15.10.2012

Grand frère Thomas, Brother Sankara,

25 ans déjà! 25 ans que tu as été lâchement assassiné. Je me souviendrai toujours de cette maudite journée du 15 Octobre 1987. J’avais tout juste 20 ans, et ce jour là, ce jeudi là, pour la première fois de ma vie, mon cœur a saigné, mon âme a été meurtrie. Le traumatisme fût tel qu’il m’aura fallu 25 ans de colère, de révolte, de maturation, pour trouver les mots capables d’exprimer ma réflexion sur ton œuvre et sur l’héritage précieux issu de ton bref passage dans nos vies, dans notre histoire.

Quelques temps avant ta mort, tu te disais « mal compris » et « mal aimé  ». Tu n’avais raison que sur un seul point : tu étais « mal aimé », ou plutôt « Haï  » de tous ceux de l’intérieur comme de l’extérieur pour qui le bel élan que tu avais suscité auprès de la jeunesse et des forces du progrès en Afrique, représentait une menace.

Mais tu n’étais pas mal compris, car tous avaient parfaitement compris ce qu’entraînerait cet élan. Là où il n’y avait que servilité vis-à-vis du maître colonisateur, brutalité vis-à-vis du peuple que l’on était censé servir, corruption et incompétence, tu as suggéré la dignité, l’amour du peuple, l’intégrité, l’abnégation et l’intelligence dans la gouvernance. L’éclat dont tu as illuminé l’esprit de la jeunesse africaine ne pouvait que faire de l’ombre à la vermine que le colon avait pris soin d’installer en organisant un simulacre d’indépendance. Le peuple dans son ensemble, au Burkina et ailleurs sur le continent, avait parfaitement compris la nature libératrice de ton action et il te soutenait. La vermine avait, elle aussi, compris qu’elle serait inéluctablement reléguée aux poubelles de la nouvelle page d’histoire africaine que tu écrivais.

Les réseaux nauséabonds de la Françafrique foccardienne n’ont ainsi eu aucun mal à recruter, à travers leur fidèle valet Houphouet, des Compaoré dans ton proche entourage, pour exécuter la sale besogne. Exactement comme il avait été facile de trouver, 26 ans plus tôt, des Mobutu et autres Tshombé, pour assassiner Lumumba au Congo. Eternelle répétition de l’histoire africaine ?

Mais, Thomas, l’histoire ne s’arrête pas là. La voie que tu as montrée est pleine de promesses. Et pour peu que la jeunesse africaine tienne compte des enseignements de l’histoire, elle dispose de tous les outils pour les réaliser.

Tu as démontré que dès lors qu’on était capable de se débarrasser des complexes issus de cinq siècles d’esclavage et de colonisation, dès lors qu’on était capable de se regarder soi-même et de se considérer comme un être humain à part entière, de redresser l’échine et la tête, alors aucune réalisation ne se trouvait hors de notre portée.

En quatre petites années, tu as démontré qu’un pays considéré comme particulièrement déshérité pouvait atteindre l’autosuffisance alimentaire et arrêter de quémander l’aumône pour nourrir ses enfants. Tu as démontré la formidable capacité de l’être humain, y compris du damné de la terre, à se prendre en charge. Tu as prouvé qu’il n’était pas impossible de remettre l’Homme Africain aux commandes de son destin. En construisant des voies ferrées à mains nues, sans l’assistance d’aucune puissance étrangère et en faisant reculer le désert par une campagne sans précédent de reboisement, tu as montré que le sous développement n’était pas une fatalité. Le chaînon irremplaçable entre l’abondance des ressources naturelles et la prospérité d’un pays, c’est l’homme. C’est la faillite de ce dernier qui explique que de nombreux pays du continent puissent regorger de ressources naturelles et cependant abriter la misère la plus abjecte. Tu as démontré que même avec des ressources particulièrement modestes il était possible de réaliser le bien-être d’une population et d’élever sa conscience en réinvestissant l’homme de toutes ses prérogatives.
Thomas Sankara, la jeunesse africaine te sera éternellement reconnaissante pour la lueur d’espoir que tu lui as apporté au cours de cette phase ténébreuse de son histoire. Cette lueur survivra, s’amplifiera et transformera les ténèbres en une renaissance éblouissante, si bien que ta vie n’aura pas été vaine. D’ailleurs, tu n’es pas mort. Tu vis dans nos cœurs et dans nos esprits où tu occupes une place de choix aux côtés de Marcus Garvey, Malcolm X, Martin Luther King, Patrice Lumumba, Kwamé N’Krumah et tous les autres Hommes Intègres de notre Panthéon.

Conversation dramatique

– Dieu : « Où est ton frère Sankara ?  »
– Comparoré : « Je ne sais pas… »*
– Dieu : « Qu’as-tu fait ? Ecoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile  »

Thierry d’Almeida

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