Le texte que vous trouverez ci-dessous est l’intervention d’Alfred Sawadogo prononcé le 22 mai 2008 lors d’une conférence organisée à Ouagadougou par le comité d’organisation du 20eme anniversaire de la mort de Sankara à l’occasion de la commémoration des jeunes pour demander la libération de Sankara en mai 1983.
1. Institution d’un Bureau de Coordination de l’action des ONG : « BSONG » ; instituée le 26 avril 1984. C’était la toute première institution du genre en Afrique, puisque par la suite, beaucoup de pays africains sollicitaient le BSONG pour les aider à ouvrir un tel Bureau. C’était déjà quand il était Premier Ministre sous le CSP 1 qu’il avait voulu ouvrir ce bureau. Mais comme vous le savez, il fut victime d’une machination politique et démis de ses fonctions, et mis aux arrêts. Quand il fut libéré, je le rencontrai le 14 juillet 1983, et il m’exposa ses idées et l’avantage d’avoir un tel bureau. Et c’est tout naturellement qu’il me fit appeler pour ouvrir ce bureau quand il revint au pouvoir avec la proclamation de la Révolution.
2. La Politique de coopération avec les ONG : cette politique consistait à encourager les ONG à s’investir d’avantage dans la construction de retenues d’eau, l’aménagement des avals de ces retenues et des bas-fonds, afin de promouvoir la production maraîchère. Et comme la plupart des producteurs ne visaient que la vente de leurs produits pour ne consommer que les mévendus, le Président m’avait instruit de solliciter la collaboration des Agents de l’Essor Familial pour organiser des démonstrations itinérantes de confection de plats locaux à partir des légumes existants, à même dans les jardins, pour que les nombreuses femmes maraîchères adoptent et intègrent dans le menu familial quotidien ces légumes si riches en nutriments. Le Président n’a pas eu le temps de mettre en œuvre ce dernier volet de sa politique car il a été assassiné avant. Par contre, il a eu le temps de voir que les ONG s’étaient vraiment mobilisées dans la construction des retenues d’eau. Certaines ONG disposaient de ressources financières suffisantes mais ne disposaient pas de ressources humaines compétentes pour mener les constructions dans les règles de l’art. Dans ce cas, le Ministère de l’Eau mettait gratuitement à la disposition de l’ONG la compétence nécessaire.
- Les plats locaux avaient commencé à avoir droit de cité à la Présidence du Faso lors des cocktails offerts aux hôtes de marque. Ce fut le cas quand le président reçut les Evêques de l’Afrique de l’Ouest conduit par Son Eminence le Cardinal Paul Zoungrana. Tous les plats étaient du terroir, et ce fut ainsi par la suite : le vouandzou et autres beignets de haricot figuraient en bonne place. Fini le caviar, le champagne et autres douceurs importées.
- Ennoblis donc à la Présidence du Faso, tous ces plats locaux avaient fini par faire perdre le complexe aux Burkinabé qui hésitaient encore à s’engager dans cette politique futuriste de consommer « Burkinabé ». Et aujourd’hui, il n’ya pas de honte pour le Gouvernement, dans le cadre de la lutte contre la vie chère, de proclamer « consommons Burkinabé », car ce fut un concept d’abord idéologique qui est devenu aujourd’hui simplement une logique économique.
- Le restaurant « Yidigri », implanté juste à gauche après l’Hôpital, offrait des mets du terroir d’une qualité irréprochable à des prix imbattables.
3. Autres actes s’inscrivant dans la politique de « consommer Burkinabé »
- Les vêtements en cotonnade locale : à la disparition du Président, l’on estimait que la cotonnade locale, entre les mains des ménagères, avait atteint une valeur de six cent millions par an.
- Le Président engagea un de ses conseillers à transformer le « soumbala » local sous forme de cubes améliorés pour faciliter sa consommation dans tous les milieux burkinabé. La recherche s’arrêta avec la disparition du Président.
- Le Président me dépêcha à Koubri en compagnie d’un prêtre qui était à l’époque le Directeur du BEL (devenu aujourd’hui OCADES). Il s’agissait d’aller conférer avec les moniales pour approfondir les recherches sur la conservation de longue durée de la bière locale de sorgho et de sa mise en bouteille, pour une consommation à la fois de masse et des milieux aisés.
- Je fus dépêché en Juillet 1987 à Douala au Cameroun, pour convaincre un grand industriel de la place, qui avait maîtrisé la technologie du froid et qui fabriquait des climatiseurs de bureau, des congélateurs et frigidaires, de venir exposer au SIAO. Car il n’y a pas de raison que le Burkina achète tous ces équipements en Europe ou en Amérique alors que ces mêmes équipements sont fabriqués ici en Afrique par un africain. L’opérateur a accepté l’offre avec enthousiasme, mais l’affaire n’eut pas de suite avec la disparition du Président.
- Enfin, un dernier fait entre autres : le Président me remit un petit appareil qui servait à décaper la peau fine de la tomate sans entamer la chair, de fabrication italienne. Pour, dit-il, que les artisans burkinabé démontent l’appareil et copient le mécanisme en y introduisant d’autres détails pour ne pas tomber sous le coup du plagiat. Le Président tenait à cette opération pour diffuser un tel appareil dans les zones très productrices de tomate, pour encourager la conservation des tomates entières dans des bocaux, à défaut d’avoir une usine de tomate concentrée, qui était dans ses projets. Malheureusement, les artisans de Somima, les meilleurs à l’époque, n’ont pas pu ouvrir l’appareil dont le mécanisme était protégé par un acier spécial qui empêchait son imitation. C’était juste après cet échec que le Président avait lancé le projet qui imposait à tout importateur de véhicules neufs, d’importer ces véhicules sans fauteuil et sans tapis. Ces accessoires seront fabriqués ici au Burkina par nos artisans, ce qui était une valeur ajoutée qui profitait aux Burkinabé. Et l’idée de concevoir une voiture « made in Burkina » faisait déjà son chemin. Et la création de la Chambre des Métiers du Burkina était imminente et une partie du local du Bureau de Suivi des ONG devait servir de siège à cette structure naissante.
Comme vous le constatez, la disparition du Président a mis fin à tous ces projets.
4. Un autre projet qui sous-tend toujours l’autosuffisance alimentaire, c’est la réhabilitation de l’Environnement à l’échelle nationale. Il m’en parlait assez souvent comme pour se convaincre d’avantage que le projet ‘tenait la route ». Entreprendre un vaste reboisement à partir du Nord du pays, jusqu’au Sud. Il disait que tout le pays devait s’y engager : l’Armée, les étudiants, les élèves, les ONG, les fonctionnaires pendant une semaine de leurs congés, les jeunes de tous les villages, etc. Et que si l’on survole le Burkina, que l’on se surprenne en constatant que partout tout est vert. Il n’a pas eu le temps de mettre en œuvre ce projet.
5. Enfin, à la même période, quand le Président proclamait « Consommer Burkinabé », pour ceux qui avaient eu l’occasion d’aller en mission en France, on pouvait lire sur des affiches qui couvraient littéralement les rames du Métro Parisien : « Sur trois produits achetés en France, deux sont fabriqués à l’étranger. Cela est mauvais pour l’économie. Consommer Français » ! L’on ne pouvait donc que louer l’esprit de prévision du Président Sankara qui recherchait la sécurité alimentaire pour les populations du Burkina…
Ouagadougou, le 22 mai 2008
Alfred Sawadogo Ancien Directeur du Bureau de Suivi des ONG (1984-1988).