parti dominant. Pour moi, c’est aussi la signification du 15 octobre 1987 mais aussi la signification de la “transition démocratique” qui s’est amorcée au début des années 1990 parce que finalement on peut même se demander s’il y a eu transition démocratique. Est-ce que ce n’est pas finalement le même système qui se présente actuellement moyennant quelques arrangements constitutionnels, moyennant quelques arrangements institutionnels ? C’est le constat que l’on peut établir aujourd’hui, on a l’impression qu’il n’y a pas eu de changement de régime, donc le même système autoritaire reste en place, moyennant quelques changements, quelques accommodements, et c’est tout çà qui explique les ambiguïtés de notre système. C’est ça qui explique l’image d’un système hybride. Il y a pas mal d’auteurs qui analysent le système politique burkinabé comme un système hybride dans lequel les dirigeants ont réussi à accommoder à la fois les aspects démocratiques et les aspects autoritaires. Voici un peu ce que je pense du 15 octobre 1987 et ce qui s’est passé par la suite ».
Adama BAYALA, Etudiant en Histoire : «Merci de me tendre votre micro. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas se moquer de notre peuple. Les reproches faits à la Révolution pour expliquer le coup d’Etat sont moindres par rapport à ceux qu’on fait à la gouvernance actuelle. On a parlé des débordements des CDR, on ne parle pas des milices créées ici et là. Aujourd’hui, il y a les rudiments formels de démocratie mais la pratique nous fait voir une régression perpétuelle des valeurs démocratiques. On assiste à une remise en cause perpétuelle de nos acquis. Je pense que la pire chose qui est arrivée à notre pays, c’est l’interruption brutale de la Révolution démocratique et populaire. A cette époque, le peuple décidait de son sort, punissait ses bourreaux… ».
Sanou Victor, Expert en Communication, Enseignant : « Le 15 octobre a été comme une période d’embrouilles entre militaires. Il était question de rectification de la révolution, de mésententes entre les leaders historiques de la révolution et c’est seulement après qu’on a commencé à voir clair dans la philosophie qui a sous-tendu ce dénouement tragique du 15 octobre 1987. Pour ceux qui connaissaient ou qui ont vécu la révolution, on savait qu’il y avait des problèmes. La révolution commençait à s’essouffler, il y avait des difficultés entre les leaders de la révolution, entre les groupes politiques qui composaient le CNR et tout. Quelque part, pour les analystes avertis, le 15 Octobre ne les a pas surpris mais la suite, par rapport à l’évolution démocratique, va finir de convaincre les uns et les autres que le Burkina a eu raison d’aller sur cette voie. Des forces qui avaient été exclues sous la révolution ont été autorisées à nouveau. On a permis au gens de s’exprimer plus librement. C’est peut être l’acquis majeur du 15 Octobre 1987. Pendant la révolution, il y avait une certaine exclusion. Un espoir déçu certes mais je ne suis pas un politicien donc je ne me suis pas engagé dans tel ou tel axe, je me suis engagé dans l’option en tant que journaliste partisan de la démocratie, de la construction d’un cadre d’expressions plurielles. Dans ce sens-là, je ne peux pas dire aujourd’hui qu’il y a une déception. Le cadre d’expression s’est élargi. De mon point de vue l’acquis majeur aujourd’hui et indéniable, c’est que l’on peut dire ce qu’on pense librement, on peut exprimer nos opinions dans un cadre associatif et politique dans un contexte qui n’était pas le même il y a vingt (20) ans. Il ne faut pas voir seulement les aspects négatifs de notre jeune démocratie parce que ce n’est jamais un système parfait. La démocratie est une quête permanente. Aujourd’hui encore il y a des manques, des espoirs qui ne sont pas comblés. Mais on est sur une voie acceptable et assez satisfaisante ».
Pr Basile L. Guissou, Délégué Général du CNST, ancien ministre des Affaires Etrangères : « J’ai déjà dit à un de vos confrères l’an dernier que l’histoire n’est pas du saucisson que l’on peut découper par tranches, prendre ce qui vous arrange et jeter ce qui ne vous arrange pas. Il est clair pour moi que nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis de la génération montante pour une lecture intelligible de notre histoire politique. Pour ce devoir de mémoire, chaque acteur doit, le plus sincèrement possible, contribuer. Donc pour ne prendre que la date du 15 Octobre, il y a deux faits dedans, et comme on le dit, les faits sont têtus et objectifs. Il y a eut la mort du président Thomas Sankara, il y a eu l’accession de Blaise Compaoré comme chef de l’Etat. Ces deux faits là sont des faits. Maintenant les commentaires sont libres. Au-delà de çà, je pense que je suis un acteur de l’avènement du 4 Août 1983 et l’histoire veut que l’on remonte à l’origine pour comprendre éventuellement certaines zones d’ombre. Il faut dire qu’on ne peut pas comprendre la Révolution au Burkina Faso si on ne remonte pratiquement pas en 1970-1971. C’est les 5ème et 6 ème congrès de l’Union Générale des Etudiants Voltaïques (UGEV) qui a dégagé la ligne politique révolutionnaire anti-impérialiste pour notre pays. Et ce sont les premiers militants révolutionnaires qui ont commencé à diffuser les idées révolutionnaires dans ce pays là depuis 1971. Vous pouvez retrouver l’orientation politique du Mouvement de la Jeunesse Voltaïque qu’on appelait à l’époque “le petit Livre rouge” qui a été diffusé au sein des étudiants et après qui a atteint aussi les syndicats pour dégager une ligne anti-impérialiste révolutionnaire. En 1978, au sein de l’Union Générale des Etudiants Voltaïques, il y a eut une session, ce qui a donné le mouvement M21 et l’UGEB/MONAPO (Mouvement National Populiste). Derrière ces deux mouvements, il y avait deux partis politiques. Il y avait l’ULC, mon parti et le PCRV, le parti de nos adversaires politiques. A côté de ces deux partis, il y avait celui qui a toujours été cité à l’origine, le PAI (Parti Africain de l’Indépendance) qui datait des années 1960. Le 4 août 1983 le PAI, l’Union de Lutte Communiste (ULC) et les officiers révolutionnaires ont constitué le Conseil National de la Révolution et le 25 août 1983, le CNR en réunion a formé le premier gouvernement révolutionnaire du Burkina Faso avec une dizaine de personnes qui assistaient comme noyau du CNR. Je les cite de mémoire, il se peut que j’oublie mais je crois qu’il y avait côté civil, Touré Adama, Touré Soumane, Philippe Ouédraogo, Somé D. Valère, Talata Eugène Dondassé, Basile L.Guissou et moi-même. Côté militaire, il y avait Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Lingani Boukari, Henri Zongo. Il se peut que j’en oublie. Je pense qu’ils sont comptables et seuls comptables de ce qui a démarré le 4 Août 1983 dans ce pays. Je pense que ce sont les voix les plus autorisées pour la Genèse du CNR. Par la suite, les choses ont évolué, le CNR a capté d’autres personnes, il s’est gonflé mais en gonflant en même temps les contradictions. Ce sont ses propres contradictions internes qui l’ont amené à imploser, et maintenant les versions sont multiples. Le 15 Octobre 1987 c’est à l’intérieur du CNR que les évènements se sont passés pour qu’on passe à la phase de Front Populaire. Je ne résume pas l’histoire en bon ou mauvais et en méchant ou traître. Je pense que quelque part, il y a à dépasser les ressentiments subjectifs pour se dire que toute culture qui ne génère pas des règles de fonctionnement, des règles capable de créer des conditions de solutionnement de ses contradictions en dehors du vieux recours à la violence et (surtout quand on est dans un contexte de civils et de militaires) du risque de voir trancher les contradictions par la voie des armes. Ensuite j’ai fait quatre (4) mois de prison de décembre 1987 au 25 mai 1988. Je suis un militant de l’AREDA (l’Association Radicale pour l’Etat de Droit en Afrique). J’ai créé cela avec des camarades et avec le député Euro Italien Marc Coppanela du Parti Radical Transnational ; il a toujours défendu comme Gandhi, Martin Luther King, la non-violence en politique. Alors amorce d’une démocratisation de la vie politique, et même d’une civilisation des mœurs politiques ne pouvant qu’aller dans le sens de mes souhaits. Donc tant que les règles sont établies et claires et qu’on les joue, c’est plus facile à gérer que lorsqu’il n’y a pas de règles. Et comme je le dis toujours, une mauvaise contribution vaux mieux que rien du tout ».
Chrysogone ZOUGMORE, Président du MBDHP : « Ce qu’il faut dire et répéter avant tout, c’est que l’histoire d’un pays ou d’une nation est sacrée. On ne peut pas se permettre de la modeler à sa guise, de la tronquer donc, juste pour se faire plaisir ou pour tenter de se donner bonne conscience.
Vous savez, dans toute évolution historique de tout pays ou de toute nation, il y a des périodes glorieuses mais aussi des passages sombres qu’il faut également accepter d’assumer en toute honnêteté et humilité. C’est ce qui fait la marque des grands Homme et des régimes respectables.
Ce que je pense du Front Populaire ? Tout comme le CNR le Front Populaire a été un régime d’exception, qui a fait son entrée en scène par le coup d’Etat le plus sanglant de l’histoire de notre pays.
Cela dit et contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, le Front Populaire n’a pas apporté de son plein gré, et sur un plateau d’or, la liberté au peuple burkinabé. Il est inadmissible de vouloir nous faire avaler cela.
Le Front Populaire a changé les CNR par des CR, qui ont continué d’être des cadres uniques et imposés d’organisation. Et puis, s’agissant de déclenchement de processus de démocratisation que certains aiment tant à évoquer, rappelez-vous aussi que, en fait de tout premier projet de l’actualité constitution, les animateurs d’alors du Front Populaire proposaient une institutionnalisation pure et simple de ces CR à travers leurs différents démembrements. Et il a encore fallut des personnes physiques et morales suffisamment courageuses, dont le MBDHP, pour s’opposer à un tel projet réactionnaire.
Le vent de démocratie qui souffle en ce moment au Burkina Faso est donc la résultante d’une résistance farouche, soutenue et courageuse de patriotes burkinabé contre ces deux régimes d’exception. Et la jeunesse, en sa frange estudiantine en particulier, en a payé un lourd prix. Rappelez-vous que c’est sous le Front Populaire que l’étudiant DABO Boukary a été arrêté suite à une manifestation d’étudiants et torturé à mort. Souvenez-vous également l’enfer vécu par les travailleurs organisés au sein du front syndical (préfiguration de l’actuel CGT-B). Nombre d’entre eux ont été dégagés, arrêtés, torturés. Certains en portent encore des stigmates, physiques et psychologiques.
Il ne faut pas falsifier l’histoire. De ce qui est du processus de démocratisation retenons que : Malgré les insuffisances encore constatées sur le plan du respect des droits humains et des libertés démocratiques, ce que nous vivons aujourd’hui est nettement meilleur à ce que nous avons vécu sous le CNR et le Front Populaire.
Nous disposons d’une Loi fondamentale. Nous avons un cadre formel qui consacre en droit une séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et la judiciaire. C’est bien mais ce n’est pas suffisant car en réalité l’on constate assez aisément une fusion de ces trois pouvoirs et leur concentration entre les mains d’un exécutif omniscient et omnipotent.
Le pouvoir judiciaire est littéralement mis sous ordre. Cela est flagrant : Si fait que des fléaux tels que l’impunité et la corruption gangrènent l’ensemble du tissu social burkinabé. Cela constitue une sérieuse hypothèque et un visitable danger pour le processus actuel de démocratisation.
Et puis, la démocratie, ce n’est pas seulement disposer de cadres institutionnels formels. La démocratie c’est aussi la marque de tout système qui est à même de pouvoir offrir aux populations des conditions de vie décentes. Or, ce n’est pas le cas chez nous en ce moment.
Jamais état de pauvreté, de paupérisation de couches entières de populations n’a atteint un tel seuil au Burkina. Souvenez-vous des émeutes de la faim de février 2008. Les jeunes n’ont pas manifesté pour le simple plaisir de se défouler. La réalité est que la grande majorité des populations et les jeunes n’ont pas manifesté pour le simple plaisir de se défouler. La réalité est que la grande majorité des populations et les jeunes en particulier, aussi bien en ville qu’en campagne, peinent à survivre.
Quel espoir pour notre processus de démocratisation ? Le constat est là. Le processus de démocratisation marque actuellement le pas. Cela se sent et se vit. Les populations sont laissées et ont tendance à se désintéresser de tout. Il faut donner un nouveau souffle à la vie politique et sociale.
Il est un fait aujourd’hui qui est que les partis politiques, dans leur grande majorité, souffrent d’un sérieux déficit de crédibilité, du fait de querelles intestines et autres intrigues de bas étage qui se font généralement pour des intérêts personnels et privés. C’est vraiment dommage !
Et c’est pour cela que le MBDHP insiste sur la nécessité, aujourd’hui, d’autoriser les candidatures indépendantes aux élections législatives et surtout municipales, pour donner ce souffle nouveau à la vie politique et sociale. Les candidatures indépendantes sont une des revendications légitimes et populaires de l’heure.
Il faudrait également davantage être plus que jamais à l’écoute des diverses couches sociales à travers leur structures organisées : syndicats, associations féminines et de jeunes, etc. et davantage œuvrer à en faire des femmes et des hommes, bénéficiant de droits et prêts à assumer leurs devoirs de citoyens burkinabé à part entière ».
Achille Tapsoba, Député du CDP : « Je vous remercie. Vous me donnez l’opportunité d’aborder ce grand sujet qui toute la vie entière de la nation. Je dois dire que du point de vue du processus démocratique, il est important de souligner que sur le plan de la fondation du processus démocratique, les choses se sont dessinées depuis cette étape de fondation. Je ne parle pas d’étape de fondation dans la mesure où c’est une démocratie qui s’est bâtie sur une expérience révolutionnaire de courte durée, mais qui a eu une sérieuse marque
sur l’évolution nationale et cela dans la mesure où cette expérience révolutionnaire a donné à notre peuple la détermination d’aller résolument dans le processus du développement économique, social, culturel et politique. Et cela s’est traduit par le retour, le regain de confiance de notre peuple avec lui-même ; cela s’est traduit par des mots d’ordre qui affichaient non seulement la personnalité politique de notre nation, mais également qui affirmaient la
possibilité de notre pays de se développer par lui-même, par ses propres forces. C’est pour cette raison que cette fondation de la démocratie semble avoir été une fondation très importante et c’est pourquoi aussi dès le début du processus démocratique, il a été constaté un phénomène très important à savoir que notre processus démocratique s’est construit sur la base de contrat social qui a regroupé des protagonistes dans l’histoire politique de notre pays. Et effectivement autour de la table, pour bâtir la 4ème République, se sont retrouvés des protagonistes de la première, deuxième et troisième République, des protagonistes des régimes d’exception, et c’est tout cet ensemble de personnalité qui a constitué la richesse de la commission qui a mis en place la constitution du 2 juin 1991. C’est donc pour dire que le processus démocratique se voulait non seulement un processus de retour à la démocratie, mais un processus de retour qualitatif à la démocratie, tirant leçon des trois régimes constitutionnels précédents, mais tirant leçon de l’échec des régimes d’exception qui sont donc les parenthèses. Il faut dire que ces parenthèses sont utiles dans la mesure où c’est à partir d’elles que le peuple a revendiqué des régimes démocratiques.
Donc du point de vue de l’évolution de ce processus cette étape, nous devons noter trois (3) grande étapes.
La première étape est celle de mise en place du système démocratique dans notre pays, je peux l’appeler l’Etape de la restauration. Cette étape de la restauration (qui de mon point de vue est allée de 1990 à 1991 jusqu’à 1992, 1993 avec la mise en place des premières institutions démocratiques) a connu une manifestation de violence politique liée au fait que les protagonistes de la scène politique étaient divisés en 2 camps diamétralement opposés : ceux qui défendaient la perspective d’une démocratisation de la société fondée sur l’adoption de la constitution du 2 juin 1991 et le camp qui estimait qu’ il n’ y a pas de démocratisation de la société tant qu’au delà de la constitution, on n’organise pas une conférence nationale souveraine qui fasse table rase de tout ce qui est passé dans le passé historique de notre pays en vue d’une réconciliation nationale. Donc voilà ce qui a été le fond de la première étape de notre processus de démocratisation. Des institutions se sont néanmoins installées, la démocratie a fait ses premiers pas avec les premières élections qui ont été plus ou moins boycottées parce que ne trouvant pas de consensus dans son ensemble. Mais ce qui est formidable, c’est qu’au-delà de ces clivages politiques importants, il y a eu un sursaut de patriotisme de part et d’autre ; c’est ce sursaut patriotique qui a permis de résoudre cette première étape, de passer cette première crise et de faire en sorte que cela aboutisse, à travers un dialogue politique organisé, à un consensus qui a été à l’origine de réformes politiques dans notre pays à partir desquelles réformes, la démocratie s‘est poursuivie et s’est approfondie. Ce sont ces réformes politiques qui ont permis à la classe politique de se réengager dans le processus démocratique de façon plein et claire. C’est dans cette logique qu’interviendra la deuxième phase de la démocratisation avec une participation active et multiple de candidatures au niveau des élections présidentielles, législatives et municipales. Il y avait la participation des partis toutes tendances confondues. Dans cette deuxième phase, il s’est agi de poursuivre la mise en place des institutions démocratiques et là aussi, il y a eu des concessions de part et d’autre des différents protagonistes. Et ce qui a joué un grand rôle dans cette deuxième phase, c’est cette crise sociopolitique que nous avons connue en 1998 et qui a même accéléré le processus de démocratisation à travers la nécessité de prendre des réformes de plus en plus osées sur le plan politique et la mise en place à partir d’un accord avec les différents protagonistes de la classe politique. Et c’est suite à la crise de 1998 que les réformes politiques ont été approfondies et élargies de mon point de vue. C’est ce qui a permis la consolidation du processus démocratique. Beaucoup de choses ont été faites et c’est grâce au dépassement de soi de la plupart des protagonistes de la classe politique nationale, grâce à l’implication de la société civile. Je me rappelle que la commission qui a été mise en place en 1999 était une commission de concertation des partis politiques et dirigée par la société civile ; elle a abouti aux grandes réformes politiques que nous connaissons aujourd’hui au nombre desquelles on a le bulletin unique, le mode de scrutin à la proportionnelle qui a permis aux petits partis de se tailler une place à l’assemblée Nationale. Donc c’est grâce à tout cela que la deuxième phase a connu un approfondissement de la démocratie qui a permis une installation de la 3ème phase à savoir celle de la culture démocratique qui se déroule aujourd’hui à savoir la mise en place des institutions qui fonctionnent régulièrement, avec une classe politique qui se réalise, une société civile qui s’implique davantage et une société de manière globale qui se réalise à travers le système démocratique.
Il y a des chantiers à tous les niveaux qui se réalisent. Les réalisations se poursuivent au profit des masses laborieuses, au profit du peuple. Cette démocratie se perçoit aussi à travers la confiance que nous donnent nos partenaires extérieurs, des partenaires techniques et financiers qui continuent de nous appuyer, d’appuyer notre société à travers le soutien financier dont bénéficient l’Etat, la société civile, donc le peuple burkinabé, pour la construction de notre démocratie.
Au finish, on peut dire que c’est un processus qui a tenu sa promesse. Beaucoup reste à faire comme toute œuvre humaine. Des efforts restent à faire pour aller dans le sens du dialogue politique, la voie du consensus, pour améliorer les règles du jeu démocratique à partir d’un dialogue construit avec toute la classe politique et la société civile.
D’un point de vue global, nous assistons à une volonté politique affichée d’aller un peu plus en avant. C’est pourquoi des réformes politiques se préparent encore et ces réformes politiques doivent amener la classe politique à une meilleure implication dans le jeu démocratique. De même à l’heure actuelle, il faut souligner que nous assistons à une organisation de la classe politique et de la société civile contre le fléau qui est la corruption que génère le système libéral, le système économique capitaliste. Et ça aussi c’est un maillon important. Nous savons qu’aujourd’hui, que ce qu’on n’a pas pris comme priorité hier, se prend comme priorité aujourd’hui. Et la lutte contre la corruption entre dans le cadre de l’amélioration de la démocratie. Et c’est en ce sens que nous disons que le processus démocratique est en bonne marche dans notre pays, va dans l’approfondissement de la culture démocratique. Et cela, il faut reconnaître, c’est le fait de la conjugaison des efforts de tous, c’est le fait de l’esprit de sacrifices de tous. Sinon ce n’est pas le monopole d’une classe, d’une section ou d’un individu.
Dans tout processus, on avance en accélérant ou desfois on piétine. Le processus n’est pas linéaire, ce n’est pas de l’eau qui coule sans arrêt. C’est quelque chose qui peut s’accélérer, qui peut s’arrêter et il faut redémarrer. C’est dans cette logique qu’avance le processus démocratique au Burkina ».
Alassane KOUANDA, Opérateur économique : «Dès le lendemain du 15 Octobre, j’ai été contacté par Me Hermann Yaméogo. Il me disait qu’on devait immédiatement se mobiliser pour éviter un retour à la Révolution. Lui avait commencé à rencontrer les Joe Ouéder, les Gérard Kango, les Gounga Naaba, pour les sensibiliser dans ce sens et se préparer même à aller au Mali, en Côte d’Ivoire dans le même but. Il trouvait que le secteur économique ne devait pas être en reste. Après avoir tâté le terrain, avec certains d’entre eux qui étaient ses clients, il m’a demandé de m’occuper de ce travail important. Il a fait savoir que les moments étaient incertains. Beaucoup de bruits couraient et les gens disaient que les partisans de Sankara allaient reprendre la situation en main. On notait la joie du changement mais il y avait la peur. J’ai dit que j’étais prêt à prendre les risques. C’est donc le lundi qui suivait le 15 Octobre 1987, que sous les conseils de Me Hermann, je me suis rendu à la Chambre de commerce pour y organiser une rencontre avec les opérateurs économiques et leur dire de soutenir le nouvel élan qui était en train de s’annoncer, c’est-à-dire la démocratisation. Cette rencontre devait permettre d’annoncer la suppression des Groupements d’intérêt économique (GIE) qui avaient très mauvaise presse, faire savoir qu’il y a désormais plus de libéralisation dans le domaine du commerce. Il fallait réunir tous les commerçants de taille de l’époque : Nana Boureima, Abdou Balima, Damas et j’en passe. Tertius Zongo, le premier Ministre actuel, était à l’époque Secrétaire général de la Chambre de commerce. Malgré toutes les pressions qu’il a eues pour ne pas nous céder une salle pour la rencontre, il l’a fait. Il m’a dit de rédiger la demande sur place et nous avons pu discuter après avec les opérateurs économiques qui, du reste, ont été convaincus. Ils ont applaudi les mesures qui allaient être prises dans les domaines politique et commercial..
Mon message était on ne peut plus clair à leur endroit : ‘On m’a dit de vous faire comprendre que vous devez vous tenir prêt par ce que les choses vont changer’. Ils ont accepté et ont adhéré à l’idée. Les gens ont cru que le climat allait être plus positif. En réalité, je pense qu’il faut féliciter deux personnes dans cette histoire : Hermann Yaméogo pour sa clairvoyance et ses conseils éclairés, et Tertius Zongo pour son courage et pour le fait qu’il a cru en Blaise Compaoré et en la perspective historique.
Effectivement, nous avons en son temps réussi à tuer les GIE de sorte à ce que les gens puissent commercer beaucoup plus librement. Toute chose qui a donné de très bons résultats. Cela était justement la preuve que si on met tout le monde vers un objectif commun, on ne peut que l’atteindre. Cela se voit dans bien de pays. Prenez la France : Sarkozy travaille aujourd’hui avec des gens de Gauche parce qu’il a un programme et qu’il les pense capables de l’aider à le mettre en œuvre. Ce sont des exemples à imiter.
Même si sous la 4ème République, les choses sont quand même mieux que sous la Révolution dans le domaine des affaires et des libertés, de nos jours, les choses ne sont pas comme elles devraient parce que dans certains milieux, on préfère évoluer en camaraderie. Il faut qu’il y ait plus de liberté, que les gens puissent entreprendre encore plus librement. Nous n’avions pas un problème de liberté dans le temps ; on pouvait être ami à qui on voulait (un Hermann ou un Tertius) sans qu’il ne se pose de problème. Aujourd’hui, c’est tout autre chose, il y a des cloisonnements, et il faut que les autorités travaillent à plus de liberté de ce côté ».
Personne ayant souhaité garder l’anonymat : «Depuis fin 1987, même si on n’est pas dans une vraie démocratie (mais est-ce que cela existe même dans l’absolu ?), on a fait des progrès malgré des hauts et des bas, j’en conviens. Je me dis qu’il faut continuer sur cette voie, corriger les erreurs (comme ces reculs démocratiques qu’on a connus en 2004 et 2005) pour éviter le retour à la révolution car là, ce sera le chaos. D’ailleurs, je me suis toujours dit que le retour à la révolution prôné par les Sankaristes était anticonstitutionnel car peut-on demander, -dans des Statuts que le pouvoir lit et dont il accepte la teneur- le retour à un Etat d’exception ? Ensuite, je ne suis pas sûr que les Sankaristes veuillent vraiment revenir à la Révolution comme à l’époque ; s’ils l’avaient voulu, ils seraient restés dans la clandestinité et auraient lutté pour un putsch qui nous aurait ramené cette Révolution. Ils ne l’ont pas fait. Ils ne devraient pas alors laisser miroiter cette idée à beaucoup de jeunes qui les suivent parce qu’ils veulent le retour à la Révolution comme sous Sankara. Pour moi, les Sankaristes doivent avoir le courage de dire ce qu’ils vont faire précisément s’ils arrivent au pouvoir, notamment : maintiendront-ils les partis ? La liberté de presse sera-t-elle au rendez-vous ? Laissera-t-on tomber les tribunaux d’exception ? Si la réponse est Oui à ces questions, convenez avec moi que ce ne sera plus la Révolution. Merci».
Marlène ZEBANGO, Vice présidente de l’UNDD : « Je ne saurais vous parler de l’après 15 Octobre sans au moins faire un bref rappel de l’avant et du pendant 15, qui d’une certaine façon, influencent l’opinion que j’ai de l’usage qui a été fait par le pouvoir actuel, du renversement du CNR.
Avant la Révolution, même si j’ai eu un père (Kiello Guédé) qui s’est illustré dans la politique en tant qu’élu au Grand Conseil, je n’ai pas été personnellement, par la suite, une militante engagée politiquement dans un parti, quand bien même dans ma famille, il n’en a pas manqué à militer dans un parti comme l’UNDD version 1978 ou dans d’autres comme le RDA ou le MLN.
C’est avec l’avènement de la Révolution que je ferai vraiment mes premières armes politiques, non pas en tant que responsable mais comme militante, menant le combat à travers ma zone. Je dois dire que j’ai été enthousiasmée par le message que le Capitaine Thomas Sankara et ses compagnons ont voulu passer au peuple burkinabé. Vous savez, à l’époque, nous apparaissions comme des mendiants quémandant à gauche et à droite des aides, en bafouant notre dignité. Ils sont arrivés, nous disant que nous étions un peuple digne, un peuple qui devait d’abord compter sur lui-même, et ce message était aussi le mien. Mais il y a eu tellement de dérives. Ces CDR pourris, ces caméléons équilibristes, ces hiboux aux yeux gluants qui ne pensaient qu’à s’accaparer de l’argent du peuple. Tous ceux-ci ont contribué à faire échouer une chose qui pouvait être positive pour l’ensemble du peuple. Mais comprenez que la plupart de ceux qui gèrent au plus haut niveau ce pays sont tributaires des gains et des échecs de la période révolutionnaire, et je trouve sincèrement lâches ceux qui veulent remettre toutes les dérives de cette période révolutionnaire sur la tête de ceux qui sont morts, assassinés, puisque ceux-ci ne peuvent plus se défendre.
C’est consciente des limites de la Révolution, en dépit de tout, que lorsque le 15 Octobre est survenu, j’ai pensé qu’à quelque chose, malheur pouvait être utile. Le nouveau régime était toujours animé par les acteurs de la Révolution. Je pensais que ça pouvait être l’occasion de maintenir le cap mais avec des rectifications sensibles, surtout en ce qui regarde les libertés, le droit à la vie, la démocratie. C’est pour cela qu’après l’Appel du chef de l’Etat, et dans le climat d’ouverture caractéristique du moment, j’ai créé, première expérience du genre en Afrique, le Parti pour la convergence, la liberté et l’intégration (PCLI), dirigé par une femme, en l’occurrence moi-même. Au fil du combat, la nécessité de l’union s’étant imposée au niveau de l’opposition, mon parti a fusionné dans l’ADF, dirigé par l’actuel président de l’UNDD après qu’on lui ait retiré le MDP et avant qu’on lui retire l’ADF/RDA.
Je dois dire que si le 15 Octobre a ouvert la voie au retour à la démocratie, après la cognée, on a jeté le manche. Loin de moi l’idée de passer sous silence toutes les actions positives qui ont été menées, notamment sous la demande et la pression, ne l’oublions pas aussi, de partis comme le MDP et plus tard l’ADF ; et je cite pêle-mêle la libération de tous ceux qui étaient détenus au Conseil, la favorisation du retour des exilés, la réhabilitation des anciens présidents Saye Zerbo et Maurice Yaméogo, la reprise des dégagés et licenciés, la réhabilitation de la mémoire de Thomas Sankara, l’ouverture politique, l’adoption d’une constitution…
Mais je dis que l’on n’aurait pas dû s’arrêter en si bon chemin ; or, non seulement on l’a fait mais on a eu tendance à retourner aux premières amours : les assassinats, la violence frappant des hommes comme les Henri Zongo, les Lingani… mais aussi les Clément Oumarou, les Norbert Zongo… Certains ont dit que c’était pour en finir avec les scories du passé. Tenez donc ! Non seulement l’argument ne tient pas puisque des hommes comme Norbert et autres sont passés à la trappe mais pour moi, cela reste inacceptable pour les raisons qui m’ont conduit à condamner les crimes sous le CNR et à l’occasion de ceux du 15 Octobre. Je condamne d’autant plus ces faits postérieurs au 15 que nous avons été tous instruits des leçons du passé et que nous n’étions plus en régime révolutionnaire (où tout en principe est permis) mais en démocratie où le droit arrête le droit.
Le 15 Octobre a été détourné car l’idéal social, le plus grand capital de Thomas Sankara, a été dilapidé, permettant à des révolutionnaires de monopoliser le pouvoir politique et économique jusqu’à ce jour, avec des trésors de guerre fabuleux. Parler de démocratie aujourd’hui est plutôt abusif, et beaucoup ne se reconnaissent pas en cette renaissance démocratique tant vantée, surtout au niveau de la jeunesse qui, quand on lui parle du 15, pense «Tout ça pour çà ! ». Mais je ne suis pas une pessimiste permanente : c’est pourquoi je suis et défends avec discipline les positions de mon parti, notamment au sujet de la Refondation.
Je dis, et c’est ma pensée profonde même si le doute me taraude, qu’on peut rattraper le coup. On le peut si on arrête de se complaire dans le brandissement de l’absence de guerre, de sécession dans notre pays, dans le fait que les fonctionnaires sont régulièrement payés, dans nos médiations réussies pour faire comme si nous avions la meilleure gouvernance d’Afrique. Non seulement, nous ne sommes pas le seul pays qui ne soit pas en guerre mais depuis l’indépendance, les fonctionnaires ont toujours été payés, et les médiations (qui de plus en plus nous font apparaître comme des pompiers venant éteindre les feux que nous avons nous-mêmes allumés) ne peuvent pas être considérées comme une matière première qui constitue un moteur de développement pour le Burkina.
Pour remettre les choses sur les rails et favoriser réellement l’enclenchement de la renaissance démocratique, il faut avec humilité, même s’il y a des acquis, reconnaître que le passif existe aussi, s’engager surtout à le résorber pour reconstruire un nouveau consensus dans lequel le maximum de Burkinabé se reconnaîtraient. Cette Refondation pour moi, s’impose triplement : à cause d’abord du dangereux malaise qui mine le camp présidentiel à cause aussi de la crise nationale à laquelle vient troisièmement de s’ajouter une crise internationale dont on nous cache vainement les répliques prévisibles en Afrique. En effet, je n’arrive pas à comprendre qu’il faille attendre d’aller à l’étranger pour y entendre les présidents français, américain, le premier Ministre canadien, parler de refondation de la gouvernance des institutions financières internationales, de celle des Nations Unies, de la nécessité pour l’Afrique d’être impliquée dans ces refondations parce que concernée par les problèmes du monde. Pourquoi ne pas commencer nous-mêmes à réfléchir, chercher à couvrir nos têtes face à ce caillou qui vient au lieu d’aller une fois de plus se faire donner la leçon à l’extérieur ? Voilà, pour terminer, la question que, pour ma part, je poserais à qui de droit ».
Enseignant ayant désiré garder l’anonymat : « C’est triste à dire mais j’en arriverais presque à tirer mon chapeau à Compaoré. Il a réussi à réduire tous ceux qui pouvaient le gêner ou compromettre son pouvoir. Parfois, j’ai pu penser que ce n’était pas bien, que c’était immoral mais au fond, lorsqu’on interroge l’histoire, ça s’est toujours passé comme ça. Qu’il s’agisse de nos princes africains ou des rois empereurs romains, grecs, des Egyptiens, des Phéniciens, depuis toujours, le pouvoir a consisté à éliminer toute forme de résistance. Et s’il y avait quelque chose de commun entre un César, un Napoléon, un Hitler, un Sékou Touré, un Kadhafi, c’est parce qu’ils n’ont pas toléré qu’on marche sur leurs plates-bandes et pour ce faire, ils ne se sont pas arrêtés à des violations de droits de l’homme, à des assassinats. Je me dis par conséquent que Compaoré n’est pas différent : il a réussi à casser, à diviser l’opposition ; il a réussi à créer de faux partis d’opposition, il a dupliqué tout ce qui existe comme contre-pouvoirs. On parle beaucoup aujourd’hui de ce qu’il n’y a pas de véritables partis d’opposition mais est-ce qu’il y a de véritables mouvements de droits de l’homme ? Ca, on n’en dit pas grand-chose ! Mais eux, ils ont des protections nationales et internationales, ils ont l’argent (ils l’avaient même hier à l’époque du Collectif, venant des USA et de partout !) ; alors, ils pourraient dénoncer les travers, sachant que s’ils sortent et se font taper, ils auront des défenseurs. Cependant, ils ne disent rien. Ils sont récupérés ; ils ont même dit en 2005 que Blaise pouvait se présenter.
Et ce qui fait mal, c’est qu’ils veulent prendre la place des politiques, les traînant dans la boue et affirmant qu’eux, ils vont mieux faire. Laissez-moi rire ! En tous cas, je dis, si on accepte cela, les partis politiques doivent aussi se lancer dans la création d’associations tous azimuts contre le Sida…, type « Association PDP/PS (PAREN, CDP ou autre) pour l’éducation des filles », et personne ne devrait trouver à y redire, et les partenaires devront donner le ‘blé’.
Dans d’autres pays de démocratie, on voit les organisations de la société civile sur la brèche (comme au Gabon où ils ont déposé plainte auprès de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite contre Mr Amlaba Fall Bosco, procureur de la République auprès du Tribunal de 1ère instance de Libreville) mais chez nous, que font-ils sinon avec mièvrerie, défendre au bout du compte le régime ?
C’est la même chose pour les syndicats : ils ont dit que Blaise pouvait se présenter malgré l’article 37 ! Ils reconnaissent eux-mêmes que les syndiqués n’ont plus confiance en eux. Evidemment, quand un syndicat en est réduit à prendre de l’argent et des vivres d’un pouvoir, quelle marge de liberté a-t-il vraiment pour critiquer ce pouvoir ? Chez nous, on dit que la bouche qui a mangé ne peut pas critiquer.
Finalement, le numéro un burkinabé a bien mené sa barque, et si ce n’est pas les bisbilles qu’on voit au sein du pouvoir et qui opposent CDP et FEDAP/BC, rien ne le gêne. Les gens vivent mieux qu’ailleurs, ils ont leurs salaires, ils n’ont pas de troubles significatifs qu’on connaît dans d’autres contrées ; et même si de temps en temps, il y a des sautes d’humeur, cela se règle à l’amiable. Ce qui me fait dire, bien que je n’aime pas Blaise, bien que je dénonce la monarchisation du pouvoir, la mainmise économique et politique des siens sur le pays, qu’il a réussi plus que ses prédécesseurs à devenir un grand chef d’Etat de dimension internationale».
Propos recueillis par Lamine Koné, Thierry Nabyouré, Swonty Koné, issouf Sidibé, Aristide Ouédraogo
Source : San Finna du N°485 du 20 au 26 Octobre 2008 – www.sanfinna.com/
Les autres témoignages, avant la période précédent 15 octobre et sur le 15 octobre se trouvent respectivement aux adresses première partie et deuxième partie