Nous vous proposons ci-dessous une interview d’Inoussa Ouedraogo sur l’expérience des CDR. Approchant la cinquantaine, il continue à défendre l’éxpérience de la révolution. Mais il n’en garde pas moins un point de vue critique sur certaines insuffisances des CDR. Les interviews d’anciens militants de CDR de base sont rares. Celle-là nous éclaire un peu plus sur le rôle que jouait ces “structures du pouvoir populaire” et sur les contradictions qui les traversaient. On notera avec intérêt les récits de certains évènements historiques qui apportent des précisions précieuses et peu répandues jusqu’ici.

Nous ne pouvons que vous inciter, si vous avez été acteur de cette époque, à proposer vos témoignages en contactant la rédaction du site. La rédaction


Question : Vous aviez 19 ans en 1983. Comment êtes vous devenu militant, comment s’est faite votre formation politique ?

Inoussa Ouedraogo : Je ne saurai vous dire comment je suis devenu militant. Je ne le sais pas moi-même. Ce que je sais c’est que je dois ma « formation politique » à un de nos professeurs en classe de 4ème en 1979-1980. Plus tard c’est avec un autre professeur en classe de 2nde en1982-1983 que les choses ont commencé à se préciser. J’ai découvert alors la LIPAD dont il était, me semble-t-il, membre. Est-ce l’un est la conséquence de l’autre et inversement ? Je ne sais pas. En tout cas c’est véritablement sous la RDP que ma « formation politique » a été renforcée. Je participais alors à tout ce qui était conférence dans les écoles ; avec d’autres camarades (y compris des professeurs) je participais à l’animation de veillées débats ; chaque mercredi, après le journal parlé de 20 heures, il y avait à la radio nationale une émission intitulée « les conférences de la radio » dont j’en raffolais. Dans le journal hebdomadaire qui s’appelait « carrefour africain », j’étais lecteur assidu des « pages idéologiques » de Paulin Babou Bamouni. Et puis, comme tous les militants, j’ai lu des ouvrages sur le marxisme léninisme. Pour les besoins de ma « formation », j’ai également côtoyé des membres du PCVR. J’ai cherché à comprendre avec eux pourquoi leur organisation, bien que se réclamant de la révolution, s’est mise en marge de la RDP.

Question : Quelles étaient alors les organisations qui tentaient de mobiliser les élèves ?

Inoussa Ouedraogo : Moi je n’ai connu que la LIPAD d’abord. Et plus tard je découvre en fait qu’il y avait le PAI derrière.

Question : Avez-vous assisté aux discours de Sankara de l’époque quand il était premier ministre ?

Inoussa Ouedraogo : Par hasard oui ! Je suis un enfant de Bilbalgho (secteur 2 de Ouaga), un quartier non loin de la place de la révolution où s’est tenu le meeting du CSP le 26 mars 1983. Alors donc, oui ! J’ai assisté à ce meeting.

Ce meeting a fait l’effet d’un choque chez moi. Dans les cercles ML que je fréquentais, on nous chantait que le militaire est un analphabète politique, une brute épaisse qui ne sait que réprimer les populations. Mais là, j’ai vu un officier super cultiver et conscient politiquement. Un vrai leader ! Cela me rappelle ce que m’avait dit un ainé de la RDP, courant 1991, après une réunion du SEP du premier parti sankariste légalement constitué (le BSB): « …Quand Thomas m’a appelé dans son gouvernement, je me suis dit : je serai le véritable patron de cette équipe, vu mon cursus (un doctorat en économie, souligné par moi) face ce soldat. Mais quelle ne fut ma surprise ! Il nous survolait tous ! J’ai beaucoup appris à ses côtés. »

Question : Etait-il déjà connu des jeunes avant de devenir premier ministre ?

Inoussa Ouedraogo : Je l’ai connu (vu) quand il était, je crois, lieutenant lors d’un saut para à Ouaga où il était acclamé par les gens qui scandaient son nom. Des ainés du quartier disaient beaucoup de bien de Thomas Sankara. C’est l’un d’eux qui m’a amener voir cette séance de saut para. Les gens appréciaient cet officier pour la qualité de ses chutes. Politiquement, il n’était pas encore révélé, connu. Je le revois avec sa combinaison déchiré au dos ce jour là. C’est une image que je garde encore.

Question : Sa démission en tant que secrétaire d’Etat à l’information a-t-elle été suivie par beaucoup de monde ? L’avez-vous su ?

Inoussa Ouedraogo : Beaucoup de gens certainement ; mais moi non. Je n’ai pas suivi cet événement en son temps. Mais bien plus tard.

Question : Comment avez-vous vécu les évènements de mai 1983. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu les manifestations au lendemain de l’arrestation de Sankara ? Comment ont-elles été organisées ?

Inoussa Ouedraogo : Le 17 mai au matin, les rumeurs couraient à Ouaga (dans mon établissement) que le capitaine Sankara aurait été arrêté et enfermé. Les élèves qui en parlaient étaient visiblement mécontents. Le 20 mai, sans trop savoir qui était organisateur de quoi, spontanément un groupe d’élèves décident de se joindre à une marche en cour de préparation à partir du lycée Zinda de Ouaga. Ce groupe ira donc rejoindre leurs camarades au centre ville pour la manifestation qui a été réprimée par les forces de sécurité. Le lendemain 21 mai même chose. Dans la journée du 20 mai, juste après la manifestation, les tenants du nouveau régime ont tenté une manouvre d’intimidation, à l’endroit des jeunes manifestants, en passant par les parents d’élèves. La manœuvre fut vaine. Puisque le 21 mai, nous avions encore marché.

Les jeunes manifestants qui recevaient discrètement les encouragements de certains éléments des corps habillés, étaient assez nombreux ; quelques milliers je puis affirmer, car seulement le lycée d’où est partie la manif comptait à l’époque environ 6 milles élèves.

Question : On dit que beaucoup de militants se rendaient à Po. Vous y êtes allé aussi ? Vous avez des amis qui s’y sont rendus ?

Inoussa Ouedraogo : J’ai entendu dire que des camarades s’y rendaient en effet. Avec un ami de classe, nous avons tenté de rejoindre Pô, mais nous n’avons pas pu connaitre le circuit par lequel on pouvait contacter les camarades. Car ça n’était pas un voyage ordinaire sur la ville rebelle. Il ne suffisait pas de s’y rendre. L’ami en question s’est fait enrôler par la suite dans l’armée en 1985 en plein RDP.

Question : Comment avez-vous vécu le 4 aout 1983 ?

Inoussa Ouedraogo : J’étais allé rendre visite à un ami au secteur 9 de Ouaga ce jour là. Sans me douter de rien. A 20 heures, nous avons suivi le discours du chef de l’Etat Jean Baptiste Ouedraogo à l’occasion du 5 août, date anniversaire de l’indépendance de la HV. Quelques minutes plus tard, des coups de feu retentirent du centre ville. Puis un journaliste de la radio nationale annonce le capitaine Thomas Sankara qui devait faire la proclamation de la révolution démocratique et populaire. Spontanément, des gens sont descendus dans les rues pour manifester leur joie et leur adhésion. Malgré les communiqués demandant aux populations de rentrer chez elles, rien n’y fit. C’est alors que le couvre feu fut décrété et voilà le sauve qui peu. Arrivé à la maison, je trouvai mes parents à la porte (nous étions en zone non lotie) qui m’attendaient, inquiets. Un peu plus tard dans la nuit, des amis du quartier, connaissant mes opinions depuis toujours, sont venus me « réveiller » (je ne dormais pas en réalité), pour dirent-ils, me féliciter. Cette nuit là, je suis resté éveillé jusqu’au petit matin à écouter et réécouter la proclamation du CNR et ses communiqués.

Inoussa Ouédraogo

Question : Vous avez rejoint les CDR dès le lendemain du 4 aout, comment avez-vous vécu la naissance de ces CDR ?

Inoussa Ouedraogo : Le lendemain du 4 août, un grand frère du quartier m’interpelle dans la rue et m’informe que nous devons mettre en place un bureau CDR. Il m’explique que cela nous permettrait d’avoir une formation militaire et des armes pour assurer la sécurité de notre zone non lotie. Je n’y comprenais pas encore grand-chose à cette histoire de CDR, mais je me disais que si cette affaire là était juste destiner à la sécurité du non loti, cela n’en valait pas du tout la peine. Car je ne me sentais pas en insécurité dans mon quartier.

C’est surtout à l’école que j’ai véritablement milité dans le CDR. Là, non seulement, j’ai été désigné délégué de ma classe, mais aussi, j’ai été démocratiquement élu membre du bureau des élèves de mon établissement, délégué à la « formation politique et idéologique ». Cette « fonction », je l’ai constamment assumée, y compris en sous main, car il avait été décidé que les élèves en classes d’examen ne seraient plus membres des bureaux CDR des établissements.

Question : La naissance des divergences entre le PAI et certains membres des CDR étaient-elles perceptibles ? Comment ça se passait à la base ?

Inoussa Ouedraogo : De ma position, je ne voyais aucune divergence entre les deux cités. Jusqu’à l’éclatement qu’on a alors appelé « clarification ». Les problèmes à mon sens ont commencé à partir de là. Naquirent alors entre temps, des organisations dites marxistes, mais qui étaient en réalité d’un opportunisme écœurant.

Question : Parlez nous des tâches courantes des CDR des élèves dans les lycées ?

Inoussa Ouedraogo : En plus du rôle de représentation des camarades élèves, les CDR des scolaires étaient l’œil et l’oreille du CNR dans nos écoles. Dans mon école, nous avions un jardin potager tenu et entretenu par les camarades élèves eux-mêmes. Mais notre première préoccupation, c’était notre formation politique qui nous permettrait de mieux comprendre les directives du CNR. Nous étions des défenseurs acharnés de la RDP sans être des larbins, car il m’arrivait de refuser de suivre des consignes censées provenir de la hiérarchie. Par exemple, un beau jour, en plein cours, arriva un véhicule land-rover avec des porte-voix tout hurlant des slogans dans la cour de notre école. Naturellement tout le monde se rue dehors. Campagne de « sensibilisation » des CDR. Je n’étais d’accord avec cette façon de procéder et je l’ai dit à la délégation venue du secrétariat général des CDR et du BN des scolaires. Du coup j’ai refusé de prendre la parole à cette occasion. Il y a bien d’autres exemples comme ça où j’ai fait observer ma différence.

Question : Qui animaient la formation politique ?

Inoussa Ouedraogo : Des camarades de la Division Information et Animation du Secrétariat Général National des CDR.

Question : Dans le film De Robin Shuffield, un témoin explique que les élèves demandaient à juger leur professeur. Avez-vous vécu ce genre d’évènement ?

Inoussa Ouedraogo : J’ai suivi ce témoignage du camarade que je connais très bien. Lui était pionnier à l’époque. Je n’ai pas eu connaissance, ni directement, ni indirectement de ce genre d’événements, des élèves qui passent au TPR, un professeur. Par contre, il nous était donné de faire sanctionner des professeurs et des membres de l’administration de nos établissements qui à notre avis, « entravaient la marche radieuse de la RDP ». Cela a concerné surtout des deux principaux dirigeants de notre école (proviseur et censeur) qui étaient visiblement hostiles à ce que les élèves mènent des activités politiques. Des profs ont été également sanctionnés mais cela a été le fait du CDR de l’administration et des professeurs. Eux avaient leur CDR à part avec leur bureau Et nous l’avions fait en allant dénoncer auprès de qui de droit leurs agissements ouvertement contre révolutionnaires. Mais les juger nous-mêmes comme en TPR, non !

Question : Est-ce que beaucoup d’élèves prenaient part aux activités ? Y a-t-il une certaine démobilisation dans le temps ? Quelles est votre explication ?

Inoussa Ouedraogo : Ils y prenaient part. Massivement ! Mais il y en avait qui ne se sentaient pas concerner et n’y participaient. Ils n’étaient pas inquiétés pour autant.

Jusqu’à ce que je quitte les rangs des CDR scolaires en juin 1986, je n’ai pas eu la perspicacité de voir ou constater une quelconque démobilisation…

Question : Pourquoi avez-vous quitté ? Vous avez milité où après ?

Inoussa Ouedraogo : A partir de juin 1986, j’ai arrêté ma scolarité pour entrer dans la vie active muni d’un diplôme de comptable. Je ne pouvais donc plus militer parmi les CDR des élèves. Mais à un autre niveau, celui du CDR de service.

Les débats faisaient plutôt rage au tour de la création ou non d’un parti d’avant-garde. Je n’appréciais pas du tout ce que je considérais comme de la précipitation petite bourgeoise que de vouloir aller au parti en ce moment là. La construction politique et idéologique des camarades n’était pas encore à point. Et donc je voyais d’un mauvais œil cette éventualité en ce moment là. Ce qui me paraissait curieux c’est que ce sont les groupuscules « marxiste léninistes » nouvellement créés bureaucratiquement sous la RDP qui poussaient à cette aventure.

Question : Vous avez participé à l’ouverture d’un champ national des scolaires ? En quoi cela consistait-il ? Vous y alliez tous les combiens ? Les jeunes étaient-ils plutôt enthousiastes ou bien la plupart se croyaient-ils contraints d’y aller ?

Inoussa Ouedraogo : Le champ national des scolaires de la Tapoa est une exploitation expérimentale de production agricole par les élèves. Un champ collectif des scolaires. Comme il y en avait pour les fonctionnaires, etc. Ces travaux champêtres participaient au formatage de l’homme, le citoyen nouveau dont rêvaient le CNR et la RDP. Chaque matin à 6 heures, rassemblement au carré d’armes, levée des couleurs au chant du Ditanyé ; travaux jusqu’à midi ; repos ensuite jusqu’au soir ; puis débats sur des thèmes précis pendant une bonne partie de la soirée, tous ensemble ou en sous groupes. Nous y avons passé environ deux semaines, avant d’être remplacés par une autre équipe.

On a refusé du monde à l’ouverture du champ. Il n’y avait assez de moyens logistiques pour le transport des militants. A l’époque, il n’y avait que les camions militaires pour cela. Je n’ai pas connu de camarades se plaindre de contraintes. Au contraire c’est dans l’enthousiasme que cela se faisait. J’en connais qui ont versé des larmes parce que n’ayant pas désignés pour y participer.

Question : A qui a été distribuée la récolte ?

Inoussa Ouedraogo : Je n’ai aucune information à ce sujet.

Question : Les militants du PAI, après leur retrait du CNR et ceux du PCRV ont été malmenés, vous les connaissiez ? Vous étiez d’accord ? Y a-t-il eu des épurations dans les CDR ?

Inoussa Ouedraogo : Chez nous on dit coutumièrement que « la souris est voleuse certes, mais le soumbala aussi sent mauvais ». (Le soumbala est un arome local très prise par ce rongeur). Cela pour dire que les torts étaient assez partagés sur ce sujet me semble-t-il. Ce sont les luttes d’hégémonies des uns et des autres qui ont causé ce gâchis dans les rangs. Certainement qu’il y a eu des épurations, mais de ma position de militant de base dans le processus, il ne m’a été possible de connaitre des cas concrets, en dehors de ce que le monde a suivi ; je veux parler des sanctions révolutionnaires à l’encontre de certains camarades des structures que vous avez citées.

Malheureusement, aujourd’hui encore, des camarades se réclamant tous du même idéal s’entredéchirent. Et ce, sans aucune raison politique et idéologique objectivement défendable.

Question : Et dans votre quartier comment était organisé le CDR, quelles étaient ses activités ?

Inoussa Ouedraogo : Les principales activités des CDR des quartiers (secteurs) étaient axées généralement sur les domaines socio économique et sécuritaire. Les débats politiques et idéologiques ont très souvent manqués d’encadrement conséquent. Seuls les secteurs où il y avait de fortes têtes menaient quelques débats dans ce sens. La plus part des « idéologues » avaient déserté les quartiers, les laissant ainsi à la merci de gens peu formés et préparés. Ils ont préféré le confort des débats entre gens sachant citer Marx, Engels, Lénine, etc. au dur labeur pédagogique d’éducation des masses…

Question : Dans la préparation de l’entretien vous nous avez dit que ceux qui dirigeaient le CDR dans votre quartier étaient des opportunistes et n’étaient pas des révolutionnaires convaincus ? Que voulez-vous dire ?

Inoussa Ouedraogo : Comme je le disais tantôt, dans mon quartier, les camarades n’étaient pas murs, pas outillés pour le travail révolutionnaire. Et ceux qui l’étaient ont abdiqué de leurs responsabilités. La nature ayant horreur du vide, des opportunistes et des non révolutionnaires l’ont comblé. Voyez par exemple, le délégué général de mon quartier, le « camarade délégué » était frère du chef (féodal) de ce coin. Je ne dis pas qu’un frère ou fils de chef ne peut pas être révolutionnaire. Non ! Mais il lui faut une préparation conséquente. Ce qui n’était pas le cas chez notre premier CDR du quartier.

Question : Quels étaient les recours des militants sincères dans ce cas ?

Inoussa Ouedraogo : Aucun ! En tout cas je n’en voyais pas. Nous étions si ,jeunes à l’époque pour prétendre montrer le chemin à des ainés qui pouvaient aller voir tel ou tel autre haut cadre du secrétariat général national des CDR. Et le camarade président avait prévenu que le secrétariat général national des CDR n’était pas une base de sapeurs pompiers. Les divergences entre camarades doivent être régler dans leurs structures respectives.

Question : Comment s’organisaient les liens entre le secrétariat général des CDR et les CDR des élèves ou des quartiers ?

Inoussa Ouedraogo : Il y avait une division chargée de ces questions avec la base. Les scolaires avaient un bureau national qui les représentait là bas. Même chose pour les CDR géographiques (ceux des secteurs, quartiers).

Question : Sankara a plusieurs fois fait des critiques très sévères des CDR, quelles ont été les réactions dans les CDR de base ?

Inoussa Ouedraogo : Les camarades les plus « éclairés » ne comprenaient pas toujours les positions du PF. Ils estimaient que le camarade président était sévère avec les militants dans ses critiques. C’étaient eux les CDR-brouettes que dénonçait le camarade président. C’est lors d’une discussion en dehors des structures sur ces sujets que j’ai entendu pour la première fois le terme « sankariste » dont on me reprochait. « Toi tu aimes trop Sankara ; tu es un sankariste » m’avait-on dit. Mais à l’époque bien sûr, ça n’avait aucun sens pour moi que d’être sankariste.

Question : Vous avez suivi une formation militaire ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Inoussa Ouedraogo : J’ai suivi deux fois la formation militaire. Quand j’étais encore élève, en 1984, et puis dans la vie active, en 1987. La grande trahison du 15 octobre m’a trouvé sous le drapeau. Des souvenirs inoubliables, j’en garde.

Un souvenir… en voilà un : les bidasses sont réputés, à tort ou à raison, être des gros dragueurs. Alors lors des formations militaires, ils n’hésitaient pas à faire “des prélèvements”, intempestifs, dans la gente féminine. Ce qui n’a pas toujours été du gout des conscrits. Et comme partout, il y a des récalcitrantes. Alors, un jour un des chefs chargé des manœuvres décide de passer lui-même à l’action. Echec ! Il décide donc de punir la récalcitrante. Raser sa tête en pleine nuit. Pendant que les « lacrous » (recrues) étaient sous les tentes, aux environs de 22 heures, un des délégués des éléments en formation sort faire un tour à l’intérieur du camp. Au milieu du carré d’armes, il sent une ombre au garde à vous et des bruits de sanglots. Il avance en demandant « qui est-ce » ? Pas de réponse ! Il s’approche et découvre une camarade, là, attendant que le chef vienne raser son crane pour « insubordination ». Elle raconte son histoire. Alors le délégué lui ordonne d’aller se coucher et lui, prend sa place et attend. Sous une fine pluie. Quelques minutes plus tard, voilà notre chef pataugeant méchamment dans les flaques en murmurant des menaces bien audibles. Il tenait des tessons de bouteilles qu’il frottait entre eux pour certainement faire voir sa détermination par l’ »insoumise ». Quelle ne fut sa surprise de constater qu’elle avait fait une mutation complète, devenant ainsi une autre personne. Il pose la question quand il eu reconnu son hôte inattendu: « que fais-tu là camarade délégué» ? Chef c’est vous qui m’avez ordonné de rester là pour que… répond-il, dans son garde-à-vous. Confus, le chef trouva un compromis avec le délégué et l’affaire fut classée. Non seulement à partir de là, les camarades militantes eurent la paix, finis les harcèlements, mais aussi le délégué en question fut l’objet de tous les égares de la part des instructeurs.

Question : Certains CDR sont-ils effectivement partis au front lors de la guerre contre le Mali?

Inoussa Ouedraogo : Affirmatif ! Les CDR étaient sur tous les fronts, y compris celui de la « guerre de noël ».

Question : Vous avez en 1985 passé un mois de stage en Libye, En quoi consistait le stage ? Quels souvenirs en gardez-vous ? Quelles images avaient les Libyens de la révolution au Burkina ?

Inoussa Ouedraogo : Les libyens avaient une grande admiration pour la révolution Burkinabé et pour son chef Thomas Sankara. Lorsque nous y étions en juillet-août 1985, juste après notre retour du champ collectif de la Tapoa, le nom de Sankara était sur toutes les lèvres à Tripoli particulièrement. Nous n’y étions pas pour un stage (c’est un bien gros mot) mais pour plutôt une mission militante d’échanges sur des questions politiques et idéologiques. Nous y avons passé 4 semaines à discuter du livre vert et du DOP. Nous y avons rencontré des militants de mouvements révolutionnaires de pays comme le Salvador et le Honduras. Mais aussi de Côte d’Ivoire. Ceux de Côte d’Ivoire avaient chacun une identité Burkinabè, carte d’identité à l’appui. Ils nous ont devancés en Libye, car eux ont subi une formation militaire. Quand après notre séjour qui n’a pas été que joyeux, nous reprenions l’avion pour Ouaga, il y avait à son bord, nos amis et frères Ivoiriens dont le chef se nommait … Alain Kaboré.

Arrivé à Ouaga, nous avons été reçus, comme au départ, par un haut responsable du secrétariat général des CDR, qui a fait remarquer que nous étions plus nombreux qu’il ne le pensait. Et il voyait des têtes qui lui étaient inconnues, qu’il voyait pour la première fois. Après avoir reçu des informations sur le pourquoi de cela, il est entré en contact talkie walkie (il n’y avait pas de téléphone cellulaire à l’époque) avec le camarade président qui aurait dit qu’il n’était pas au courant de cette affaire. Mais d’après ce haut responsable, c’est Blaise qui les aurait fait partir en Libye en vu de préparer une révolution en Côte d’Ivoire. Pour ne pas avoir des problèmes avec le Vieux (Houphouët Boigny), Sankara aurait ordonné de faire enfermer ces apprentis rebelles au camp CRS à Gounghin en attendant qu’il voit clair dans cette affaire.

Question : Plusieurs centaines de jeunes sont partis en formation à Cuba vous étiez au courant alors ? Si oui comment s’est déroulée la sélection ? Vous en connaissez qui sont partis ? Quels échos en avez-vous ?

Inoussa Ouedraogo : Oui ! Tout le monde était au courant de ça ici. Seuls des orphelins de père et de mère étaient concernés, car ils constituaient, selon le ministère « de l’essor familial et de la solidarité révolutionnaire », des « cas sociaux ». Comment s’est déroulée concrètement leur sélection, je n’en sais rien. Ils étaient je crois 600 enfants à l’Île de la Jeunesse à Cuba pour leur formation. Entièrement à la charge de l’Etat Cubain. J’en connais qui évoluent aujourd’hui dans des domaines comme la santé, l’environnement, etc.

Question : Avez-vous croisé au Burkina des étrangers dans vos activités, cubains, libyens autres ?

Inoussa Ouedraogo : Non jamais !

Question : En 1987, la lutte s’est exacerbée entre les CDR et les syndicats, vous vous en êtes rendu compte ? D’où venaient les directives ?

Inoussa Ouedraogo : A partir d’avril 1987, je venais d’entrer dans la vie active au ministère chargé de l’agriculture et naturellement, j’ai milité au SYNAGRI, le syndicat des agents de l’agriculture. Affecté à Koudougou, trois mois après mon arrivée, je fus porté à la tête de la section locale du syndicat. Alors qu’il y avait une revendication indemnitaire des travailleurs, une AG fut convoquée à ce sujet. Le directeur de l’époque allié au bureau CDR du service fit venir des membres du PRP pour y assister. Et c’est les responsables CDR qui de fait, dirigeaient l’AG syndicale des travailleurs. Cette petite histoire pour dire que le zèle excessif de certains CDR a nuit véritablement aux bonnes relations qui devraient exister entre les syndicats et les CDR d’un même service.

A ma connaissance il n’y avait pas de directives officielles. Moi j’étais militant CDR, mais j’étais en phase avec mon syndicat, mais en difficulté avec des responsables CDR de la province du Bulkiemde. Je fus taxé à l’époque d’anarcho-syndicaliste. Moi anarcho-syndicaliste ? Inimaginable ! Je me suis toujours refusé de croire que les CDR recevaient des ordres officiels venant d’en haut.

Question : Avez-vous senti dans les CDR que vous fréquentiez que certains manœuvraient déjà contre Sankara ? Vous saviez qui étaient à l’UCB ? Les gens s’en déclaraient ? Vous-même étiez vous critique par rapport aux évolutions que voulaient Sankara ? Par rapport à ceux qui le trouvaient réformistes ?

Inoussa Ouedraogo : Moi non, je n’ai rien senti du tout car j’étais assez loin de ces débats là. Par contre j’étais opposé aux sanctions pour sanctions. En quoi est-ce que exclure un élève de son école pour cause de distribution avérée de tracts grandissait la révolution ? Moi je me suis toujours élevé contre ces choses là, mais j’étais minorisé. En réalité, ces débats ne se sont pas posés au sein des structures CDR. Mais plutôt dans les organisations membres du CNR. Les querelles de leadership entre elles.

Je trouvais la démarche du camarade président conforme à l’étape de notre de notre lutte, la RDP. « La révolution va tantôt à gauche, tantôt à droite, mais toujours dans le sens des intérêts de notre peuple » disait-il. Dès lors que l’étape de lutte a été définie et acceptée, tout est clair désormais. D’où viennent alors les accusations de réformisme et de déviation droitière ? Le complot était en marche, voilà tout…

Question : Avez-vous sentir venir le 15 octobre ?

Inoussa Ouedraogo : Non !

Question : Comment l’avez-vous vécu ?

Inoussa Ouedraogo : Je me refusais de croire que la RDP soit assassinée avec son chef. Je me refusais de croire que le camarade président soit mort. Cependant ma préoccupation, c’était plus le processus révolutionnaire lui-même. Je me disais donc que si le sacrifice de Sankara pouvait permettre à la révolution de continuer jusqu’à son terme, pourquoi pas ? Mais j’ai vite déchanté et j’ai compris que s’en était fini de la révolution vu les soutiens apportés au nouveau régime par Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire et Gnassingbé Eyadema du Togo. Ce dernier a même été l’invité d’honneur aux festivités du 4 août 1988 à Ouaga.

Par ailleurs, j’ai reçu deux alertes venant de l’étranger à propos du soutien que le Burkina apportait aux mouvements de libération nationale ; des alertes qui me prouvaient que la révolution avait pris fin avec l’assassinat du camarade président. Alors que la RDP était sur la « ligne de front » quand au soutien à la RASD de Mohamed Abdoul Aziz et à la Nouvelle Calédonie de Jean Marie Tchibaou, le régime issu du 15 octobre choisit de s’abstenir lors de votes à l’ONU sur ces sujets. Je me suis dit, ce n’est pas normal, il y a du pas clair dans l’affaire.

Question : Quels étaient les réactions parmi les militants CDR que vous connaissiez ? A la permanence ? Parmi les élèves ou les étudiants ?

Inoussa Ouedraogo : C’était la consternation parmi les CDR. La peur aussi. Mais les militants étaient dans l’attente de mots d’ordres qui ne sont jamais venus. Le coup de ce côté là était franchement inattendu des CDR de base. Nous étions plutôt préparés à l’éventualité d’un complot extérieur avec des éléments réactionnaires connus. Mais tel que ça s’est passé… non ! Difficile de réagir dans de telles conditions. Le coup étant venu de là où le militant de base s’y attendait le moins. Seuls des militants d’un certains niveau ont senti venir, car eux étaient dans ou proches des organisations membres du CNR.

Question : Avec le recul, que retenez-vous de la révolution ? Qu’avez-vous appris ?

Inoussa Ouedraogo : Il faut la refaire, la révolution. Absolument ! C’est la meilleure chose qui puisse arrivée à notre pays.

Question : Que sont devenus les militants les plus actifs que vous avez côtoyés alors ?

Inoussa Ouedraogo : Les uns sont devenus membres des structures du régime ; les autres ont disparu dans l’inaction.

Question : Au bout compte et avec le recul, l’expérience des CDR vous parait-elle positive?

Inoussa Ouedraogo : Oui bien sûr! Mais débarrassées de ses excès. Le camarade président lui même l’a dit “…rien de ce qui a été fait ne l’a été que grâce à la participation des CDR…”. Une autre fois à la question “Si la révolution était à refaire vous la referiez” il avait répondu : “Nous la referions encore plus belle et plus propre”.

En termes de partage du pouvoir, de démocratie à la base, de responsabilisation effective des masses, etc., ce fut expérience hautement positive qu’il faudrait recommencer si l’occasion se présentait. Avec un meilleur encadrement au plan politique notamment. Parce que, tout comme le militaire, un CDR sans formation politique et idéologique conséquente, est une brute qui ne connait rien d’autre que le langage de la force. Avec un tel encadrement, l’infiltration des opportunistes de tout bord, comme on l’a connue sous la RDP, serait amoindrie.

Question : Aujourd’hui vous vous définissez comme sankariste ? Qu’est ce que vous mettez derrière cette définition ?

Inoussa Ouedraogo : Est Sankariste tout camarade qui s’en réclame pourrais-je dire, mais cela ne suffit pas. Il faut en plus essayer de vivre à l’image du grand homme. Sur tous les plans. Il faut être intègre, sobre en tout et aimer par-dessus tout, son peuple. Mettre toujours en avant les intérêts de celui-ci. Ne jamais se considérer comme le nombril de son entourage. Donc être modeste et sage.

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui affirment que le camarade président n’a pas laissé d’écrit sur sa pensée. Que fait-on donc de tous ses discours et interviews ? Dans ceux-ci, il a défini sa pensée au plan économique (consommons ce que nous produisons ; non à l’aide liée et à la dette) ; au plan social (le grain de pauvre ne doit plus nourrir la vache du riche), au plan culturel (la valorisation de nos langues nationales, le port du Faso Dan Fani) ; au plan politique (non à la Françafrique, non à l’ingérence des puissances impérialistes dans nos affaires intérieures), etc. En plus, il a mis en pratique cette théorie. Il n’est pas resté dans la théorie asséchante, stérile et improductive

Propos recueillis par courrier électronique en décembre 2011.

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