Par Bruno Jaffré

LES DIFFÉRENTS PARAGRAPHES

Retour de tirs nourris à Ouagadougou

Tension extrême entre deux clans de l’armée au bord de l’affrontement

Un coup d’État doublé d’une insurrection

La crise sécuritaire s’est aggravée.

Des massacres récents de grande ampleur qui traumatisent la population

Une armée en crise

Restauration du CDP, réconciliation pour le retour de Blaise Compaoré et tentative de mise au pas des OSC

Des agissements du MPSR1 qui ont réveillé une opposition

Une recomposition politique amorcée sous le MPSR1 qui va sans doute continuer.

Une nouvelle génération d’associations de la société civile

Pourquoi la politique française était devenue si impopulaire ?

Qu’en est-il des questions militaires et des rapports entre l’armée française et l’armée burkinabè ?

Les choix internationaux du nouveau pouvoir. France ou Russie ?


Le Burkina fait de nouveau parler de lui. Un nouveau coup d’État militaire est intervenu à Ouagadougou, 8 mois après le précédent, mais cette fois la population a repris le chemin de la rue. Quelle analyse peut-on faire de la situation ?

Retour de tirs nourris à Ouagadougou

Le 30 septembre au matin, les Burkinabè se réveillent de nouveau au son de tirs nourris d’armes de guerre en provenance du camp Baba Sy, le quartier général des hommes du lieutenant-colonel Damiba qui dirige le pays. Nouveau putsch huit mois après le précédent coup d’État qui l’avait porté au pouvoir !

Un peu plus tard dans la journée, des militaires occupent la télévision, et se déploient sur de nombreux carrefours et axes de Ouagadougou. Ils prennent le contrôle du camp Nabaa Koom, situé à côté de la présidence.

La population reste alors dans l’expectative quelque peu lasse voire blasée. Questionnée, une connaissance en ville, ne parait pas alors trop inquiète, « nous sommes habitués » me confie-t-il. Pourtant la capitale va vivre une tension maximale, deux camps bien armés vont frôler l’affrontement.

Mes médias locaux évoquent alors une mutinerie. Comme en janvier. Les mutins demanderaient la libération du lieutenant-colonel Zoungrana, soupçonné d’avoir voulu fomenter un coup d’État, arrêté sous le régime de Roch Marc Christian Kaboré. Parmi les autres revendications, les médias rapportent un meilleur accompagnement des familles des militaires tués au front, et plus généralement une amélioration de leurs conditions en vue d’améliorer la qualité et l’efficacité opérationnelle de l’armée.

Les discussions s’ouvrent entre les mutins et des émissaires envoyés par Damiba, sous l’égide de quelques généraux selon ce qu’a écrit sur sa page Facebook le journaliste Inoussa Ouedrago[1].

Peu d’informations vont circuler jusqu’au soir. Au journal de la Télévision nationale burkinabè de 20h, des soldats apparaissent armés et cagoulés à la télévision. Un officier lit une déclaration, le contenu du communiqué n°3, au nom du capitaine Ibrahim Traoré, assis à côté de lui. Il annonce la dissolution de la constitution et des institutions mis en place pour gérer la transition par le régime de Damiba, la fermeture des frontières, l’instauration d’un couvre-feu de 21h à 5h du matin, la suspension des activités politiques et celles des OSC (organisation de la société civile) et la convocation prochaine des « forces vives de la nation .. afin d’adopter une nouvelle charte de la  Transition et de désigner un nouveau président civil ou militaire ». Un classique pour les Burkinabè…

Dans le communiqué n° 2, ils se disent « animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité territoriale ». Se réclamant aussi du MPSR (Mouvement populaire pour la sauvegarde et la restauration) qui a pris le pouvoir en janvier, ils se disent avoir été trahis par le lieutenant-colonel Paul Damiba, qui a relégué au second plan la situation sécuritaire au profit « d’aventures politiques malheureuses ». Ils affirment avoir vainement tenté de discuter avec Damiba d’un « programme de réorganisation de l’armée » mais celui-ci a rejeté leur. Ils ont plutôt « assisté à une restauration au forceps d’un ordre ancien par des actes de nature à remettre en cause l’indépendance de la justice », dénonçant par ailleurs l’aggravation des « lourdeurs administratives qui caractérisaient le régime déchu ».  Ils s’engagent donc à se « recentrer sur les questions sécuritaire », et affirment « leur volonté d’une inclusion de toutes les couches sociales du Faso sans distinction aucune dans la suite de la Transition ».

Le nouvel homme fort comme on dit dans la presse, le capitaine, Ibrahim Traoré, qui fut aussi un des principaux acteurs du coup d’État précédent, est aussi le chef de corps de l’artillerie basée à Kaya une ville située à une centaine de km de la capitale. Cette région a subi de nombreuses attaques et sa population a doublé depuis le conflit par la présence de très nombreux réfugiés.

Tension extrême entre deux clans de l’armée au bord de l’affrontement

Le 1er octobre, la situation se tend. De nombreuses nouvelles, vraies ou fausses, circulent sur les réseaux sociaux ou dans les groupes WhatsApp, faisant état  de mouvements de troupes vers la capitale. Dans une nouvelle vidéo des militaires déclarent « Le lieutenant-colonel Damiba se serait réfugié au sein de la base militaire française à Kamboinsé (banlieue nord de Ouagadougou), en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité ». Cette information déjà diffusée la veille sur les réseaux sociaux puis momentanément disparue revient en force.

Dans une interview à la très populaire radio Omega, le capitaine Ibrahim Traoré explique que Damiba est en train de préparer une contre-offensive mais que lui refuse d’engager le combat. Il faut éviter de se battre entre militaires déclare-t-il, ajoutant que le matériel est précieux pour les combats contre les terroristes et qu’il a donc refusé de tirer sur un hélicoptère. Il se lance alors dans un long développement où il exprimera une forte empathie avec les populations qui subissent les agressions de HANI (hommes armés non identifiés) sous la coupe d’Al Qaïda ou de l’État islamique.

Si au début des attaques terroristes, ceux-ci provenaient pour la plupart de l’étranger, l’essentiel aujourd’hui de ces assaillants sont Burkinabé comme ne cessent de le répéter les observateurs burkinabè lors des débats dans les médias locaux.

Ibrahim Traoré affirme que ses hommes se sont mobilisés pour des problèmes relevant du respect des hommes, mais aussi de « petits problèmes logistiques ». Il n’est pas là pour prendre le pouvoir. Il affirme même à la fin de l’interview son souhait que les civils choisissent leur président. Lui veut retourner au combat. Selon lui la CEDEAO n’a pas à s’inquiéter, les délais promis pour mettre fin à la transition seront respectés et précisant que selon lui elle n’a pas besoin de durer si longtemps. (Voir https://www.youtube.com/watch?v=jZw0QAJRkE0 ).

Le lieutenant-colonel Damiba va publier à son tour un communiqué sur la page Facebook de la présidence où dans lequel il s’insurge contre la « diffusion d’informations mensongères dans le but de manipuler les populations et le instrumentalisant pour des causes étrangères »… et « dément formellement être réfugié dans la base française de Kamboinsé ». Il appelle la population au calme et le « Capitaine Traoré et compagnie à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide ».

On apprend plus tard que des négociations ont commencé entre Paul Damiba et Ibrahim Traoré sous l’égide des « des faîtières des communautés religieuses et coutumières ». Elles publient en effet un communiqué dans le courant de l’après-midi du 2 octobre, annonçant que Paul Henri Damiba a proposé sa démission sous réserve que les 7 conditions suivantes soient acceptées:

  1. La poursuite des activités opérationnelles sur le terrain
  2. La garantie de la sécurité et de la non-poursuite des FDS engagés à ses côtés
  3. La poursuite du renforcement de la cohésion au sein des FDS
  4. La poursuite de la réconciliation nationale
  5. Le respect des engagements pris avec la CEDEAO
  6. La poursuite de la réforme de l’État
  7. La garantie de sa sécurité et de ses droits, ainsi que ceux de ses collaborateurs

Conditions que le capitaine Ibrahim Traoré a acceptées sans délai. Un règlement des hostilités salué par la CEDEAO qui réitère sa volonté de ne pas voir remis en cause l’accord signé avec le précédent gouvernement à savoir la fin de la transition et le retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024.

Le soir le capitaine Ibrahim Traoré apparait à la télévision entouré des principaux chefs militaires qu’il va remercier  pour déclarer : « Le commandement militaire des forces armées nationales composé du chef d’état-major des armées et des chefs d’état-major d’armée, à l’issue d’une réunion ce dimanche 2 octobre, a décidé à l’unanimité de soutenir le MPSR dans la poursuite de sa vision concernant la défense de la sécurité de la population » et il invite « les soldats combattants du front, à redoubler d’efforts, de reprendre du courage et que nous puissions redynamiser cette lutte et pouvoir redonner la paix à nos populations et apporter plus de sérénité dans nos campagnes. »

Après deux jours, durant lesquels l’affrontement semblait imminent, tout rentre dans l’ordre rapidement. Paul Damiba va quitter le pays avec quelques-uns de ses proches dans un hélicoptère de l’armée burkinabé vers le Togo.

Le lundi 4 octobre, jour de rentrée scolaire, le capitaine Traoré rencontre les secrétaires généraux des ministères pour les inciter à accélérer le traitement des dossiers. « “Il faut vraiment changer le rythme, faut changer le rythme, il faut aller vite. Tout le pays, c’est de l’urgence ». Il leur demande de faire l’inventaire des pickups dans les ministères avec qu’ils soient réquisitionnés par l’armée pour les combats.

Le 4 octobre, une délégation de la CEDEAO se rend au Burkina. Des manifestants tentent sans succès  d’empêcher la rencontre le capitaine Ibrahim Traoré. Elle est dirigée par l’ancien président nigérien Mahamadou ISSOUFOU qui déclare, à l’issue de la rencontre : « Je suis totalement satisfait de l’entretien que j’ai eu avec le Capitaine TRAORÉ. Nous repartons confiants… », tout en rassurant que la CEDEAO va continuer à accompagner le peuple burkinabè dans cette période difficile.

Le 5 octobre est publié l’acte fondamental où l’on peut lire « en attendant l’adoption d’une charte de transition, des dispositions du présent acte fondamental fonde l’exercice du pouvoir d’État ». Plus loin  « la suspension de la constitution du 02 juin 1991 est levée. Celle-ci s’applique à l’exception de ses dispositions non contraires au présent acte fondamental ». Ibrahim Kaboré,  chef de l’État, en exerce les prérogatives. Il rappelle un certain nombre de principes, notamment celui de l’indépendance de la justice.

Les assises nationales pour mettre en place la Transition sont convoquées pour les 14 et 15 octobre.

Les Burkinabè s’attendaient à un nouveau coup de force. La crise politique et sécuritaire s’était considérablement aggravée et les maladresses du pouvoir avaient fini par exacerber monter le mécontentement.


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Un coup d’État doublé d’une insurrection

En réalité, dans de nombreuses villes, bien avant le 1er octobre,  des manifestations se sont tenues dans les principales villes de province contre l’insécurité, à l’appel de personnalités ou d’OSC locales. La presse témoignait de l’influence importante des participants, en publiant des photos. Déjà des mots d’ordre demandaient le départ de Damiba.

Le 29 septembre, dans la ville de Bobo Dioulasso, les commerçants traumatisés par le récent massacre de Gaskindé lors de l’attaque d’un convoi de ravitaillement 3 jours avant, avaient organisé une manifestation en deux roues  à travers la ville. Les victimes se comptaient essentiellement parmi les chauffeurs, les commerçants et les militaires. Et le soir les organisateurs diffusaient une vidéo qui appelait les populations des provinces à venir manifester le 1er octobre à Ouagadougou.

Des appels à sortir dans les rues commencent à être diffusés dans l’après-midi jusqu’au soir. Ils circulent très rapidement non seulement sur Facebook mais aussi via WhatsApp et ses listes très répandus au Burkina.

Un membre de la société civile de Bobo Dioulasso, dès 14 heures, me fait part de sa volonté d’appeler à la résistance, car selon lui les forces spéciales burkinabè qui sont fidèles à Damiba l’ont remis aux soldats français. Vers 17h je reçois une vidéo d’un jeune qui appelle à tous sortir dans la rue car les « soldats français sont en train de massacrer nos soldats burkinabè ». Un autre message audio de Ouaga fait état d’un assaut des forces spéciales burkinabé qui s’apprêtent à attaquer les « cobras », un autre corps d’élite qui soutient Ibrahim Traoré.

Il s’avère maintenant que ces informations apparaissent non fondées, mais elles ont certainement contribué à augmenter la colère alors que le mécontentement contre la présence française était déjà très répandu. Des foules nombreuses descendent dans les rues qu’elles occupent en soutien à Ibrahim Traoré. Une bonne partie d’entre elles converge vers la place de Nation où avait été annoncée la démission de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014, avant son exfiltration par les troupes françaises vers la Côte d’Ivoire. On peut apercevoir çà et là quelques drapeaux russes. Elles demandent le départ de Damiba du pouvoir et la rupture avec le France avec de nombreuses pancartes où l’on peut lire « France dehors » ou « France dégage », et la fermeture de la base du COS (Commandement des opérations spéciales) de Kamboinsé située à quelques kilomètres de Ouagadougou. Un groupe de manifestants s’attaque à l’ambassade de France et met le feu à une guérite extérieure. Africa Intelligence  (12 10 2022) pointe parmi eux des «  pro-russes issus de la nébuleuse d’associations musulmanes d’obédience wahhabite cornaquée par le Mouvement sunnite burkinabè, dont le capitaine Traoré est un adepte », soupçonnant parmi ces associations des réseaux d’influence de Moscou. Et Ibrahim Traoré, bien que la pression populaire soit forte, est resté très prudent de ce point de vue, évoquant juste une nécessaire diversification des partenariats.

Dans la soirée, le capitaine Ibrahim Traoré annonce la levée du couvre-feu qui devait commencer à 21h et appelle la population à une veille patriotique. Une foule nombreuse se presse autour de la base aérienne ou sont regroupés de nombreux soldats en arme. Je reçois une audio où un homme présent sur les lieux affirme que « Damiba y est réfugié en compagnie de l’ambassadeur de France », ce qui va s’avérer faux. La tension est à son comble car les soldats semblent se préparer à l’assaut. Il n’en sera rien.

Une porte-parole du Quai d’Orsay Anne Legendre démentira toute implication française dans les évènements  « Paul-Henri Damiba n’a pas été accueilli sur la base militaire où se trouvent des forces françaises, pas plus qu’à notre ambassade.  (…) Aucune implication de notre part dans les évènements survenus depuis hier. Les partenaires du Burkina Faso se sont exprimés, à commencer par la Cédéao et l’Union africaine qui ont exprimé la nécessité de retourner à l’accord qui a été conclu avec la Cédéao. Je crois que c’est cela qui doit prévaloir aujourd’hui. » (propos recueillis par le service Afrique de RFI). Un peu plus tard sur France 24 Ibrahim Traoré déclare : « je ne pense pas que Damiba soit soutenu par  France  […] ni qu’il soit dans la base française »..

Mais les populations sont déjà dans les rues, convaincues que les Français soutiennent Damiba.

Mais contrairement à ce qui s’est passé en janvier 2022, cette fois la population s’est insurgé contre le MPSR1 et la présence militaire française. Après l’ambassade de France, des groupes de jeunes vont aussi mettre le feu au lycée français et aux instituts français de Bobo Dioulasso et Ouagadougou.

La population rassemblée massivement dans les rues a ainsi contribué à la victoire du camp d’Ibrahim Traoré. Elle demandait le départ de Damiba que personne ne semblait plus soutenir. Et la circulation des troupes dans les rues encombrées était devenue impossible. C’est elle qui empêché l’affrontement et manifesté bruyamment son soutien à Ibrahim Traoré, vivant ainsi un véritable bain de foule, accompagné en héros aux abords de la télévision.

Et dans les réseaux sociaux, nombreux sont qui se réclament des insurgés. Ils ne manquent aujourd’hui de revendiquer cette victoire et avancent un leurs revendications, dont l’accession d’Ibrahim Traoré comme président.

Ce coup d’État doublé d’une insurrection ne fut pas une surprise, tant la crise politique et sécuritaire s’était amplifiée dans la dernière période.

La crise sécuritaire s’est aggravée.

Lorsque le MPSR1 prit les rênes du pouvoir, son principal Chef, le Lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, avait promis de récupérer une partie du territoire et permettre ainsi d’amorcer le retour des déplacés internes, les populations qui ont dû fuir leurs localités pour se réfugier dans des villes plus sécurisées. Certes, son gouvernement annonçait régulièrement des statistiques de personnes revenues dans leur localité, mais ne donnait jamais celles des nouveaux déplacés.

Beaucoup de Burkinabé reçoivent des nouvelles de leurs villages faisant état d’intrusions, sans violence, lorsque les villageois ne s’y opposent pas. Des colonnes d’hommes armés, arrivés le plus souvent en moto, rassemblent alors les habitants dans les mosquées pour leur faire de la propagande. Ils obligent aussi quand ils le peuvent le personnel de santé à rester sur place, mais font en sorte que les autres fonctionnaires, dont en particulier les enseignants s’en aille. Plusieurs amis m’ont raconté de telles incursions dans leurs villages natals avec beaucoup de tristesse.

Et les zones d’insécurité se sont encore étendues. De nouvelles attaques ont ainsi été signalées dans le sud du pays, près de la frontière ivoirienne mais aussi dans le nord du Bénin.

Les HANI essayent maintenant d’isoler des villes du nord en instituant des blocus. La presse signale régulièrement des localités qui ne sont plus ravitaillées souffrant de la faim. Ils font aussi sauter des ponts coupant les routes. Certains sont cependant jusqu’ici remis rapidement en état pour l’instant. Il leur arrive même d’installer des contrôles comme le feraient les policiers ou les gendarmes.

L’ambassade de France a demandés depuis plusieurs mois, aux ressortissants français, de ne pas emprunter la route pour aller à Bobo Dioulasso, la plus fréquentée qui relie les deux principales villes du pays, mais de voyager en avion !

Des massacres récents de grande ampleur qui traumatisent la population

Nous avons déjà évoqué dans nos différents articles précédents, les massacres de Yirgou en janvier 2019  près de 200 morts ; de Sohlan plus de 160 morts en juin 2021 ; d’Inata 53 gendarmes tués laissés à l’abandon sans nourriture depuis près de 2 semaines, en novembre 2020. Sur ce dernier apparu comme un véritable scandale, un rapport avait été commandé par le président Roch Kaboré. Il en avait refusé une première version. Malgré des demandes répétées dans la presse, la nouvelle version n’a toujours pas été publiée. C’est qu’il y a des choses à cacher !

Et tout récemment, d’autres sont venus s’ajouter à cette liste macabre : attaque contre la localité de Seytenga, 86 morts, les 11 et 12 juin 2022 ; explosion d’un mine lors du passage d’un convoi entre Djibo et Bourzanga dans le nord, 35 morts et 37 blessés,  le 5 septembre ; attaque d’un convoi de ravitaillement près de Gaskindé, le 26 septembre 2022, 37 morts dont 27 soldats et 29 blessés dont 21 militaires.

L’armée publie régulièrement après ces attaques des communiqués annonçant une riposte se traduisant par la « neutralisation » de dizaine de terroristes. Si les bilans des attaques terroristes sont comptabilisés avec soin avec l’aide des populations présentes, les bilans de l’armée sont difficilement vérifiables. Il est arrivé que des civils simplement soupçonnés de connivence soient comptabilisés par dans les statistiques.

Pour l’instant les populations des villes sont épargnées. Mais on lit çà et là des réactions de Burkinabè dans les réseaux sociaux qui s’insurgent contre le fait que les bars continuent à se remplir, réclamant que l’on installe réellement dans les villes aussi une ambiance de guerre et de mobilisation.

Une armée en crise

Les accusations de corruption contre les chefs de l’armée circulent déjà depuis plusieurs années. Mais aucun officier n’a été jusqu’ici poursuivi par la justice ou sanctionné[2]. De nombreux internautes réclament que les officiers supérieurs restent au front, proches des unités combattantes et s’insurgeaient contre les dirigeants du MPSR qui semblaient s’occuper plus de politique que de la guerre.

Nombreux sont les officiers supérieurs et ministres de la défense qui ont été relevés sans que des progrès sensibles se fassent sentir.

Le capitaine Ibrahim Traoré a évoqué des « petits problèmes logistiques » dans une de ces interventions récentes. Ainsi à Inata, les gendarmes n’étaient plus approvisionnés en nourriture depuis une quinzaine de jours et il s’est avéré impossible de leur envoyer des renforts. Et après de l’attaque du convoi à Gaskindé, le bimensuel Courrier Confidentiel (N°284 du 25/09) titre sur un hélicoptère qui n’avait plus de carburant !

Plusieurs analystes ou journalistes évoquent un conflit entre les gendarmes dont certaines garnisons sont installées dans des zones de combat et qui assuraient aussi la sécurité de Roch Kaboré. Mais ce n’est pas sans doute pas le seul conflit. Les différentes évictions au plus haut niveau de l’armée ont très probablement exacerbé d’autres rivalités internes.

Paul Damiba, selon le journaliste Inoussa Ouedraogo, était entouré d’officiers de la même promotion que lui au PMK (Prytanée militaire du Kadiogo) alors que Ibrahim Traoré a été formé à l’académie de Georges Namouano. Et le média libreinfo.net confirme : « C’est une vraie guéguerre cette affaire d’école au niveau de l’armée burkinabè. Le jeune capitaine IB n’a pas fait le PMK. Les AET (NDLR : Anciens enfants de troupe c’est-à-dire ceux qui ont étudié au PMK) se considèrent plus militaires. »

Le même article, signé de la rédaction, évoque une rivalité entre plusieurs corps d’élite, les forces spéciales et les « cobras », déjà très actifs aussi lors du coup d’État précédent qui se sont rangés derrière Ibrahim Traoré. Paul Damiba avait souhaité que les forces spéciales composent sa garde rapprochée alors que jusqu’ici ces corps d’élite la prenaient en charge à tour de rôle.

Par ailleurs, certains manifestants demandaient la libération du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana. Il dirigeait un autre corps d’élite, les « mambas verts » et la presse souligne en général ses qualités d’officier et son courage. Il a été arrêté sous la présidence de Roch Kaboré sous l’accusation d’avoir fomenté un coup d’État.  A ce jour il ne semble toujours pas avoir été libéré.

Difficile d’y voir très clair, les sources sont issues de paroles de soldats anonymes et l’armée ne communique pas. Mais on peut affirmer quoiqu’il en soit, que rétablir l’unité de l’armée va être une des priorités de nouveaux dirigeants. On comprend combien la tâche va s’avérer difficile, d’autant plus qu’Ibrahim Traoré, capitaine, ne fait pas partie des officiers supérieurs de l’armée.

Restauration du CDP, réconciliation pour le retour de Blaise Compaoré et tentative de mise au pas des OSC

Dans notre précédent article nous avions évoqué le retour de certains proches de Blaise Compaoré, le plus connu étant Yéro Boli : « Yéro Boly est un proche de Blaise Compaoré. Il fut ambassadeur en Libye de 1988 à 1995 au plus fort de la guerre du Libéria où étaient impliqués le Burkina et la Libye à l’époque, puis successivement directeur de cabinet de Blaise Compaoré, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité (NDLR : de 1995 à 2000) et ministre de la défense (NDLR : à partir de 2004)».

S’il est à l’origine de tentatives d’instituer des dialogues sous l’égide des chefs traditionnels afin d’inciter des jeunes HANI à remettre leurs armes, les résultats paraissent modestes et très localisés. En fait il a, lui aussi, plutôt consacré toute son énergie à organiser le retour de Blaise Compaoré, en collaboration avec Alassane Ouattara (Voir à ce propos notre article intitulé « Retour de Blaise Compaoré, une mascarade qui vire au fiasco »).

Cet épisode désastreux pour le pouvoir a été vécu comme une provocation, doublé du mépris du monde judiciaire, alors que le procès des assassins de Thomas Sankara et de ses compagnons venait à peine de se terminer par la condamnation à perpétuité de Blaise Compaoré.

La mise en place de la Transition après le putsch de janvier 2022, s’était déroulée de façon totalement différente de celle mise en place en 2014. A l’époque la société civile avait pris les choses main[3]. (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/171114/le-burkina-adopte-la-transition-apaisee-et-inclusive).

Mais en janvier 2022, les putschistes organisèrent une concertation nationale pour la mise en place de la Transition d’où furent systématiquement écartées toutes les personnalités et organisations de la société civile qui avaient joué une rôle pilote dans la rédaction de la Transition à l’époque, au profit de ce que les internautes burkinabè, qui ne manquent pas d’humour, appellent les mange-mil  fustigeant la  mangécratie. On a d’ailleurs assisté à un défilé de conférences de presse, complaisamment couvertes par la presse, la plupart du temps d’OSC toute nouvelles déclarant leur soutien à la Transition. Les comptes rendus donnent lieu, par exemple sur le forum très actif de à un festival de railleries en tout genre (voir à titre d’exemple à https://lefaso.net/spip.php?article115434). Personne n’est dupe. La pratique consistant à financer des OSC par le pouvoir a commencé surtout lors de la Transition dirigé par le lieutenant-colonel Issac devenu général durant la même transition. Marcel Tankonano dont il est question dans l’article cité s’est fait connaitre durant cette période.

Quant aux leaders du CDP, en crise depuis de nombreux mois, ils figuraient en bonne place aux assises nationales de janvier apparaissaient tout sourire dans les reportages télévisés.

Autant d’exemples de ce que le nouveau leader du pays, le capitaine Ibrahim Traoré, appelle les « d’aventures politiques malheureuses ».

Des agissements du MPSR1 qui ont réveillé une opposition

Les partis et organisations de la société civiles n’avaient fait qu’observer le coup d’État de janvier 2022, plutôt bienveillants mais aussi soulagés du départ de Roch Marc Christian Kaboré. Le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), le parti de Roch Kaboré dénonçait un « mode anticonstitutionnel d’accession au pouvoir » qui « comporte de nombreux risques » pour le pays, tout en affirmant sa « disponibilité à jouer sa partition, aux côtés du peuple pour son épanouissement ». Les partis de l’ancienne opposition affirmaient rapidement de leur côté leur disponibilité à collaborer avec le nouveau pouvoir. Mais ils ne s’exprimaient guère depuis la mise en place de la Transition, se mettant en quelque sorte en position d’attente… des élections très probablement, reprenant la position qui fut celle de la majeure partie des partis politiques lors de la Transition de 2014 – 2015.

Mais le non-respect de la promesse par le MPSR1 de faire reculer l’insécurité commençait à peser.

Le venue de Blaise Compaoré au Burkina, le bilan présenté par Paul Henri Damiba, avec plusieurs mois de retard et surtout, sans bilan chiffré en ce qui concerne la lutte contre l’insécurité, puis l’arrestation de Mathias Ollo Kambou, un des dirigeants du Balai citoyen, ont fini par sonner la mobilisation. Ces trois évènements controversés en à peine 2 mois ont eu pour seul effet de réveiller l’opposition. Entendons par là, une bonne partie des partis politiques et de la société civile, exceptés parmi ces derniers, ceux qui défilaient dans des nombreuses conférences de presse pour clamer leur soutien à la Transition. Le bimensuel burkinabè le Reporter du 1er octobre citent d’autres exemples : «Dès ses premières nominations, les « soldats », qui ont bravé le danger, côtoyé la mort, ont été mis à l’écart. Les nominations dans l’administration publique faisaient la part belle à des officiers qui n’auraient pas contribué aux efforts, vidant le front également de combattants… Le déni de justice, le parjure, les tentatives d’inféodation de la Justice, les menaces, les intimidations, le dénigrement et le mépris de la presse, etc».

La venue de Blaise Compaoré, le 8 juillet, a entrainé une levée de bouclier comme nous l’avons souligné dans un précédent article. Le bilan de Paul Henri Damiba, présenté le 4 septembre,  largement commenté dans les médias a été très mal reçu dans la presse. Quant à l’arrestation de Mathias Ollo Kambou, surnommé Kamao, elle a entraîné une réaction importante, le Balai Citoyen rappelant à cette occasion qu’il gardait une certaine capacité de mobilisation avec d’autres organisations qui lui sont proches.

Enlevé à la sortie d’une émission de télévision le 5 septembre 2022, par des hommes en civil, Kamao a fait l’objet d’un mandat de dépôt par le procureur de la République. Il était depuis détenu à la MACO, la maison d’arrêt de Ouagadougou. Son procès s’est tenu après le coup d’État de septembre. Il a été condamné à 6 mois de prison avec sursis et 300000 FCFA d’amende pour « outrage au chef de l’État », une accusation qui semble-t-il n’avait jamais été prononcé sous le régime du dictateur Blaise Compaoré. Et ce n’est pas pour des propos tenus à la télévision mais pour le message suivant posté sur Facebook : « Il (NDLR : Paul Henri Damiba) a raté une occasion de fermer sa bouche d’indigne, d’antipatriote, de traite de déshonneur, d’incompétent, de promoteurs de criminels, de cancre, et surtout de ce qu’il y a de plus malheureux à la tête d’un pays. »  Des messages de cette teneur on peut en trouver des dizaines et des dizaines sur Facebook. Le pouvoir a pensé sans doute donner un avertissement au Balai Citoyen qui s’en sort finalement avec un nouveau héros, en son sein, aux yeux de la jeunesse.

Une recomposition politique amorcée sous le MPSR1 qui va sans doute continuer.

En moins d’un an, on a donc assisté à deux coups d’État militaire.

Le premier, celui du MPSR1, a renversé le régime de Roch Kaboré, élu pourtant avec 58% des suffrages exprimés. Mais il est vrai avec seulement à peine plus de 1,6 millions de voix sur une population qui se rapproche de 20 millions. Et la majorité présidentielle s’était encore renforcée avec l’arrivée de nouveau parti.

Le CDP, le parti de Blaise Compaoré, était le parti leader de l’opposition. Il a rapidement soutenu les putschistes en janvier.

Le deuxième, celui du MPSR2, a mis fin au MPSR1, et rencontre de nouveau un sentiment quasi général de bienveillance parmi les partis politiques. Et comme tous les partis avaient un moment ou un autre soutenu les gouvernements depuis les élections de 2020, faisant preuve d’un opportunisme qui n’échappe pas à la population, la méfiance voire le rejet de la population envers eux n’a fait que se renforcer. Depuis janvier, on a assisté de nouveau à un mouvement important de scissions et de refondations de partis politiques. Les derniers coups d’État ne rencontrent pas de résistance et bénéficient d’une bienveillance quasi générale. Non pas que le pays soutienne les coups d’État par principe mais plutôt parce que la population se méfie de plus en plus des partis politiques. Nous n’allons pas entrer dans les détails car ces mouvements de recomposition n’en sont qu’à leur début, mais on peut déjà noter que le MPP est en train d’éclater, et risque de finalement ne plus exister ou sous une forme embryonnaire. Alors que rappelons-le, créé à partir d’une scission au sein du CDP un an avec l’insurrection, il avait pour ainsi dire pris la place du CDP comme méga parti en charge de la gestion du pouvoir en empruntant par bien des aspects son fonctionnement.

Seule véritable nouveauté apparue peu avant les élections, le mouvement intitulé SENS, qui veut dire « servir et non se servir » reprenant une citation de Thomas Sankara. Créé par Guy Hervé Kam, avocat très connu, et ancien porte-parole du Balai citoyen, il regroupe un certain nombre de jeunes cadres, mais peine à se structurer. Il bénéficie de la nouveauté, de la jeunesse de ses militants. Il s’est félicité de d’être classé au 8ème rang lors des dernières  élections législatives dans le Kadiogo, la province de Ouagadougou, alors qu’il ne bénéficiait que de peu de moyen. Ce parti a par exemple beaucoup communiqué sur ce qui était pour ses membres la découverte des méthodes employées par les partis importants, comme notamment la distribution d’argent ou de cadeaux divers. Ses militants ont aussi joué un rôle moteur pour empêcher que les deux anciens présidents Roch Kaboré et Michel Kafando ne participent à la rencontre avec Blaise Compaoré. Mais pour un tel parti, les pièges dans lesquels ne pas tomber sont nombreux tant la vie politique burkinabè est semée d’embûche.

Au plus fort de cette période mouvementée est né le Front Patriotique, créé le 4 aout 2022, par une trentaine d’ « organisations citoyennes, partis et mouvements politiques » qui s’engagent à « œuvrer sans délai pour une transition politique légitime et souveraine », sous le mot d’ordre «Prenons le destin de notre Patrie en main  ». Ensemble ils constituent une force avec laquelle le nouveau pouvoir va devoir compter. On y trouve notamment l’UNIR MPS, de Bénéwendé Sankara, le MPP, le Balai citoyen accompagné de plusieurs organisations qui lui sont proches et de nombreux autres petits partis et OSC. Ce nouveau front s’exprime très régulièrement publiquement sur la situation.

Une nouvelle génération d’associations de la société civile

Nous n’allons pas ici reprendre l’inventaire des anciennes organisations de la société civile, dans lequel il faut inclure la presse, qui reste de qualité, livrant très régulièrement  de nombreuses investigations sur les gabegies au sein de l’État. Citons parmi les plus anciennes, déjà actives sous le régime de Blaise Compaoré, les syndicats très puissants, mais peu actifs lors des périodes de Transition passées, le mouvement burkinabè des droits humains et des peuples, le CGD ( Centre pour la gouvernance démocratique), le RENLAC (Réseau national de Lutte anti-corruption), ces deux dernières fonctionnant un peu comme des bureaux d’étude sur lesquels peut s’appuyer le mouvement social, et le centre de presse Norbert Zongo.

Une nouvelle génération est née à l’approche de l’insurrection de 2014, comme le Balai citoyen dont le rappeur et producteur Smockey est toujours porte-parole, ou l’institut de recherche indépendant Free Afrik, dont le brillant directeur exécutif Ra-Sablga Seydou Ouedraogo est devenu au fil de ses nombreuses conférences une personnalité les plus en vue du pays. Il est proche du juriste Luc Marius Ibriga, leader de l’ancien Front de la résistance citoyenne, qui est resté longtemps à la tête de l’ASCE LC (autorité Supérieure du Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption) poste où il été nommé après l’insurrection de 2014. Il y a fait un travail considérable, malheureusement très peu suivi de suites judiciaires. Une énumération qui est loin d’être exhaustive.

La première transition après 2014, a donné lieu à des financements d’OSC par des partis politiques ou le pouvoir à l’époque par le lieutenant-colonel Issac Zida, devenu premier ministre, promu général durant cette période. La plupart n’ont pas survécu. Et ces dérives se sont amplifiées après le coup d’État, de Paul Henri Damiba. Les OSC nées récemment pour soutenir le pouvoir de Damiba risquent fort de disparaitre avec ce nouveau coup d’État.

Une nouvelle personnalité a cependant émergé ces derniers temps lors de manifestations contre le régime de Roch Kaboré. Il s’agit du médecin-anesthésiste dans un hôpital public Arouna Louré, député de la Transition sous Damiba, auteur d’un ouvrage intitulé « Burkindi, pour une révolution nouvelle », mais aussi de propositions pour l’amélioration de la santé.

Notons la création de deux nouvelles OSC.

BUTS (Œuvrer sans délai pour une transition politique légitime et souveraine) est apparue publiquement le 30 juillet 2022, autour de Abdoulaye Barry, analyste très connu souvent invité sur les plateaux télé, Rosine Coulibaly (elle fait partie des personnes citées comme éventuelle première ministre), qui avait démission du gouvernement du MPP, et Boureima Ouedraogo, directeur du Reporter, un des meilleurs journaux  d’investigation et Président du comité de pilotage du Centre de presse Norbert Zongo.

Enfin la MIFA (Mobilisation des intelligences pour le Faso) qui a organisé une conférence de presse le 26 juillet, se présente comme un regroupement de 25 intellectuels, pour la plupart à l’étranger qui demandaient la démission du Paul Henri Damiba et la « convocation d’Assises nationales souveraines pour proposer une orientation et une nouvelle intelligence politiques appropriées en vue d’une transition authentique qui posera les fondements de la renaissance de l’État-nation et d’une démocratie véritable loin de l’improvisation et perpétuel recommencement».

Mais la création du Front patriotique quelques jours après leur apparition publique risque de ne pas leur laisser beaucoup de visibilité.

Pourquoi la politique française était devenue si impopulaire.

Nier l’existence de ce qu’on appelle les troll pro-russes sur les réseaux sociaux très fréquentés, serait faire preuve d’une grande naïveté. Mais cela se saurait suffire pour comprendre le rejet de la politique française. Le retournement massif de l’opinion contre la France est essentiellement dû au manque de résultats après 7 ou 8 ans de présence et d’interventions militaires. En ne misant que sur la guerre, et n’ayant que peu de prise sur la stratégie politique de rejet du terrorisme en direction des populations, comment pourrait-il en être autrement ? Que peuvent faire 5000 soldats Français dans l’immensité que constituent le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad.

Il ne faudrait pas pour autant croire que les Burkinabé ne s’en prennent pas aux carences de propre leur armée et le leurs dirigeants politiques. Bien au contraire. C’est bien ce que traduisent les deux derniers coups d’État. Si les manifestants rejettent la France, ils rejettent d’abord leurs propres dirigeants.

La jeunesse burkinabè plus massivement scolarisée s’est « éveillée » comme disent les militants au Burkina. Elle connait les méfaits de la Françafrique et se nourrit désormais des discours de Thomas Sankara, jamais anti-français, mais très engagé contre l’impérialisme et le néocolonialisme. Fin dialecticien, il n’a cessé de faire cohabiter ses critiques acerbes de la politique française tout en lui réclamant de l’aide comme partenaire historique ancien.

Notons les vexations subies en provenance des derniers présidents français. Sarkozy affirmant que l’Afrique n’a pas d’histoire et qui a eu Blaise Compaoré comme invité d’honneur un 14 juillet. Les socialistes qui répondaient avec mépris, sous la présidence de François Hollande, lorsque montait en puissance la campagne pour l’ouverture du secret défense, jurant de leur grand dieu que la France n’était pas impliquée, puis le ton moqueur de Macron lors de la séance de questions réponses à l’université de Ouagadougou, déclarant que Roch Marc Christian Kaboré était parti remettre la climatisation en marche. On se rappelle aussi des déclarations de Cherif Sy, alors nouveau ministre de la défense, accusant la France de bloquer les armes à destination du G5 sur les ports des côtes de l’Afrique de l’ouest. Et puis la lenteur avec laquelle le troisième lot de documents promis par Emmanuel Macron en 2017 dont on sait désormais à peu près avec certitude qu’il contient peu de documents secrets défense.

Il existe de toute évidence des réseaux de diffusion d’informations erronées sur la livraison d’armes aux djihadistes. Mais on se rappellera cependant le soutien de la France au MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad)  qu’elle pensait pouvoir engager contre les « djihadistes » et leur accueil à Ouagadougou alors dirigé par Blaise Compaoré, grand ami de la France. Les troupes françaises ont empêché l’armée malienne de rentrer à Kidal. Un évènement qui a déclenché la forte hostilité des maliens qui se perpétue aujourd’hui. Ajoutons à cela l’exfiltration le 26 juin 2012 de Iyad Ag Ghali alors dirigeant du MNLA, mis en déroute par Ansar Din lors de combats sanglants, vers le Burkina par hélicoptère.

Qu’en est-il des questions militaires et des rapports entre l’armée française et l’armée burkinabè ?

L’armée française n’intervient au Burkina qu’à la demande des autorités Burkinabè ou avec leurs autorisations. D’ailleurs selon Africa intelligence (12 10 2022), les Français auraient essuyé des refus d’autorisation des mouvements de l’armée française sous Damiba. Un nouvel accord signé en 2018 par Roch Marc Christian Kaboré et Florence Parly, vient préciser les conditions de la présence et de l’intervention des troupes françaises au Burkina.

Par ailleurs, le Burkina rencontre de grandes difficultés à se fournir en armes. Ce sont des opérateurs privés qui les fournissent souvent  qualifiés de mafieux. Des scandales ont déjà éclatés.

L’armée burkinabè se fournissait en Ukraine et en Russie sous Blaise Comparé et fournissait des groupes armés déstabilisant la région. Ces réseaux se sont dissous. D’autres sont apparus depuis.

L’armement s’est diversifié. Il provient désormais de certains pays d’Europe, de Russie, d’autres pays de l’est hors CEE mais aussi maintenant du Moyen Orient, et de la Turquie qui a notamment fourni récemment des drones.

Chacun entend parler sur les ondes de fournitures massives d’armes à l’Ukraine par la France. Mais et les pays du Sahel alors ? Comment se fait-il que le Burkina n’ait toujours que très peu d’avion et d’hélicoptère, ou, en tout n’en pas eu pendant longtemps. Y a-t-il des blocages et où sont-ils ? Outre les problèmes internes déjà cités n’y a-t’ il  pas des blocages externes ?  Alors que les Maliens annonçaient au mois d’aout dernier avoir reçu de nombreux avions (voir https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/mali-l-armee-de-l-air-se-dote-de-nombreux-avions-et-helicopteres-militaires-russes_5302138.html). Jusqu’ici les autorités burkinabè ont gardé une certaine distance avec les Russes ce qui explique que ces derniers ne fournissent pas encore d’avion.

On apprend aussi (Africa Intelligence 26 09 2022),  que la France s’apprêtait à « débloquer tout prochainement une enveloppe budgétaire estimée à 15 millions d’euros pour venir en aide à l’Etat burkinabè » faisant suite à une demande de Paul Henri Damiba. « Parmi les pistes actuellement à l’étude, Paris envisage d’équiper les forces burkinabè avec des armes prélevées sur les stocks de matériel d’occasion de l’armée française ».

Enfin, « Côté européen, le Quai d’Orsay milite également afin que le Burkina Faso puisse bénéficier de la Facilité européenne de paix (FEP). Mis en place par Bruxelles en 2021, cet outil financier permet notamment à l’UE de fournir les armées étrangères en équipements létaux, chose impossible jusque-là… Un plan d’appui tout spécifiquement dédié au Burkina Faso est actuellement dans les tuyaux ». Ces pistes seraient pour l’instant gelées (Africa intelligence 12 10 2022) en attendant des plus amples informations sur les futurs dirigeants du pays, mais le média ajoute « La position de Bruxelles et Paris est néanmoins délicate : un flottement du soutien de l’UE à Ouagadougou pourrait favoriser l’arrivée de puissances concurrentes, dont Moscou ».

Et que s’est-il donc passé jusqu’ici en guise de soutien de l’armée Burkinabè ?

Serait-ce donc la peur de la montée de l’influence russe qui pousserait la France à accroitre son aide ?

Pour l’instant on sait qu’il existe des instructeurs Français, que l’armée française intervient lors d’opérations de ratissage à la demande des Burkinabé, et qu’elle intervient aussi ponctuellement par voie aérienne pour pallier au manque d’avion burkinabè, parfois pour apporter de la nourriture, ou rapatrier des troupes en difficulté comme cela s’est passé à Inata…

Par ailleurs, plusieurs fois à la suite d’attaques importantes de colonnes de motos, les commentateurs burkinabè se sont étonnés que l’armée Burkinabè ne soit pas informée alors que les services de renseignements, français et américains disposent de satellites qui scrutent la région en permanence.

Le choix des partenaires  internationaux du nouveau pouvoir. France ou Russie ?

Les assises nationales ne trancheront sans doute pas des questions internationales notamment de la diversification des partenaires dans la guerre.

Si les drapeaux russes n’étaient pas si nombreux, lors de la dernière insurrection en soutien au capitaine Traoré, il reste que le rejet de la France et la demande de son départ du Burkina ne cesse de progresser, dans l’intelligentsia comme dans la population. C’est d’ailleurs la raison essentielle de l’appel à la Russie, souhaitée par une partie de la jeunesse, qu’il ne faut cependant pas surestimer, pays sur lequel la population est bien moins informée qu’ici en Europe. Encore que, selon un de mes amis Ouagalais, « en fait on a l’impression que beaucoup de Burkinabè souhaitent se tourner vers la Russie. Mais ce n’est pas vraiment exact. C’est surtout que ce ont les partisans de la Russie qui parlent plus fort ».

D’ailleurs la Russie semble avoir de grandes difficultés dans la guerre qu’elle mène, y compris quant à la disponibilité en matériel si l’on en croit les médias occidentaux.

Actuellement. Le chef de Wagner, présent en Centrafrique et au Mali, a déjà proposé ses services, Mais a-t-il vraiment les moyens d’une nouvelle intervention ? Et la mauvaise réputation de cette organisation de mercenaires pénètre aussi les frontières du Burkina. Une bonne partie de l’opinion, notamment parmi les intellectuels et la classe politique s’oppose à l’arrivée de Russes au Burkina, privilégiant une amélioration de la qualité opérationnelle de l’armée qui a reçu de très importantes dotations financières depuis quelques années. D’où une forte attente après les coups d’État de la part de la population. Le débat fait rage sur Facebook, à la radio et sur les plateaux télés et les positions sont loin d’être unanimes.

La capitaine Traoré a été questionné plusieurs fois sur cette question. Ses réponses restent encore plutôt vagues. Il a surtout souhaité une diversification des partenariats, évoquant aussi les États-Unis, sans s’exprimer clairement sur la fin de celui avec le France, précisant que l’armée burkinabè recevait déjà du matériel russe. Il ne s’est pas non plus prononcé  pour le départ de la base française. Une question qui reste donc ouverte.

Le Burkina traverse de nouveau une période  cruciale de son histoire. J’entends dire parmi mes connaissances que les assises nationales qui se préparent seront plus inclusives que celles de 2022, alors que d’autres évoquent le manque d’ouverture du nouveau pouvoir.

L’espoir reste-il  permis. ? On ne peut que le souhaiter tant ce pays et son peuple sont meurtris depuis bien trop d’années déjà.

Bruno Jaffré

Source : https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/141022/octobre-2022-coup-d-etat-insurrection-le-burkina-rebat-ses-cartes

[1] Il a pris la direction de l’hebdomadaire directeur de Bendré. Les informations sont-elles crédibles ?  Il est probablement bien informé par l’ancien directeur de ce journal, Cheriff Sy, ancien membre influent de la société civile, qui fut président du conseil national de la Transition en 2014 2015, puis ministre de la défense dans un des gouvernements sous Rocha Kaboré

[2] Nous avons évoqué dans un précédent article l’immeuble luxueux de  3 étages de l’ancien directeur de l’ANR (Agence Nationale de renseignement affichant une richesse indécente et arrogante. Un  exemple parmi d’autres.

[3] Voir aussi L’insurrection inachevée, Burkina 2014, Bruno Jaffré, Syllepse, 2019, 3196 pages où figure le récit détaillé de la mise en place de Transition.

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