Le premier est le Che africain, révolutionnaire sincère qui croyait en ce qu’il faisait.

Le second, journaliste engagé et esprit libre s’il en faut. Épris de justice sociale comme le premier.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’y a pas eu d’atomes crochus entre ces deux hommes à la personnalité bien trempées. Seule peut être la date de naissance (1949) et leur destin tragique lient ces deux hommes qui ont marqué l’histoire tumultueuse du Burkina Faso.

Pourtant Thomas SANKARA et Norbert Zongo ne se sont jamais « bien croisés » ni bien collaboré. Pourquoi ? On ne saurait le dire exactement…

Peut-être parce que Norbert ZONGO était un personnage si jaloux de son indépendance pour se soumettre à une quelconque discipline militante qui risquerait de le transformer , lui le journaliste, en propagandiste de la révolution !?.

Le fait est que convié par Sankara pour collaborer au rayonnement de la révolution, il a refusé net. Il se murmure que par ce refus cinglant, il a eu des soucis avec les CDR. Il n’a donc été ni acteur, ni participé à proprement parler à la revolution sankariste. Cela explique t-il ses analyses très critiques , à la limite à charge contre cette période du CNR ?  Ces analyses sont assez fines et donne des informations inédites sur le 15 octobre 87.

Dans les articles qui suivent nous vous livrons :

1) L’analyse de N.ZONGO (Henri Zongo signait ses articles H. S. pour Henri Segbo) sur les causes du coup d’état sanglant du 15 octobre 87 publiée dans  L’Indépendant n°065 du 18 octobre 1994

2)- Une réaction des lecteurs et la  réponse de N.Zongo paru dans le courrier des lecteurs de L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

 Karim de Labola


15 OCTOBRE 1987 LES VRAIES CAUSES

  1. Quand la crise qui déchirait le gouvernement militaire du CSP II (Conseil de salut du peuple) atteignit son paroxysme, trois grands groupes s’organisèrent chacun pour s’accaparer du pouvoir d’État:

-Un groupe d’officiers réunis sous une base régionale avec la bénédiction de religieux très influents. Ils comptaient faire d’une pierre deux coups. Ils contraient le communisme International et mettaient à la tête de la Haute Volta un fils de la région, en l’occurrence un ancien dignitaire du régime des colonels; le CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national).

-le deuxième groupe était composé d’officiers de renom dont l’action avait permis la chute du CMRPN et l’avènement du CSP I. Ils estimaient qu’ils avaient fait le putsch pour les autres. Le leader-l’aîné-qu’ils auraient bien voulu voir à la tête du pays a été purement et simplement écarté en faveur d’un “inconnu” presque usurpateur;

-le troisième était formé de jeunes officiers taxés de communistes à tort ou à raison, et unis par la répression des autres. C’était le groupe le plus actif. Parmi les civils, il jouissait d’un soutien considérable, de l’aide la plus sûre et la plus active, surtout des jeunes.

Un quatrième groupe formé d’un corps d’armée n’eut que des velléités putschistes. C’est pourquoi nous ne le mentionnons pas.

Tous les partis dits progressistes et tous les progressistes accusés d’être des communistes et qui avaient peur de la répression probable des anticommunistes ont trouvé en ce troisième groupe un allié naturel. De nombreux civils rejoignirent Pô pour la ”résistance”.

Ce troisième groupe avec des camions d’un projet canadien, déferla sur Ouagadougou et s’empara du pouvoir d’État. ll précédait de quelques heures le deuxième groupe, au grand dam des religieux et de tous les anticommunistes.

Le capitaine Thomas Sankara avait envoyé un émissaire rencontrer les Putschistes à l’entrée de Ouagadougou au bar “Le Vodou” pour leur dire d’arrêter l’action parce qu’un compromis avait été trouvé avec le Président Jean Baptiste Ouedraogo. Les jeux étaient déjà faits. Les soldats d’élite du Centre national d’entraînement commando (CNEC) avec leur tête le capitaine Blaise Compaoré prirent le pouvoir. Le Conseil national de la révolution (CNR) fut proclamé. Dans la nuit du 4 Août 1983, le destin de notre pays se joua.

La Haute Volta devint le Burkina Faso une année plus tard.
Légende ! Charme et candeur d’une légende qui étancha Ia soif d’une génération africaine très tôt sevrée de luttes et en quête de héros pour s’identifier !

D’un putsch, d’un conflit d’hommes et d’intérêts, elle fit une révolution, se fabriqua des héros et se mit à rêver. Rêver. “A bas ! A bas ! A bas ! ” On abattit, on s’abattit et on finit abattu.

Puis l’aube fulmina sur le rêve le soir du 15 octobre 1987, cette génération mit du temps pour comprendre que tout cela n’était qu’un vulgaire putsch vernis d’idéologie. Trop tard.

Mais pourquoi le 15 octobre 1987 ?

«Peuple de Haute-Volta, aujourd’hui, encore, les soldats, sous-officiers et officiers de l’Armée nationale et des forces para-militaires se sont vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’État pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté...»

C’est par cette déclaration que les putschistes du 4 Août annoncèrent l’avènement du Conseil national de la révolution (CNR).
Dans ses termes et dans son contenu, cette déclaration rangeait l’action des commandos dans la droite ligne des nombreux putschs que notre pays a connus. C’était un putsch de plus. Peut-être le putsch le plus mal organisé que notre pays a connu, parce qu’il fallait faire vite, il fallait devancer les autres. Seul l’aspect militaire de la question préoccupa les stratèges du moment. L’aspect politique et organisationnel a été minimisé. Il fallait être le premier. Le putsch réussi, il fallait désigner un président et définir les orientations politiques du nouveau pouvoir. L’homme-orchestre, le ”héros” de la résistance était le capitaine Blaise Compaoré qui venait de réussir le coup d’État. C’était à lui le fruit du putsch : le pouvoir

Réunis rapidement autour des parrains du coup d’État (un ambassadeur et un chef d’État d’un pays voisin), les putschistes examinèrent, la question. Le capitaine Blaise Compaoré proposé pour être logiquement le président se désista.

Manque d’assurance de soi ? Flair du danger que constituaient les autres putschistes pris de cours ? etc. ?
Rien n’était suffisamment clair dans la gestion de la victoire du 4 Août 1983, pour décider un homme très prudent et très méfiant de tempérament comme le capitaine Blaise Compaoré afin qu’il sautât pieds joints à la tête d’un pouvoir apparemment très précaire. Mais l’histoire nous dira un jour pourquoi il a refusé ce jour de jouir des fruits de son putsch. Tout est parti de là.
Au cours de cette même première réunion, le Parti africain de l’Indépendance (PAI), grand acteur civil du putsch parla de révolution et imposa la Révolution.

Le Capitaine Sankara Thomas fut propulsé à la tête du nouveau pouvoir conquis par les putschistes et leurs parrains. La personnalité et l’expérience (très courte mais incisive) du promu avaient milité en sa faveur.

Tout est donc parti de ce jour-là: un putsch hâtivement préparé sur le plan politique, mené avec dextérité sur le plan militaire, des putschistes qui se voyaient contraints de mettre un non-putschiste à la tête du pouvoir conquis, mais aussi obligés de rester sous la tutelle idéologique de civils. Beaucoup d’improvisations dès la naissance du CNR. Le départ était faussé.

Les révolutionnaires du 4 août 83On ne transforme pas impunément un putsch en révolution. Ce n’est pas une question de vocabulaire, mais une question de bon sens. La plupart des acteurs du 4 Août 1983 espéraient des rentes politiques, même s’ils ont suivi le chef comme ce fut le cas des commandos. Mais après le putsch et la tournure que prirent les affaires, il n’y avait plus grand chose à espérer.

Dès ces premiers instants, le CNR se fit des ennemis en son propre sein. L’opportunisme des uns et des autres fera le reste.
Comme tous les régimes militaires de notre pays depuis le 3 janvier 1966, le CNR eut ses bras politiques civils.
Seulement à la différence des régimes précédents, le CNR regroupa les groupes les plus radicaux dans la gestion du pouvoir d’État: des hommes et des partis dits de gauche “qui s’entendent pour ne pas s’entendre”.

Certains d’entre eux étaient capables de discuter des heures durant pour déplacer une virgule. Et s’il y a bien un domaine où les hommes peuvent s’opposer de façon continue c’est bien celui des idées.
Or le CNR était supporté par des partis de gauche dont la plupart des militants et dirigeants étaient restés des étudiants. Résultats : une révolution livresque, greffée sur un putsch classique et dirigée par des gauchistes jaspineux en surface mais des militaires dans le fond.

Un livre de cuisine servait à concocter les sauces trop salées ou trop fades… (il y avait toujours un ingrédient en moins ou en trop) : le Discours d’orientation politique (DOP).

Mais la plus grande spécificité de ce putsch du 4 Août 1983 fut sans doute son parrainage qui se fit hors du giron français. C’était bien une première. Pendant que Guy Penne, conseiller à l’Élysée croyait avoir résolu le problème des jeunes et fougueux officiers voltaïques en faisant arrêter le capitaine Sankara, le coup d’État intervenait quelques jours après son passage à Ouagadougou. La surprise devait être totale du côté français.

En résumé, trois facteurs ont été à la base de l’échec et de la disparition du CNR et de son président :
-le premier était humain. La Révolution, bien qu’improvisée prit rapidement l’allure de l’imagination fertile du président du CNR qui semblait exceller dans l’improvisation. Et il n‘y avait que l’improvisation à faire.

Fort de son capital de théorie révolutionnaire livresque, Sankara n’eut apparemment pas du mal à transcender. Des «quatre héros» de la Révolution il était le tribun et le plus rhétoricien. Son aura ne tarda pas à éclipser les autres y compris l’acteur principal du putsch, le capitaine Compaoré.
Un an plus tard les Voltaïques s’aperçurent que la Révolution pouvait vivre plus longtemps que prévu. Mêmes les révolutionnaires furent surpris.

Plus on avançait, plus le capitaine Sankara dominait civils comme militaires au sein du CNR. La guerre des numéros avait commencé : le numéro un écrasait de son charisme et de sa personnalité les autres numéros à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Les autres numéros ne pouvaient briller que par ricochet, par référence au numéro un. Dans les légendes du genre, il n’y pas de place pour plusieurs héros. Il n’y eut qu’un seul. N’oublions pas que la Révolution fut improvisée et que seule la menace qui planait sur les officiers dits progressistes les unissait. Camaraderie de circonstances, fraternité de façade, dans la réalité, rien de fondamentalement sérieux n’avait uni ces quatre “héros” de la Révolution…

Nous n’étions pas en face d’une révolution guévariste, castriste ou à la Raul Santrique des Toupamoros où l’idéologie a été le graphique référentiel de l’action. Nous avions ici un putsch classique que le hasard des circonstances et la volonté des gauchistes civils avaient transformé en révolution. Le facteur humain fut très capital. Il n’était donc plus question que d’honneur, de gloire et d’avantages à gérer. Individuellement !

A plusieurs niveaux, les putschistes faisaient savoir qu’ils étaient bien à l’origine du pouvoir et du CNR. Certains simples soldats du CNEC accordaient très rarement le respect dû à leurs grades à des officiers de l’armée.

Sur ce facteur humain, il faut retenir le sentiment des putschistes et de leur chef d’avoir fait le lit du pouvoir pour qu’un Sankara vienne s’y coucher avec une «arrogance» idéologique et jouer au donneur de leçons.

La motivation idéologique étant absente, tout concourait à la lente mais inexorable germination d’une vulgaire jalousie d’épouses de polygame.

Cette jalousie fut entretenue, encouragée, suscitée parfois au besoin par des détracteurs du régime qui tenaient à le voir disparaître.

On cite le cas de cet ancien homme politique qui ne perdait pas une seule occasion pour exprimer sa colère et son indignation au capitaine Compaoré en ces termes : « Tu n’es pas un digne fils. Comment peux-tu conquérir le pouvoir pour le remettre à un peulh !».

Si ce genre de phrases faisaient sourire au départ, elles finirent par faire réfléchir avec le temps et le charisme de Sankara ;
Pire, qui parle de problèmes humains, parle de problèmes sentimentaux. Un ingrédient de trop dans le pourrissement des relations entre les capitaines Blaise Compaoré et Thomas Sankara.

-le deuxième facteur qui a précipité l’échec du CNR était politique. Ce fut un facteur interne. Tâtonnement au niveau des mots d’ordre improvisés, luttes d’influence au niveau des idéologues-du-dimanche qui s’enfermaient pour tailler des plumes et réapparaître aux yeux des populations comme les garants de la Révolution ; avènement de délinquants «intellectuels» aux postes de responsabilités. Parfois parachutés dès l’université, tout heureux d’avoir un emploi, la plupart d’entre eux s’illustrèrent par des excès avec cette peur de voir la Révolution tomber, ce qui signifiait un retour au chômage. Ils exacerbèrent les tensions au sein de l’instance dirigeante du CNR et de sa révolution. Il en fut de même de certains militants, fonctionnaires ou militaires qui, par opportunisme clamaient la Révolution mais la torpillaient dans le noir par leurs comportements ou leurs paroles.

Dans ce, domaine, il ne serait pas juste de donner la palme aux seuls CDR. Double langage, double jeu, népotisme et opportunisme minèrent les bases de la Révolution.

Du CNR et de sa révolution, seuls y croyaient Thomas Sankara et quelques très rares fidèles. Depuis la nuit de sa proclamation(le 4 Août 1983) jusqu’au 15 octobre 1987, ils furent très nombreux qui levèrent le poing, firent des discours tonitruants sans jamais croire en la Révolution. La plupart avaient une raison particulière d’être «révolutionnaires». Chacun avait sa raison, sauf la vraie raison révolutionnaire ;

-le troisième facteur fut l’environnement extérieur. Si la Révolution burkinabè était une fierté pour la jeune génération africaine, elle constituait un cauchemar pour nos voisins immédiats à l’exception du Ghana. Le président Houphouët Boigny sentait plus que tous, les menaces que constituait pour lui le régime burkinabè. Son ami Eyadéma n’était pas en reste. Coincé entre trois révolutionnaires (Ghana, Bénin, Burkina), il étouffait.
Le vieux crocodile qui mange des capitaines» ne pouvait laisser vivre un tel régime à sa porte. «C’est la sécurité du voisin qui fait votre insécurité», disait Henry Kissinger.

Le Burkina était devenu le refuge de tous les opposants à travers le continent par le biais de la solidarité révolutionnaire.

La France, écartée pour la première fois des affaires d’une de ses colonies de l’Afrique au Sud du Sahara n’avait pas dit son dernier mot. Ce fut le capitaine Blaise Compaoré que le CNR mandata pour expliquer les objectifs de la Révolution du 4 août 1983, lui qui avait tenu tête aux groupes soutenus par Paris durant la crise du CSP II.

En résumé : des conflits, des rivalités de personnes dans la gestion d’un putsch révolutionnarisé, torpillé de l’intérieur et qui causait des nuits blanches à des spécialistes de la subversion en Afrique comme la France. Trop c’est trop.

Un seul de ces facteurs que nous avons cités eut suffi. Puis la crise entre les «héros» de la Révolution en général et particulièrement entre les capitaines Sankara et Blaise Compaoré atteignit son paroxysme, véhiculée par une diabolique horde d’hypocrites, de délateurs et d’opportunistes.

Derrière le capitaine Thomas Sankara s’étaient alignés des «révolutionnaires» qui ne cessaient de le mettre en garde contre les visées putschistes de Blaise Compaoré. La plupart d’entre eux espéraient secrètement une redistribution des cartes au sein du CNR.

Derrière le capitaine Blaise Compaoré se sont rangés des opportunistes de tout poil ou orphelins d’un putsch qui leur a été ravi. Chaque camp, pour ne pas dire clan nourrissait le secret espoir de voir changer avantageusement les choses. N’oublions pas que ce ne fut pas une bataille idéologique, mais un conflit d’intérêts. Entre les deux rangs il y avait les non-alignés, la pire espèce de taupes opportunistes, des situationnistes.

Le déclenchement du compte à rebours de la fin du CNR eut lieu le 4, juillet 1987. Sur insistance de plusieurs cadres dont le capitaine Blaise Compaoré une réunion s’est tenue ce jour pour dresser le bilan du CNR.

Débutée à 9 h du matin, elle s’acheva le lendemain à 11 h. De sources proches de la réunion, la plupart de ceux qui prirent la parole avaient quelque Chose à reprocher au président du Faso : «Spontanéisme, mots d’ordre à l’emporte-pièce, tendance autocratique dans la gestion du pouvoir, etc.».

Les critiques furent tellement virulentes qu’à un moment le bureau de séance proposa sa démission. Une suspension de séance permit de calmer les esprits avant de poursuivre les débats.

Mais cette seconde reprise fut encore beaucoup plus dure et plus éprouvante pour les nerfs du président Sankara : il proposa cette nuit sa démission. Elle fut refusée. Les débats continuèrent.

Aux dires de certains participants, au cours de cette réunion du 4 juillet 1987, seuls les civils menèrent les débats. Les trois autres leaders de la Révolution (Blaise Compaoré, Henri Zongo, et Jean Baptiste Lingani) ne prirent pas la parole pour confirmer ou rejeter les critiques. Motus et bouche cousue.
Mais comme nous l’a dit plus tard l’un des participants, les trois autres semblaient tirer les ficelles dans l’ombre.

Le président Sankara au sortir de cette réunion, s’isola un peu plus. Au nombre de ceux qui avaient formulé les critiques, il y avait des gens sincères qui souhaitaient voir changer la situation. Mais à ce stade, “tous ceux qui ne sont pas pour moi sont contre moi”.

Tout alla très vite après le 4 juillet 1987. La crise atteignit un stade de non retour avec la saison des tracts contre Sankara et son camp ou contre Blaise Compaoré et le sien. La grossièreté du ton laissait transparaître une haine féroce des rédacteurs. Il était désormais clair qu’un camp était de trop.

Les rumeurs d’un coup d’État s’accentuèrent. Haine de potiers (soigneusement couvée dans les jarres), colère de vendeurs de piment… et au bout de la chaîne réaction de bouchers devant un os dur.
Les «inconditionnels» des deux hommes piaffaient d’impatience d’en découdre. On nous a narré cette histoire d’un commando célèbre qui, voyant marcher Sankara et Compaoré côte à côte s’interposa pour les séparer. Réactions ? Il n’y a rien eu. Il nous sera rapporté plus tard que «l’intrépide» était en tête de la section qui ouvrit le feu ce soir du 15 octobre sur Sankara.

Le drame qui se jouait ne prévoyait pas un autre épisode, celui par exemple de l’arrestation. Ce n’est pas avec une telle haine que l’on opère des arrestations. Les timides tentatives des parrains pour trouver une solution politique ne changèrent rien à la situation. Des officiers jurèrent sur l’honneur de ne point se tuer : le résultat est connu. Chacun des deux camps faisait le maximum de «recrutements» dans le milieu civil comme militaire avant le grand combat.

Aux dires des acteurs de l’époque, le président Sankara avait perdu le contrôle du CNEC au profit de son rival. Par contre, il jouissait d’une plus grande estime au niveau du reste de l’armée.

Nous n’avons pas d’informations nous permettant d’affirmer ou de nier que le président Sankara préparait un coup d’État pour 20 heures. Mais nous savons de sources concordantes que la déclaration lue après la liquidation du président du CNR a été rédigée sept jours à l’avance. Ceux qui l’ont rédigée s’attendaient à une arrestation, d’où la fougue et les injures qui choquèrent l’opinion publique. Il fallait minimiser la haine entre les deux groupes pour le penser.

En tenant compte du facteur extérieur dont nous avons parlé, il est logiquement possible que l’étranger ait prêté main forte au camp du capitaine Blaise Compaoré s’il en a fait la demande. Mais l’aspect militaire de la question importe peu. Il est encore très tôt pour en parler. Après le 15 octobre 1987, nombreux ont été ceux qui furent surpris du retournement de veste d’anciens partisans de Sankara. Il n’y avait pourtant rien d’étonnant.

Des gens étaient venus à la soupe, tant qu’elle est là, il n’y a pas lieu d’avoir des états d’âme. Tout était faussé dès le départ en cette nuit du 4 Août 1983. Un seul détail est demeuré : ce qui s’est passé cette nuit du 4 Août 1983 était un coup d’État. Rien que.

La troisième phase du régime militaire (la guerre des numéros) prit fin le 15 octobre 1987 à 16 heures pendant que Sankara et un groupe d’une dizaine de personnes réfléchissaient à la création d’une structure à la place du CNR. La haine ne laissa sortir personne. Contrairement à cette idée répandue qui dit que le président Compaoré était abattu et affligé après le putsch, de sources bien informées nous avons appris qu’il était bien détendu. Logiquement il devait l’être.

Lorsque les rédacteurs des déclarations de la «rectification» virent soustraire le mot révolution dans la proclamation «Front populaire révolutionnaire» par le nouveau numéro un , ils comprirent, mais un peu tard que la comédie révolutionnaire était finie. On retournait à la case départ de la nuit du 4 Août 1983.

«En politique si vous êtes cause que quelqu’un devienne grand, vous courrez à votre perte », a dit Machiavel. Nous ne jugeons pas les morts. Mais nous pensons que «Sectaire, autocrate, traître, camarade qui s’est trompé »,«Héros du peuple», Sankara donnait l’impression de croire en ce qu’il faisait. Le réussir était une autre chose sans doute. Mais nous avons eu cette impression qu’il y croyait. Il s’était aperçu trop tard qu’il était presque seul en cette année 1987. Et l’Histoire continue.

H.S.

Source : L’INDÉPENDANT n°065 du 18 octobre 1994


COURRIERS DES LECTEURS

L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

Ouagadougou, le 25 octobre

M.le Directeur du journal L’Indépendant. J’ai lu avec intérêt votre article sur le 15 Octobre. J’ai été très déçu par votre analyse. Avez-vous eu peur d’appeler un chat un chat ou quoi ? Vous pouvez mieux faire. Alors pourquoi ? Ce qui s’est passé le 4 Août 1983 a été une véritable révolution. Les saboteurs sont venus plus tard. H.S.vous devez le reconnaitre. Vous le savez. Il faut le dire. Sankara est venu pour sauver le pays. Il avait ça en tête. C’est un digne fils de notre Burkina et de notre Afrique vous devez le dire. Il faut rester honnête car on vous reconnaît votre honnêteté. Ce n’est pas le moment de reculer. L’action des CDR est aussi à saluer, même s’il y a des défaillances M.le Directeur votre analyse a raté cette fois. Sankara n’est jamais resté et ne restera jamais seul. Des millions et des millions d’Africains vivent avec son image, sa pensée. H.S.vous le savez très bien, dites-le sans peur. Votre analyse ressemble trop au point de vue des communistes du PCRV. Un journaliste de votre renommée doit rester neutre dans ses analyses. Nous pardonnons cette première erreur que nous n’oublions pas ce que vous faites pour ce pays. M.H.S.votre analyse a été décevante. Mais courage tout de même.

Yves Ouédraogo


La réponse de Norbert Zongo alias Henri Sebgo

Monsieur Yves. Vous n’êtes pas le seul à réagir à cet écrit. Mais la plupart ont réagi verbalement. Nous avons été accosté en plusieurs endroits par des gens qui nous ont dit du mal de l’écrit : «manque d’objectivité, refus de reconnaître les mérites du Conseil National de la révolution ( CNR), refus de reconnaître les mérites de Sankara etc. ».

Un de nos amis nous a dit ceci : «C’est bel et bien le capitaine Sankara qui a tenu à ce que le capitaine Blaise Compaoré fut affecté à Pô».

Quand nous écrivions l‘article, nous savions que beaucoup réagiraient négativement pour deux raisons :

  • La première et la plus évidente est que les acteurs du CNR (et ils sont nombreux) sont vivants et parfois aux commandes des affaires. Or nous n’avons pas été acteur. Donc nous ne pouvions pas être au parfum de certains développements de la situation qui a prévalu entre Sankara et les autres.Cependant l’analyse que nous avons faite se fonde sur une logique politique. Nous n’avons pas jugé le CNR seulement à partir de son existence mais après sa disparition ;
  • la deuxième raison est que le capitaine Sankara a marqué profondément et passionnément beaucoup de burkinabè qui restent attachés d’une manière ou d’une autre à lui. Or en analyse politique, il faut éviter autant que faire se peut la passion parfois aveugle. Elle obstrue le jugement. La prétention d‘une analyse du genre est de mâcher la situation pour le plus grand nombre. Une prétention.

Nous n’avons pas joué un rôle ni de près ni de loin dans le CNR, mais nous pouvons vous affirmer une chose : Sankara avait ses idées avant l’avènement du CNR. Nous l’avons reconnu et nous lui avons rendu hommage en écrivant : «Il croyait en ce qu’il faisait». Croire en ce qu’on fait, c‘est vivre intensément sa vie. Sachons comprendre les mots et les images qu’ils véhiculent. Nous ne reviendrons pas sur le débat qui nous a opposé aux CDR de l’époque : le 4 août 1983 n’est pas une révolution, et un coup d’État ne peut pas être une révolution. Pour la petite histoire nous en avions débattu de 15 h à 12 h le lendemain à Yaoundé au Cameroun avec des CDR.

Si notre position est identique à celle du PCRV nous n’en voyons pas de drame. Nous avons eu plusieurs points de vue qui ont été partagés par de nombreux burkinabè sur plusieurs sujets.

Il vous faut vous départir de la classification facile qui amène l’exclusion. Au stade où nous sommes au Burkina ce n’est plus une question de communisme et de catholicisme ou d’islamisme. Nous sommes à un stade où il faut se battre pour la survie de la Nation et celle des individus. De grâce, ne vous enfermez pas dans un combat d’arrière garde. Rappelez-vous du piège de 1958. Ceux qui voulaient l’indépendance et l’unité de l’Afrique étaient des communistes, ils prônaient le non. Les autres étaient les hommes de Dieu ils votaient oui. Le résultat a été la balkanisation de l’Afrique, la venue au pouvoir de médiocres tyrans, petits rois nègres au service de Paris. Personne n’échappa et personne n’échappe.

Et l’expérience a démontré que ceux qui sont venus au pouvoir en tant qu’hommes de Dieu (par opposition aux communistes) ont toujours été contre Dieu par leurs tueries. (Nous n’oublions pas que des hommes aussi ont tué au nom du communisme).

Pour revenir au CNR nous disons que Sankara était seul à la fin. Nous parlons de la direction du CNR et non des militants de la révolution. Nous reconnaissons que certains de ces militants croyaient en la révolution. Il y a des CDR qui sont toujours respectés et écoutés dans leur milieu. Il y a malheureusement aussi ceux qui étaient venus pour manger les chèvres et les porcs en divagation.

Bref, Monsieur Yves sachez une chose : Sankara avait une aura, il fut une échelle pour les uns et les autres. On s’en est servie. Il le sut très tard, peut-être. Mais il croyait en ce qu’il faisait.

Norbert Zongo dit Henri Sebgo

Source : L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

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