Fabien D’Almeida

Publication : 20 novembre 2011

« La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néocolonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins. »

Si Thomas Sankara avait déjà compris, en 1984, les vrais enjeux qui s’imposent à l’Afrique francophone, un quart de siècle plus tard, ses propos valent tout leur pesant de coton burkinabè, tant les pays de la sous-région continuent de patauger bien loin des rives de l’émancipation.

Au Burkina Faso, mais aussi et surtout en Côte d’Ivoire, l’esprit néocolonisé qui anime les populations rend caduc chaque velléité d’affranchissement qui nait. Les dégâts sociopolitiques et économiques résultant du savoir-faire gaulois appelé Françafrique sont quasiment indénombrables : ce système carcéral est clairement le malheur des pays de la sous-région.

Pourtant, en Côte d’Ivoire, en même temps que l’on condamne ledit système, en même temps que l’on exige le départ des troupes françaises, en même temps que l’on dénonce la mainmise des sociétés gauloises sur l’économie nationale, que fait-on simultanément ? On fonctionne en bon français.

Observez le comportement des populations locales et vous en conviendrez. Armée d’une volonté muette de contemplation du tout-gaulois – qui ne trouve aucune justification cartésienne au moment où les questions identitaires secouent l’Europe occidentale –, toute l’attitude du néocolonisé ivoirien s’exprime dans la “francisation” intégrale de son mode de fonctionnement. Ainsi, dans ce pays, l’on devient une personne “respectable” quand on souligne, dans les choix personnels et professionnels, l’affection réelle ou fictive que l’on a pour la France.

Ces choix personnels sont d’ailleurs sans équivoque. En Côte d’Ivoire, regarder la télévision nationale est chose démodée. Un Ivoirien digne de ce nom zappe plutôt les chaines cryptées offertes par Canal + aux horizons du continent noir et s’enquiert des nouvelles de son propre pays sur RFI ou sur TF1. En outre, il possède un numéro de téléphone Orange qui, apparemment, “fait plus sérieux” que posséder tout autre. Il consomme un carburant Total, “plus raffiné”, dit-on, que le sans-plomb Petroci ou Petro Ivoire. Il voyage sur Air France car, parait-il, c’est plus “sécurisant”. Il prend ses congés et quémande, illico, un visa à destination de Paris, avalant chaque flot de mépris consulaire, tout juste pour prendre une ou deux photos au bord de la Seine et acheter des pantoufles “de meilleure qualité” chez Tati.

Et ainsi rejoint-on la grande et belle métropole tant adorée. Une fois arrivé, on maudit tout ce qu’il y a de français… mais on espère trouver un job à Lyon. A défaut, dépité, on cherche un boulot chez soi, mais on refuse d’avance le revenu local, car on a un diplôme français – tout de même ! On annonce, alors, ses vacances au bercail, en scandant « je pars en Afrique ! », répétant bêtement l’ignorance blanche qui croit toujours que le continent est un grand désert sans frontières. Et l’on découvre, finalement, le nouveau bitume abidjanais, en se baladant dans un Peugeot 407 loué, David Guetta en rotation sur Radio Nostalgie.

Ah, l’esprit néocolonisé ! Dans un cas comme dans l’autre, on vit français, on pense français, on voit français, on écoute français, on mange français et on se la joue français. Mieux, on adopte un accent français pour paraitre français, même en baragouinant un verbiage truffé de coquilles linguistiques que Bernard Pivot ne comprendrait jamais.

Et dans les sphères professionnelles, c’est ce même esprit qui sous-tend toutes les décisions. Demandez à une grande entreprise ivoirienne de consulter un expert quelconque et elle fera prioritairement appel à un cabinet français. Demandez à un dirigeant de construire un pont, et il contactera une entreprise française. Demandez-lui de réviser le fichier électoral national et il fera appel à un spécialiste français. Demandez-lui tout, même un entraineur de foot, et il contactera Henri Michel, Claude Le Roy ou tout autre médiocre sélectionneur gaulois, honni depuis belle lurette par la Fédération française de football.

Dans chacun de ces cas et dans la plupart des autres, le choix français est rarement le meilleur sauf, peut-être, en matière culinaire – et encore ! Mais la question ne se pose même pas : les déjeuners d’affaires sont réservés d’office à La Croisette, car il faut déguster français et s’empiffrer d’un fin Beaujolais, quitte à faire passer le compte courant Société Générale au rouge. L’esprit néocolonisé, encore et encore, téléguide tout, décide de tout, et agit en amont de toutes les activités.

Et malgré cela, aux premières syllabes du mot “Françafrique”, certains se prennent de nausée, en pleurant le fait que la France soit injustement indexée. S’en suit cette automutilation qui certifie, qu’en réalité, rien de tout cela n’est valide : les Africains sont tout simplement des paresseux, incapables de faire mieux.

L’argument peut se défendre, mais au-delà de la paresse, l’Africain francophone souffre surtout d’un traumatisme mental qui se manifeste par un amour démesuré de tout ce qui est français. Il est envouté de cet esprit néocolonisé qui va jusqu’à applaudir un ministre gaulois – le très raciste Claude Guéant –, passant en revue, courant novembre 2011, la négraille ventripotente tantôt appelée “forces rebelles” ou “forces nouvelles” ou “forces républicaines” ou “forces armées nationales” de Côte d’Ivoire. Par ailleurs, ce même Africain est particulièrement complexé, comme l’étaient déjà, en 1987, la plupart des chefs d’Etat africains qui “se moquaient” du jeune Thomas Sankara, fier de présenter au sommet de l’OUA la tenue officielle de sa délégation, réalisée en fil de coton 100 % burkinabé. C’est que ces “grands leaders”, s’ils en avaient eu la possibilité, auraient probablement importé une bonne dose d’oxygène parisien dans leur palais présidentiels tropicaux, faisant miroiter à chacun de leurs sujets la dolce vita du francisé. Telle était l’ampleur de leur esprit néocolonisé…

Rien, malheureusement, n’a guère changé depuis cette époque. Vingt-quatre ans après l’assassinat de l’incomparable Sankara, la France a produit, propulsé et promu son dernier prototype néocolonisé, le ténébreux Alassane Ouattara, qui n’a de nègre que l’épiderme. A quand donc la vraie rupture ? Elle tarde, elle tarde et pendant ce temps, un parfum de fatalité se propage sans arrêt. A ce rythme, les populations d’Afrique francophone n’auront, bientôt, plus que deux options : choisir entre ce qui est français… et ce qui l’est.

Fabien D’Almeida fdalmeida007 @ gmail . com

Source : penseesnoires.info / Fabien D’Almeida …correctement politique Source : http://fabiendalmeida.penseesnoires.info

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