Nous vous proposons ci-dessous une lettre ouverte à Blaise Compaoré, de maitre Benewendé Sankara, publiée dans le quotidien l’Observateur Paalga sous le titre : Me Sankara au président du Faso : “Vous avez raison, tout ce que vous avez construit sera détruit”. Il s’agit d’une réaction à une interview de Blaise Compaoré publiée dans Jeune Afrique voir à http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2792p024.xml0/blaise-compaore-opposition-burkinabe-presidentielle-burkina-faso-2015burkina-blaise-compaore-il-faudra-bien-partir-un-jour.html
La rédaction
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publié le 23 Juil 2014 sur le site de l’Observateur Paalga http://www.lobservateur.bf
Dans le Jeune Afrique n° 2792 du 13 au 19 juillet, vous donnez une interview dans laquelle vous abordez les questions liées à la situation nationale et à celle sous-régionale, notamment la situation du Mali, le référendum, votre probable candidature en 2015, vos rapports avec vos anciens camarades qui ont quitté le CDP pour créer le MPP, Thomas Sankara, les partis sankaristes.
Monsieur le président,
Les sujets abordés nous interpellent en tant que Burkinabè, mais aussi en tant que SANKARISTE. C’est pourquoi nous vous adressons cette lettre ouverte en guise de droit de réponse et en réaction à vos propos relatifs à votre candidature en 2015, à Thomas Sankara et aux partis SANKARISTES.
A propos de votre candidature en 2015
A la question du journaliste de savoir si vous allez vous représenter en 2015, vous répondez que vous n’avez rien décidé encore car vous êtes toujours dans la réflexion.
Monsieur le Président,
La Constitution vous fixe pourtant le terme définitif de votre mandat qui est décembre 2015. Mais vous n’en avez cure. Vous vous croyez au-dessus de la Constitution et pensez que c’est vous seul qui déciderez du moment où vous allez partir, comment vous allez partir et qui va vous succéder à la tête de votre « royaume ».
Détrompez-vous, Monsieur le Président. Le respect de la loi, de surcroît, de notre loi fondamentale, ne dépend de personne et ne demande aucun temps de réflexion. Le peuple souverain du Burkina Faso vous y obligera, car le Burkina Faso est un Etat démocratique.
Avez-vous peur de votre vie après le pouvoir ? vous demande le journaliste. « Non, pas du tout », rétorquez-vous. Avant d’ajouter que si vous réfléchissez à ce que vous ferez après 2015, ce n’est pas parce que vous avez peur de ne plus être considéré ou de vous ennuyer, ou encore par volonté de vous accrocher à vos privilèges. Ce qui vous préoccupe, dites-vous, « c’est ce que deviendra le Burkina, trouver la bonne formule, garantir la stabilité, ne pas voir détruit tout ce qui a été mis en place. Vous n’avez pas envie d’assister à l’effondrement de votre pays pendant que vous vous reposez ou parcourez le monde », avertissez-vous.
Nous laissons au peuple burkinabè le soin d’apprécier et de juger comment vous le voyiez après l’avoir dirigé pendant 27 ans. Quant à la bonne formule que vous cherchez, n’allez pas loin, Monsieur le Président, elle se trouve dans notre Constitution en son article 37. Mais à bien réfléchir vous avez raison, Monsieur le Président. Tout ce que vous avez construit sera détruit après vous.
Oui, les crimes de sang et les crimes économiques érigés en méthode de gouvernance seront abolis. Le système de patrimonialisation du pouvoir sera banni. Les tripatouillages constitutionnels seront proscrits.
A propos de Thomas Sankara
Thomas est enterré à Dagnoën, avez-vous dit. Enfin, on sait maintenant officiellement où le Président Sankara est enterré. C’est vous-même qui le dites. Maintenant que c’est dit, la justice ne devrait plus être incompétente pour autoriser l’expertise de la tombe en vue de confirmer vos dires.
« Son nom résonne comme un mythe un peu partout en Afrique. Une sorte de Che Guevara du continent, y compris auprès d’une jeunesse qui ne l’a pas connu. Cela vous gêne-t-il ? », vous demande le journaliste de Jeune Afrique.
« Pas le moins du monde » répondez-vous, avant d’ajouter : « D’autres se souviennent qu’à son époque, il n’y avait aucune liberté dans ce pays : ni de presse ni d’association, ni d’entreprendre, ni syndicale, ni politique… Il y a le mythe et il y a la réalité » ; tels sont vos propos.
Mais Monsieur le Président,
Ceux qui se souviennent qu’à l’époque de Thomas Sankara, il n’y avait pas de liberté de presse se souviennent aussi certainement qu’on ne brûlait pas les journalistes et qu’on n’accidentait pas les juges. Avec vous, il y a peut-être la liberté de presse, mais on brûle les journalistes au lance-flammes en plein jour à quelques encablures de votre palais.
Ceux qui se souviennent qu’à son époque il n’y avait pas de liberté d’entreprendre, se souviennent également que sous la Révolution, ni frère du Président, ni sœur, ni belle-mère ne possédait quoi que ce soit. Avec vous, il y a la liberté d’entreprendre, mais il faut avoir la bénédiction du petit frère, de la grande sœur et de la belle-mère pour le faire, sinon votre entreprise ne prospèrera jamais.
Ceux qui se souviennent qu’à l’époque de Thomas Sankara, il n’y avait pas la liberté syndicale se souviennent certainement que Thomas Sankara n’a pas privatisé une seule société mais aussi et surtout ils se souviennent de l’étudiant en médecine, Jonas Somé (qui était à votre solde) qui, malgré l’affront fait au président Sankara en public le 2 octobre 1987 à Tenkodogo, n’a pas été du tout inquiété. Il est rentré tranquillement à Ouaga poursuivre et achever, sous vos auspices, la boucherie du 15 octobre. Avec vous, Monsieur le Président, il y a la liberté syndicale, mais les étudiants cherchent toujours vainement où vous avez enterré leur camarade Dabo Boukari, étudiant en 7e année de médecine, dirigeant du syndicat estudiantin l’ANEB, porté disparu pour avoir osé vous réclamer, avec ses camarades, plus de liberté d’association. Salif Diallo, votre ancien confident, avoue aujourd’hui qu’il a été informé de la mort de l’étudiant Dabo Boukari par vous-même. Peut-être qu’à la prochaine interview, vous direz où vous l’avez aussi enterré.
Ceux qui se souviennent qu’à l’époque de Thomas Sankara il n’y avait pas de liberté politique se souviennent aussi que des hommes politiques comme Gérard Kango Ouédraogo, Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana et bien d’autres ont certes fait la prison, mais ils sont morts au moins de mort naturelle bien des années après. Avec vous, il y a la liberté politique, mais Thomas Sankara et 12 autres, Boukary Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo, Guillaume Sessouma, Oumarou Clément Ouédraogo (et la liste est très longue) sont morts assassinés ou « accidentés » de façon atroce et inhumaine.
A propos des partis politiques sankaristes
Monsieur le Président, les partis politiques se réclamant de l’idéal sankariste n’ont jamais brillé, dites-vous. Ce n’est pas de ce destin que vous rêviez pour les sankaristes. Ce que vous aviez toujours souhaité, c’est qu’ils ne puissent pas exister. Mais non seulement nous existons, mais mieux, nous vous avons résisté, et ce grâce au peuple burkinabè qui porte Thomas Sankara dans son cœur et qui a toujours lutté pour son idéal.
Les sankaristes sont fiers aujourd’hui d’avoir été le dernier rempart contre votre volonté d’instaurer un parti unique dans notre pays à une époque où tout le monde était à vos pieds, soit par peur d’être tué, soit pour participer au pillage du pays que vous avez organisé dans l’optique d’asseoir votre régime tant décrié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Nous sommes d’autant plus fiers que la victoire finale et inéluctable approche à grands pas. En 2015, il va falloir partir. Mais il va falloir aussi et surtout vous préparer à répondre des nombreux crimes économiques et de sang dont vous vous êtes rendu coupable. Les sankaristes y veilleront particulièrement.
Enfin, Monsieur le Président, en ce mois béni du ramadan, nous demandons à Dieu tout-puissant, le Miséricordieux, de nous donner longue vie pour qu’on puisse atteindre décembre 2015, date de votre départ du pouvoir. Peut-être verrons-nous aussi des partis politiques COMPAORISTES. Peut-être brilleront-ils aux prochaines échéances électorales ? Qui sait ? Mais ce qui est certain, c’est qu’après votre départ du pouvoir, vous ne serez ni mythe ni réalité, car l’histoire s’en chargera. Parce que « la tragédie des peuples révèle les grands hommes, mais ce sont les médiocres qui les provoquent ». Et en la matière, Thomas Sankara a été un grand homme, voilà pourquoi il est non seulement un mythe mais aussi une réalité politique incontournable au Burkina Faso.
Avec le Peuple, Victoire !
Ouagadougou, le 21 juillet 2014
Maître Bénéwendé Stanislas SANKARA,
Président de l’UNIR/PS