Témoignages sur le 15 octobre 1987, deuxième partie : Pendant le 15 Octobre

 

La semaine dernière, nous avons démarré notre série de témoignages sur le 15 octobre 1987. La première partie de ces témoignages concernait l’Avant 15 Octobre (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0674 l’autre sur après le 15 à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0693  note de la rédaction du site). Cette deuxième partie concerne le 15 Octobre lui-même. Nous avons obtenu de nombreuses réponses, certaines très longues, mais nous pensons qu’il faut tout retranscrire pour informer au maximum notre lectorat sur ce que les uns et les autres ont ressenti le jour même du 15. Merci à tous les contributeurs. La rédaction de San Finna

 

Mousbila SANKARA, membre de l’UNIR/MS, Commissaire à la CENI : « Pour parler du 15 octobre 1987, il faut revenir sur août 1983. A cette date,

 nous avons (de façon spontanée pour certains) constitué une équipe pour gérer le pouvoir. On était jeunes pour la majorité. Ceux qui l’ont préparé avaient un projet contrairement à ceux qui sont arrivés au moment où la révolution était effective et ces jeunes pour la plupart étaient, pourrait-on dire, innocents n’ayant pas de passé particulier ; contrairement aux aînés qui s’étaient déjà battus dans les Universités pour telle ou telle question. Parmi ces derniers, beaucoup ne trouvaient pas leur compte dans la révolution, pour les uns, parce qu’ils ont été mis à l’écart, pour les autres parce qu’ils n’approuvaient pas les

dogmes des jeunes révolutionnaires mais comme ont n’avait pas le choix, les gens ont suivi parce qu’il faut le souligner que ce sont les militaires qui tiraient. D’abord c’est le PAI, ensuite d’autres qui se disaient incontournables mais qui se voyaient à la fin éjectés. Ça nous a créé des problèmes nous qui n’avions pas de dogmes, n’ayant pas fait l’Université d’autant plus que notre préoccupation était de réaliser des actions sur le terrain. C’était décourageant de voir des camarades se mettre à l’écart pour des détails dogmatiques.

C’est ainsi qu’entre temps, les antagonismes entre ceux qui sont restés dans la dynamique de la révolution et ceux qui étaient à l’écart ont constitué un frein à la bonne marche de la révolution. On a donc essayé de réviser en modérant les positions avec notamment comme chantre de la modération Henri Zongo. Certains on vu en cela du défaitisme, du tâtonnement…Or c’est justement dans des moments comme ça qu’il y a des gens qui exploitent les situations. Il y avait l’environnement international qui ne nous était pas favorable. Le Burkina colonie d’exploitation devenu un Etat véritablement souverain était mal vu à commencer par la sous région. Ce qui devait arriver, arriva. J’étais en poste à Tripoli comme ambassadeur, mais en mission aux Etats-Unis. Dès que j’ai appris la nouvelle, j’ai téléphoné à Blaise Compaoré. Il m’a dit qu’il était débordé. Dans le fond je pouvais ne pas en vouloir à quelqu’un car partout où il y a lutte de libération ou d’émancipation, il y a des morts souvent par centaines. Ceux qui ont pris le pouvoir on bien fait d’assumer le 15 octobre 1987, mais le justifier, c’est le comble ».

 

Jonas Sawadogo, militant de l’UPS : «J’ai ressenti beaucoup de tristesse. Quand on parle du 15 octobre, c’est comme si ça venait de se produire hier. C’est quand même une longue période d’espoir qui s’est écroulée en un jour par la cupidité des hommes, parce que des gens voulaient s’emparer du pouvoir pour leur propre cause, parce que des gens étaient téléguidés de l’étranger notamment par la France, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Libéria… Et aujourd’hui, à notre niveau, c’est toujours la tristesse quand on pense au 15 Octobre ».

 

Jonas HIEN, (société civile) : « Le 15 Octobre est venu à la suite d’un certain nombre de signes avant-coureurs comme on pourrait le dire. C’est vrai qu’il a surpris mais pour les hommes avertis, la surprise n’a pas eu lieu parce qu’effectivement, avant le 15, il y a eu pas mal de signes, pas mal d’évènements qui ont fait croire que la Révolution était en danger. Mais ce qui a semblé être une surprise, c’est le dénouement des différentes contradictions au sein du CNR. Ces signes, c’étaient les tracts qui circulaient pour remettre en cause la ligne du CNR, les déviations qui auraient été constatées dans la gestion de l’appareil d’Etat. Ensuite, à l’occasion de meetings, nous avons pu constater des contradictions plus ou moins ouvertes qui permettaient à l’opinion de se faire une idée sur ce qui se passait au sein de ces leaders de la Révolution. Mais il faut dire qu’en réalité, ceux qui peuvent bien expliquer les raisons des différentes tendances qui sont survenues, c’est surtout les hommes politiques des différentes tendances bien entendu, comme c’est le cas aujourd’hui avec le CDP ou certains regroupements politiques divers. N’étant pas homme politique en ce moment, je pense que ce sont eux qui peuvent le mieux expliquer ce qui a entraîné des divergences au sein de ce groupe qui semblait pourtant bien soudé.

Le 15 Octobre, à proprement parler, m’a trouvé au village pour un évènement de famille, et c’est de là-bas que la nouvelle m’est venue par les ondes d’Africa n° 1. J’ai donc suspendu tout ce que j’avais à faire au village. A l’entrée de Gaoua, parce que l’alerte avait été faite, l’accès aux grands centres était minutieusement contrôlé. C’est donc à pied que j’ai pu entrer dans Gaoua où j’ai constaté qu’aucun regroupement pour une quelconque manifestation ne pouvait s’opérer. J’ai donc décidé d’aller vers Kampti à vélo (42 km de route) où le même constat a pu être fait. De retour à Gaoua, nous avons tenté tout ce qui était possible pour manifester notre désaccord avec ce qui venait de se passer. En vain.

Maintenant, il faut dire que nous étions déjà sceptiques pour le Burkina avec la fin de la Révolution. Parce que ce que nous avions vécu sous la Révolution en 4 ans, en comparaison avec le déroulement du pays depuis les indépendances, nous nous disions déjà à cette époque que, pour que le Burkina décolle, il va falloir beaucoup d’actions. On n’était pas sûr qu’avec la fin de cette révolution, on puisse encore avec un homme politique, un chef d’Etat aussi charismatique et populaire, engagé pour la cause de son pays, de son peuple, pour faire évoluer le pays. C’est ce que nous avons craint en son temps. La question, c’était : que deviendra le Faso sans Thomas Sankara ? »

 

Etienne Traoré, Député PDP/PS : « Il y avait des problèmes certes au niveau de la Révolution, mais on n’avait pas les même intérêts. Il y a eu ceux qui étaient très conscients et qui ont tué Sankara et trahi la Révolution. Maintenant pour nous appâter nous autres, on a parlé d’approfondissement de la démocratie. Mais on a tous vu comment ça c’est passé : tous ceux qui avaient un minimum de personnalité ont été plus ou moins écartés et c’est la trahison qui l’a emportée. Donc aujourd’hui nous somme dans une période de contre Révolution totale et on voit les résultats : le pays n’a jamais connu autant de corruption. Il y a cinq ou six familles qui contrôlent toute l’économie du pays et c’est inadmissible. La Révolution a été terrassée par une trahison et la trahison continue toujours en complicité avec des régimes en Côte d’Ivoire et au Togo. Tenez ! Le premier voyage officiel du Président Compaoré, c’était en Chine Populaire. Pendant qu’on venait de massacrer les contestataires du régime chinois sur la place Tiananmen, lui est allé là-bas. Ce monsieur avait l’ambition du pouvoir, il a eu l’occasion de le prendre et il l’a pris. Il ne faut donc pas qu’il nous raconte des histoires, il ne croit en rien ; il croit en son fauteuil. La preuve, les gens font ce qu’ils veulent et ce n’est même pas son problème. Tant qu’on ne regarde pas du côté de son fauteuil il n’y a pas de problème. Si tu regardes de ce côté tu as des débats et un de ceux qui a souffert de ça, c’est bien Hermann (NDLR : Me Hermann Yaméogo, Président de l’UNDD) qui a osé lorgner ce fauteuil pendant que c’est un pêché impardonnable. Il fait tout (corrompre, acheter, tuer..) pour protéger son pouvoir ; ce monsieur ne croit en rien ; il croit en son fauteuil, c’est tout. Et aujourd’hui, comme pour tout pouvoir qui s’éternise, ce pouvoir se rétrécie autour de la famille.

Dans les élucubrations d’un certain nombre de gars qui sont toujours aux affaires, ils ont voulu impliquer Thomas Sankara dans des sectes. Mais aujourd’hui, il n’y a pas un pays où les sectes sont aussi puissantes que dans le nôtre. Ce sont les sectes qui dirigent ce pays ; elles sont au moins au nombre de deux ou trois. Les gens le savent et c’est notamment la Rose Croix, la Franc-maçonnerie et la secte Moon. On disait de Sankara qu’il voulait être de la Rose Croix. Lui au moins il voulait mais aujourd’hui, ils sont tous dedans ».

 

Issa Tiendrébéogo, SG du GDP : « Je vous remercie mais c’est à mon sens une question sur laquelle on a suffisamment débattu. Je vais donc dire quelques mots, juste pour rappeler. En 1986, j’ai quitté le gouvernement parce que les bases sur lesquelles on s’était entendus n’étaient plus réunies ; je ne veux pas revenir sur des détails, mais mon sentiment était qu’à un moment, au sein du CNR, les discussions n’étaient pas suffisamment franches. Il y a aussi la position des civils qui se détériorait parce qu’on avait quand même le sentiment que les militaires tenaient absolument à faire cavaliers seuls. C’est tous ses sentiments qui m’ont poussé à l’époque à me mettre un peu à carreau. Il y a un certain nombre de choses qui se passaient à l’intérieur dont je ne suis pas très au courant jusqu’au dénouement du 15 octobre.  

Je rappelle encore et ça je l’ai déjà dit, que c’est Blaise lui même qui a fait appel à moi, qui m’a donné sa version du 15 octobre. C’était censé être un accident et donc, sur le principe de la Révolution, on était toujours d’accord et comme on a fait comprendre que c’était un accident, j’étais d’accord qu’on aille à nouveau ensemble dans ce qui était supposé être l’approfondissement de la Révolution. Il était donc question d’élaguer parce qu’on ne peut pas dire que tout allait bien, en particulier la gestion. Tout le monde reconnaît en effet qu’au bout des 4 ans, des choses extraordinaires avaient été faites ; l’auto ajustement a été bien faite. Donc de mon point de vue, c’était pour renforcer ces choses-là et améliorer les libertés.

Au début on s’est véritablement donné (je ne suis pas le seul) à travailler dans cette optique-là mais par la suite, personnellement je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses qu’on m’avait cachées, et au fur et à mesure qu’une personne constate qu’on s’est joué d’elle comme un enfant (que ce qu’on lui dit était loin de la vérité, que sur le terrain les éléments qui devaient être renforcés -les acquis de la Révolution- sont en train d’être détruits, elle prend ses distances. Au fur et à mesure que les choses apparaissaient que ce n’est ni un accident encore moins un conflit interne (puisqu’il y avait des complicités externes), j’ai pris mes distances ».

 

Christian Koné, Président du PNR/JV : « Je remercie San Finna de m’interviewer à cette occasion qui nous rappelle un tournant dans la vie de notre pays. Avec toute la notoriété de Sankara, son aura, son charisme…cette date ne pouvait pas passer sous silence. Il y avait certes des problèmes au sein même de la Révolution, mais on ne s’attendait pas du tout à un dénouement aussi terrible.

Votre entretien me permet de donner un aperçu des problèmes. Que les gens me comprennent parce que je ne m’en prends pas à quelqu’un, mais je crois qu’il y a des évènements qui doivent nous amener à nous poser des questions sur nous mêmes. En tout cas très récemment, les radios internationales ont passé une séquence de la déposition de Prince Johnson à Monrovia devant la commission Justice et Vérité. Il a fait comprendre qu’ils (lui et ses camarades) étaient à Ouagadougou et qu’ils avaient participé au complot d’assassinat de Thomas Sankara. Tout de suite, on comprend pourquoi ce coup d’Etat a été si violent, pourquoi il y a eu tant de morts. Certes Sankara n’était pas un Saint, il a été débordé par la branche radicale au sein du CNR et tous ces ramassis de petits CDR qui ont fait du pays ce qu’il était. Il faut juste préciser qu’à l’intérieur du pays, on ne le voyait pas de la même manière qu’on le voyait à l’extérieur. A mon humble avis, tous ceux qui se réclament du sankarisme devaient saisir l’opportunité de cette déclaration, envoyer même une délégation à la rencontre de Prince Johnson pour chercher à comprendre, qu’il explique, qu’il dise quelque chose parce que ce sont des révélations historiques. Je pensais que cela allait se faire en lieu et place des fanfaronnades qu’ils sont en train de faire sur le plan international à travers les institutions. On aurait dû comprendre cela depuis le temps parce que tout ce qui s’est passé ne ressemble pas en réalité aux pratiques des Burkinabé. On sent qu’il y a une main étrangère.

Bref, le 15 octobre a quand même suscité en son temps des espoirs à cause des ratés qui ont été ça et là constatés dans la période révolutionnaire : familles démembrées, pertes d’emplois…, toute chose que la société burkinabé n’était pas habituée à vivre. Nous n’avons pas applaudi la fin du régime mais on a pensé que les choses iraient mieux. On se rend compte avec le temps que les choses ont été complètement dévoyées. L’espoir que le 15 octobre a suscité a perdu sa substance ; l’engouement n’y est plus.

De plus en plus avec les pressions et surtout après l’effondrement du Mur de Berlin, la démocratie devait s’imposer au Burkina mais il faut le dire : aujourd’hui le constat est que tout a raté. C’est vrai qu’il y a une liberté de presse apparente mais la gestion du pays aujourd’hui laisse à désirer et on s’enfonce de plus en plus dans une crise profonde ».

 

Dr Pierre Bidima (société civile) : « La force d’une révolution, de surcroît marxiste, réside dans la cohésion de sa direction. La révolution d’août s’est réalisée sans une direction conséquente, cohérente et unie.

 Le Conseil national de la Révolution (CNR), créé aussitôt après l’avènement de la révolution, était constitué de 60 militaires et de 8 civils venus des rangs du Parti africain de l’Indépendance (PAI) et de l’Union de lutte communistes reconstruite (ULCR). Cette prédominance militaire dans la composition du CNR, ainsi que la vision même de l’orientation que devait revêtir la Révolution, créèrent très tôt des divergences dans cette structure, et qui se sont manifestées dans la pratique par des erreurs monstrueuses : exécutions extrajudiciaires ; mise à mort de 7 prétendus putschistes après un simulacre de jugement, ni juste, ni équitable car sans la moindre défense ; licenciement massif d’enseignants pour des faits de grève, dégagements quasi-permanents de fonctionnaires sur simples dénonciations et sans droit de recours ; libertés individuelles et collectives bafouées…

En 1984, la lutte d’influence entre l’ULCR et le PAI au sein du CNR, et l’impossibilité du PAI d’imposer ses positions révolutionnaires, poussèrent ce dernier à la porte. Désormais, le CNR devra rouler sans le PAI, après une année seulement d’alliance.

Le CNR tenta de se réorganiser et en 1985, il se dota enfin de textes fondamentaux : statuts, règlement intérieur. Composé seulement de 4 civils de l’ULCR, le CNR compte désormais 70 membres, soit 66 militaires.

En 1986, 2 autres formations marxistes adhèrent au CNR : l’Union des Communistes burkinabé (UCB) et le Groupe des communistes burkinabé (GCB). Chaque formation y envoie 4 membres. Ce renfort du CNR en cadres politiquement aguerris ne réussit pas à faire de lui, une organisation à direction stable, forte et unie. Les contradictions, les luttes d’influence, les divergences politiques et idéologiques s’amplifièrent, et la crise au sein du CNR s’intensifia avec la question de l’unification des organisations membres. Les effets de la crise au sein de la direction de la Révolution se répercutèrent au sein des structures populaires, notamment des redoutables Comités de défense de la Révolution (CDR). Ainsi, les CDR de l’Information, des Etudiants, des Transports, et le Pouvoir révolutionnaire populaire du Houët, s’en mêlèrent et plusieurs militants furent sanctionnés par le gouvernement, dont un membre du Comité central du CNR, en violation de ses textes. Cela jeta de l’huile sur le feu.

Presqu’à la même période, la répression contre les organisations syndicales s’intensifièrent. En mai/juin 1987, des putschs syndicaux furent orchestrés par le CNR. Les dirigeants syndicaux, surtout ceux du Front syndical proche du PCRV, sont arrêtés et incarcérés.

J’ai été personnellement sommé de destituer la Direction du SYNTSHA et de prendre les commandes de ce syndicat de la Santé, sinon …. Ceux qui m’ont sommé de le faire sont encore en vie ; parmi eux, 2 membres du CNR et pas des moindres. Ils disaient que l’instruction vient du président du Faso. Ce que je fis malgré moi pour sauver ma vie car en effet, qui est fou pour désobéir frontalement aux instructions du PF en ce mois de mai/juin 1987 ?

Un scénario fut tracé et financé par le Secrétariat général des CDR. Le bureau du SYNTSHA fut renversé, comme ceux de plusieurs autres syndicats et centrales. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de rentrer en résistance contre les déviations du CNR avec un certain nombre de camarades.

Ayant appris que le camarade Capitaine Blaise Compaoré se battait au sein du CNR contre les déviations de l’organe dirigeant, et profitant de mon nouveau statut de Secrétaire général national adjoint du SYNTSHA, j’ai demandé à le rencontrer et il m’a effectivement reçu dans son bureau, courant juillet 1987. Sur toutes les questions abordées, nos points de vue étaient convergents, et cela m’a encouragé à mieux résister mais dans la clandestinité.

L’objectif était d’aboutir à la rectification des erreurs de la Révolution comme par exemple, la vision erronée du CNR de la question syndicale. Cette rectification des erreurs devait se faire sous forme de convocation d’un grand débat de critiques et d’autocritiques entre le CNR, les organisations membres du CNR, les CDR, les syndicats, le PAI et même le PCRV.

Mais 2 évènements successifs m’ont convaincu que ce débat serait difficile à obtenir : l’échec de la réunion du 08 Octobre 1987 entre les chefs historiques de la Révolution (le président du CNR qui a convoqué cette réunion s’énerve, claque la porte et la rencontre finit en queue de poisson), la décision prise par le conseil des ministres du 14 Octobre, de faire fonctionner la Force d’intervention spéciale du Ministère de l’administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS), avec à sa tête le redoutable Sigué Vincent. Cette FIMATS devait réduire l’influence du puissant Régiment de sécurité présidentielle jugé trop proche du n° 2 de la Révolution qui n’était autre que le Capitaine Blaise Compaoré.

Pire, on rapporte qu’au cours de ce même conseil, le ministre de l’Administration territoriale et patron de tutelle de la FIMATS a justifié sa mise en service par ces propos musclés : « Pendant longtemps, on s’est occupé de nos ennemis ; maintenant, on va s’occuper de nos amis ». Dès lors, la résolution de la crise par le dialogue et la concertation devenait difficile pour ne pas dire impossible. Malheureusement, le 15 Octobre, la crise connut un dénouement violent et tragique. Je l’ai toujours déploré, regretté et même condamné. Personne, au sein du mouvement de la résistance, à ma connaissance, n’a jamais évoqué ou souhaité ce dénouement macabre.

Enfin, je persiste et signe que la Révolution, malgré ses acquis économiques, sociaux et culturels indéniables, avait aussi ses insuffisances et ses erreurs. Elle avait besoin d’être revisitée. La rectification du processus révolutionnaire d’Août était nécessaire et justifiée mais encore une fois, pas de cette manière ! ».

 

Pr Loada Augustin, Secrétaire Exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) : « Disons que le 15 octobre 1987 reste quand même le coup d’Etat le plus sanglant de l’histoire politique postcoloniale du Burkina Faso. 

 De ce point de vue, c’est un feuilleton qui a marqué les esprits. Moi personnellement, je dirai que mon dégoût de l’action politique date un peu de cette période. Je pense que je fais partie de ceux qui ont été vraiment choqués par les conditions dans lesquelles ce coup d’Etat s’est opéré, parce qu’à l’époque, j’étais très jeune, étudiant sur le campus, et beaucoup d’entre nous avaient vraiment un rêve de voir le Burkina Faso révolutionnaire opérer un certain nombre de transformations. Je pense que, avec le recul, ça fait partie (il me semble en tout cas) de l’histoire des nations qui ne s’écrit pas seulement en ligne directe. Et si on doit tirer des enseignements, je dirai que le 15 octobre 1987, c’est tout de même l’échec d’un processus révolutionnaire qui s’est produit au Burkina Faso qui a opéré un certain nombre de transformations sociales positives mais qui s’est aussi illustré par un certain nombre de dérives en terme d’atteinte aux libertés fondamentales, en terme d’atteinte à la démocratie, du moins, à la démocratie libérale. Je pense que c’est le premier enseignement que l’on doit tirer.

Mais en même temps, le 15 octobre 1987 invite à réfléchir sur la façon dont les élites dirigeantes en Afrique devraient opérer pour transformer les réalités sociales auxquelles elles sont confrontées. Parfois je me pose la question compte tenu du rythme de la lenteur de changement de nos sociétés : est-ce que des changements graduels sont plus positifs à la longue plutôt que des changements révolutionnaires avec tout ce que cela comporte comme volontarisme, autoritarisme, coercition, etc ? Je pense que c’est aussi ce genre de réflexions que l’on devrait mener. Est-ce que pour des changements durables et rapides, il faut des actions “commandos”, des actions révolutionnaires ou est-ce qu’il faudrait des actions plus graduelles qui s’inscrivent dans le temps, qui s’opèrent aussi avec la participation de toutes les composantes sociales, toutes les forces sociales ? Parce que la révolution a aussi échoué parce qu’elle n’a pas su élargir sa base. Je pense aussi qu’il y a des forces sociales qui ont été mises à l’écart, des forces politiques aussi, qui auraient pu participer à ce changement que tout un chacun voulait voir dans ce pays. C’est la première leçon que je tire de l’échec de cette révolution.

Deuxième chose, on est passé d’un système à un autre. Avec les transformations qu’on a vues à la fin des années 1980, au début des années 1990. Et quand on regarde actuellement comment le pays est géré, on se demande s’il n’y avait pas un certain nombre de choses positives impulsées par la révolution qu’on aurait pu couver. Quand on regarde, on voit qu’on est passé d’un système à un autre sans qu’il n’y ait une véritable capitalisation des acquis et ce qui a emmené parfois à un perpétuel recommencement. Et je pense qu’on aurait dû faire l’inventaire, et je crois bien que cet inventaire a été fait sous le Front Populaire, au moment de la transition démocratique. Il y a en un inventaire qui a été fait de la révolution mais je pense que c’est un exercice qui valait la peine et qui vaut la peine d’être mené en ce sens qu’il ne faut pas toujours recommencer à zéro, il faut toujours capitaliser les acquis pour que ce qui est positif soit conservé, et ce qui est négatif soit corrigé. J’ai l’impression que ça n’a pas été fait au point où je me demande si ceux qui participaient à ce processus étaient vraiment des révolutionnaires. Parce que ceux qui nous gouvernent actuellement sont pour l’essentiel des acteurs de la révolution. Et quand on passe d’un système à un autre comme on le constate au Burkina Faso sans qu’il n’y ait eu véritablement capitalisation des acquis, je me demande si ces acteurs qui nous gouvernent aujourd’hui croyaient vraiment en la révolution, dont ils étaient aussi des acteurs. Et de ce point de vue, ils sont coresponsables de ce qui s’est passé aussi bien en terme positif qu’en terme négatif. Pour moi c’est un enseignement qu’il faut tirer pour comprendre ce qui s’est passé et comprendre aussi ce qui se passe actuellement ».

 

Arsène Bognessan YE, Député CDP : « Vous savez, ce qu’il faut retenir, c’est que c’est le camarade Compaoré et d’autres camarades, qui ont décidé de mettre à la tête du mouvement, le Capitaine Thomas Sankara. Il (Blaise Compaoré) aurait pu lui-même être président. Mais des contradictions sont survenus parce qu’au début, on parlait en terme d’équipe, et progressivement, on s’est rendu compte que thomas Sankara va s’isoler des principaux acteurs de la Révolution pour prendre des décisions. Moi, j’étais membre du CNR et il arrivait qu’en réunion, après de longs débats, on aboutissait à des décisions, et lorsque vous arrivez à la maison, devant votre télé ou votre radio, vous entendez des décisions que vous n’avez pas arrêtées. Et il m’arrivait d’appeler Blaise « Mais qu’est-ce qui se passe ? ». Lui, il dit qu’il n’est pas au courant alors que nous, on pensait que lui était un Môgo puissant. Si Blaise Compaoré lui-même, qui est le chef du mouvement du 04 Août, n’est pas au courant, ce n’est pas nous autres ! C’est ainsi que ça a évolué jusqu’au 15 Octobre.

 

Salif Kiemtoré, Député CDP : « J’ai été acteur de la Révolution, j’ai travaillé dans le Secrétariat national des C.D.R., j’ai également été Directeur à l’agitation et à la propagande au sein de la Coordination nationale des structures populaires. C’était un moment où le peuple avait des éléments d’éveil. La Révolution a réveillé notre peuple, elle n’a pas eu que des inconvénients. Il y a certainement eu des pratiques peu orthodoxes, mais il y a eu des acquis, nous avons bénéficié de la formation politique pendant la Révolution. Mais comme le président Sankara lui-même le disait, là où il n’y a pas de démocratie, il y a oppression et nécessairement, on va à la résistance. Je pense donc que le 15 octobre 1987 est l’aboutissement de la résistance. Pour ce qui concerne les idéaux de développement tels que la Révolution les préconisait, il y a aujourd’hui, que ce soit au sein du CDP ou tout autre parti, des anciens acteurs de la Révolution. C’est dire qu’il y a toujours la conscience du développement de son pays. Là par exemple je suis habillé burkinabé (NDLR : Faso Dan Fani) ; le slogan ‘Consommons et produisons burkinabé’ est toujours d’actualité ».

 

Fonctionnaire à la retraite ayant requis l’anonymat : «Moi je peux dire que j’ai été très déçue de la Révolution. C’était un régime d’exception, pas autre chose. Les gens disaient travailler pour le pays mais au fond, ils travaillaient pour eux, pour leur gloire ; ils ne se sentaient plus d’orgueil et ils avaient des avantages que n’avaient pas les citoyens lambda. Sankara se prenait malheureusement pour le bon Dieu avec tant de pouvoir entre ses mains. Il agissait vraiment comme un illuminé, disant n’importe quoi pour faire passer la Révolution, pour appâter les jeunes (les yeux gluants des réactionnaires… et des choses comme ça) ; il agissait comme bon lui semblait, pensant toujours avoir raison, sans tenir compte des conseils des autres car il se sentait le chef : le matin, il disait blanc, le soir, il disait noir. ! Ce qui était mauvais aussi, c’est qu’on ne cherchait, à cette époque, qu’à brimer les gens des anciens régimes comme s’ils avaient commis des crimes innommables alors qu’ils n’avaient rien fait. C’était très injuste. Et le sens de la hiérarchie avait disparu : un maçon pouvait gravir tous les échelons à une vitesse ‘grand V’, et à un très haut sommet de l’Etat alors qu’un Général d’armée pouvait avoir un soldat comme nouveau patron. Ce qui comptait, c’était la fidélité au CNR et les preuves de cette fidélité, y compris par la délation ! Avec ça, le pays ne pouvait pas avancer.

Une anecdote maintenant : moi, j’ai fait des études supérieures mais je dois vous dire qu’on me convoquait souvent pour aller servir à la Présidence la nuit, comme une employée de maison. Et sans perdiem, cela va de soi ! Je servais les gens à manger jusque tard dans la nuit quand il y avait des réceptions mais je ne pouvais me plaindre. Mon mari et mes enfants, ça leur faisait mal, à moi aussi, mais que faire ? Je ne pouvais refuser sinon ma carrière était en jeu, et donc ma famille.

Quand j’ai entendu la musique militaire à la radio le 15 Octobre 1987, j’ai remercié Dieu. Même si ce n’est pas formidable aujourd’hui, que la démocratie se cherche encore, c’est mieux que ce qu’on a vécu. J’espère que jamais plus, des révolutionnaires ne reviendront diriger mon cher pays ».

 

Boussini Paul, Enseignant en Côte d’Ivoire : «Si je repense au 15 Octobre, ce qui me frappe, c’est une joie contenue, un plaisir inachevé. J’étais, comme beaucoup, content que cette comédie si on peut dire soit terminée parce que, tout ce qu’on voyait, les CDR, les gens qui forçaient les paysans pour prendre les poulets, les moutons, qui jouaient du pistolet pour avoir des filles, retirer les femmes des autres, c’était le temps des cowboys ; et ils se disaient des révolutionnaires. On parle beaucoup de fin de corruption, d’intégrité, etc. au temps de Sankara mais quand l’Etat révolutionnaire légalise le vol, le mensonge, la violence, les assassinats, quand il crée la nomenklatura, une nouvelle classe d’apparatchiks qui ont le pouvoir politique et économique, qui règne en maître absolu, est-ce que ça, c’est bien ? Le 15 Octobre, c’était un grand « ouf » ! Mais en même temps, on ne voyait pas clair ; on ne savait pas si on allait continuer avec la révolution ou si on allait venir à la démocratie ; c’était flou. C’est ça qu’avec beaucoup de gens, je n’ai pas aimé. Sinon, la majorité attendant qu’on dise clairement les choses mais on parlait de rectification, d’approfondir même la révolution, or c’est pas ça que le peuple attendait. Sinon, si ça avait été clair au début, ah les gens allaient descendre dans la rue. Mais avec ça, c’était quand même mieux, et la preuve, c’est que si tous ceux qui avaient fui en Côte d’Ivoire, au Togo, au Sénégal…, comme les Pierre Claver Damiba, les Joseph Ki Zerbo et bien d’autres, ont pu revenir au pays, c’est à cause du 15 Octobre. Si la vie politique s’est libérée et si les gens ont commencé à reprendre leurs habitudes sociales, c’est parce qu’on avait mis la dictature en même temps que la peur, par terre. Un homme qui a peur n’est pas libre : la liberté était donc revenue».

 

Abdou Dem, Agent de santé : « En tant que croyant et respectueux de la vie humaine, je ne peux pas ne pas déplorer le sang versé le 15 Octobre. A part ça, c’était un très grand soulagement d’être délivré du CNR et des CDR. Les gens voient les choses d’un seul côté aujourd’hui mais il ne faut pas oublier que c’était un régime d’intolérance. Les responsables du CNR détestaient les partis politiques et les hommes qui les animaient, ils détestaient les organisations syndicales qui ne voulaient être d’accord avec ce qu’ils faisaient. Dans le pays, ils avaient une description creuse de la démocratie : «c’est la libre expression d’une majorité consciente, bien informée des enjeux et de leurs implications nationales et extérieures, capable de vérifier le déroulement régulier des consultations et en mesure de peser sur les résultats ». Ils se moquaient de tous les régimes passés et affirmaient qu’aucun parti n’avait de programme, ce qui est archi faux. C’est plutôt le CNR qui a copié/collé –et sans imagination- les programmes des révolutionnaires du Nicaragua, de Cuba et même du Cambodge : les CDR, la Patrie ou la Mort, Consommons ce que nous produisons, produisons ce que nous consommons, le poing levé, nous n’avons pas inventé tout ça, non …..

Le président du Faso d’alors et ses camarades rêvaient puisqu’à cette même époque, le vent des droits de l’homme et de la démocratie commençait à souffler partout, même dans les pays révolutionnaires plus riches que nous. Comment le Burkina, pays pauvre, enclavé, replié sur lui-même, pouvait tout seul, rester dans la révolution ? On oublie aussi que le 15 Octobre, c’était un face à face comme dans un western : c’est le premier à dégainer qui gagne. Si c’était le camp de Thomas Sankara qui avait tiré le dessus, est-ce que la situation serait autre aujourd’hui ? Mais si nous avons applaudi au 15, c’est parce qu’on avait trop vu : les insultes, le terrorisme, les gens qu’on torturait et tuait pour un rien, les femmes qui ne respectaient plus les maris, les responsables syndicaux qu’on arrêtait, torturait et emprisonnait, les enfants qui ne considéraient plus leurs papas. Chaque jour, on se demandait qui allait avoir la honte et le courage pour nous délivrer de cette situation. Mais j’ai été encore plus découragé quand j’ai constaté que les anciens présidents, Maurice Yaméogo, Saye Zerbo, Jean-Baptiste, certains hommes politiques comme Joseph Ouédraogo, Gérard Kango Ouédraogo et autres avaient été déportés à Pô, avec l’intention de les exécuter pour briser définitivement le moral des gens et pouvoir régner en maître absolu dans notre pays. Je ne pouvais plus dormir surtout après les exécutions et assassinats de gens comme Didier et autres, les gens comme les Kinda assassinés à Abidjan pour rien. En plus, chaque jour, c’étaient des décisions bizarres. Les mercredis, c’était la journée noire pour les travailleurs ou les commerçants, dû au fait qde certaines décisions folkloriques qui vont tomber. La radio nous narguait de faits fantaisistes, et la télé ne cessait de nous montrer des gens qui faisaient le malin avec les kalaches et les pistolets. Toutes ces choses faisaient qu’on priait Dieu seulement pour nous délivrer. Quand on dit que c’était un régime aimé, oui il était aimé par sa terreur, apprécié par une minorité qui avait des avantages mais sinon, l’immense majorité souffrait mais ne pouvait parler. Chacun vivait cloîtré. C’était insupportable mais il fallait faire avec ».

Source : San finna N°484 du N°484 du 13 au 19 Octobre 2008 voir à www.sanfinna.com

Propos recueillis par, Lamine Koné, Thierry Nabyouré, Swonty Koné, Issouf Sidibé

Les autres témoignages sur la période précédent le 15 octobre se trouvent à l’adresse . Ceux sur la période qui a suivi le 15 se trouvent à l’adresse note de la rédaction du site).

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