De 1983 à 1987, un militaire fâché avec la discipline a mené le Burkina Faso vers une expérience inédite : l’autosuffisance alimentaire, l’égalité des sexes, la rupture avec la tutelle néocoloniale… Son passage n’aura pas laissé que des bons souvenirs au Parti de la presse et de l’argent africain (PPAA).
Le Plan B n° 22 – février-mars 2010 i
Depuis son indépendance, en 1960, la Haute-Volta, ancienne colonie fran¬çaise d’Afrique de l’Ouest, ployait sous le joug de gouvernements corrompus, incompétents et dévoués à la France. En septembre 1980, le colonel Saye Zerbo s’empare du pouvoir avec le soutien d’une majorité de l’armée, des forces syndicales et du Front progressiste voltaïque. Mais la brise d’espoir ne souffle pas longtemps : le nouveau régime prend goût à l’usage de la matraque et les arrestations se multiplient. Le peuple gronde. Pour l’amadouer, Zerbo propose alors un strapontin à Thomas Sankara. Ce jeune militaire proche des groupes d’extrême gauche jouit déjà d’une certaine popularité dans le pays. Craignant des représailles en cas de refus, il accepte le secrétariat d’État à l’Information.
Journalistes privés de buffet
Plutôt que de plastronner à la télévision ou à la radio comme l’aurait fait n’importe quel Plenel (invité au « Fou du roi », sur France Inter, le 18 janvier, pour radio-vendre son dernier livre), Sankara refuse d’y apparaître. Surnommé le « ministre fantôme [[Victoria Brittain, « Introduction to Sankara and Burkina Faso », Review of African PoliticalEconomy, n° 32, avril 1985, p. 42]] », il décline toute interview avec les journalistes, qu’il juge serviles. Lui préfère les rééduquer, en commençant par les fondamentaux : « Si vous êtes invités dans une réception, ce n’est pas pour vous empiffrer, mais pour travailler et informer les gens [[Thomas Sankara, cité dans “Bruno Jaffré, Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort…, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 111.]] », rappelle-t-il aux Franz-Olivier Giesbert ouagalais (habitants de Ouagadougou) . Peu complaisant envers le gouvernement auquel il appartient, Sankara invite les journalistes à ne pas recopier bêtement les comptes rendus du Conseil des ministres. Une certaine liberté de ton fleurit : ici, une enquête sur la consommation d’essence des 4×4 officiels, là, un article sur une malversation. Quand, à la suite de révélations mettant en cause les pratiques frauduleuses d’une banque, la police interpelle le directeur de l’agence de presse nationale, Sankara proteste aussitôt auprès du ministre de l’Intérieur : «La mission des organes de presse est d’apporter aux Voltaïques le maximum d’informations exactes. II n ‘est pas concevable que les Voltaïques puissent suivre dans les organes de presse étrangers des enquêtes sur des malversations et vols dans des banques étrangères alors que dans des occasions similaires, en Haute-Volta, ils ne peuvent pas le faire. |… | Les institutions nationales devraient, percevoir en eux [les journalistes] des adjuvants responsables, capables d’éclairer l’opinion publique au détriment de la rumeur sourde et nocive . [[Lettre de Thomas Sankara au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, 4 mars 1982, citée dans Bruno Jaffré, op. cit., 2007, p. 112.]]»
En avril 1982, une grève générale se prépare dans le pays, et le remuant secrétaire d’Etat claque la porte du gouvernement. Le mécontentement populaire redouble tandis que les Occidentaux, Français en tête, envisagent de substituer au colonel Zerbo une marionnette plus sûre. Thomas Sankara profite de ce vacillement pour prendre le pouvoir en août 1983. Il instaure « la révolution ». Sous son béret rouge d’officier moustachu se cache un marxiste pragmatique qui tente d’adapter ses idées aux réalités africaines. Dans un pays qui compte 90 °/o de ruraux et où l’espérance de vie ne dépasse guère les 40 ans, « l’action collective des révolutionnaires », dit-il, doit servir d’abord à « améliorer la situation concrète des masses [[Discours de Thomas Sankara à Tenkodogo, le 2 octobre 1987.]] ». Nourrir, soigner, loger et éduquer le peuple plutôt que de le tondre.
Sankara fait construire des dispensaires, lance une opération « Vaccination commando » qui atteint 2,5 millions de personnes en une semaine, instaure la gratuité des loyers. L’armée et les villageois, mobilisés dans des comités de défense de la révolution (CDR), édifient des logements sociaux, des écoles, des pharmacies, des routes [[Discours de Thomas Sankara à Tenkodogo, le 2 octobre 1987.]]. Interdisant l’excision et les mariages forcés, condamnant la polygamie, Thomas Sankara développe un discours où la lutte des classes se mêle à la guerre des sexes. Pour lui, « l’inégalité [entre les hommes et les femmes] ne prendra fin qu’avec l’avènement d’une société nouvelle, c’est-à-dire lorsque les hommes et les femmes jouiront de droits égaux, issus de bouleversements survenus dans les moyens de production ainsi que dans les rapports sociaux[[Discours de Thomas Sankara à l’occasion de la Journée internationale de la femme, 8 mars 1987.]] ». Symbole de ces bouleversements, la Haute-Volta, vestige de l’époque coloniale, devient en 1984 le Burkina Faso, le « pays des hommes intègres ».
La politique dans l’assiette
Mais c’est sur le plan économique que la rupture se veut la plus radicale. Sankara souhaite extirper son pays de la tutelle néocoloniale. Une tâche ardue : en 1983, le déficit de la balance commerciale est abyssal (43 milliards de francs d’exportations, contre 122,6 milliards d’importations[[Ludo Martens, Sankara, Compaoré et la révolution burkinabé, Anvers, EPO, 1990, p. 170.]]). Pour l’alimentation, le Burkina dépend de l’extérieur. « II est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés, explique Sankara. Regardez dans votre assiette, quand vous mangez le grain de riz, de maïs, de mil importé. C’est ça l’impérialisme [[Discours de Thomas Sankara à la conférence nationale des Comités de défense de la révolu tion, 4 avril 1986. Cité dans Le Monde diplomatique octobre 2007.]] . »
Avec sa « réforme de la terre », Sankara rogne les pouvoirs de la chefferie traditionnelle, crée des coopératives agricoles, sup¬prime l’impôt de captation et entreprend d’importants travaux d’irrigation. En 1986, alors que la productivité moyenne de la zone sahélienne est de 1 700 kilos de blé par hectare, celle du Burkina dépasse les 3 800 kilos. Afin d’acheminer les denrées vers les villages, un réseau de distribution est mis en place, animé par les CDR et doté de supermarchés publics, les magasins Faso Yaar. En quatre ans, le Burkina Faso parvient à l’autosuffisance alimentaire.
Le « Che africain » ne se satisfait pas de ce résultat et vise désormais l’autonomie vestimentaire. Quand il aperçoit un jeune vêtu « à l’américaine », il le tance : « Vous, vous faites la publicité des Levi’s. Je vois le Jean, c’est bien cousu, c’est Levi’s, c’est bien. Mais c’est américain.'[…] Ici, vous croyez qu’il n ‘y a pas de tisserands ?[[le documentaire de Robin Shuffield, Thoma Sankara, l’homme intègre (Arte, 2006).]] » Jugeant que la fonction d’un gouvernant ne consiste pas à se prélasser dans sa limousine, il revend les Mercedes de ses ministres et les remplace par des R5 d’occasion. Lui-même se déplace le plus souvent à vélo.
« Produire en Afrique, transformer en Afrique, consommer en Afrique », « Refuser de payer la dette », ces slogans font tache d’huile sur le continent. La Françafrique se met à trembler pour son porte-monnaie. Le 15 octobre 1987, l’ancien « meilleur ami » de Sankara, Blaise Compaoré, ordonne, l’assassinat d’un président devenu gênant. Félix Houphouët Boigny, le despote ivoi¬rien vassalisé par le Quai d’Orsay, lui prête main forte. Vingt trois ans plus tard, Compaoré tient toujours les rênes du pays. L’équité commerciale a été restaurée: les exportations du Burkina vers la France atteignent péniblement 6,5 millions d’euros, tandis que les importations de produits tricolores s’élèvent à 205 millions. Au cours d’une visite à Ouagadougou en décembre 2009, les bras chargés d’ordinateurs, la VRP à l’économie numérique Nathalie Kosciusko-Morizet a parlé « coopération » et « accompagnement » : des sucreries plus douces à l’oreille que le vilain mot d’«impérialisme».
La Plan B est un journal qui s’est spécialisé dans la critique des médias en France. voir http://www.leplanb.org/
L’Histoire n’est pas finie Thomas Sankara, le sardon africain
sankara tait un grand visionnaire, temps que les autres sont les collaborateurs de occidentaux. il honor l’Afrique tout entier.
La patrie o mort, nous vaincrons.