ISBN : 978-2- 35639-300-5

Éditions Elytis, diffusion harmonia mundi

Août 2020, 224 pages, format 17 x 1.6 x 24 cm


Présentation de l’ouvrage (4ème de couverture)

Dans les années 1980, Armelle Faure, étudiante en anthropologie, découvre avec enthousiasme la Haute-Volta, pays à l’aube d’un grand changement sociétal, qui deviendra son « terrain » pour sa thèse d’ethnologue.
Au cœur d’un village bissa, plongée dans la révolution burkinabè menée par Thomas Sankara, l’auteur découvre un pays empli de mysticisme et de traditions séculaires. Les événements révolutionnaires se multiplient, le doute s’installe, mais le changement aura bien lieu, y compris dans le hameau bissa : c’est la naissance du « pays des hommes intègres », le Burkina Faso.
Affinant son regard sur la société africaine et sur le rapport du continent noir à l’Occident, à ce moment charnière de l’histoire burkinabè, Armelle Faure évoque avec nombre d’anecdotes ces années à côtoyer l’Afrique au cœur, enthousiaste et pétrie d’espoir.


Présentation de Armelle Faure (4ème de couverture)

Après un doctorat de l’École des hautes études en sciences sociales et un DEA de cinéma, Armelle Faure part au Burkina Faso, son premier terrain, où se déroule la révolution du président Thomas Sankara. Elle vit quatre ans sur place en dirigeant l’ONG Action internationale contre la faim. Puis elle travaille à l’amélioration de la vie des populations locales en Asie, en Afrique et à Madagascar dont vingt ans pour la Banque mondiale où elle est consultante, comme anthropologue, en agriculture et dans les grandes infrastructures, chargée de faire appliquer les règlements de la BM (“Social Policies ») en faveur des populations locales. Elle a écrit plusieurs ouvrages dont voici la liste.

Livres publiés

Bort-les-Orgues, les mots sous le lac : Récits et témoignages d’avant le barrage, Toulouse, Editions Privat, 2012.
Le Pays Bissa avant le Barrage de Bagré. Paris, SEPIA, 1996, 300p.
Voyage à Diên-Biên Phu. Retour aux racines, sur les lieux de la bataille. Bordeaux, Elytis, collection Grands Voyageurs, 2014
100 témoignages oraux. La vallée de la Dordogne et ses cinq grands barrages. Toulouse, EDF et les Archives de la Corrèze et du Cantal, 2016, 176p.
Révolution et Sorcellerie. Une ethnologue au Burkina Faso, Elytis, coll. Grands voyageurs, 2020, 224p.


Nos commentaires

Les productions littéraire, romans et essais, et cinématographique sont assez fournies, en France et surtout au Burkina qui exporte malheureusement peu ses livres. Faire figurer le nom de Thomas Sankara, très souvent sans le prénom d’ailleurs, dans un titre, qu’il soit au centre de l’œuvre ou à la marge, est-ce s’attirer une large diffusion ? Rien n’est moins sûr même si ce leader révolutionnaire, largement mythifié, commence enfin à trouver sa place au panthéon des principaux personnages historiques..

Armelle Faure n’a pas semblé utile de le faire. Pour autant son ouvrage traite largement de la révolution. Elle évoque souvent le charisme de Thomas Sankara qu’elle admire, non sans un regard critique sur la Révolution qu’il dirigeait. Mais l’essentiel de son ouvrage est ailleurs.

Elle s’attaque à un sujet peu traité. Comment d’ailleurs l’aborder alors que les pratiques traditionnelles, et la sorcellerie ne se laissent pas facilement connaître ? Lors de mes rencontres avec différentes personnalités, il est arrivé que cette question soit abordée, mais souvent l’interlocuteur évite de s’étendre, soit par mauvaise conscience d’y croire, soit par inquiétude.

Armelle Faure était une jeune ethnologue, « à la recherche d’un terrain » lorsqu’éclate la Révolution en Haute Volta, devenu le Burkina Faso. Après avoir publié plusieurs ouvrages, elle nous propose cette fois un livre de témoignages. Livre personnel autobiographique, elle nous raconte son expérience, ses aventures, parfois même évoque sommairement ses amours, ses amitiés.

Le titre fait référence à ce qui en fait le cœur, la pénétration, longue et pleine d’embûches, d’une société, où « l’invisible », « l’imaginaire » tiennent une place importante dans le quotidien des Bissas, une ethnie du Burkina, parmi lesquels elle va vivre llors de plusieurs séjours prolongés.

Elle témoigne avec son regard de jeune européenne, tout imprégnée des idées de progrès, comme une bonne partie de sa génération à la suite des événements de 68 en France où la jeunesse s’est soulevée, tentant de vivre le rêve révolutionnaire. C’est avec ce regard qu’elle commente la Révolution en marche, n’hésitant pas souvent à prendre parti.

Ces différents aspects abordés font de cet ouvrage, un livre riche, vivant et sensible. Bourré d’anecdotes en tout genre, bien écrit, on se laisse prendre par cet ouvrage inclassable tant il aborde des sujets différents.

Armelle Faure, libérée des contraintes imposées aux livres universitaires, peut se laisser aller à ses souvenirs, tout en les commentant sans détour, ce qui en fait aussi un livre très personnel tout autant que riche de nombreuses informations.

La recherche de l’invisible

Il s’agit là de son travail de recherche comme ethnologue. Elle nous relate ses tentatives pour accéder à cette connaissance cachée et la grande difficulté d’y accéder. Ce ne sera possible que grâce au grand chasseur Bissa, Baiongo, qui vit au fond de la forêt au bord du lac sacré Wozi, un havre de paix. Ce n’est qu’au 2/3 du livre qu’elle finit par comprendre les concepts traditionnels après avoir passé plusieurs jours auprès de lui.

Elle se bat pour participer aux rites traditionnels. Ainsi, elle participe à une grande fête animiste au bord du lac sacré Wozi, lieu de communion avec les génies, qui rassemble les Bissas tous les trois ans. Elle s’émerveille de la bonne entente spontanée entre les hommes et les animaux sauvages, une des caractéristiques de la culture animiste.

Elle raconte des expériences étonnantes et donne de sa personne non sans risque. Ainsi partageant le gîte avec un homme, elle pense avoir été droguée dans un village de « féticheurs-sorciers », après avoir ingurgité une boisson, percevant sa perte de contrôle sur les événements.

Et elle n’hésite pas à faire relire ses travaux au chef du village de Balaré qui l’accueille ou à un de ses guides. Le premier lui fera remarquer que les lecteurs penseront qu’il ne travaille pas alors qu’elle s’étend longuement sur le travail des femmes.

Elle nous partage ses questionnements tout à fait pertinents qui devraient interpeller tous les jeunes chercheurs, mais aussi les expatriés, un tant soit peu curieux d’une connaissance approfondie de la culture du pays qui les accueille :

«La rencontre de l’autre et de l’ailleurs produisent un attachement grandissant et irrationnel à un lieu, à un peuple, à une autre vie. Une possession et une dépossession de soi…. Affronter l’inconnu et ses savoirs, accéder à des connaissances issues d’autres imaginations est plus qu’une épreuve. Il faudra un effort constant pour conserver la raison et éviter la déflagration de soi-même ». p.25

ou plus loin

« Mon attitude est paradoxale. J’observe des phénomènes qui répugnent à mon esprit humaniste, individualiste, et libertaire d’Occidentale. Pourtant je suis fascinée par la découverte de la culture de l’autre, où chacun a la devoir d’être ensemble et de partager bonheur et malheur quoi que cette servitude familiale forcée lui en coûte ». p. 36

A méditer…

Amie du chef mais révoltée par la féodalité

Après un léger quiproquo au début du livre, le chef se pensant en droit d’entrer dans sa chambre, vite dissipé, cette autorité incontournable pour enquêter dans la région, en même temps assez ouvert pour accepter de l’aider, deviendra son ami.

Elle ne cache pas sa colère contre les injustices liées à la féodalité. « En leur (NDLR : les jeunes) refusant des terres pour construire leur maison et pour cultiver, les « vieux » les maintiennent sous leur toit et sous leur dépendance. Ils les gardent comme main d’œuvre sur leurs propres champs et pèsent sur leurs choix de vie» (p. 73 ). Et un peu plus loin, « l’ordre des aînés et la gérontocratie villageoise s’appuient sur des méthodes d’intimidation, de sorcellerie et d’empoisonnement qui me révoltent. Pour ces gens la vie ne vaut rien. Dès qu’un jeune réussit dans ses entreprises s’il refuse d’acheter l’accord des aînés peu entreprenants, il meurt tout simplement. » p.78

Un autre personnage fascinant revient tout au long de l’ouvrage. Il lui révèle comment tirer parti de ses pratiques comme escroc. Paul Volta dit Maya Maya pour qui selon elle. « entourlouper les autres consiste à développer des savoirs en magie, en hypnose, en ventriloquie, télépathie, prestidigitation et toute une mise en scène qui met en confiance ou détourne l’attention de l’interlocuteur pour parvenir à ses fins. L’important est de convaincre. » (p. 19)

Il est victime d’un empoisonnement à la suite d’une rivalité à propos d’une fille et depuis il est couché « le corps en feu » (p. 72). Serviable, il faut toute la persuasion de l’autrice pour qu’il accepte de se faire soigner avec des antibiotiques bien qu’il continue cependant à compléter ce traitement d’une consultation d’un devin qui lui prescrit des sacrifices.

Maya fait parler de lui tout au long du livre avec des anecdotes pittoresques. Il se débrouille pour rentrer dans sa région avec des papiers officiels. Mais Jean Baptiste Lingani, originaire de la région et dirigeant de la Révolution la région, le démasque et envoie, Nahouri, un de ses commandos l’arrêter. Paul Volta passe au Togo. Et lorsque Nahouri le repère, Paul Volta entre en courant dans un commissariat, criant qu’il est suivi par quelqu’un qui prépare un coup d’État contre Eyadéma. Le président du Togo, Nahouri fera plusieurs mois dans les geôles togolaises.

Admiration pour Thomas Sankara non sans une vision réaliste des difficultés et des contradictions de la Révolution

Armelle Faure en mission

Régulièrement à travers le livre, l’autrice exprime son admiration pour Thomas Sankara, « A Paris j’ai pris fait et cause pour le président Sankara au point que Jean Rouch m’appelle « la pasionaria » » (p.63). Mais plus que du personnage, c’est de son engagement, de ses projets, du modèle qu’il tente de mettre en œuvre, dont il est question tout au long de l’ouvrage. Par exemple, elle évoque la réforme scolaire, très ambitieuse et coûteuse. (voir le texte intégral à http://www.thomassankara.net/le-projet-de-reforme-de-leducation-elaboree-pendant-la-revolution/) Le projet est rejeté par les représentants des provinces et Sankara accepte de reculer, exemple de « démocratie directe » (p. 131), comme par ailleurs l’adoption du budget à la suite d’un débat public.

La réforme agraire et foncière est annoncée prématurément dès le début de la Révolution. Elle sonne comme un signal, pour les Mossis, ethnie majoritaire dans le pays,. Ils s’empressent de s’installer sur des terres couvertes par des forêts, jusqu’ici gérées par les villageois ( p.83, 86 et 87), et de les défricher. D’autant plus que le Sahel vit en 1984 une effroyable sécheresse.

La réforme agraire est relancée officiellement en 1986 par la publication d’un « texte rédigé en 666 points qui sonnent comme les trompettes de l’apocalypse…. Il (Sankara) défie consciemment l’ordre et lance les forces du désordre, en essayant de les contraindre et de les codifier dans 666 articles codifiés » (p.191).

L’ouvrage vaut aussi beaucoup pour ce qu’il nous apprend de la perception de la révolution dans les zones rurales, plus particulièrement en pays Bissa. Il y a bien quelques résultats d’enquêtes issuse de chercheurs qui restent confidentielles mais les nombreux livres grand public parus jusqu’ici n’en parlent guère.

Elle ne renvoie pas une image positive des CDR, c’est le moins qu’on puisse dire. « Il n’y a plus de bonnet, plus de courbette et plus de chef. Nous commandons le village » affirme un militant CDR (p. 68). En réalité il est issu d’un clan qui cherchait depuis longtemps à prendre la place du chef, tandis que les deux autres sont des « cadres » de la famille du chef. Mais ces mêmes jeunes CDR, qualifiés ailleurs de « bornés ou zélés » (p. 115) seront pourtant jugés un peu plus tard au Tribunal départemental. Le pays était engagé dans les 3 luttes, contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois et la divagation des animaux. Mais ces trois « vaillants CDR » vont pousser des vaches dans un champs pour pouvoir les retirer à leur propriétaire comme c’était préconisé par le pouvoir en vas de « divagation des animaux », et s’en faire un festin

Lors de ses voyages à Ouagadougou, les CDR ne sont vus que comme de jeunes adolescents armés de kalachnikov dont l’activité se résume aux contrôles d’identité, qui se multiplient lorsque le pays bruisse de rumeur de dissension au niveau du pouvoir.

Ce sont pourtant les CDR qui lui trouvent un logement à Ouagadougou. Et lorsque la guerre avec le Mali va éclater, ils seront tous mobilisés autour du responsable de la province en attente des instructions.

Mais elle exprime une meilleure opinion sur un dirigeant local qu’elle qualifie de président du comité de salut public, probablement haut-commissaire de la région. Elle ne se tarie pas d’éloge non plus pour le préfet de Béguédo, surnommé « l’éthiopien » à cause de sa peau claire. Très engagé pour la révolution, plein d’idées pour lancer l’auto-développement, il propose par exemple aux femmes de s’engager dans la transformation de l’arachide sur place. Il va se heurter aux commerçants qui refusent déjà toute autorité administrative. Ils détiennent le monopole de cette transformation et font tout pour le défendre. « Il a déjà reçu la visite de plusieurs serpents venimeux téléguidés par ses ennemis » (p. 118). Ailleurs, des femmes se sont achetés un moulin collectif pour faire la farine et se heurtent à un puissant commerçant qui s’inquiète de la perspective de devoir baisser ses prix. Les « ennemis du peuple » ne sont pas une élucubration théorique de Thomas Sankara.

Dans le même ordre d’idée, dans une bourgade de la région, un projet d’installation d’une station d’essence est à l’origine d’un conflit. Des notables refusent de céder une parcelle. Ils veulent construire des maisons à étage mais défendent les intérêts du gros commerçant local qui vend l’essence à la bouteilles pour en tirer de substantiels bénéfices.

Ces illustrations de la façon dont la Révolution a exacerbé les contractions sont bienvenues. La Révolution est un combat. De même, la lutte contre les chefferies n’est pas un vain mot. Son amie Hortense, par exemple, est bannie de la cour du chef, et fâchée avec une partie de la famille à cause de ses positions révolutionnaires (p.64), tandis que le chef de son côté (p.70) se plaint qu’elle a traité les chefs de féodaux et d’arriérés.

Des conflits politiques peuvent aussi avoir de graves répercussions dans les localités rurales. Ainsi une rivalité ancienne existe entre les villages voisins de Niaogho et Béguédoi. Le premier possède beaucoup de terres inexploitées et abrite une élite intellectuelle du fait de la présence ancienne d’une mission catholique qui a construit une école et un dispensaire. Il abrite aujourd’hui les bâtiments administratifs. Tandis que Béguédo, où se tient le plus grand marché de la région, a construit sa prospérité sur les commerçants qui y ont élu domicile. Chacun des villages revendique le « leadership » sur l’autre, et la situation s’est aggravée depuis la construction d’un pont qui relie les deux villages et le déclenchement de la Révolution. Des échanges de coups de feu ont déjà eu lieu.

Par ailleurs, le chef de l’armée, Jean Baptiste Lingani, un des « quatre leaders de la Révolution », est originaire de Garango, le principale ville de la région. Tandis que Fidel Guiébré, assassiné au lendemain du 4 août 1983, est originaire de Niaogho. Cet assassinat va cristalliser les contre-révolutionnaires bissa contre Lingani tout au long de la révolution, avoir de fortes incidences dans la région. L’autrice écrit « les pratiques occultes dans la région sont en relation directe avec la politique nationale » (p.144)

Responsable d’ONG (organisation non gouvernementale)

Ayant choisi son projet de recherche, elle tente vainement d’obtenir des fonds auprès de sommités du Collège de France. Son interlocuteur s’emporte, elle en conclut : « dans cet olympe parisien, où l’on croise Claude Levi-Strauss, on ne parle pas d’argent. Mes chercheurs sont probablement de purs esprits, si peu préoccupés de leur reproduction scientifique qu’ils dédaignent d’offrir des moyens matériels à leurs élèves. » (p. 61).

Elle se décide donc à travailler pour une importante ONG avec lucidité semble-t-il. Son prédécesseur, « dévoré par l’Afrique » pour avoir voulu « la connaître de l’intérieur, ». « Le mimétisme forcené engendre une restructuration de la personne, peut-être irréversible . D’un autre côté il est difficile de demeurer longtemps dans un village en continuant à manger avec une assiette et une fourchette » (p. 190).

Elle va devoir piloter la mise en place de périmètres maraîchers pour les femmes, de forages et d’une dizaine d’écoles. Elle reconnaît son incompétence pour les questions techniques, mais développera d’autres de ses qualités, autorité et diplomatie non sans s’emporter de temps en temps. Ainsi, pour mener à bien un de ses projets, on exige d’elle un sacrifice, afin qu’elle se fasse pardonner de partir trop souvent dans les autres villages. Elle en fait des cauchemars, refuse de sacrifier un animal sur le fétiche de la chefferie. « Je n’ai qu’un seul lieu de sacrifice au Burkina Faso, c’est le lac » (NDLR :Wozi.§ Elle a peur qu’ils s’en servent pour avoir de l’influence sur elle. Et de conclure : « J’ai peur. Je ne leur céderai pas ma liberté » (p. 169).

Elle met le doigt sur les dérives de certaines ONG qui viennent avec leurs présupposés loin des réalités. Ainsi, elle visite une maternité toute neuve que les femmes désertent, préférant accoucher chez elles, avec la matrone du village. Les femmes n’aiment pas les lits sur pieds habituées à s’asseoir sur des nattes (p.89 ). Par contre, dans une autre région, une autre maternité vétuste est très fréquentée grâce à la bonne réputation de la matrone.

Sa franchise nous vaut quelques confidences. En accompagnant le responsable de l’ONG chargé de défendre les dossier à Bruxelles, elle le laisse s’éblouir de ses découvertes tandis que les problèmes s’accumulent autour des projets à mettre en route, dont il ne se rend pas compte. Elle prend le parti de ne rien lui afin qu’il convainc en rentrant ses interlocuteurs de donner les subventions dont ils ont besoin.

Elle exprime la satisfaction devant l’engagement du responsable à la présidence des relations avec les ONG, M. Alfred Sawadogo. « Le bureau est mené révolutionnairement. Pas de gabegie, pas de ponction, pas de corruption  pas de temps perdu » (p. 168). C’est à cette époque que les ONG se sont massivement engagées au Burkina grâce aux sérieux des interlocuteurs qu’ils trouvaient dans le pays. Alfred Sawadogo lui suggère de prendre en charge la construction de deux écoles chez les Bissas. Elle va se heurter à un instituteur « fainéant », Kibour qui fera tout pour empêcher la réalisation de cette école.

Ce dernier lui fera par ailleurs des révélations sur des « pratiques occultes dans la région en relation directe avec la politique nationale ». Par exemple, au cours de l’enterrement d’un des plus forts féticheurs de Garango, le cadavre, « questionné », aurait révélé avoir entraîné le décès de 16 personnes à Garango après l’assassinat de Fidel Guebrié (p.144).

Le drame de Garango

Un grave accident est survenu à Garango, dans la région, durant la Révolution. Plusieurs avions, transportant un certain nombre de personnalités sont venus pour l’enterrement d’un parent de Jean Baptiste Lingani.

Au moment du retour, Thomas Sankara a changé d’avion pour partir dans le premier. Dès son décollage, la population rassemblée pour l’occasion envahit la piste pensant que tout le monde était parti. Mais le deuxième avion est venu décoller juste après, alors que les gens étaient sur la piste. Les hélices des avions ont fauché de nombreux enfants. Thomas Sankara aurait fait demi-tour pour voir ce qui se passait et son avion s’est d’ailleurs écrasé, sans que les passagers ne soient blessés. Armelle Faure cite prudemment mais très longuement ce que lui ont raconté les témoins alors qu’elle n’était pas présente ce jour-là. « Quand il est sorti et qu’il a vu les dégâts, Sankara s’est mis à pleurer et il a essayé de ramasser les blessés et d’aider les agonisants‘» (p. 151).

Cet accident précède la grande cérémonie triennale de sacrifices pour honorer les génies au bord du lac Wozi. Elle va se transformer en manifestation hostile au CNR.

La ville de Garango est occupée par les militaires. La radio, la télévision, les journaux ne rendront pas compte de l’accident qui auraient fait 32 morts selon les Bissas.

Les autorités vont obliger les familles à signer des certificats de décès mentionnant « mort naturelle ». Elle précise dans une note qu’ « un protocole d’accord portant sur l’indemnisation des victimes de l’accident a été signé entre le gouvernement et les victimes en 2009 »  (p. 155).

L’autrice profondément triste exprime sa colère et son dépit : « Il n’y a plus de révolutionnaires en lutte pour le bien du peuple. Il y a la brutalité et la violence d’un État fautif et répressif, qui veut retourner ses erreurs contre le peuple qu’il vient de sacrifier involontairement. .. La violence d’État prévaut ici comme ailleurs pour couvrir les erreurs des chefs ». Nous n’allons pas la contredire.

Elle soupçonnera une tentative d’assassinat, et tentera d’en savoir plus sans succès.

Nous avons choisi de n’aborder que quelques thèmes qui nous ont intéressé particulièrement.. Il me semble déjà avoir dépassé la taille requise pour ce genre d’exercice de recension que je trouve particulièrement difficile. Mais elle nous fait aussi partager l’ambiance de fête du FESPACO (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou). L’occasion pour elle et de nombreux invités de participer à la « bataille du rail », c’est-à-dire le prolongement de la ligne de chemin de fer pour désenclaver le nord du pays. Par ailleurs, elle nous rapporte aussi les réactions de la population, la mobilisation des CDR et des chasseurs traditionnels et anciens guerriers après le déclenchement de la guerre avec le Mali, où encore nous raconte les péripéties d’un voyage en Côte d’Ivoire.

Armelle Faure nous livre un livre particulièrement riche, par la diversité des thèmes abordés. Le choix autobiographique rend la lecture aisée et agréable, tout en lui permettant de nous faire partager ses réactions, et sentiments. Vivant et plein d’anecdotes, à l’écriture limpide l’autrice ne cède pas à la facilité en abordant la travail ethnographique, en l’abordant en profondeur. Burkinabè ou non, cet ouvrage peut toucher un public varié et devrait ravir tous ceux qui aiment ou s’intéressent au Burkina Faso.

Bruno Jaffré

Bruno Jaffré


Armelle Faure à propos de son travail et de son livre

Armelle Faure, par souci de rigueur, a tenu nous apporter ses précisions nous connaissant comme totalement novice en matière d’ethnologie ou d’anthropologie. Nous vous en livrons de larges extraits :

“Pourquoi est-ce qu’il est classé en Ethno?
Pour deux raisons qui ne sont pas évidentes pour les non-anthropologues.

D’abord la « réflexivité ». Aujourd’hui un livre d’ethno doit faire preuve de « réflexivité ».
On a beaucoup reproché aux africanistes de ne jamais exposer leurs conditions de terrain. Ceux des années 1950 à 2000 n’ont jamais fait paraitre le contexte de leurs terrains, la façon dont ils vivaient au jour de jour. C’était interdit dans la profession. Un tabou.
Depuis quelques années, de nombreux colloques considèrent enfin le terrain comme ce qu’il est : « une épreuve », une série de malentendu, une recherche obstinée malgré les difficultés. Le désir d’être intégré par l’autre et l’ailleurs.
Le summum de notre profession peut se lire dans ce livre récent: “Croire aux fauves » de Nastassja Martin.
C’est une quadra, en pleine réflexivité, et au cœur de l’Ethno.

Bien sûr, les autres professions vont parler d’autobiographie, alors que ce n’est pas cela.
De plus en plus, les ethnologues écrivent deux livres sur le même terrain: leur thèse remaniée de façon à ce qu’elle soit lisible (pour moi c’était « Le Pays Bissa avant le barrage de Bagré ». C’est leur contribution au monde scientifique et universitaire. Et puis ils, elles, écrivent « l’autre » livre. Le vécu, le « making-off » de la thèse. On le fait aussi parce que les gens se demandent « mais qu’est-ce qu’ils font, pendant des années sur le terrain ?». Ce deuxième livre est beaucoup plus littéraire. Lire par exemple  Descola, « Les lances au crépuscule », ou Lévi-Strauss « Tristes tropiques”

Ensuite l’invisible
C’est le cœur de l’Ethno depuis ses débuts (Lévy-Bruhl, Frazer, Malinovski etc) . Bien sûr et toujours la magie et la sorcellerie, la divination, le chamanisme, les rituels…
Cela fait partie des cours et de l’enseignement de l’ethnologie, de l’anthropologie, du début à la fin.

Mon livre partait d’une interrogation de mon directeur de thèse sur la notion d’autochtone . IL faut partir des représentations, de la façon dont ce peuple en particulier considère l’invisible.
Chez les Bissa c’était clairement difficile à pénétrer. Je ne l’ai compris qu’au bout de plusieurs années, à partir d’un concept que me donne Baiongo au bout de 5 ans: Tor, pluriel tonno. Les génies (de la montagne Boulgou, du lac sacré Wozi…) … 

… La réflexivité et l’invisible font que mon livre est un livre d’Ethnologie, et pas un livre de sciences politiques, malgré Sankara, malgré la révolution foncière, malgré les innovations et les nombreux changements sociétaux dont je décris les mécanismes au long de ces cinq ou six années (1982-1987).

Cette révolution qui nous a tant marqués, qui a tant marqué tant de pays du Sud, et que nous adorons toujours, marquée par l’extraordinaire personnalité de Thomas Sankara.”

Armelle Faure


Tables de matières

Carte                                                                                                      p.4

Rencontre nocturne et mes premiers pas au village                                          p.7

Amorces de révolution                                                                               p.29

Le révolution au quotidien                                                                          p.59

FESPACO (NDLR : Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou)                   p.91

La guerre vue du village                                                                           p.109

Incursion dans le monde des génies                                                            p.133

Les avions de la mort                                                                               p.149

La visite du président Mitterrand                                                                p.161

La réforme agraire et la panthère contre-révolutionnaire                                 p.183

La mort d’un juste                                                                                   p.201

Épilogue                                                                                                p.215

Postface de Lazare Ki-Zerbo                                                                     p.219

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