article publié dans le Pays le 3 août 2005
C’est le président planteur de café et cacao africain, Houphouët Boigny, qui parlait de la réserve de la part de celui qui savait, en guise de réponse, pour repousser les assauts d’un journaliste aux questions délicates. Aujourd’hui, je suis journaliste et enseignant dans une école professionnelle où je contribue modestement à la formation de jeunes confrères, c’est-à-dire au développement de mon pays.
Mais, j’interviens ici, pour aider à lever un coin de voile de l’histoire politique du Burkina Faso en tant que témoin et acteur de la Révolution d’août en 1983, plus de vingt (20) ans après son avènement. L’exercice semble délicat, voire périlleux sinon suicidaire mais, cela vaut la peine d’essayer si c’est l’intérêt général qui l’exige, en termes de consolidation de la démocratie et du droit légitime du peuple à l’information. Beaucoup d’acteurs sont encore là, certains toujours aux affaires. Ils méritent notre respect et nos encouragements.
D’autres ont quitté ce monde, ils sont partis plutôt, ils sont dans l’eau, ils sont dans le feu,… pour paraphraser la belle formule de l’écrivain et poète sénégalais Birago Diop. Paix à leur âme. Bref. Je parlerai , j’écrirai mais, je ne dois pas tout dire et, je ne peux pas tout dire soit par insuffisance ou ignorance crasse, soit par rétention volontaire liée au côté sensible et à d’autres raisons ; que la lectrice et le lecteur, veuille bien m’en excuser. D’autres acteurs plus outillés pourront naturellement, s’ils le désirent contribuer à enrichir mon propos.
Mon aventure d’aspirant révolutionnaire aux côtés de personnages légendaires, emprunte de manière poétique trois chemins distincts qui conduisent finalement au même but. Il y a la piste civile, la filière des amis et le parcours des combattants.
Sur l’itinéraire des combattants, j’ai découvert Pô où j’ai fait la connaissance du chef de l’Etat actuel, à l’époque premier responsable du CNEC (le Centre national d’entraînement commando). Je m’étais rendu comme d’autres civils dans la ville-berceau de la révolution d’août en compagnie de Paulin Bamouni peu de temps après les graves événements survenus le 17 mai 1983 et qui ont entraîné l’arrestation du Premier ministre Thomas Sankara et du commandant Jean-Baptiste Lingani, responsable du Conseil de Salut du Peuple (CSP).
Après le coup de force du colonel Somé Yorian Gabriel, ancien aide de camp du président Maurice Yaméogo, il institua le CSP II et le président Jean-Baptiste Ouédraogo sous le CSP I demeura à son poste. Le capitaine Blaise qui rentrait de Bobo, échappa aux filets de la gendarmerie et réussit à rejoindre Pô, localité où des gendarmes tentèrent en vain de l’inquiéter une nouvelle fois. Ses hommes, unité d’élite de notre vaillante armée, se dressèrent. Le commandant en second du CNEC de Pô était le colonel Gilbert Diendéré qui jouissait et continue de jouir d’une solide réputation de patriote et de soldat exemplaire dans l’armée et au sein du peuple.
C’est également en 1983 que j’ai eu la chance de l’approcher et faire sa connaissance. Dans une lettre en date du 13 juin et adressée aux officiers qui devaient se réunir pour trouver une issue à la crise, le capitaine Blaise Compaoré, et ses hommes posèrent des conditions dont la libération de Sankara, Lingani et la levée de l’encerclement de commandos au camp Guillaume Ouédraogo de même que la réinstallation de Sankara dans ses fonctions de 1er ministre ainsi que de Lingani comme dirigeant du CSP. Mais aux yeux du groupe de Somé Yorian Gabriel, ce sont des civils qui travaillaient pour empêcher une solution entre les militaires en jetant de l’huile sur le feu.
D’ailleurs, il semble qu’une déclaration a été lue sur les antennes de la radio pour dénoncer cet aspect des choses. Yorian et ses hommes avaient l’intention de marcher sur Pô cela fut sans succès car la troupe et de nombreux officiers refusèrent d’obéir et d’aller se battre contre leurs frères d’armes. Cela soit dit en passant fut salué comme une grande preuve de maturité de l’armée et du peuple burkinabè.
En tout cas des analystes et autres experts pensent que le Burkina avait frôlé la guerre civile ou une internationalisation de la crise entre le 17 mais 1983 et le 4 août 1983. La grande confiance et le respect surtout de nos deux principaux leaders militaires au sein de l’Armée ainsi que la réputation de la garnison de Pô constituaient pour nous des richesses politiques et morales inestimables. Cela a sans doute beaucoup pesé pour de nombreux ralliements d’officiers et de soldats ainsi que des civils à la cause de la Révolution.
J’entendais parler de Thomas Sankara lorsque j’étais élève et fréquentais le Lycée Philippe Zinda Kaboré dans les années 70 et les aînés nous le montraient du doigt à la tête de ses éléments pendant les défilés du 11 décembre. Sous le régime du CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) il était Secrétaire d’Etat à l’information rattachée à la Présidence. Il démissionne après avoir prononcé un discours devenu historique lors de la cérémonie de clôture d’une rencontre de cinéastes à Ouaga.
Ce jour-là il lança sa célèbre phrase que la postérité retiendra “malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple”. J’ai véritablement approché l’homme pendant la résistance et après l’avènement de la Révolution, il me chargera entre autres de réfléchir sur le sens et la portée du mot camarade peu de temps avant l’usage généralisé du concept par les révolutionnaires me sachant limité en la matière, j’ai contacté le professeur Ki Zerbo.
Celui-ci me donna rendez-vous pour me remettre une semaine plus tard sa contribution comprenant la définition, l’origine ou les origines du mot bref l’historique du concept. C’est probablement la même année 1983 que j’ai pu approcher d’autres figures marquantes de ce qui deviendra la RDP (Révolution démocratique et populaire), étape définie déjà dans le mouvement étudiant comme étant la plus adaptée à la lutte du peuple.
“Empêcher l’élimination des camarades des arrêtés”
Au plan de la contribution en empruntant la piste des civils, il convient de retenir entre autres, le fait qu’au soir du 16 mai, je me trouvais dans le bureau d’une personnalité importante à qui je rendais visite. Notre analyse de la situation débouchait sur une hypothèse probable d’un dénouement de la crise du CSP par un coup de force de la tendance de Somé Yorian Gabriel.
Effectivement, c’est ce qui arriva avec l’arrestation du 1er ministre le Capitaine Thomas Sankara et du Commandant Jean-Baptiste Lingani le 17 mai au petit matin. Sur conseil d’amis et par esprit patriotique, nous décidons d’organiser des manifestations, précisément des marches de soutien. Le double but de la marche du 20 mai 1983 était d’empêcher l’élimination physique des camarades arrêtés et de montrer la grande popularité dont notre cause juste jouissait au sein du peuple tout entier surtout au niveau de la jeunesse.
Le but fut considéré comme largement atteint lorsqu’une célèbre station de radio internationale annonça et parla de succès de la marche des patriotes en termes de véritable marée humaine qui a marché à Ouagadougou. Les manifestations complémentaires du 22 mai achevèrent de saper le moral de nos adversaires et l’annonce de contre-marche ne modifia nullement le cours des choses. Beaucoup de civils vont agir pour soutenir la juste cause de la Révolution soit en se rendant à Pô, soit en développant d’autres initiatives.
La faillite d’une grande partie de la classe politique de l’époque exigeait un approfondissement de nos réflexions qui débouchèrent sur la nécessité de partir sur des bases nouvelles en créant au besoin du nouveau. Ainsi aidé par le conseil d’amis, la juste décision fut prise par nos dirigeants durant la Résistance de tenter l’expérience des CDR (comités de défense de la révolution).
Et le 5 août 1983, aux environs de 10h 30, sans mandat spécial mais j’avais avisé je me suis rendu au quartier Tiedpalogo à Ouaga en compagnie du journaliste Paulin Bamouni.
Dans la cour d’une personnalité proche des autorités, j’ai présidé une réunion avec Paulin Bamouni à ma droite et la personnalité à ma gauche concernant la formation du premier bureau des CDR. Une copie fut remise à la Radio pour exploitation dans le journal et une autre à l’autorité dans l’enceinte du Conseil de l’Entente. J’ai même suggéré le nom d’une personnalité pour prendre la tête des CDR mais l’autorité estima que les hommes de tenue inspiraient respect pour ce poste. Beaucoup d’autres choses ont été faites après le succès de la révolution le 4 août 1983.
“J’ai écopé de 9 mois de suspension”
J’oubliais d’ajouter que je devais être licencié de la Fonction publique parce qu’on m’accusait d’avoir rejoint les autres. Je fus également contraint de me cacher peu de temps avant la marche victorieuse des camarades sur Ouaga car selon des sources militaires, mon nom figurait sur une liste sélective (moins de dix personnes) et je devais être arrêté.
Vingt ans après, le hasard m’a permis de vérifier l’exactitude ou la pertinence de l’information par le détour d’une rencontre , celle d’une personne qui m’avoua avoir fait partie d’une équipe chargée de la chose et qu’ils s’étaient rendus à mon domicile en mon absence. J’ai écopé de 9 mois de suspension sous la Révolution. Je fus également éphémère directeur politique de l’AIB (l’Agence d’information du Burkina). Bref, il y a certainement beaucoup de choses à dire ou à écrire mais qui ne peuvent l’être pour des raisons évidentes.
Néanmoins je peux évoquer pour la postérité mes voyages en Libye et l’aventure liée à la création du Cercle d’études et de recherches sur le Livre vert, une structure qui n’a absolument rien à voir avec la révolution encore moins les structures officielles. Cela posa cependant problème en termes d’incompréhension au point que je me résolus à en expliquer l’idée au cours d’une audience que le PF à l’époque Thomas Sankara m’accorda le 12 février 1985. Il m’adressa une lettre quelque temps plus tôt pour exprimer sa considération, son estime pour ma modeste personne, je possède toujours cette lettre.
Mais nos divergences de vue sur l’essentiel demeurèrent. J’ai eu la chance d’effectuer quelques voyages en Libye pour participer à des symposiums sur le livre vert et à des mathabas (rencontres de révolutionnaires) et de partager au moins une fois dans ma vie le thé du colonel Mouamar Kaddhafi le Guide de la 1re Jamahiriya sous sa tente mythique de Syrte en Libye. Le jour du bombardement de la Libye, j’étais à Tripoli que j’ai quitté le soir, quelques heures avant l’événement.
“La Révolution fut belle globalement”
Voici succinctement rendu mon modeste témoignage concernant certains aspects de ma contribution et celle de certains acteurs que j’ai eu la chance de côtoyer. En ces jours anniversaires de la Révolution du 4 août 1983 et de la fête du 5 août, il faut rendre un vibrant hommage bien mérité et exprimer notre reconnaissance à l’ensemble des acteurs, au-delà de leurs insuffisances car ils ont contribué et consenti d’énormes sacrifices qui ont permis de vivre avec des acquis aujourd’hui dans notre beau pays dans la paix, et d’entamer le processus démocratique. Au 1er rang de ceux qui ont beaucoup fait, il faut se souvenir des chefs militaires et des simples soldats.
Il y a les commandos qui méritent tout notre respect. Il y a tous les militaires de notre vaillante armée, certainement une des meilleurs d’Afrique. Il y a les patriotes, le peuple entier. A tous, à toutes, il faut rendre hommage car la Révolution fut belle globalement. La beauté de la Révolution d’août, pour moi réside entre autres dans la mise en oeuvre de cette politique qui passe par une certaine idée de l’homme dont parle Paul Valéry.
Le succès relatif du volet social, la quête studieuse plutôt la conquête de notre identité, la fierté d’être Burkinabè, le sens de l’intérêt général, la restauration de l’autorité de l’Etat, de la Patrie et du peuple, l’amour du travail, la justice à travers les TPR, etc, ont largement contribuer à faire avancer les choses dans un sens positif au-delà des insuffisances, des lacunes, inhérentes à toute oeuvre humaine.
Notre Révolution, pour reprendre la belle formule de Baboeuf, visait à ramener au but de la société, à savoir le bonheur commun. Bonne fête à tous. Et que Dieu nos aide à construire un Burkina toujours meilleur.
Ali ZERBO, Journaliste Enseignant au CFPI
Le Pays