Jonas Hien
Le contenu de cet article constitue l’intervention de Jonas Hien qu’il a présentée durant le symposium organisé à Ouagadougou en octobre 2007 à l’occasion de la commémoration du 20eme anniversaire de la mort de Thomas Sankara. Jonas Hien est président de la Fondation Thomas Sankara pour l’humanité. Il a beaucoup bavardé avec Joseph Sankara de qui il a tiré la plupart des anecdotes relatées ici.
Thomas Sankara l’enfant
Thomas Sankara et les réalités coloniales
Thomas Sankara, homme intègre déjà tout petit
Thomas Sankara, l’humaniste
Les pas de Sankara vers l’armée
Thomas Sankara l’enfant
Ecolier à l’école primaire publique de Gaoua, au sud-Ouest du Burkina Faso, à 400 km de Ouagadougou, la capitale, c’est là qu’il découvre les réalités de’ la colonisation et éprouve ses premiers ressentiments. Du coup, ses premières révoltent naissent et forgera plus tard l’homme Thomas Sankara dans sa lutte contre toute forme de domination. En effet, déjà écolier, il n’admet pas que le territoire sur lequel il vit, patrie de ses parents, soit dirigé par des étrangers, les Blancs Colons. Les Voltaïques (appellation des Burkinabè à l’époque), propriétaires de leurs terres sont soumis aux Blancs de la France coloniale.
Thomas et les réalités coloniales
A quatre jours de la proclamation de l’indépendance de la Haute-Volta, c’est-à-dire le premier août 1960, l’écolier Thomas Sankara est informé comme tous les habitants de la ville de Gaoua et de tout le pays, que “la force des Blancs” sur le territoire voltaïque prendra fin le 5 août 1960. A cette date, le pays deviendra indépendant. Le nouveau drapeau du pays bientôt indépendant lui est présenté. Le petit Thomas demande pourquoi il faut attendre ce 5 août pour opérer des changements. On lui fait comprendre que les Colons n’admettront pas l’anticipation. Le drapeau national ne sera hissé qu’après la proclamation officielle de l’indépendance du pays. Thomas est fâché. Il arrache une feuille vierge de son cahier et y matérialise.
le nouveau drapeau voltaïque aux couleurs Noir Blanc, Rouge (les couleurs du drapeau du pays au temps où il s’appelait la Haute Volta. Il n’a pas du temps à perdre. Les Blancs doivent partir.
Ce premier août 1960, il rassemble les écoliers de l’école autour du drapeau du colonisateur et leur dit: «II paraît que dans quatre jours, la force de ce drapeau va finir. Ceux qui veulent attendre encore quatre jours n’ont qu’à attendre. Nous, on n’a pas de temps à perdre ». Joignant l’acte à la parole, Thomas fit immédiatement descendre le drapeau colonial, attacha la feuille sur laquelle fut matérialisé le nouveau drapeau, entonna seul un “hymne national” qu’il venait d’improviser, et fit monter les nouvelles couleurs de la Haute-Volta sous les applaudissements de ses camarades. «Voilà, nous sommes indépendants ici à l’école» déclara-t-il à ses camarades.
Les petits Blancs, écoliers eux aussi, qui ont assisté à cette scène jugée téméraire, ne veulent pas avaler aussi facilement cette humiliation. Dès que Thomas tourna le dos, ils s’emparèrent du “drapeau de Thomas”, le firent descendre, l’arrachèrent et coururent dans leur famille. Thomas fulmine de rage. Il désigne certains de ses camarades, dont son frère cadet, et leur confie cette mission: “rejoignez les dans leur maison. Même si leurs parents sont présents, ne ressortez pas sans notre “drapeau”. Ainsi dit ainsi fait. Les petits Blancs sont envahis dans leur propre cour et voilà la mission accomplie.
Pour le Commandant du peloton, cela est une provocation de Joseph Sankara, père de Thomas Sankara par son fils interposé. Il ne pouvait s’imaginer un tel scénario à une telle époque. Alors, il fait convoquer le père et lui intime de “régler” le comportement de son enfant. Mais le père ne tremble pas. Il affirme que son fils est bien droit et le régler serait au contraire le tordre. L’incident sera clos quand le père bénéficiait de l’appui de la population.
Thomas Sankara~ homme intègre déjà tout petit
A l’occasion des fêtes de Noël et du Nouvel An, Thomas Sankara invite bon nombre de ses camarades écoliers à une réunion et donne une consigne stricte: les petits Blancs sont interdits d’accès à la réunion. L’ordre du jour porte sur les fêtes de fin d’année. Il est question de cotisations pour l’organisation de soirées récréatives du groupe d’amis écoliers auquel il appartient. Au bilan financier de l’après fêtes, Thomas Sankara, trésorier pour l’occasion, a encore un petit solde dans la caisse. Il propose un partage égal à tous les contribuables. A l’unanimité ses petits amis renoncent à sa proposition, estimant que ce solde devait servir à récompenser ses efforts fournis dans l’organisation des fêtes. Thomas tente de les convaincre: « Je ne dois pas garder cet argent pour moi seul car je n~ai pas été le seul à cotiser». Mais il n’est pas entendu. Ses amis sont décidés à le récompenser pour son initiative et ses efforts. Le petit Thomas fait le compte rendu à son père. et à sa mère et il termine en ces termes: «Je donne trois jours à mes camarades pour revenir à la sagesse. Passé ce délai, si personne ne veut de cet argent, je creuserais un trou et je l’enterrerais. Moi aussi je n’ai pas le droit de garder pour moi seul ce qui appartient à plusieurs» .
Au troisième jour, il prend une pioche, prend son père et sa mère à témoin, et se dirige hors de la cour familiale où il tient à enterrer l’argent. Il est poursuivi et rattraper par sa mère qui lui retire l’argent, mettant ainsi fin au “cinéma”. Le même jour tous ses amis acceptent “passer à la caisse”. Thomas est ainsi content: «Quand on cotise ensemble, il faut partager ensemble», leur enseigna-t-il.
Thomas Sankara~ humaniste
Un mois plus tard, Thomas Sankara passe trois jours à boire l’eau mais refuse de manger. Il affirme n’avoir pas d’appétit et ne se sent pas mal à quelque part non plus. Il refuse aussi toute consultation médicale. Au troisième jour, c’est un petit
Thomas. Sankara, un peu amaigri, qui parle à son père: «Papa, en fait, j’ai refusé de manger pour voir ce que la faim peut causer
à une personne. Quand je vois où que j’entends dire qu’il y’a des gens qui font plusieurs jours sans manger et puis on leur refuse à manger je me demande comment ceux là qui ont faim le sentent. Après ces trois jours, j’ai toué compris. Abandonner ses sembla~/es dans la faim est un crime.»
Comme on le constate, la souffrance du peuple était une préoccupation pour Sankara dès son jeune âge.
Les pas de Sankara vers l’armée
Après son admission au Certificat d’Etude primaire (CEP), à Gaoua, Thomas refuse de suivre la voie souhaitée par les Blancs, c’est-à-dire poursuivre ses études au séminaire pour devenir un jour “un serveur de messe”. Il opte pour le Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, aujourd’hui deuxième grand établissement scolaire de la deuxième ville du Burkina Faso, pour la suite de ses études. Il quitte ainsi Gaoua et reste en contact permanent avec cette ville et ses parents qui y sont restés. Entre-temps, son père est muté à Ouagadougou. Après son admission au Brevet d’Etudes du Premier cycle (BEPC), il rejoint son père à Ouagadougou. Là-bas, le petit Thomas parle de son avenir avec son père. Il souhaite devenir un cadre des Eaux et Forêts. Le petit Thomas aime la nature et voudrait contribuer plus tard à la protéger. Un autre jour, il change d’avis et revient voir son père: «Papa, j’ai changé d’avis. Je voudrais devenir plutôt Docteur et c’est avec passion que je m’occuperai de la santé de la population de mon pays.» Le père est toujours d’accord avec les vœux du fils. Mais en attendant, il prévoit inscrire Thomas au Lycée Philipe Zinda Kaboré, l’actuel plus grand établissement du pays.
Entre-temps, Thomas apprend que le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) recrute trois candidats pour complément d’effectif en classe de seconde. Et voilà encore le jeune Thomas qui revient vers son père: «Papa, j’ai changé encore d’avis. Je suis au courant d’un test de recrutement pour le Prytanée militaire du Kadiogo. Je voudrais tenter ma chance. Papa, tu sais que tu es en train de devenir vieux. Si je maintiens de devenir Docteur, il va me falloir au moins sept années d’études encore. C’est trop, il faut que je trouve vite du travail pour t’aider et la famille». (Ces propos, Joseph Sankara vous les tient pour infirmer les propos selon lesquels son fils est allé dans l’armée à son insu.) Il est. admis au concours du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) en classe de seconde. Au PMK, il n’était pas un élément qui se faisait remarquer. Le déferlement de plusieurs professeurs noirs au PMK à cette époque va donner une autre vie à cet établissement et éviter chez les jeunes militaires un autre esprit: celui de l’analyse des événements. En effet, la “traite des noirs” n’a pas le même impact chez un élève enseigné par un professeur Blanc (pour qui la traite des noirs servait à développer l’Afrique et les colonies) que chez un élève “enseigné par un noir (pour qui cette traite a spolié l’Afrique et l’a laissée exsangue). Le jeune Thomas Sankara se nourrit donc de ces idées, jusqu’à l’obtention de son Baccalauréat, série D, et est envoyé à l’école de formation des officiers d’Antsirabé, à Madagascar, en compagnie d’un camarade de sa promotion, l’actuel colonel Jean Simporé. Ainsi débuta la carrière de Thomas Sankara.
Jonas Hien
« Je souhaite simplement que mon action serve à convaincre les plus incrédules, qu’il y a une force, qu’elle s’appelle le peuple, qu’il faut se battre pour et avec ce peuple […].
Je souhaite que cette conviction gagne tous les autres pour que ce qui semble être aujourd’hui des sacrifices deviennent pour eux demain des actes normaux et simples. Peut-être dans notre temps, apparaîtrons-nous comme des conquérants de l’inutile, mais peut-être aurons-nous ouvert une voie dans laquelle d’autres, demain, s’engouffreront allègre ment, sans même réfléchir […].
Et notre consolation sera réelle, à mes camarades et à moi-même, si nous avons pu être utiles à quelque chose, si nous avons pu être des pionniers; à condition bien sûr que nous puissions recevoir cette consolation là où nous serons.
Je souhaite qu’on garde de moi le souvenir d’un homme qui a mené une vie utile pour Tous ».